1187-1203
Arthur 1er duc de Bretagne — I
L’assemblée de Saint-Malo de Beignon
Arthur Ier est le petit-fils d’Henri II et le fils de Geoffroy d’Angleterre marié à la duchesse Constance de Bretagne. Son nom le rattache au roi légendaire et fait renaître l’espoir de libérer la Bretagne soumise à l’Angleterre. À Saint-Malo de Beignon, les Bretons jurent fidélité au jeune Arthur alors que sa mère est retenue en otage.
1125 - mars 1187 — Le mythe arthurien avant Arthur
Entrée en matière
Henri II Plantagenêt est couronné à l’âge de 21 ans en 1154. Héritier de Guillaume le Conquérant, il règne sur l’Angleterre et le duché de Normandie. Les Plantagenêt sont des Angevins ; ils doivent à l’impératrice Mathilde, petite-fille du Bâtard, leur couronne par alliance. Depuis son mariage avec la reine Aliénor d’Aquitaine, Henri II contrôle le sud-ouest de la France et son autorité s’étend sur les comtés d’Anjou et du Maine. La Bretagne armoricaine reste son maillon faible, il ne s’y impose que par la force mais il dispose du soutien de certains barons. Ceux-ci tirent de confortables revenus en Angleterre, leur lignée ayant participé à la bataille d’Hastings aux côtés de Guillaume en 1066.
Henri a stabilisé la situation politique avec ses voisins par la conquête du Pays de Galles, de l’Écosse et partiellement de l’Irlande. Il a devant lui un modèle « historique » pour s’approprier tous les territoires qu’il convoite : les exploits légendaires du roi Arthur qui fleurissent à la cour d’Angleterre depuis le début du 12e siècle.
C’est le tour de force de Geoffroy de Monmouth, notamment, d’avoir fait d’Arthur un souverain prestigieux, à la renommée duquel l’aristocratie laïque anglo-normande adhère peu à peu, au point de s’approprier cette figure des siècles de la domination bretonne selon une démarche qui ne peut que rencontrer les préoccupations politiques d’Henri II.
Ainsi naît la légende fondatrice de la royauté Plantagenêt au Moyen Âge. Elle légitime l’unité de la Grande Bretagne, la mainmise sur la Petite Bretagne, et elle oppose au roi de France un récit qui fait contrepoids à la renommée de la « matière de France » 1. Si Philippe-Auguste peut se prévaloir de l’empereur Charlemagne dont la propagande capétienne entretient le culte, Henri II, qui n’a pourtant aucun lien ancestral sur le sol anglais, se présente comme un héritier dynastique du roi Arthur. La « matière de Bretagne » fait pendant à la « matière de France ».— ROLLAND, Marc, Le roi Arthur. Le mythe héroïque et le roman historique au XXe siècle, Rennes, Presse Universitaire de Rennes, 2004, Voir en ligne. [page 18] —
Pour asseoir son contrôle sur la Bretagne, Henri a imposé au duc Conan IV d’unir sa fille Constance de Penthièvre, héritière du duché, avec Geoffroy son troisième fils. Celui-ci meurt peu après la conception de l’enfant. En lui donnant le nom d’Arthur, les Bretons affirment leur volonté d’indépendance. La « matière de Bretagne » trouve opportunément à s’incarner en Bretagne armoricaine. Le roman arthurien qui devait être la quintessence du règne Plantagenêt se heurte en 1187 à un rival dont le nom se confond avec le roi légendaire.
Cette naissance intéresse particulièrement le roi de France, Philippe Auguste, qui guette toute opportunité pour reprendre possession des territoires perdus sur le continent. Il peut espérer gagner les barons bretons à sa cause et attaquer la Normandie sur deux fronts.
La « matière de Bretagne » à la cour d’Angleterre
La cour anglo-normande des Plantagenêt devient au 12e siècle un centre d’intérêt littéraire de première importance. Guillaume (William) de Malmesbury rédige en 1125 les Gesta Regum Anglorum (Gestes des Rois d’Angleterre). Il se présente en tant qu’historien et soutient la réalité historique du roi Arthur. Les anciennes légendes galloises méritent plus de sérieux, selon lui, que l’affabulation des Bretons.
L’activité remarquable du belliqueux Arthur vainquit les orgueilleux barbares. C’est sur cet Arthur que les sornettes des Bretons divaguent aujourd’hui ; un homme non pas digne de figurer dans des fables à dormir debout, mais d’être célébré dans des histoires véridiques.
En 1136-1137, Geoffroy de Monmouth écrit en prose latine l’Historia regum Britanniae (Histoire des rois de [Grande] Bretagne) . Sous sa plume, Arthur devient un véritable mythe national pour faire pendant aux Chroniques de France. Tout à la gloire du peuple breton, il pose les fondements de la saga arthurienne. Entremêlant mythe et histoire, il donne vie au roi Arthur, chef de guerre, descendant de Brutus, premier roi des Bretons, comme référence historique pour ses contemporains.
Wace en adapte la traduction en langue vulgaire dans le Roman de Brut (Brutus), textuellement transférable à la vie de cour d’Henri II. Il ne reprend pas les Prophéties de Merlin mais popularise le mythe arthurien et donne sa première forme littéraire à la légende de la Table Ronde. Achevé en 1155, le poème met en miroir le règne d’Henri Plantagenêt avec celui d’Arthur en vue de consolider l’union entre l’Angleterre et la Normandie.
Henri II doit affirmer sa filiation normande envers les barons normands et son hostilité envers les Français. A sa demande, Wace publie en 1160 la première partie du Roman de Rou (Rollon), une chronique ascendante des ducs de Normandie. En exergue, il souligne sa détestation des Français.
Les boisdies de France ne font mie a celer /
Les tromperies de France ne sont pas à cacher,
Tout tens voudrent Franchoiz Normanz desherite /
De tout temps les Français veulent déshériter les Normands.
Henri II parvient à capter le prestige du passé arthurien de la Bretagne insulaire et armoricaine en s’imposant dans l’imaginaire de son temps au moyen des œuvres littéraires qu’il commande ou qui lui sont proposées 2.
Vient ensuite Chrétien de Troyes, vers 1160-1180, qui s’approprie le corpus arthurien naissant pour inventer un genre nouveau, en langue romane (français vernaculaire). Il se crée en quelques décennies un engouement pour l’univers fictif arthurien, au point de faire revivre le héros dans le monde actuel.
L’euphorie arthurienne
Parmi les documents apocryphes recensés par la médiéviste Julia Crick, une lettre fictive du roi Arthur en 1157 a été interpolée dans le manuscrit Historia Regum Britannie de Geoffrey de Monmouth.— MONMOUTH, Geoffroy de, Gesta Regum Britannie, Éd. Neil Wright, Oxford, Bodleian Library, 1991, (« The Historia Regum Britannie of Geoffrey de Monmouth »), Voir en ligne. —
Il en existe quatre copies dont l’original est perdu. La plus ancienne s’ouvre en ces termes : Arthur, par la grâce de Dieu, le roi le plus désiré des deux Bretagne
(Arturus Dei gratia utriusque Britannie rex desideratissimus). Arthur s’adresse directement à un chapelain parisien, Hugoni cappellano de Branno, pour lui faire savoir que Morgane annonce le retour en gloire du roi après la bataille de Camlann.
L’affaire ne paraît pas sérieuse et pourtant Julia Crick émet l’hypothèse que cette lettre a pu être écrite pendant le conflit qui opposa les Bretons aux Angevins dans les années 1150-1160, des évènements qui ont amené Conan IV à devenir le vassal d’Henri II.— CRICK, Julia, C., The "Historia regum Britannie" of Geoffrey of Monmouth : Dissemination and Reception in the Later Middle Ages, Vol. 4, Boydell and Brewer, 1991, Voir en ligne. p. 92-93 —
Christopher Berard, auteur d’une thèse sur La renaissance d’Arthur, ajoute que l’année 1157 est aussi celle des campagnes militaires d’Henri II pour soumettre, avant l’Irlande, l’Écosse et le Pays de Galles. En Grande comme en Petite Bretagne, le Plantagenêt était en bonne voie pour devenir, comme son modèle, le roi des deux Bretagne.
Le burlesque de la lettre ridiculise le mythe de la survie d’Arthur, comme un Lazare des temps modernes, mais s’interprète comme l’accomplissement de la mythologie arthurienne sous le règne d’Henri. C’est lui, le roi « Arthur renaissant » (Arthurus redivivus) 3. — BERARD, Christopher Michael, « Arthurus Redivivus : Arthurian Imitation », Plantagenet England, 1154–1307, Université de Torento, 2015, Voir en ligne. —
Le Draco Normanicus
Mieux encore, en 1169, un moine de l’abbaye du Bec, Étienne de Rouen, compose le Draco Normanicus pour Henri, un long poème de 4 400 distiques à la mort de sa mère Mathilde, « l’Emperesse » qui rattachait le roi à la lignée normande.
