v. 1010 - 1069
Raoul l’Anglais
À l’origine de la dynastie des Gaël-Montfort
Raoul l’Anglais est issu d’une famille apparentée aux comtes de Rennes. Pourtant il naît et passe sa jeunesse en Angleterre. En 1024, il est témoin dans plusieurs chartes en Bretagne où il apparaît comme notable. Il se marie à une bretonne dont il a un fils, Raoul, né en Bretagne. En 1042, il entre au service du nouveau roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur près duquel il occupe un rang élevé. En 1066, il soutient activement Guillaume le Conquérant pendant la conquête de l’Angleterre et en récompense est nommé comte d’Est Anglie.
Raoul l’Anglais : un Breton né en Angleterre
Raoul l’Anglais (Radulfus Anglicus) est un Breton né en Angleterre au début du 11e siècle (vers 1000-1010). Son père fait partie des Bretons qui ont traversé la Manche bien avant la conquête normande de 1066.
Avant même la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Bâtard, des Bretons avaient franchi la Manche pour se mettre au service du dernier roi anglo-saxon Edouard le Confesseur. Tel fut le cas de Ralph l’Ecuyer [Raoul l’Anglais].
Le nom de Raoul l’Anglais apparait sous différentes formes dans les actes des deux côtés de la Manche : Ratdulfi, Radulfus, Ralph, Raoul ou Ranulf, auxquels s’ajoutent celles de Anglicus, Angli, Anglus, Anglais.
L’historienne Katharine Keats-Rohan insiste sur l’appellation Anglicus qui est un trait distinctif très important 1.
A cette époque, l’ethnonyme anglicus signifiait que celui qui le portait était né en Angleterre, et il existe de solides preuves que tel était bien le cas.
Origine paternelle
Le père de Raoul, dont on ignore le nom, est un Breton proche des comtes de Rennes. Il émigre en Angleterre dans la seconde moitié du 10e siècle.
L’hypothèse retenue par les historiens actuels est que le père de Raoul l’Anglais a suivi jusqu’en Normandie, Judith de Rennes (†1017), sœur du duc de Bretagne et comte de Rennes Geoffroi Ier (†1008), lors de son mariage avec le duc de Normandie Richard II (996-1026). Il se rend en Angleterre en 1002, au mariage d’Emma, sœur de Richard II, avec le roi d’Angleterre Æthelred II. De leur union nait Édouard, né en 1003 ou 1004, surnommé « le Confesseur » 2, quand il devient roi d’Angleterre en 1042. — KEATS-ROHAN, Katharine, « Le rôle des Bretons dans la politique de la colonisation normande d’Angleterre (c.1042-1135) », in Published MSHAB 74, 1996, p. 181-215, Voir en ligne. [page 1] —
Le père de Raoul l’Anglais aurait épousé une anglaise. Le Domesday Book 3 nous apprend que son frère porte le nom anglo-saxon de Godwin et qu’un membre de sa famille celui d’Ailsi.
Raoul l’Anglais et la dynastie des Gaël-Montfort
Raoul l’Anglais est à l’origine de la dynastie des seigneurs de Gaël-Montfort. Il ne faut pas confondre Raoul l’Anglais avec son fils, Raoul Ierde Gaël, considéré comme le premier seigneur de Gaël. Ce lignage prend le nom de Montfort avec Raoul Ier à la fin du 11e siècle. Il est étranger aux Montfort originaires de Montfort-l’Amaury qui règnent sur le duché de Bretagne à partir de 1365 4.
L’appellation Anglicus est un surnom qui lui est attribué dans les actes des deux côtés de la Manche.
Origine du prénom Raoul
Le prénom Raoul est extrêmement rare dans la Bretagne du 11e siècle.
