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Barleuf Vincent

Chanoine génovéfain, architecte et historien

Vincent Barleuf est un chanoine régulier qui fut prieur de Saint-Jacques de Montfort de 1647 à 1659. Pendant cette période, il œuvra activement à l’introduction de la réforme génovéfaine à l’abbaye Notre-Dame de Paimpont. Il est à l’origine de nombreuses réalisations architecturales, églises, bâtiments conventuels, châteaux. Historien des abbayes de Montfort et de Paimpont, il est aussi l’auteur d’un récit sur la Cane de Montfort.

Les débuts dans la Congrégation de France

Vincent Barleuf est né en 1611. Il entre comme profès en 1631, dans la Congrégation de France. Étudiant à Orléans, il devient sous-prieur et maître des novices à Saint-Quentin de Beauvais vers 1640. Il est le premier prieur génovéfain nommé à l’abbaye Saint-Martin aux bois, diocèse de Beauvais, dans laquelle il séjourne de 1644 à 1647. —  PETIT, Nicolas, Prosopographie génovéfaine, École Nationale des Chartes, 2008, Voir en ligne. pages 44 —

Barleuf prieur de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort

Le 20 octobre 1647, fort de son expérience à Saint-Martin des Bois, Vincent Barleuf prend la charge de prieur de l’abbaye génovéfaine de Saint-Jacques de Montfort, où la réforme était introduite depuis 1638. Il est missionné par la Congrégation de France pour superviser la construction des nouveaux bâtiments de l’abbaye, entre le 1er mai 1647 et leur achèvement en 1652. —  BRETON, Yves, Les génovéfains en Haute-Bretagne, en Anjou et dans le Maine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Editions Hérault, 2006. [page 371] —

A son arrivée, il découvre un corps de logis en cours de construction, qui ne dépasse pas quatre à cinq pieds, alors qu’il ne reste quasiment rien des 6000 livres que l’abbé commendataire Jean de Tanouarn avait données. En 1648, il obtient de ce dernier le versement de 2000 livres supplémentaires pour terminer les travaux. —  BRETON, Yves, « La fondation de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 102, 1999, p. 29-91. — Il entreprend aussi la rénovation de l’église abbatiale, qu’il fait reblanchir, orner d’une grande chaire, de statues d’autels, d’un jubé d’orgues et de tableaux qu’il réalise lui-même avec un autre chanoine. —  Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 326-329 —

Vincent Barleuf fournit également des dessins afin d’aider des notables des environs à établir les plans de leurs châteaux : ce qui donnait par ce moyen des amis à l’abbaye dont il provenait quelque assistance ou quelques douceurs. Il fréquente le seigneur principal de Romillé, Jean de Saint-Gilles, pour qui il réalise les plans de son château de Perronay. Il agit de même avec le sieur Couroger, châtelain du Plessis Botherel à la Chapelle du Lou à quelques kilomètres de Montfort et le sieur Roland de la Lande qui ajoute dans les mêmes temps une aile à son château au Lou du Lac. Pour l’historien Yves Breton :

Ce qui reste aujourd’hui de ces demeures châtelaines, traduit en quelque sorte l’idéal architectural du chanoine : un bâtiment peu élevé encadré par des pavillons en avant-corps, le tout dans une symétrie parfaite.

Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 326-329

Vincent Barleuf assume les charges de trois prieurés dépendant de Saint-Jacques de Montfort

Outre ses fonctions de prieur claustral de Montfort, Vincent Barleuf, exerce aussi des charges dans des prieurés dépendant de Saint-Jacques : Saint-Gonlay, Saint-Martin de Romillé et Saint-Jacques de la Muce en Baulon.

  • Le 14 décembre 1649, il est pourvu de la cure de Saint-Gonlay, dont il sera le dernier prieur régulier jusqu’en 1659.
  • Il prend la charge de la cure de Romillé, mais en l’absence de logis prioral, il réside à Montfort et ne se rend dans cette paroisse que les jours de fête.

    pour y dire la messe parrochiale, confesser, prescher, et faire les autres fonctions, y ayant établi un brave et scavant vicaire qui catéchizait et faisoit avec douze prêtres qui y sont résidants les fonctions pastorales de sorte que l’on voiait visiblement le fruit qui se ferait en cette paroisse.