Étienne de Rouen poursuit le travail de Geoffroy de Monmouth et de Wace sur l’histoire des Normands depuis les origines mythiques jusqu’au règne d’Henri II. Il ajoute au récit la translation du défunt roi Arthur aux Antipodes (apud Antipodes), annulant toute contrainte chronologique et géographique pour engager un dialogue épistolaire entre Arthur et le Plantagenêt. Le mythe du retour devient réalité, Arthur n’est pas mort.
Mortellement blessé à Camlann au cours d’un combat contre Mordret qui l’avait trahi, Arthur a été conduit à Avalon, guéri et rendu immortel par sa sœur Morgane. Depuis l’inferior mundus, un monde inférieur aux Antipodes de la terre habitable, Arthur observe les vivants. Il vient de recevoir une lettre d’un certain Rollandus identifié avec le baron Roland de Dinan - parent de Geoffroy Ier de Gaël-Montfort - un des grands nobles bretons en rébellion contre Henri II.— LE PATOUREL, John, « Henri II Plantagenêt et la Bretagne », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, Vol. 58, 1981, p. 100-116, Voir en ligne. —
La Bretagne armoricaine étant le territoire d’Arthur, Roland l’enjoint de chasser l’ennemi anglais. Cette lettre fictive s’adresse à son roi, trois fois roi
, des Bretons, des Anglais et des Français.
Lettre de Roland, comte des Bretons, adressée à Arthur ancien roi des Bretons qui résidait alors aux Antipodes, laissant entendre que puisque Henri, roi des Anglais, avait envahi ses terres, il [Arthur] devait soit venir personnellement à l’aide des siens, soit envoyer rapidement des légions armées.
Arthur répond à Roland qu’il n’a pas à s’inquiéter parce que le roi d’Angleterre va devoir quitter la Bretagne pour rejoindre sa mère, l’impératrice Mathilde, mourante à Rouen. Ce faisant, Arthur écrit à Henri pour l’informer qu’il défendra son peuple et menace de revenir en Bretagne s’il décidait encore de l’attaquer. Il dispose aux Antipodes d’une armée invincible. Ce retour d’Arthur en armes parmi les vivants fait démonstration de sa destinée, un messianisme porté par « l’espoir breton ».
By all this show of destiny he means more, or less, than the “Breton hope” and a Breton messiahship.
Loin d’être effrayé, Henri se moque des menaces d’outre-tombe du roi Arthur mais il convient avec ses nobles d’y répondre. Il écrit une lettre courtoise à son égard, reconnaît la grandeur et les exploits du roi légendaire, tout en confirmant ses droits historiques sur la Bretagne. Le duc de Bretagne est et doit rester le vassal du duc de Normandie 4. Toutefois Henri consent à quitter temporairement la Bretagne et concède par respect pour Arthur qu’il la tiendra désormais comme son fief sous son autorité.— Livre second, XXII, l. 1251-1282, p. 133 —
L’humour n’est pas la seule interprétation possible du texte, le but de l’épisode n’est pas seulement de ridiculiser l’espoir breton, mais également de présenter Henri II comme un monarque glorieux, qui règne légitimement sur son empire.
Aux origines de l’espoir breton
Que ce soit sous la plume de Guillaume de Malmesbury, d’Henry de Huntingdon ou de Geoffroy de Monmouth, les œuvres à caractère historique datant du règne d’Henri Ier Beauclerc (1100-1135) ont plusieurs points communs. D’abord, elles s’adressent toutes au public des élites anglo-normandes, aux nouveaux maîtres de l’Angleterre, qu’il s’agit d’intéresser à un passé historique qui n’est pas le leur. Ensuite, elles façonnent une image très forte du roi Arthur qui, jusque-là, n’était pas une référence de premier plan dans l’historiographie insulaire.
Henri de Huntingdon, auteur anglo-normand de l’Historia Anglorum (Histoire du peuple anglais) rencontre Robert de Torigni, futur abbé du Mont-Saint-Michel, prieur à l’abbaye du Bec (Eure) en 1139. Robert lui donne à lire l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth. Henri en fait un résumé qu’il annexe à sa propre histoire d’Angleterre, sous le nom d’Epistola ad Warinum (lettre à Warin le Breton). Comme Geoffroy, il soutient que le roi Arthur ne serait pas mort au cours de la bataille de Camlann.— LABORDERIE, Olivier de, « Les historiens anglais de la première moitié du XIIe siècle et la redéfinition de l’identité nationale », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, Vol. 19, 2010, p. 43-62, Voir en ligne. [page 49] —
Tous les historiens ne cautionnent pas le mythe du retour d’Arthur, mais par le biais des emprunts mutuels entre les historiens, les idées font leur chemin de part et d’autre de la Manche. Wace, aussi, dans sa Geste des Bretons (1155) entretient savamment le doute pour dire, sans se compromettre, qu’Arthur peut vivre à nouveau
.
Arthur, si la geste ne ment, / Arthur, si la chronique ne ment,
Fud el cors nafrez mortelment ; / Fut mortellement blessé au corps ;
En Avalon se fist porter / En Avalon se fit porter
Pur ses plaies mediciner. / Pour soigner ses plaies.
Encore i est, Bretun l’atendent / Il y est encore, les Bretons l’attendent
Si cum il dient e entendent ; / Si comme ils disent et le croient ;
De la vendra, encor puet vivre. / Il reviendra, il peut vivre à nouveau.
Maistre Wace, ki fist cest livre, / Maître Wace, qui a réalisé ce livre,
Ne volt plus dire de sa fin / N’en veut dire plus sur sa fin
Qu’en dist li prophetes Merlin ; / Que ne l’a fait le prophète Merlin ;
Merlin dist d’Arthur, si ot dreit, / Merlin a dit d’Arthur, à juste titre,
Que sa mort dutuse serreit. / Que sa mort serait incertaine.
Li prophetes dist verité / Le prophète a dit la vérité,
Tut tens en ad l’um puis duté, / Depuis lors, on a toujours douté
E dutera, ço crei, tut dis, / Et on doutera toujours, je pense,
Se il est morz u il est vis. / Qu’il soit mort ou vivant. »
L’Église prend sa part dans la production littéraire arthurienne. Les prophéties de la Vie de Merlin, publiées avec l’Historia Regum Britanniae par Geoffroy de Monmouth, font l’objet d’exégèses comme d’un écrit religieux. Alain de Lille (Alanus Flandrensis), moine de Clairvaux, évêque d’Auxerre, apporte même la caution de l’Église en publiant les Prophetia Merlini dans les années 1170. Son commentaire s’appuie sur les autorités patristiques propres aux personnages prophétiques de l’Ancien Testament.
Les choses que Merlin dit à propos de la rédemption du monde et de la résurrection des morts, combien elles sont vraies selon les traditions prophétiques, évangéliques et apostoliques, de sorte qu’il ne s’écarte évidemment en rien de la foi orthodoxe chrétienne ; ceci est patent pour tout lecteur.
À en croire Alain de Lille, les Bretons ne plaisantent pas sur la renaissance du roi Arthur. Il met en garde quiconque s’aviserait de les provoquer sur la prophétie de Merlin qui a dit que sa fin sera incertaine
.
Sa fin sera incertaine (Exitus ejus dubius erit). C’est vrai, comme le prouvent les opinions divergentes des hommes sur sa vie et sa mort encore aujourd’hui. Mais si vous ne me croyez pas, allez dans le royaume d’Armorique, c’est-à-dire en Petite Bretagne, et proclamez sur les places publiques et les villages qu’Arthur de Bretagne est mort comme sont morts tous les autres et alors vous prouverez certainement qu’elle est vraie cette prophétie de Merlin qui dit : « la fin d’Arthur sera incertaine », si toutefois vous avez pu en sortir indemne, sans être accablé des malédictions de vos auditeurs ou sans doute effondré à coups de pierres.
La vulgarisation de l’attente
En alimentant la « matière de Bretagne » pour valoriser sa personne et légitimer son impérialisme, Henri II attise dans le même temps les braises du sempiternel espoir breton, latent chez les Gallois et les Bretons d’Armorique. Il ne pouvait mieux préparer la naissance à venir d’Arthur de Bretagne.
En 1186, Bertran de Born apprend le décès du duc de Bretagne, Geoffroy Plantagenêt dont il était l’ami. Il écrit un compliment à sa mémoire en jouant sur le thème du retour d’Arthur. Il ne pouvait soupçonner que son épouse, la duchesse Constance, allait donner prochainement naissance à leur fils Arthur de Bretagne.