[...] ce n’est qu’entre 1130 et 1160 que le prénom Raoul apparaît [...] où il occupe la neuvième et dernière place. A l’époque de Raoul l’Anglais et de sa famille, le prénom était encore considéré comme faisant partie du patrimoine familial et était donné à l’enfant en vertu de règles établies de longue date. Les aînés recevaient un prénom emprunté au lignage paternel et les cadets à celui de leur mère.
Le prénom Raoul est un marqueur d’une lignée carolingienne des Rorgonides 5 installée dans le Poutrocoët.
D’après l’étude prosopographique de Katharine Keats-Rohan portant sur le lignage parental de Raoul l’Anglais
[...] la plus ancienne apparition connue de ce prénom dans un contexte purement breton est celle de Raoul, évêque d’Alet vers 990-1013-1026/32.
Le père de Raoul l’Anglais, contemporain de l’évêque Raoul, appartenait à cette même grande famille alliée aux comtes de Rennes.
Le nom Raoul (d’Alet) est cité dans la notice concernant la restauration de l’ancienne abbaye de Saint-Méen et Saint-Judicaël de Gaël. Dans ce même document figurent la duchesse Havoise, ses fils le duc de Bretagne Alain III et Eudes de Penthièvre.
[…] Hinkeneus archiepiscopus Dolensis, Guarinus episcopus Redonensis, Radulphus episcopus Aletensis, Gauterius episcopus Nannetensis […]
La mort de l’évêque est connue par une charte de fondation du couvent de femmes de Saint-Georges de Rennes vers 1026-1034. Hamon est cité pour la première fois comme évêque d’Alet.
[…] Radulfus cantor testis ; Incomaris gramaticus testis ; Radulfus Anglicus testis ; Gaufridus filius Hugonis testis ; Andulphus Scomarchi filius ; Walterius ; Mainigenius ; Garinus filius Guillermi ; Aldronicus presbiter ; Robertus Nannetensis et multi alii. […] Jungenius Dolensis archiepiscopus, G [arinus] Redonensis, Judicaelis Venetensis, Adam episcopus Sancti Brioci, Guillelmus Salomon, Orscandus et Galterius Nannetensis, Haymon Sancti Maclovii.
Hamon succède à Raoul 6 dans l’évêché d’Alet, avant le 21 février 1034 (date de la mort de la duchesse Havoise).
On retrouve ce prénom Raoul porté par différents membres de cette famille issue des Carolingiens : Raoul de Tinténiac et Raoul de Fougères.
Raoul le Chantre, Radulphi Cantoris figure dans une charte où se trouve Raoul l’Anglais. Pour Katharine Keats-Rohan, Raoul Cantor est probablement un parent proche de l’évêque Raoul. Raoul Cantor apparaît aussi en 1032 à propos des dons faits par le duc Alain III à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, charte où Raoul l’Anglais figure aussi comme témoin.
[...] Signum Radulphi Cantoris. S. Ratfredi Clerici. S. Gorenton. S. Oberti Clerici. S. Aldronis. S. Ratdulfi Angli. S. Gaufredi filii Hugonis. Acta vel sirmata est hujus cartæ conscriptio anno ab Incarn. Domini nostri Jesu Christi MXXXII. [...]
Parmi les Raoul cités dans les chartes en présence de Raoul l’Anglais, figure aussi Raoul le Large Radulfus Largus dont les descendants deviendront seigneurs d’Aubigné. Son nom apparait auprès de Raoul de Gaël cité comme fils de Raoul l’Anglais dans une notice en date de 1056-1057. Il s’agit d’un don d’Eudes de Bretagne 7 concernant un échange de terres consenti entre les moines de Saint-Aubin d’Angers et Foulques Nerra (†1040) 8.