    Breton, Yves (2006) op. cit., p. 371
  • Enfin, il prend possession, le 6 novembre 1656, de la charge de prieur de Saint-Jacques de la Muce en Baulon. Selon Guillotin de Corson, il rend aveu au Roi en 1679 1.

    [ en déclarant y posséder] 8 ou 10 journaux 2 de terres siz près le château de la Muce, où estait anciennement la maison et herbrégement du prieur, qu’on nommait la Priousté ; et le tiers des grosses dîmes de la paroisse de Baulon qui se lèvent, chacun an, au trait appelé le trait des Bois.

    Il fait cependant remarquer qu’il a perdu les privilèges de la dime des Moulins de la Muce ainsi que le droit d’usage du bois à merrain et à chauffage des bois de la seigneurie de la Muce alors qu’il doit assumer :

    [...] prières et oraisons pour le roi, et deux messes par semaine dans la chapelle du château de la Muce ; oultre quatre messes par an à chacun jour des plaids généraux de la juridiction de la Muce, aux termes du mois d’aoust, de la Toussaint, de Noël et de Pasques.[... ]le seigneur de la Muce doit audit prieur la somme de 4 livres de l’ancienne monnoie, qui sont 20 sols à chacun des quatre termes, à peine de 10 sols pour chacun terme, en cas de défaut.

    GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, Pouillé Historique de l’archevêché de Rennes, Vol. 2, Rennes, Fougeray éditeur, 1891, Voir en ligne. p. 671

Le récit de la Cane de Montfort

Le père Barleuf est aussi l’auteur d’une œuvre littéraire imprimée en 1652 : Récit véritable de la venue d’une cane sauvage, depuis longtemps, en la ville de Montfort, comté de la province de Bretagne. L’ouvrage, imprimé chez Michel Hellot à Rennes, est dédicacé à Henry duc de la Trémoille et de Thouars, prince de Talmont, comte de Laval et de Montfort. — Breton, Yves (1999) op. cit. —

L’œuvre relate l’apparition miraculeuse d’une cane sur l’étang Saint-Nicolas de Montfort, le 27 mai 1649, dont Barleuf fut le témoin et l’acteur. Le génovéfain n’est pas le premier à évoquer l’affaire. Neuf procès verbaux du 16e siècle décrivent le trajet de la cane de l’étang à l’église, où elle dépose ses canetons près de la statue de saint Nicolas.

L’animal viendrait ainsi exaucer le vœu qu’une jeune fille des environs aurait prononcé si elle parvenait à s’enfuir du château de la ville où l’aurait enfermé le seigneur qui voulait lui ravir son honneur. Subitement transformée en cane, la jeune fille se serait ainsi évadée et posée sur l’étang voisin. Étant décédée dans l’entrefaite, le volatile se substituait ainsi à la jeune fille pour remercier le saint. Quoi que l’on put faire, jamais personne ne put attraper l’animal.

Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 588-590

Si l’abbé Barleuf prend le temps d’écrire ce texte, suivi d’un cantique fleuve, c’est qu’il poursuit un dessein évangélique bien précis : transmettre l’enseignement du Concile de Trente 3, porté par les chanoines génovéfains, aux paroissiens de Montfort. Selon les commentaires de Michel Simonin, le récit de Barleuf vise :

à magnifier le culte de la virginité triomphante et concourt à la promotion de celui des saints mais elle est aussi le signe d’une christianisation imparfaite d’une tradition populaire que les missionnaires post-tridentins s’empressent de reprendre pour finaliser.

SIMONIN, Michel, Folklore et pastorale en Bretagne au XVIle siècle : à propos du miracle de la cane de Montfort, 1975.

Barleuf réformateur des abbayes bretonnes

Pendant les douze années de sa charge à Montfort, il porte la réforme de Sainte-Geneviève dans d’autres abbayes bretonnes :

Ce n’est que le 14 septembre 1649, que Barleuf, prieur de Montfort, muni d’une commission de François Blanchard en date du 11 juillet précédent, se rend à Paimpont pour y installer les nouveaux religieux. Il est accompagné des cinq frères qui vont constituer le nouveau chapitre 4 : Louis Asseline, prieur claustral, Claude François, déjà recteur de Paimpont, Michel Camus, tous les trois prêtres, George Morancy et Claude Aubert, profès, puis trois religieux de Montfort qui viennent en qualité de témoins […] sept heures du matin, Barleuf fait assembler toute la communauté, ainsi que les anciens et, après avoir chanté le « veni creator » devant le grand autel et dit la « colette » et célébré la messe, tout le monde se rend dans les diffèrents lieux réguliers pour en prendre possession.

Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 66-67
  • en 1651 à Saint-Jean des-Prés, près de Josselin.
  • en 1659 à Beaulieu, l’année de son départ de Montfort.

    Le 20 août, la troupe prend le chemin pour se rendre à Beaulieu où les attendent Barleuf, prieur de Montfort, et les chanoines qui doivent composer le nouveau chapitre (de Beaulieu). Ils arrivent au château d’Yvignac […] Tout le monde se rend alors au chapitre, accompagné de la population locale venue en grand nombre. Il y a en ce lieu les anciens […] et les trois novices. Le conseiller annonce alors le sujet de sa présence et sa volonté d’établir les nouveaux religieux : pressenti pour être le nouveau prieur, Claude Micault, sous-prieur de Paimpont, mais retenu pour maladie, est représenté par François Millier, sous-prieur de Montfort.

    Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 66-67
  • à Sainte-Croix de Guingamp enfin, où la réforme échoue.

Loin de se cantonner à sa seule maison, il fréquente parallèlement les milieux influents pour tisser tout un réseau d’appuis politiques et financiers : nobles des environs, et communautés religieuses féminines. — Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 111-112 — Dans les différents monastères dont il a la charge, il érige des autels, des chaires, des boiseries, remplace les cloches et aurait même composé quelques œuvres musicales.

Barleuf historien et acteur de la réforme à Paimpont et Montfort

Vers 1670, Vincent Barleuf rédige un ouvrage historique en deux parties, la première consacrée à l’abbaye de Paimpont, la seconde à celle de Montfort, à l’intention de Claude du Molinet , archiviste de la Congrégation de France 5.

La partie concernant Montfort —  BARLEUF, abbé Vincent, Discours chronologique de la fondation, privilèges, personnes illustres, restablissement et autres choses remarquables de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort. Ordre des Chanoines réguliers de Saint-Augustin de la Congrégation de France sittuée en l’évesché de Sainct-Malo-de-l’isle en Bretagne par le R.P. Barleuf chanoine régulier de Saint-Jacques., 1670. — comprend dix chapitres : les neuf premiers concernent les origines de Saint-Jacques et les personnages qui en furent les initiateurs : la famille de Gaël-Montfort, mais surtout Jean de la Grille. Le dernier chapitre contient la liste des abbés réguliers. Vincent Barleuf émaille sa chronique d’une multitude d’informations relatives à la disposition des lieux à son époque.

La partie concernant Paimpont —  BARLEUF, abbé Vincent, « Relation de l’Abbaye de Nostre-Dame de Painpont en Bretagne, Ordre des Chanoines réguliers de la Congrégation de France », Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine 5 J 164, 1670, Voir en ligne. — évoque l’histoire de l’abbaye, comment la réforme y est entrée, quels accords ont été faits avec l’abbé, la prise de possession par les chanoines réformés, ainsi que les progrès de la réforme. Le prieur de Montfort participe activement au renouveau architectural de Paimpont. [Il] fit le plan et donna le dessin de l’escalier à quatre noyaux du Grand Logis, nouveau bâtiment conventuel de Paimpont, construit entre 1647 et 1659. Il procure aux chanoines de Paimpont et à leur prieur Louis Asseline une petite orgue faute de moiens pour remettre la grande et ancienne orgue qui étoit dépérie.

Aidé des pères Arnaud Besnard, et Baraton, il participe au chantier de construction de l’hôtellerie du porche, destinée à l’accueil des pèlerins. — Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 335, 326-329 —

C’est grâce au travail d’historien du père Barleuf que nous connaissons l’histoire de la réforme à Notre-Dame de Paimpont, dont il est aussi l’un des principaux acteurs à partir de 1649.