S’Artus, lo segner de Cardoil, / Si Arthur, le seigneur de Cardeuil [Carlisle],
Cui Breton atendon e mai, / que les Bretons attendent désormais,
Agues poder qe tornes sai / avait le pouvoir de revenir en ce monde,
Breton i aurian perdut / les Bretons auraient perdu au change,
E Nostre Segner gazagnat / et Notre Seigneur aurait gagné.
À l’annonce de la naissance d’Arthur, l’accomplissement de l’espoir breton est clamé comme une évidence par le troubadour provençal Peire Vidal. Il désapprouve ouvertement les moqueries qui circulent sur la survie d’Arthur.
Car puisque la Bretagne (Bretonha) a recouvré Arthur, il n’y a pas de raison pour que la joie me manque. (XXIII. Ges pel temps fer e brau, III, p. 73).
Car maintenant les Bretons ont leur Arthur où ils avaient mis leur espoir. (XXVIII. Pos tornatz sui en proensa, VI, p. 91).
Il y a peu de textes connus sur le sujet mais l’espoir breton ressort dans la littérature comme un cliché familier de l’attente vaine, notamment pour exprimer le désespoir de l’amoureux éconduit : Et j’ai vainement attendu comme un Breton
— Peire Vidal, p. 11 —. Joseph Loth attribue à cette attente l’équivalent proverbial d’attendre aux calendes grecques
.— LOTH, Joseph, « A propos du roi Arthur », Annales de Bretagne, IX, 1894. —
De tout ceci il ressort semble-t-il que dans les dernières décennies du XIe siècle – sans qu’on puisse serrer plus la chronologie – et en tout cas en 1113 au plus tard, la tradition orale de la survie d’Arthur réchauffait le cœur des Bretons armoricains ou cornouaillais, et alimentait leur susceptibilité que l’on devine à fleur de peau.
Virginie Greene n’en est pas convaincue. Elle examine les sources d’un point de vue différent en considérant que l’espoir breton ancré dans le retour du roi Arthur n’est qu’un topos, un stéréotype du langage qui n’induit pas une réelle attente.
II a été souvent affirmé qu’une croyance au retour du roi Arthur était largement répandue chez les Bretons insulaires et continentaux des XIIe-XIIIe s. Or les sources médiévales citées à l’appui paraissent plutôt répéter un stéréotype que témoigner d’un fait objectif. L’examen d’autres sources littéraires et historiques (littérature médiévale galloise, travaux d’historiens sur le Pays de Galles et la Bretagne, travaux sur les mouvements messianiques), n’apporte aucune confirmation qu’une telle croyance ait vraiment été significative hors du champ de la fiction arthurienne. Qui croit au retour d’Arthur ? Toujours les autres.
Mars 1187 - Juillet 1189 — Arthur, de long temps désiré
En 1166, le duc de Bretagne Conan IV se voit imposer les fiançailles de sa fille Constance, héritière du duché, avec Geoffroy le troisième fils d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine. À la mort de Conan, en 1171, Geoffroy n’a que quinze ans et Constance dix ans, ce qui autorise Henri à prendre la pleine suzeraineté de la Bretagne. En 1181, Geoffroy Plantagenêt est reconnu duc de Bretagne, vassal du roi d’Angleterre.
Le chanoine Guillaume de Newburgh, chroniqueur contemporain des règnes d’Henri II et de Richard Cœur de Lion, consigne sobrement la mort de Geoffroy Plantagenêt, le 19 août 1186 à Paris. Geoffroy se trouvait à la cour de Philippe Auguste, en conflit avec son père parce qu’il soutenait la cause des Bretons. Sept mois plus tard, le chanoine annonce la naissance du fils posthume de Geoffroy, le 29 mars 1187, dont le choix du prénom sème la dissension entre le roi et les Bretons.
Conformément à l’usage, Henri voulait transmettre le sien mais les barons l’ont mis devant le fait accompli en baptisant le prénommé Arthur par acclamation solennelle. Le nom fait polémique parce qu’il suscite beaucoup d’espoir
, du moins dans l’esprit de certains, modère-t-il.
Un fils posthume lui est né de la fille unique du comte de Bretagne ; alors que le roi son grand-père avait ordonné que son nom lui soit imposé, il fut contredit par les Bretons et fut appelé Arthur dans le saint baptême, par acclamation solennelle. Ainsi, les Bretons, dont on dit qu’ils ont longtemps attendu le fabuleux Arthur, nourrissent maintenant avec beaucoup d’espoir, d’après l’opinion de certains, une vérité pour eux-mêmes prophétisée dans ces grandes et fameuses histoires d’Arthur 5.
Quand Pierre Le Baud, historien du 15e siècle, relate le baptême d’Arthur par l’évêque de Nantes, il précise bien que le nom d’Arthur lui a été imposé en mémoire du très preux et renommé Arthur, roi de la Grande Bretagne. Tout le peuple de Bretagne était en liesse, écrit-il, car ils l’avaient de long temps désiré
.— LE BAUD, Pierre, Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, Paris, Chez Gervais Alliot, 1638, Voir en ligne. p. 199 —
Henri II arrive en Bretagne pour reconnaître l’enfant et s’assurer de sa tutelle. Il demande aux prélats et aux barons de Nantes de faire serment de servir et protéger Arthur, puis il réclame de l’avoir en ses mains
. Constance s’y oppose, de crainte qu’il n’emporte l’enfant, bien que le roi d’Angleterre soit dans son droit.
Ils s’accordent néanmoins pour que la Bretagne soit gouvernée sous le nom de ladite Constance et d’Arthur son fils : mais qu’elle s’y traiterait par le conseil dudit roi Henri.
En clair, Constance gouverne le duché sous le contrôle du roi d’Angleterre.
Il devint rapidement évident que Constance devrait se battre pour ses droits et ceux de son fils dans le duché, une situation qui se manifesta par une surenchère inhabituelle sur l’identité du légendaire roi des Bretons. Bien qu’Henri reconnaisse ouvertement son petit-fils, Arthur, son insistance pour que l’enfant porte son nom est perçue par les Bretons comme une ingérence flagrante dans leurs droits.
Le choix du prénom donne à Arthur une dimension symbolique qui relève du mythe. Arthur dispose ainsi, dès sa naissance, d’une légitimité très forte, comprise et valorisée par les Bretons
.— CHAUDET, Elodie, « La duchesse Constance de Bretagne et le gouvernement en héritage à la fin du XIIe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Vol. 126 / 1, 2019, p. 31-52, Voir en ligne.
[page 113] —
Pour les Bretons d’Armorique, leur futur duc est perçu comme le libérateur de la domination anglaise contre laquelle ils se sont rebellés à maintes reprises.
Arthur est l’incarnation de l’insoumission et du passé glorieux de l’indépendance de la Bretagne. La défaite d’Arthur ne peut être définitive et l’espoir de son retour est si vivant dans les mentalités bretonnes que tout duc qui porterait le prénom d’Arthur serait considéré comme une réincarnation du roi légendaire.
À défaut d’avoir obtenu la tutelle d’Arthur, Henri fait venir en Angleterre Aliénor (Éléonor), sa sœur aînée de trois ans. Il la retient comme otage dans l’éventualité d’un mariage selon les intérêts de la couronne. Il profite aussi de son droit pour imposer à Constance un remariage avec Ranulf de Chester, l’un de ses puissants fidèles en Angleterre et vicomte héréditaire d’Avranches (Manche).
Le Désiré du peuple
Arthur est né dans la nuit du 29 au 30 mars, entre le dimanche et le lundi de Pâques. La chronique ne présente pas la naissance du jeune Arthur dans les termes habituels. Le faire-part annonce déjà le destin de l’enfant, classiquement traduit l’espoir de son peuple
.
En l’an 1186, est mort Geoffroy duc de Bretagne, fils d’Henri roi d’Angleterre, et le nouvel Arthur commence à exister.
MCLXXXVI. « Obiit Gauffridus Dux Britanniae, filius Henrici Regis Angliae, & oritur Arturus novus. »En l’an 1187, est né Arthur fils de Geoffroy, duc de Bretagne, « l’espoir de son peuple », le jour de la Pâque du Seigneur.
MCLXXXVII. « Natus est Arturus filius Gauffridi Ducis Britanniae, « desideratus gentibus », in Pascha Domini. »
L’espoir de son peuple ou « le Désiré du peuple » ?
La chronique exhume ici un verset biblique du Livre d’Aggée (2.7), repris dans la Vulgate. Aggée (Haggaï) 7 encourage les Israélites revenus de Babylone à reconstruire le temple de Jérusalem détruit par Nabuchodonosor II. Il a reçu une vision lui annonçant la reconstruction du temple dont la gloire dépassera celle de l’ancien, promesse d’un changement prochain de la situation politique.
La traduction de la Bible varie selon les éditions. La Bible de Jérusalem privilégie généralement une lecture littéraire du texte : J’ébranlerai toutes les nations pour qu’affluent les trésors de toutes les nations, et je remplirai ce temple de gloire, dit l’Éternel des armées.