Comes Eudo, uxor ejus Orguen, et filii eorum Gausfridus, Alanus, Willelmus, Rotbertus, Ricardus ; Maino episcopus, Niellus vicecomes, Rodaldus filius Constantini, Radulfus Largus, Mainbonius filius Marioni, Herveus filius Goranti, Gradelonius, Ebrardus mercator, Judicalis de Triguer, Rogerius filius Ascelini monachi, Hermandus, Lotharius filius Pringuenti, Gausfridus filius Mainonis, Radulfus filius Radulfi Englesi, Hildrocus, Anscherius filius Anauti, […] DE BROUSSILLON, Bertrand, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers., Vol. t. 2, Angers, Germain et Grassin, 1903, Voir en ligne. p. 173
Présence de Raoul l’Anglais des deux côtés de la Manche
Raoul l’Anglais fait des séjours répétés et prolongés en Bretagne jusqu’en 1034. Nous ne savons rien de son activité entre 1034 et 1042. Plusieurs actes bretons le concernant entre 1024 et 1034 environ montrent néanmoins qu’il était de même rang que d’autres officiers publics.
C’est durant ces années qu’il se marie en Bretagne avec une bretonne. Son fils ainé, Raoul de Gaël nait en Bretagne entre 1030 et 1040. L’Anglo-Saxon Chronicle mentionne que Raoul de Gaël était Breton par sa mère, alors que son père, appelé Raoul lui aussi, était Anglais et né dans le Norfolk.
— KEATS-ROHAN, Katharine (2016) op. cit., p. 34-35 et 48 —
La présence de Raoul l’Anglais dans les actes correspond aux évènements qui ont lieu en Bretagne durant cette première moitié du 11e siècle.
Les destructions des abbayes bretonnes occasionnées lors des invasions vikings du 10e siècle amènent Alain III à une restauration importante qui passe par une redistribution du patrimoine monastique. Dès le début du 11e siècle, le duc entreprend la reconstruction de nombreuses abbayes dont celles de Saint-Gildas de Rhuys, de Locminé, mais aussi de celle Gaël. Durant les décennies qui ont suivi la désertification des monastères, les nobles et les paysans se sont appropriés les nombreuses terres appartenant aux religieux.
Cette nouvelle répartition survient alors que se met en place la naissance des seigneuries qui touche aux territoires.
Gleudennus Judicaël mène la révolte des barons. Propriétaire d’un castrum
à Gaël, il voit ses droits seigneuriaux sérieusement entamés par la reconstruction de l’abbaye de Saint-Méen et Saint-Judicaël de Gaël. Avec d’autres barons, il mène une guerre contre le duc durant laquelle il est tué. Ce conflit qui se termine en 1024 conduit Alain III à donner tout ou partie des biens de Gleudennus autour de Gaël — dont une partie de la forêt de Brécilien — à Raoul l’Anglais. Cette donation serait à l’origine de la seigneurie de Gaël.
Katharine Keats-Rohan n’exclut pas la possibilité que Raoul l’Anglais ait pu être un alleutier à Gaël ou dans ses environs. En effet, une union entre Raoul l’Anglais et une femme ayant droit à l’alleu de Gaël a pu faire de lui temporairement un alleutier.
Il est possible que l’homme que distinguait son lien avec l’Angleterre ait été marié à une femme de la lignée de Gleudenn, une femme dont les parents survivants auraient permis de compenser l’absence d’abord de son mari, puis de son fils.
En 1042, Raoul l’Anglais a rejoint Édouard le Confesseur 9, nouveau roi d’Angleterre, auprès duquel il assure des fonctions de conseiller en tant que « staller ».
[…] à mi-chemin entre celui de « sheriff » (vicomte) et de celui de comte (comes), le terme étant parfois, par la suite, traduit par celui de « constable ».
Edouard le Confesseur meurt sans postérité en 1066. Deux prétendants au trône d’Angleterre s’affrontent : Harold Godwinsson 10 et Guillaume II de Normandie (surnommé ensuite « Guillaume le Conquérant »).
