26-27 janvier 1789
Dominique Hélaudais
Le meneur de la « Journée des Bricoles »
Dominique Hélaudais est l’un des meneurs de la « Journée de Bricoles » à Rennes en janvier 1789. En août, alors qu’il occupe la fonction de garde de la juridiction de Brécilien et habite au Pas-du-Houx en Paimpont, il est arrêté et incarcéré. Il est libéré à la fin des révoltes agraires de janvier-février 1790.
La réunion des États de Bretagne
Le 27 décembre 1788, Louis XVI valide des réformes favorables au Tiers État : doublement du nombre de leurs députés, vote par tête et une réforme fiscale. La Noblesse et le Clergé de Bretagne s’opposent à ces réformes. Le lendemain, alors que s’ouvrent les États de Bretagne, les cinquante-quatre députés du Tiers État refusent de délibérer tant que ces réformes ne sont pas adoptées.
Par arrêt du 7 janvier 1789, le comte de Thiard, commandant militaire de la Province, suspend les États, et en reporte la tenue au 3 février. Les neuf cent cinquante-et-un représentants de la Noblesse occupent les lieux et refusent d’obtempérer à ce qu’ils jugent être un abus de pouvoir et une victoire pour le Tiers État.
Pour affaiblir la solidarité de leur adversaire, « le Bastion » 1, une faction de la Noblesse menée par le chevalier de Guer 2, soulève le petit peuple contre le Haut Tiers
. Les étudiants en droit réagissent et affirment dans la déclaration du 18 janvier 1789 l’union du Tiers État face aux aristocrates. — DUPUY, Roger, « Contre-Révolution et radicalisation : les conséquences de la Journée des Bricoles à Rennes, 26 et 27 janvier 1789 », Annales de Bretagne, Vol. 79 / 2, 1972, p. 425-454, Voir en ligne.
[pages 426-427] —
26 janvier 1789, « la Journée des Bricoles »
Le 26 janvier 1789, plusieurs centaines de personnes, laquais, portefaix, porteurs d’eau, porte-chaises, et autres porteurs de bricoles (lanière de cuir passée autour du cou pour traîner une voiture), instrumentalisées par « le Bastion » pour désolidariser le Tiers État, se réunissent sur les champs de Montmorin, au sud de la ville (actuelle Esplanade Charles de Gaulle). Dominique Hélaudais, concierge à la Commission intermédiaire des États de Bretagne, prend la parole. Monté sur une caisse, il s’emploie à démontrer que les États font vivre nombre de laquais et que le « Haut-Tiers », en travaillant à dissoudre les États, affame ceux qui vivent de leur présence à Rennes.
Le dimanche 26 janvier 1789, trois émissaires portent en ville des billets convoquant le peuple à une grande réunion en plein air sur le Champ de Montmorin. Vers 10 heures, le 26 janvier, cinq cents personnes s’y trouvaient rassemblées : gens de livrée, domestiques, porteurs de chaises, etc. Le nommé Dominique Hélaudais, concierge de la Commission intermédiaire, montant sur une caisse placée là pour garantir un jeune arbre, crie : « Mes amis, n’entendez-vous pas [ne souhaitez-vous pas] que la constitution subsiste, que vos maitres conservent leurs privilèges, que le "Haut-Tiers" vous soulage des corvées qui vous grèvent ? » Tous répondent : oui ! oui ! Alors la bande se dirige vers le Palais de Justice. Hélaudais remet aux magistrats « la protestation du peuple » et la troupe sort sur la place en criant contre « les bourgeois ». À ce moment, d’un groupe d’étudiants partent des quolibets et des injures... Ce fut le signal d’une bagarre générale et de mille petits combats entre les étudiants et les manifestants. On se bat à coups de bûches, à coups de cannes à épée, à coups de couteaux. Les étudiants moins nombreux s’enfuient ; les magistrats descendent et essayent de calmer les combattants. Jusqu’au soir on se battit sur la place du Palais et dans les rues avoisinantes.
Le lendemain, les étudiants en droit et autres « patriotes » rennais dénoncent partout le complot de la Noblesse contre le Tiers État. De son côté, la Noblesse se fait porter des fusils au couvent des Cordeliers où se tiennent les États. Les esprits s’échauffent, le Tiers État réclame la punition des responsables de la veille, mais ni le comte de Thiard, ni le Parlement ne réagissent.
C’est au milieu de ces récriminations mutuelles que commença la journée du 27, à laquelle on s’était préparé de part et d’autre. Le matin fut assez calme ; mais lorsqu’on apprit que le parlement avait enlevé au présidial l’instruction de l’affaire de la veille, et qu’on avait l’intention de la renvoyer au parlement de Bordeaux, l’agitation ne tarda pas à renaître. La communauté s’assembla pour protester et se pourvoir contre cet arrêt, que l’on soupçonnait de vouloir étouffer les poursuites, en enlevant les accusés à leurs juges naturels. Bientôt la liberté de Dominique Hélaudais vint confirmer ces soupçons.