Les versions plus littérales déclinent le concept de désir portant sur les richesses en or et en argent qui appartiennent à Dieu : J’ébranlerai toutes les nations et le désir (ou l’objet du désir) de toutes les nations viendra, et je remplirai ce temple de gloire, [...] 8
La Vulgate (2.8) réinterprète la prophétie d’Aggée comme annonciatrice de la venue du Christ et reformule le texte dans le calendrier de l’Avent : et veniet desideratus cunctis gentibus
. Ce qui peut s’entendre de deux façons : l’attente du Messie comme signifiant, et viendra ce qui est désiré de toutes les nations
ou le Christ en personne comme signifié, et viendra le Désiré de toutes les nations
.
Christopher Berard n’exclut pas une utilisation moqueuse de l’espoir breton dans la formulation desideratus gentibus reprise par Lobineau, Mais il est également possible qu’il y ait eu une tradition préexistante d’utilisation de "desideratus gentibus" pour modifier exspectare Arthurum (l’attente d’Arthur).
— BERARD, Christopher Michael, Arthurianism in Early Plantagenet England. From Henry II to Edward I, The Boydell Press, 2019, (« Arthurian Studies »).
[page 50] —
Berard traduit Lobineau comme suit : Arthur, un fils, qui est désiré par les peuples (de Bretagne), est né de Geoffrey, duc de Bretagne, à Pâques 9.
Il cite à l’appui l’annonce du Messie dans une antienne chantée pendant les vêpres du 22 décembre : O Rex gentium, et desideratus earum
Ô Roi des nations, celui qu’ils désirent
(Oh king of races, their desired one), littéralement leur désiré
, également traduit objet de leurs désirs
.— RÉPERTOIRE GRÉGORIEN, « Antiphona - O Rex Gentium et desideratus », 2024, Voir en ligne. —
L’antiphonaire qui reprend textuellement Aggée dans la Vulgate pour le 4e dimanche de l’Avent tranche la question sans ambigüité.
Voici que va venir le Désiré de toutes les nations
et la maison du Seigneur sera remplie de gloire.
/Ecce veniet desideratus cunctis gentibus,
et replebitur gloria domus Domini.
Dom Lobineau et Dom Morice ont présenté la naissance d’Arthur comme une attente messianique des Bretons, d’autant plus qu’il est né le jour de Pâques. La traduction s’entend ainsi : (en 1187) est né Arthur fils de Geoffroy, duc de Bretagne, le Désiré du peuple (breton).
La lettre fictive du roi Arthur interpolée dans le manuscrit de Geoffroy de Monmouth, citée par Julia Crick, déclinait déjà le concept de desideratus annonçant le retour du roi Arthur. Le Draco Normanicus, par contre, ne l’utilise pas. Il serait intéressant de savoir à quelle source Dom Lobineau a puisé une formule si rarement utilisée hors contexte biblique.
L’appropriation des formules bibliques est monnaie courante au 12e siècle. Ainsi, dans sa Chronique, Robert de Torigni ne craint pas d’écrire que son ami le roi Henri II, contraint de faire pénitence pour l’assassinat de l’archevêque Thomas Becket dans la cathédrale de Canterbury en 1170, a offert son dos à la flagellation pour subir les coups en imitant le Rédempteur
. L’abbé précise tout de même que celui-ci l’a fait à cause de nos péchés, celui-là pour les siens propres.— ROBERT DE TORIGNI, Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont-Saint-Michel, Vol. 2, Éd. Léopold Delisle, Rouen, Librairie de la société de l’histoire de Normandie, 1872, Voir en ligne.
[page 51] —
Octobre 1190 - Mars 1194 — Arthur héritier
La triste mort d’Henri II
Arthur est encore nourrisson quand le sultan Saladin s’empare de Jérusalem. Grégoire VIII lance un appel à toute la chrétienté, en octobre 1187. Une troisième croisade se prépare pour reprendre la Ville sainte et récupérer la Vraie Croix - un fragment - perdue trois mois plus tôt lors de la bataille de Hattin, près de Tibériade. Frédéric Barberousse, empereur germanique, Philippe Auguste, roi de France, et Richard Cœur de Lion, prochainement roi d’Angleterre, s’entendent pour y participer. Pendant les préparatifs du départ, se dessine déjà le destin d’Arthur.
Richard attend que son père le désigne comme héritier avant de prendre la croix, bien qu’il se soit, une fois de plus, temporairement allié au roi de France contre lui. L’Angleterre et la France sont en guerre mais la croisade oblige les belligérants à s’entendre, d’où la conférence de paix proposée par Philippe en novembre 1188.
Henri vieillissant et affaibli par la maladie, n’est plus que l’ombre de lui-même. Le roi de France lui propose une paix acceptable mais conditionne l’accord à un engagement de mariage entre sa sœur Alix (Adèle de France) et Richard. Ce n’est pas une surprise, leurs fiançailles étaient déjà convenues depuis 1169, mais reportées depuis la honteuse conduite d’Henri qui abusa de la jeune fille en Angleterre et ne respecta jamais ses engagements. Le mariage a pour corollaire la désignation de Richard comme héritier de la couronne et sur ce point, le Plantagenêt reste obstinément silencieux. Richard est furieux. Il se retourne contre son père et devant tous les nobles rassemblés il rend hommage à Philippe et s’allie avec les Bretons déjà ligués avec les Poitevins.
Pour Henri, c’est une douloureuse descente aux enfers qui s’engage. Il se réfugie au Mans, s’enfuit à Alençon et finit sa course dans l’église de Chinon, abandonné par son armée. Henri n’a d’autre choix que d’accepter une reddition totale. Il rend hommage à Philippe, accepte le mariage entre Alix et Richard et reconnaît ce dernier comme son héritier. Humiliation suprême, il apprend la trahison de Jean sans Terre qui avait rejoint son frère contre lui. Il meurt misérablement le 6 juillet 1189 à l’âge de 56 ans.
Richard se fait reconnaître immédiatement comme nouveau duc de Normandie et regagne sans tarder l’Angleterre pour y être couronné roi en grande cérémonie le 3 septembre. En premier lieu, il libère sa mère Aliénor, emprisonnée pour avoir soutenu ses fils en révolte contre son mari.
Pour qui sait interpréter les prophéties de Merlin, le retour aux affaires d’Aliénor était écrit.
“L’aigle à l’alliance rompue se réjouira de sa troisième couvée”. L’aigle désigne bien sûr la reine Aliénor parce qu’elle a déployé ses ailes au-dessus de deux royaumes, ceux de France et d’Angleterre. Elle a été séparée des Français par son divorce pour consanguinité et des Anglais quand elle fut écartée du lit conjugal par un emprisonnement qui a duré, précisons-le, seize ans. Ainsi fut-elle des deux côtés “l’aigle à l’alliance rompue” . Voici comment nous pouvons comprendre la suite : le premier fils d’Aliénor, Guillaume [Guillaume IX de Poitiers], mourut jeune ; Henri, le second fils de la reine, qui avait accédé à la royauté et se heurtait ainsi à son père arriva prématurément au terme de sa vie. Richard, son troisième fils, appelé “troisième couvée”, s’appliquait à exalter le nom de sa mère en tout. Comme il résistait à son père et paraissait favoriser nettement le parti des Français, qui s’opposait à celui des Normands, il s’aperçut que sa réputation était entachée auprès des gens de bien. Pour racheter une si grande faute, il veilla à manifester à sa mère tout le respect qui lui était dû, si bien que sa révolte contre son père fut rachetée par sa déférence envers sa mère 10.
Peu après son couronnement, Richard se rend en Bretagne pour réclamer la tutelle d’Arthur et s’assurer de la soumission des Bretons à son autorité ainsi qu’avait voulu faire Henry son père. Mais la Duchesse Constance et les états du pays l’empêchèrent.
— LE BAUD, Pierre, Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, Paris, Chez Gervais Alliot, 1638, Voir en ligne.
[page 200] —
Richard, comme Henri II, révèle son empressement à maîtriser l’avenir d’Arthur, malgré la détermination de la duchesse et des barons à protéger le jeune duc sur lequel ils investissent l’espoir d’une Bretagne indépendante. Richard n’obtient rien de plus que son père, mais pour l’heure, il s’apprête à partir en croisade.
Arthur héritier désigné
Avant son départ, Richard confie la gouvernance du royaume à sa mère. Les préparatifs de la croisade ont lieu en octobre 1190 à Messine, en Sicile. Jeanne, troisième fille d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine y est détenue par Tancrède de Lucce. Elle avait épousé Guillaume le Bon, le précédent roi de Sicile et à sa mort, en 1189, son neveu usurpe le pouvoir, séquestre Jeanne et capte sa dot fort importante.