Raoul l’Anglais soutient Guillaume dans la conquête de l’Angleterre. Son fils ainé Raoul de Gaël participe aux batailles, dont celle d’Hastings. C’est seulement suite à la victoire du « Conquérant » que Raoul l’Anglais se voit nommer comte d’Est Anglie (Norfolk et Suffolk) par Guillaume le Conquérant. Dès lors, son statut change, il n’est plus qualifié Radulfus staller
mais Radulfus comes vetus
— Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 51-52 —
D’après les données du Domesday Book concernant la famille de Raoul l’Anglais, les terres attribuées à Raoul et plus tard à son fils ainé étaient tenues en vertu des fonctions officielles confiées.
— Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 54 — Raoul de Gaël n’hérita aucune des tenures de son père dans le comté de Lincoln ou en Cornwall,
— Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 55 —
Donation de Raoul l’Anglais et de son fils Raoul à l’abbaye de Saint-Riquier
Un seul document montre le père et le fils agissant de concert en Angleterre.
[…] c’est la confirmation d’un don fait à l’abbaye de Saint-Riquier 11, dans le Ponthieu 12, par Raoul l’Anglais avec l’accord du roi Edouard le Confesseur […] et confirmé au printemps 1068 avec l’accord de son fils Raoul et de Guillaume le Conquérant.
Au 12e siècle, Hariulfe, moine de Saint-Riquier, rédige le Chronicon Centulense (Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier). Une traduction du Chronicon, parue en 1899, nous fait part au chapitre XXIII d’une donation de plusieurs domaines anglais à l’abbaye, venant des comtes Raoul, du temps du roi Edouard le Confesseur. Il s’agit de Raoul l’Anglais et de son fils, tous deux nommés ici Raoul, non identifiés par le traducteur, le marquis Le Ver :
Edgard, [lire Edouard] roi d’Angleterre, après avoir parcouru avec bonheur la carrière de la vie accordée aux mortels, mérita la gloire éternelle. Pendant qu’il vivait encore et qu’il possédait son royaume terrestre, un noble, breton d’origine et nommé Raoul, qui jouissait d’un grand crédit et de grands honneurs auprès de lui, donna en aumône à S. Riquier, par les mains du vénérable Gervin, quelques terres et quelques revenus, dont le produit total était assez considérable.
En décembre 1066, Guillaume le Conquérant s’empare de la couronne d’Angleterre, succédant ainsi au Confesseur. Dans le Chronicon, Hariulfe rapporte la présence de l’abbé Gervin à la cour du roi, venu légitimer les avoirs de Saint-Riquier en terre anglaise.
L’abbé le pria de confirmer, par un acte de son autorité, les donations que le feu roi Edgard avait faites à S. Riquier, Raoul et son fils, qui portait le même nom que son père, joignirent leurs instances à celles de Gervin, et Guillaume, se rendant aux prières de celui-ci et à celles de ses amis, fit dresser la charte suivante :
« Au nom de la sainte et indivisible Trinité, moi Guillaume (...) par l’exhortation de mes amis le comte Raoul et Raoul son fils, et du consentement de tous les grands de ma cour, je confirme, suivant le droit qui appartient au roi, toutes les donations faites par ledit comte et son fils, au profit des frères de S. Riquier ; et j’ai jugé bon de désigner, dans ce présent écrit, les églises et les maisons cédées par lesdits donateurs, afin que tout le monde puisse les connaître. Telle est la terre de S. Riquier, située en Angleterre et donnée audit saint par le comte Raoul [...] »
Une liste détaillée énumère les biens possédés par l’abbaye 13. Dans son Histoire de l’abbaye et de la ville de Saint-Riquier, l’abbé Hénocque explique que
Le monastère a joui de ces domaines jusqu’à la guerre de Cent ans, où toutes les relations entre l’Angleterre et la France furent interrompues et les biens monastiques confisqués, sans qu’il ne fût jamais possible de les recouvrer.
Raoul l’Anglais meurt en 1069. On lui connaît deux fils : Raoul I de Gaël, seigneur de Gaël et Harduin dont l’histoire n’a rien retenu. Raoul hérite des biens de son père en Bretagne et se voit attribuer des fonctions administratives en Angleterre.