Le manuscrit fut retrouvé par l’archiviste Henri Bourde de la Rogerie, qui en effectua une copie transmise à Pocquet du Haut Jussé. Celui-ci la publia intégralement pour Paimpont en 1958 —  POCQUET DU HAUT JUSSÉ, Barthélémy, « La réforme génovéfaine en Bretagne au XVIIe : Notre-Dame de Paimpont », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 71, 1958. — ainsi qu’en partie pour Montfort en 1960. —  POCQUET DU HAUT JUSSÉ, Barthélémy, « La réforme génovéfaine en Bretagne au XVIIe : Saint-Jacques de Montfort », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 72, 1960. —

Enfin, Yves Breton publie intégralement la partie concernant Montfort en 1999. — Breton, Yves (1999) op. cit. —

Une vie au service de la Congrégation de France

De 1659 à 1662, il retourne à Saint-Martin des Bois, puis s’installe à l’abbaye Saint-Ambroise de Bourges, de 1672 à 1671, où il s’occupe de la cure de la paroisse Saint-Privé. — Breton, Yves (2006) op. cit., pp. 111-112 —

Curé de Vertilly, diocèse de Sens, il est ensuite prieur de Saint-Jean de Sens, avant 1682-1685. Il meurt à 74 ans, à Saint Jean de Sens, le 15 juin 1685, après 54 ans passés dans la Congrégation de France. — Petit, Nicolas (2008) op. cit., p. 44 —


Bibliographie

BARLEUF, abbé Vincent, Discours chronologique de la fondation, privilèges, personnes illustres, restablissement et autres choses remarquables de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort. Ordre des Chanoines réguliers de Saint-Augustin de la Congrégation de France sittuée en l’évesché de Sainct-Malo-de-l’isle en Bretagne par le R.P. Barleuf chanoine régulier de Saint-Jacques., 1670.

BARLEUF, abbé Vincent, « Relation de l’Abbaye de Nostre-Dame de Painpont en Bretagne, Ordre des Chanoines réguliers de la Congrégation de France », Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine 5 J 164, 1670, Voir en ligne.

BLOT, Roger, « Vincent Barleuf (1611-1685) : ce religieux qui savait tout faire », Église en Ille-et-Vilaine, Vol. 236, 2013, p. 16-17, Voir en ligne.

BRETON, Yves, « La fondation de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 102, 1999, p. 29-91.

BRETON, Yves, Les génovéfains en Haute-Bretagne, en Anjou et dans le Maine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Editions Hérault, 2006.

GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, Pouillé Historique de l’archevêché de Rennes, Vol. 2, Rennes, Fougeray éditeur, 1891, Voir en ligne.

PETIT, Nicolas, Prosopographie génovéfaine, École Nationale des Chartes, 2008, Voir en ligne.

POCQUET DU HAUT JUSSÉ, Barthélémy, « La réforme génovéfaine en Bretagne au XVIIe : Notre-Dame de Paimpont », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 71, 1958.

POCQUET DU HAUT JUSSÉ, Barthélémy, « La réforme génovéfaine en Bretagne au XVIIe : Saint-Jacques de Montfort », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 72, 1960.

SIMONIN, Michel, Folklore et pastorale en Bretagne au XVIle siècle : à propos du miracle de la cane de Montfort, 1975.

Documents d’archives

Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine, 5 J 164 : Relation de l’Abbaye de Nostre-Dame de Painpont en Bretagne, Ordre des Chanoines réguliers de la Congrégation de France, Barleuf, Abbé Vincent, vers 1670


↑ 1 • Selon Nicolas Petit, en 1679, Vincent Barleuf est prieur-curé de Vertilly, dans le Dioscèse de Sens, ce qui parait difficilement compatible avec la charge de prieur de la Muce

↑ 2 • Le journal est une ancienne unité de mesure de surface, utilisée jusqu’à la Révolution. Définie comme la surface labourée en un jour avec une traction animale, elle varie suivant les régions. En Bretagne sa valeur approximative est d’un demi-hectare.

↑ 3 • Convoqué par le pape Paul III le 22 mai1 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, le Concile de Trente débute le 13 décembre 1545 et se termine le 4 décembre 1563. Cette Église « de la Contre-Réforme » est aussi appelée Église « tridentine » (cet adjectif correspondant au nom en latin de la ville de Trente, Tridentium).

↑ 4 • Chapitre : assemblée tenue par des religieux d’un ordre ou d’un monastère.

↑ 5 • L’original se trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève, réserve ms 677, copie aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 5 J 164