Richard séjourne en Sicile pour délivrer sa sœur et récupérer le douaire. Il lui faut trouver un accord avec Tancrède, ils conviennent de marier Arthur de Bretagne avec sa fille aînée. Le Baud précise que ce mariage fut accordé et juré
par les barons bretons qui accompagnaient Richard en croisade 11.
Au cas où Richard viendrait à mourir en Terre Sainte sans descendance, Arthur est désigné comme héritier légitime le 6 octobre 1190. Richard n’a aucune confiance en son frère Jean et Arthur ne représente pas encore un danger pour la couronne. Le pacte est rendu public par une lettre adressée au pape Clément III, le 11 novembre, le priant de bénir le traité de paix.
Et afin de lier ce traité de paix et d’amitié par un lien encore plus étroit, nous avons jugé bon de conclure un contrat de mariage entre Arthur, l’excellent duc de Bretagne, notre neveu le plus cher et notre héritier, si nous venions à mourir sans descendance, et son illustre fille, avec la volonté de Dieu.
L’année suivante, le 4 mars 1191, à Catane, lors d’un échange de cadeaux, s’il faut en croire Roger de Hoveden, Richard offre à Tancrède l’épée légendaire du roi Arthur, Excalibur. Le don de reliques insignes entre grands princes était chose fréquente au XIIe siècle, et l’on peut penser que Richard Cœur de Lion voulut honorer celui qui avait été son hôte de cette manière
. — CHAUOU, Amaury, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (XIIe-XIIIe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, Voir en ligne.
[page 255] —
Le quatrième jour, le roi de Sicile envoya au roi d’Angleterre des cadeaux multiples et somptueux d’or et d’argent, des chevaux et des étoffes de soie, mais celui-ci les refusa, excepté un petit anneau en signe de son affection. En échange, le roi des Anglais donna au roi Tancrède le meilleur de ses glaives, celui que les Bretons appellent Caliburn et qui fut celui d’Arthur, un des nobles rois d’Angleterre 12. Ensuite, le roi Tancrède donna au roi d’Angleterre, quatre magnifiques navires, de ceux qu’on appelle des huissiers [pour le transport des chevaux], et quinze galères [pour le transport des hommes].
Roger de Hoveden est le seul chroniqueur à relater le don d’Excalibur 13. Selon Amaury Chauou, c’est de la tombe du roi Arthur, dont Excalibur fut extraite
lors de la découverte de Glastonbury. — Chauou, Amaury (2001) op. cit. pp. 254 et 261 —
L’invention de Glastonbury
Les historiens s’entendent pour dater la prétendue découverte de la tombe du roi Arthur en 1191, après la mort d’Henri II 14. Pendant la grossesse de Constance ou après la naissance d’Arthur, le roi aurait demandé aux moines de l’abbaye du Somerset d’engager des fouilles pour retrouver la tombe du roi Arthur. Déjà, sous le règne de Guillaume le Conquérant, la tombe de Gauvain, neveu d’Arthur, aurait été découverte dans cette abbaye.
Henri II avait ordonné des fouilles dans l’abbaye de Glastonbury, où les moines situaient l’île d’Avallon, séjour posthume d’Arthur. I1 y avait un double intérét : en retrouvant la tombe du roi legendaire, en donnant un corps enseveli au prince enlevé par les fées et conduit dans le paradis héroïque, Henri contribuait à éteindre la croyance populaire au retour d’Arthur, libérateur des Bretons et leur vengeur contre les Saxons.
Henri voulait faire du roi Arthur son ancêtre tutélaire pour l’intégrer dans son patrimoine dynastique. La preuve de sa mort coupant l’herbe sous le pied du jeune Arthur, il pensait dévitaliser le messianisme arthurien. La découverte de la tombe aurait eu lieu pendant le séjour de Richard en Sicile.
Les pieux moines et autres religieux avaient eu des visions et des révélations. Cependant, ce fut Henri II, Roi d’Angleterre, qui révéla aux moines que, selon une histoire qu’il avait entendu racontée par quelques devins gallois, ils devaient trouver le corps d’Arthur enterré au moins à seize pieds de profondeur dans le sol, non dans un cercueil de pierre mais dans un fut de chêne.
Trois chroniqueurs ont donné chacun leur version de la fouille. Une croix de plomb inscrite a bien été découverte. Aujourd’hui disparue, la croix attestait l’authenticité de la sépulture mise au jour dans un ancien cimetière de l’abbaye.
Giraud de Barri (vers 1146 - entre 1220 et 1223) est le premier témoin de l’exhumation d’Arthur décrite dans le De principis instructione (L’instruction d’un prince).
Or, ce corps, dont la légende prétendait qu’il avait disparu dans un pays de rêve et qu’il avait été emporté au loin par des sortes d’esprits, sans avoir été atteint par la mort, ce corps, après avoir été révélé par des signes presque miraculeux, a été retrouvé de nos jours à Glastonbury, entre deux pyramides de pierre élevées jadis dans le cimetière, gisant profondément en terre dans un tronc de chêne creusé, et, solennellement transféré dans l’église, il y a été pieusement déposé dans un tombeau de marbre. Une croix de plomb placée sur une pierre, non pas à l’endroit (comme c’est notre usage) mais à l’envers (je l’ai vue et j’en ai touché l’inscription, taillée non pas en relief, mais en creux, et tournée du côté de la pierre), disait : “Ici gît l’illustre roi Arthur, enseveli avec Wenneveria [Guenièvre], sa seconde femme, dans l’Ile d’Avallonie” 15.
Bien après le témoignage de Giraud de Barri, Raoul (Ralph) de Coggeshall donne en 1223 sa version de la découverte. Guenièvre n’est plus mentionnée.
Cette année-là furent découverts à Glastonbury les ossements du très célèbre Arthur […]. Voici en quelle occasion on les trouva. Tandis qu’on creusait la terre à cet endroit, afin d’y ensevelir un moine qui, de son vivant, avait témoigné le vif désir de trouver là son dernier repos, on rencontra un sarcophage, avec une croix de plomb placée dessus, et où étaient gravés ces mots : “Ici gît l’illustre roi Arthur, enseveli dans l’île d’Avallon.” L’endroit, environné de marécages, fut jadis appelé l’île d’Avallon, c’est-à-dire l’île des Pommes.
Adam de Domerham, moine à Glastonbury, soutient dans son Historia, fin 13e siècle, que c’est le prieur de l’abbaye qui a décidé d’exhumer Arthur pour lui donner une sépulture plus honorable.
Les ouvriers avaient déjà creusé profondément et commençaient à se décourager, quand ils découvrirent un sarcophage de bois d’une dimension extraordinaire complètement clos. Ils le tirèrent de là, l’ouvrirent et trouvèrent les ossements royaux, ossements d’une grandeur incroyable, à tel point qu’un tibia, placé à terre, atteignait au milieu, et au-delà, du fémur d’un homme de haute taille. Ils découvrirent aussi une croix de plomb, qui portait l’inscription : “Ici repose l’illustre roi Arthur, dans l’île d’Avallonie”. Puis, ouvrant la tombe de la reine, ensevelie avec Arthur, ils trouvèrent une blonde et très belle chevelure de femme, admirablement tressée ; mais quand ils la touchèrent, elle tomba complètement en poudre.
L’affaire de Glastonbury est une invention sur un fond de vérité
. Une exhumation a bien eu lieu à Glastonbury. Datée peu après l’incendie de l’abbaye en 1184, elle est confirmée par des fouilles archéologiques en 1963.
Les ossements trouvés en 1191 ont été exposés puis détruits ultérieurement. Quant à la fameuse croix de plomb, l’inscription est ancienne mais la graphie d’Arthur latinisée au 12e siècle n’était pas Arturius, mais Arturus, comme dans l’Historia Regum Britanniae
, et l’épithète inclitus [illustre] indique peut-être bien que le texte a été emprunté à Geoffroy de Monmouth, et que donc il y a eu falsification au XIIe siècle.
— Chauou, Amaury (2001) op. cit. p. 226-227 —
Aucun des trois chroniqueurs ne mentionne la présence d’Excalibur dans la tombe d’Arthur. Giraud de Barri est pourtant un témoin direct, sollicité par les moines pour écrire l’histoire de l’abbaye. Ralph de Coggeshall, dans la chronologie des évènements, date la découverte de la tombe plus tardivement, soit après le passage de Richard en Sicile et donc après le supposé don d’Excalibur à Tancrède de Lucce.
Excalibur n’a connu qu’un destin romanesque.— MONNIER, Nolwena, « Le voyage d’Excalibur vers la Terre Sainte : quand le mythe s’égare dans l’Histoire.., », Bulletin des anglicistes médiévistes, Vol. 83, 2013, p. 47-71, Voir en ligne.
[page 61-62] —
Aliénor d’Aquitaine, la reine mère
Les mariages arrangés sans son avis déplaisent fortement à Aliénor d’Aquitaine qui reprend en main les destinées du royaume d’Angleterre. Le mois précédent le don d’Excalibur, en février 1191, Aliénor avait rejoint Richard en Sicile, en compagnie de Bérengère, la fille de Sanche VI, roi de Navarre, pour la marier sans tarder. Un nouveau traité de paix est prestement signé à Messine avec le roi de France pour annuler le précédent engagement avec sa sœur Alix. Aliénor anticipe un plan de partage entre les enfants à naître du nouveau couple et Richard épouse en coup de vent Bérengère à Chypre, le 12 mai, juste avant d’appareiller pour la Terre Sainte. En l’état, Arthur reste le prétendant légitime à la couronne au cas où Richard devait trouver la mort en croisade.
Dans le même temps, Jean tente de supplanter son frère à la tête du royaume, ce dont Richard est informé. De retour de Jérusalem, en octobre 1192, il est contraint de passer en territoire ennemi, par l’Autriche puis le Saint-Empire Germanique où il se fait capturer. Henri VI, fils de Frédéric Barberousse, réclame une rançon considérable pour sa libération.
Lorsque Jean, comte de Mortain, apprit que son frère le roi était tenu prisonnier, il fut saisi par un grand espoir de régner. Il rallia à lui de nombreux partisans dans tout le royaume, fit d’abondantes promesses, et prit soin de munir ses châteaux de garnisons. Puis il traversa la mer et conclut un accord avec le roi de France afin qu’il écarte son neveu Arthur, duc de Bretagne, de l’espoir que les Bretons entretenaient à son propos.
La reine mère Aliénor réussit à maintenir la fidélité des grands du royaume et collecte les premiers fonds nécessaires à la libération de Richard en 1194. Il est de retour en Angleterre au mois de mars, sans sa femme Bérengère dont il se désintéresse totalement. Couronné le 17 avril à Winchester, il réinstalle sa pleine autorité sur le royaume. Jean doit se réfugier en France, mais Aliénor obtient son retour en grâce pour raison d’Etat.
Il devient de plus en plus évident que Richard, qui montre peu d’attrait pour les femmes, n’aura pas d’héritier. Auquel cas, il faut compter sur Jean pour sauver la dynastie sans laisser le champ libre à Arthur de Bretagne.
Mars 1195 - Avril 1199 — Arthur menacé
Constance, duchesse incontestée
Constance gouverne habilement le duché sans heurter l’autorité du roi d’Angleterre. Elle réussit à mettre à l’écart son mari, Ranulf de Chester, imposé par Henri, et à conserver la tutelle d’Arthur. Elle gouverne la Bretagne au nom de son fils qu’elle associe dans les actes jusqu’à sa majorité. De son côté, Richard ne peut que se satisfaire de l’alliance des Bretons contre son père et de leur participation active à la croisade.
Comme l’attestent ses sceaux, Constance est duchesse de droit par son père Conan IV. Elle ne s’impose ni en qualité de mère du futur duc de Bretagne, ni comme veuve de Geoffroy Plantagenêt. Sa légitimité ne lui a jamais été contestée 16. La duchesse administre son territoire comme un état. Devenue comtesse de Richmond par son mariage avec Geoffroy, elle se déplace librement en Angleterre selon les obligations de son fief. Elle a reçu une éducation anglaise par sa mère Marguerite, épouse de Conan IV, sœur du roi d’Ecosse, Guillaume le Lion.
Un autre volet de la politique de Constance permet de préciser la conception qu’elle a de son propre pouvoir. Comme le souligne Sylvie Joye, le rôle de la mère s’accroît à partir du IXe siècle, puisqu’elle permet l’accès “aux pouvoirs inhérents de la très haute noblesse et est un marqueur de l’appartenance de l’enfant à une élite” 17. Ainsi, la mère lie son fils au pouvoir, et l’y associe de telle sorte qu’il ne peut être contesté. Elle garantit ainsi la succession dynastique. Pour ce faire, elle prépare Arthur au pouvoir en l’associant à son gouvernement. Constance a par exemple émis six chartes avec Arthur.
Constance a confié l’éducation d’Arthur à Guéthénoc (Guidenoc), évêque de Vannes. Elle associe l’enfant dans ses chartes dès l’âge de 5 ans, « avec l’approbation et la bonne volonté d’Arthur mon fils (cum assensu et bona voluntate Arturi filii mei) » 18.
Depuis la naissance d’Arthur, Constance n’a pas de pire ennemie qu’Aliénor d’Aquitaine. Pour barrer le chemin au fils de Constance
, elle prépare son petit-fils Othon à la succession royale et elle renonce à ses droits en sa faveur pour qu’il occupe une position éminente en tant que duc d’Aquitaine et comte de Poitou.— HILLION, Yannick, « La Bretagne et la rivalité Capétiens-Plantagenêts. Un exemple : la duchesse Constance (1186- 1202) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Vol. 92 / 2, 1985, p. 111-144, Voir en ligne.
[page 118] —
Othon est l’enfant de Mathilde d’Angleterre et de Henri le Lion, duc de Bavière et de Saxe. Quand celui-ci meurt le 6 août 1195, Othon est appelé à devenir Otton IV de Brunswick, souverain du Saint-Empire germanique. Dès lors, il ne peut plus prétendre à l’héritage Plantagenêt. Arthur reste toujours un héritier présomptif en concurrence avec son oncle Jean.
La Bretagne reprise en main
Cette même année 1195, Richard reprend en main les affaires de la Bretagne et la question de la succession.
Le Baud est le seul historien à mentionner une rencontre entre le roi et la duchesse, en présence d’Arthur, à Rennes. Richard veut remettre en couple Constance avec son époux Ranulf de Chester et restaurer son autorité ducale, par plusieurs fois, les unes par prières, les autres par menaces de lui ôter son fils Artur et sa terre, qu’elle s’accorda à ce faire et l’épousa (sic) [ils s’agit d’une réconcilation puisqu’ils sont mariés depuis 1189 mais séparés de corps], dont elle se repentit après 19.
— LE BAUD, Pierre, Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, Paris, Chez Gervais Alliot, 1638, Voir en ligne. —
Fort d’avoir été réinvesti, le duc Ranulf gouverne, mais sans tenir compte des anciennes coutumes et observances propres à la Bretagne, si bien que les Bretons le chassèrent et déboutèrent du pays.
Richard répond à la rebellion des Bretons contre Ranulf par une rapide expédition punitive en Bretagne, en 1196. Il n’est pas certain qu’il y ait participé. Ses mercenaires dévastent avec une violence sans retenue, les bourgs et les villes, sans épargner les enfants. Le 19 avril, jour du Vendredi Saint, préparant dans sa cruauté un genre de mort inoui, il en contraignit beaucoup d’autres à périr dans les flammes et la fumée, après qu’ils furent entrés dans les caves, et jusque dans les entrailles de la terre, pour fuir la mort.
— GUILLAUME LE BRETON, et MENDES VICTOR, Luiz Alberto, La Philippide, Paris, J.-L.-J. Brière, 1825, (« Mémoires relatifs à l’histoire de France »), Voir en ligne.
[page 130] —
L’opération vise à faire pression sur les barons en terrorisant la population. Matthieu Paris dans sa Grande chronique nomme les féroces chefs de routiers Markade (Mercadier), Algais et Lupescare, provençaux de nation, qui comptaient pour rien l’effusion du sang humain, le pillage et l’incendie.
— MATTHIEU, Paris, Grande chronique (Historia Major Anglorum), II, Paris, Paulin Libraire-éditeur, 1840, Voir en ligne. —
Selon Le Baud, Richard revient après Pâques en Bretagne pour rétablir son autorité et mettre la main sur Arthur, mais les barons ne le voulurent recevoir, ne lui faire obéissance.
— LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Histoire de Bretagne : composée sur les titres & les auteurs originaux, Vol. 1, Paris, Chez la veuve François Muguet, 1707, Voir en ligne.
[page 176] —
Guillaume Le Breton ajoute que Richard ne put non plus les faire consentir à lui livrer son neveu Arthur, pour lequel ils souffraient tant de maux.
Les Bretons rassemblés en nombre l’obligent même à quitter Rennes.— GUILLAUME LE BRETON, et MENDES VICTOR, Luiz Alberto, La Philippide, Paris, J.-L.-J. Brière, 1825, (« Mémoires relatifs à l’histoire de France »), Voir en ligne.
[pages 130-131] —
Ce serait dans ce contexte qu’Artur venoit d’estre reconnu pour Duc de Bretagne dans une assemblée générale tenue à Rennes
, d’après Lobineau. — LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Histoire de Bretagne : composée sur les titres & les auteurs originaux, Vol. 1, Paris, Chez la veuve François Muguet, 1707, Voir en ligne.
[page 176] —
Il s’appuie sur des sources narratives extraites d’un vieux manuscrit de l’église de Nantes dont il est le seul à faire état. Si l’information est exacte, cette assemblée précèderait celle qui se tiendra en août, la même année, à Saint-Malo de Beignon.— CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1987, Voir en ligne. [page 97] —
Constance séquestrée
Richard commande alors à Constance de venir s’entretenir avec lui
(loqui cum eo) en Normandie. À peine a-t-elle quitté la Bretagne, qu’elle est arrêtée à Pontorson par Ranulf de Chester et retenue dans son château de Saint-James de Beuvron (Manche) 20.
Richard la tient captive pour l’échanger contre son neveu dont il revendiquait la tutelle légitime
(legitimos tutelam exposceret). — GUILLAUME DE NEWBURGH, Historia Anglicana, sive de regno et administratione regum Angliae, Joannis Picardi, 1632, Voir en ligne.
[page 623] —
Des négociations s’engagent avec Richard pour délivrer Constance. Guillaume, sénéchal de Rennes, fait office de médiateur auprès de la duchesse ; de leur côté Herbert, l’évêque de Rennes, et André de Vitré, homme de confiance de la duchesse, négocient à Rouen avec Richard pour trouver un accord possible.
Richard feint d’accepter de libérer Constance, à la condition qu’elle se soumette à son autorité. Il exige en contrepartie qu’on lui remette des otages en gage. André de Vitré offre son seul enfant, sa fille Anne, et d’autres barons qui ne sont pas nommés donnent aussi des otages. Il est convenu que si Constance n’est pas libérée avant la fête de l’Assomption, le 15 août prochain, les otages devront être remis en liberté. Richard et Harscoët de Rays, à qui a été transmise la garde de Constance, prêtent serment sur ces conditions autour du 24 juin.
Constance fait savoir au sénéchal que les barons devront jurer fidélité et rendre hommage à Arthur, le servir et obéir en faisant pour lui ainsi qu’ils avaient fait pour elle.
C’est le mot d’ordre pour tenir une assemblée d’évêques et de barons devant Arthur qui lors séjournait à sainct Maclou de Beignon
, près de la forêt de Brocéliande.
Sans doute Arthur séjournait-il depuis peu à Saint-Malo de Beignon. Il n’a que 9 ans en 1196 et il réside encore auprès de l’évêque de Vannes qui assure son éducation. Dès la séquestration de la duchesse, Arthur est mis à l’abri, ils se retirèrent à l’écart en Bretagne intérieure
confirme Guillaume de Newburgh 21.
Situé au coeur de la Bretagne, l’endroit est choisi pour protéger Arthur et recevoir les barons provenant de l’ensemble du duché. Saint-Malo de Beignon est une résidence de l’évêque de Saint-Malo et le siège de la partie sud du diocèse. L’évêque Pierre Giraud est proche de Constance même s’il ne figure pas parmi les signataires présents à l’assemblée 22.
On peut aussi émettre l’hypothèse que la tenue de cette assemblée à Saint-Malo de Beignon constitue un lien symbolique entre Arthur et la forêt de Brocéliande.
L’assemblée de Saint-Malo de Beignon
Richard ne libère pas Constance à la date convenue - le 15 août - et refuse de rendre les otages dont il a la garde malgré sa promesse engagée sous serment.
André de Vitré avait reçu des instructions de Constance, notamment de veiller personnellement à ce qu’Arthur ne tombât pas entre les mains de Richard. L’assemblée des évêques et des barons se tient dès le lendemain, le 16 août, à Saint-Malo de Beignon.— EVERARD, Judith, Britanny and the Angevins, Province and Empire, 1158-1203, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, (« Cambridge Studies in Medieval Life and Thought »). [page 162 note 58] —
Le Baud est le seul à faire état de cette assemblée et les sources ont été perdues. Il s’appuie dans un premier texte sur la Chronique de Vitré qui met en valeur André de Vitré comme chef de file des barons. Dans l’Histoire de Bretagne, il élargit son compte-rendu à l’ensemble des participants qui tous prêtent serment, sauf quelques barons restés fidèles à Richard, soucieux de leurs intérêts. Les barons et les évêques du duché jurent fidélité au jeune duc en échange de sa promesse de ne pas conclure de paix séparée avec le roi Richard sans les consulter 23.
Les Chroniques de Vitré
Et dès lors qu’André de Vitré en entendit la nouvelle [de la capture de la duchesse], il envoya auprès de ladite Constance, savoir ce qu’il devait faire. Laquelle lui demanda par Guillaume, sénéchal de Rennes, qu’il allât et se portât (traisit) auprès de son fils Arthur, héritier de Bretagne, lui fit hommage, le servit et fit pour lui ainsi qu’il l’avait servie et fait pour elle. Et ainsi le fit André : car il fit hommage audit Arthur, selon le commandement de ladite duchesse Constance ; il consentit à tout et tint [allégeance] à Arthur, pour les terres qu’il tenait de lui. Et Arthur lui jura et fit convenance qu’il le defendrait loyalement et fermement à son pouvoir et garderait à lui et à ses héritiers (hoirs) toutes les terres, tènements et saisines qu’il avait à ce jour, que lui jura loyauté et commença. Et encore lui promit que jamais ne ferait de paix avec le roi Richard d’Angleterre sans lui. Et jura cette convenance en l’âme dudit Hervé Hagommar, et aussi le jurèrent ensemble Guyomar et Hervé Seigneurs de Léon, Allain le jeune de Rohan, Guillaume de Loheac, Péan de Malestroit, Henri Salmon, Hervé Hagommar, et promirent à André de Vitré, que si Arthur ressortait desdites convenances et ne les voulut plus tenir, qu’ils se tiendraient avec ledit André, contre ledit Arthur, et de cela furent faites chartes, et scellées du sceau de l’Evêque de Vannes, et sceaux des dessusdits nommés, à Saint-Malo de Beignon, le sixième jour des Octaves de l’Assomption de notre Dame, en l’an de notre Seigneur 1180 sic [le 16 août 1196].
Et sur ce fait, le Roi Richard vint en Bretagne en pensant (cuider) chercher et prendre Arthur son neveu : lequel, néanmoins encore qu’il fût enfant, quand il entendit l’entreprise de son oncle, par le conseil de ses gardes, s’enfuit chez André de Vitré, qui le reçut avec bienveillance, et le cacha secrètement en sa terre. Il le garda avec soin en le dissimulant de lieu en lieu, si bien que son oncle ne le put trouver, ni le récupérer. Et donc le roi Richard partit de Bretagne et s’en retourna en Normandie.
L’Histoire de Bretagne
Et quand cette chose fut venue à la notice des barons, ils envoyèrent incontinent par devers ladite Constance savoir ce qu’ils devaient faire : laquelle leur manda par Guillaume sénéchal de Rennes qu’ils se portassent (tirassent) auprès de son fils Arthur, et qu’ils lui fissent fidélité et hommage, et lui servissent et obeissent, en faisant pour lui ainsi qu’ils avaient fait pour elle. Et se portèrent lesdits barons et les prélats devant ledit Arthur, qui lors séjournait à sainct Maclou de Beignon : et parmi les autres Herbert évêque de Rennes, Geoffroi (sic) évêque de Nantes, Josselin, évêque de St-Brieuc, [Guéthénoc] l’évêque de Vannes, Alain, comte de Penthièvre et de Goetlo, Juhel de Mayence, Guihomar et Hervé de Léon, André de Vitré, Geoffroi de Fougères fils de Raoul (sic) qui était mort outre mer, Alain le jeune de Rohan, Guillaume de Lohéac, Geoffroi de Châteaubriant, Pean [Payen] de Malestroit, Amaury de Montfort, Alain de Châteaugiron et Philippe son frère, Guillaume de la Guerche, et grand nombre d’autres, qui tous firent foi au jeune duc Arthur, lequel de sa part leur promit et jura qu’il ne ferait paix ni traité avec le roi Richard son oncle sans eux. Et sur ces mêmes convenances jurèrent aussi lesdits évêques, Guihomar et Hervé de Léon pour ledit Arthur, aux dessusdits Barons : mais Alain de Dinan et plusieurs autres se tinrent avec le roi Richard et furent contraires à Arthur. Et après que Constance fut ainsi détenue le roi Richard retourna à Rennes, pensant y trouver ledit Arthur son neveu : mais il s’en était allé par le conseil de ses gardes à André de Vitré qui le garda et dissimula par ses châteaux et par ses terres, tellement qu’il ne le peut recouvrer ; pour ce s’en partit ledit Richard du pays de Bretagne et s’en retourna en Normandie.
Tous les barons présents ne sont pas nommément cités. Parmi ceux qui s’engagent auprès d’Arthur, beaucoup sont encore pensionnés en Angleterre ou en Normandie au risque de se voir privés de leurs rentes par le roi Richard.
Mis à part quelques représentants du centre de la Bretagne (Alain de Rohan), et de l’ouest (Guiomar et Hervé de Léon dont la résistance aux Plantagenêts était quasi légendaire, la plupart appartiennent à la Haute Bretagne : ces familles (Fougères, Vitré, Dol, Dinan, Mayenne, La Guerche, Lohéac, Châteaugiron, Montfort...) liées entre elles par des alliances matrimoniales, ont toutes participé à la conquête de l’Angleterre aux côtés de Guillaume le Conquérant, et par conséquent à la distribution des fiefs anglais.
Certains barons préfèrent se ranger prudemment dans le camp anglais. Le Baud interprète l’absence d’Alain de Dinan à l’assemblée comme un soutien au Plantagenêt. En réalité, il est opposé à Richard. Durant l’été 1196, il participe au siège d’Aumale avec Philippe Auguste. La Philippide rapporte de façon très détaillée sa victoire en combat singulier contre le roi Richard vers le 15 août. Du côté de Philippe, écrit Lobineau, on comptait parmi les seigneurs les plus animés à la ruine de l’Anglais, Alain de Dinan, que Richard avait dépouillé de ses biens 24.
— LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Histoire de Bretagne : composée sur les titres & les auteurs originaux, Vol. 1, Paris, Chez la veuve François Muguet, 1707, Voir en ligne.
[page 177] —
La résistance des Bretons
Richard est de nouveau parjure. Au lieu de libérer Constance avant le 15 août, il envoie une armée en Bretagne conduite par Robert de Thornham, le sénéchal d’Anjou, et Mercadier, le chef des mercenaires. Arthur est recherché dans la baronnie de Vitré, mais le baron André a pris soin d’emmener l’enfant avec lui à l’extrémité de la Bretagne : Guihomar et Harvey de Léon les hébergent dans leur château à Brest.
La troupe compte de nombreux routiers normands, angevins, poitevins et manceaux. Supérieurs en nombre, ils l’emportent partout où ils passent en Bretagne intérieure, jusqu’à Carhaix (Knaerhes). Ils n’iront pas plus loin. Les Bretons se regroupent pour faire barrage. Tous les barons qui ont fait serment de fidélité à Arthur sont là, auxquels se sont joints des hommes de Quimper, de Tréguier, du Léon et du Vannetais. Mais la prétendue victoire des Bretons contre l’armée de Richard pourrait être une fiction romantique
. — EVERARD, Judith, Britanny and the Angevins, Province and Empire, 1158-1203, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, (« Cambridge Studies in Medieval Life and Thought »).
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D’après Le Baud, Richard met un terme aux hostilités devant la résistance des Bretons. D’après Guillaume de Newburgh, ce sont les Bretons qui demandent la paix en raison des dommages subis face à l’armée de Richard. Dom Lobineau accrédite cette version.
Le conseil d’Artur voyant que le roi de France ne se pressait pas de secourir les Bretons fit entendre au jeune duc qu’il était dans son intérêt de s’accommoder au plus tôt avec Richard s’il ne voulait voir la ruine entière de son pays.
Après le retour de Richard en Normandie, André de Vitré et l’évêque de Rennes exigent par voix de héraut qu’il respecte ses engagements. Le Cartulaire de Laval indique - en notice 3199 - qu’un nouvel accord est conclu au mois de décembre entre André et Harscoët de Retz, qui détient maintenant Emma (Anne) et les autres otages. Les otages resteront détenus en gage pendant sept ans après la libération de Constance.
Constance libérée
Richard veut imposer son autorité sur le duché de Bretagne mais avant tout mettre la main sur Arthur pour qu’il ne rallie pas le roi de France avec lequel il est toujours en conflit. Le Plantagenêt est pris de vitesse : Guethenoc, évêque de Vannes, parvient à faire sortir Arthur de Bretagne pour le mettre en sûreté chez Philippe Auguste. Guillaume le Breton précise qu’il fut élevé pendant son enfance à la cour de Paris avec Louis, enfant comme lui
au château de Vincennes, où il passera les années suivantes. — GUILLAUME LE BRETON, et MENDES VICTOR, Luiz Alberto, La Philippide, Paris, J.-L.-J. Brière, 1825, (« Mémoires relatifs à l’histoire de France »), Voir en ligne.
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Arthur étant désormais hors de portée, il n’est plus dans l’intérêt de Richard de combattre les Bretons, mais de faire alliance avec eux. Des négociations s’engagent le 1er avril 1197, à Tours, entre Maurice de Blason, évêque de Nantes, qui était présent à l’assemblée de Saint-Malo de Beignon, Robert de Thornham, le sénéchal d’Anjou qui détient les otages, et le roi. — EVERARD, Judith, Britanny and the Angevins, Province and Empire, 1158-1203, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, (« Cambridge Studies in Medieval Life and Thought »). [page 166 note 162] —
Les négociations aboutissent à une convention. La duchesse Constance, Herbert, évêque de Rennes, Pierre, évêque de Saint-Malo, et Robert de Thornham jurent de soutenir le roi d’Angleterre et de maintenir la paix, au nom des barons et des chevaliers. Les serments sont enregistrés dans une charte sous le sceau d’Herbert, évêque de Rennes, le lundi avant la Purification notre Dame, soit 40 jours avant Noël. Constance est enfin libérée.
En échange de l’engagement des Bretons à respecter sa suzeraineté, Richard restitue toutes les terres qu’il avait confisquées à la duchesse comme aux barons et rétablit leurs droits coutumiers : le roi d’Angleterre pardonnait et remettait aux dessusdits Barons et Chevaliers pleinement toute ire et indignation, et […] ils pourraient aller et servir sous la duchesse, ainsi qu’ils avaient accoutumé. — LE BAUD, Pierre, « Cronicques des Roys, Ducs et Princes de Bretaigne Armoricaine », in Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et de Laval, Paris, Chez Gervais Alliot, 1638.
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Richard cède sur ses positions les plus intransigeantes, mais en achetant l’allégeance des Bretons, il garantit ses arrières pour reprendre le combat contre le roi de France. Cependant tous les otages se sont pas libérés, Richard en garde quelques-uns dont la fille d’André de Vitré.
Constance gouverne à nouveau la Bretagne en son nom propre et Ranulf s’efface devant le sénéchal d’Anjou, Robert de Thornham, qui représente Richard et surveille la Bretagne.
En 1198, la trêve convenue entre le roi de France et le roi d’Angleterre prend fin après la récolte de blé. De nouvelles alliances se nouent en faveur de Richard Cœur de Lion. Fidèle aux engagements des Bretons, Arthur en fait partie. De retour en Bretagne, il gouverne avec sa mère.
La même année, le duc de Louvaine, le comte de Brene, Baldwin, comte de Flandre, le comte de Gynes, le comte de Boulogne, Geoffrey, comte du Perche, le comte de Saint Gilles, le comte de Blois, Arthur, duc de Bretagne, et beaucoup d’autres, abandonnant le roi de France, devinrent les adhérents de Richard, roi d’Angleterre, lui faisant serment, et lui leur faisant serment, qu’ils ne feraient pas la paix avec le roi de France, à moins que ce ne soit avec le consentement commun de tous.
Richard désigne Jean avant de mourir
Richard a pratiquement repris toutes les terres dont s’était emparé le roi de France pendant sa captivité. Blessé durant le siège du château de Châlus (Haute-Vienne), il meurt le 6 avril 1199.
Depuis les remparts du château, un arbalétrier l’atteint à l’épaule. L’extraction du carreau s’effectue dans de mauvaises conditions. Le roi, désespérant de survivre, céda à son frère Jean le royaume d’Angleterre et tous ses autres territoires, ordonna que la fidélité soit faite au susdit Jean par ceux qui étaient présents.
En Sicile, Richard avait choisi Arthur pour lui succéder, par un acte écrit qui n’a jamais été revu. La désignation de Jean, de vive voix sur son lit de mort, n’éteint pas les droits légitimes du jeune duc. Il revient maintenant aux grands du royaume d’Angleterre de reconnaître leur roi.— ROGER DE HOVEDEN, The Annals of Roger de Hoveden, Vol. 2, H. T. Riley, London, H. G. Bohn, 1853, Voir en ligne. [page 453] —
La couronne est due à Arthur mais il n’a que 12 ans et personne ne le connaît à la cour d’Angleterre. De plus, il a été formé avec Louis à la cour de France, toujours en rivalité sur le territoire continental du Plantagenêt. Cependant, Constance ne manque pas d’appuis familiaux pour défendre sa cause ; le roi d’Écosse est son grand-oncle, et Jean, très impopulaire, est craint par ses contemporains. Il est jugé inconstant, cruel, sans foi ni loi. Jean, conscient de sa mauvaise réputation, achète généreusement les voix en sa faveur, si bien qu’ils oublièrent Arthur
dit Lobineau.