Le mercredi 28, les échauffourées continuent entre les « patriotes » soutenus par des étudiants nantais et les défenseurs de la Noblesse. Devant cet état insurrectionnel, le comte de Thiard décide de suspendre indéfiniment la tenue des États de Bretagne. La fracture politique entre les ordres privilégiés et le Tiers État est désormais irréparable. Les évènements de Rennes constituent les prodromes de la Révolution.
Les révoltes agraires de janvier 1790
En janvier 1789, au moment de la « Journée des Bricoles », Dominique Hélaudais est interrogé puis libéré par le présidial de Rennes. Il quitte ensuite Rennes et sa fonction de concierge de la Commission de la navigation des États de Bretagne 3 pour venir travailler en forêt de Paimpont. Le sieur de Cuillé, actionnaire aux Forges de Paimpont, lui trouve une place de sergent et garde à la juridiction de Brécilien. Il demeure alors à la maison de garde du Pas-du-Houx, paroisse de Paimpont.
En août 1789, en pleine fièvre révolutionnaire, il est à nouveau interrogé par le présidial de Rennes à propos de sa participation à la « Journée des Bricoles » et cette fois-ci incarcéré. — A.D.I.V. 2 B 947 —
Repond se nommer Dominique Helaudays, agé d’environ trente quatre ans, cy devant domestique et actuellement sergent et garde de la jurisdiction de Brecillien, demeurant avant son emprisonnement au Pas du Houx en Painpont. Interrogé d’où luy provient la bandolière qu’il a autour de luy ?
Repond qu’etant sorty de sa condition de commis [barré] de la commission des canneaux, il chercha quelqu’un qui luy procura du pain dont il manquoit depuis deux mois ; qu’il demeuroit dans la rue Vasselot depuis la sortie de sa place ; qu’il s’adressa à Monsieur le President de Cuillé qui luy dit sur la recommandation du Sr. Abbé de Corsin qu’il ne pouvoit luy donner autre place que celle de garde de la forest de Painpont ; qu’il l’adressa au Sieur Juguet, directeur des forges de Painpont, dont Mr. de Cuillé est actionnaire pour qu’il luy donna un mandement de garde ; qu’il s’y adressa et ledit Sr. Juguet luy donna un mandement, et peu de temps après s’est presenté devant le juge de Brécillien et y presta serment, et huit jours après on luy delivra la bandolière qu’il a autour de luy.
Six mois plus tard, fin janvier 1790, des révoltes agraires agitent la région de Paimpont. L’emprisonnement de Dominique Hélaudais est mentionné par des officiers seigneuriaux de Plélan-le-Grand comme étant une des causes de l’implication des employés des Forges de Paimpont dans ces révoltes. — SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [pages 331-332] —
Lettre des officiers seigneuriaux de Plélan et de Paimpont à la Municipalité de Rennes
Messieurs, vous avez connaissance de ce qui s’est passé aux paroisses d’Augan, Guer et autres limitrophes, où des gens attroupés se sont portés vers les châteaux pour retirer des propriétaires des déclarations de renoncer à leurs droits féodaux. Aujourd’hui, ils se sont tournés vers les procureurs fiscaux et autres particuliers, notamment contre les habits bleus. La prise du nommé Hellaudais a surtout provoqué contre la milice nationale de Plélan le ressentiment des gens des bois et forgerons, dont on assure que plusieurs se réunissent à la horde.
L’objet de la lettre des officiers seigneuriaux de Plélan et de Paimpont est d’obtenir une aide armée de la municipalité de Rennes pour se défendre contre le danger croissant représenté par les révoltes agraires. En citant l’arrestation de Dominique Hélaudais comme l’une des origines de ces révoltes, ils rejettent une partie de la responsabilité sur les juges rennais et font croire à la municipalité de Rennes que les révoltes paysannes sont contre-révolutionnaires alors qu’elles sont portées par un élan contre le pouvoir de l’Ancien Régime.
Dominique Hélaudais n’est resté que six mois en poste à Paimpont, un temps qui peut paraitre court pour entrainer une réaction des gens des bois et forgerons
. L’implication de ces derniers dans les révoltes agraires constitue un prétexte de la part des officiers seigneuriaux. Les documents d’archives ne montrent aucune trace de cette implication.
Selon Roger Dupuy, forgerons et gardes forestiers se différencient de la population paysanne des abords de la forêt, révoltée contre les droits féodaux. Leurs intérêts rejoignent ceux des porteurs de chaises et autres valets qui ont soutenu la noblesse à Rennes un an plus tôt. Ils sont employés par les forges de Paimpont et pensent avoir plus à gagner de leurs maitres, nobles regroupés en société, que des incertitudes d’une révolution portée par la bourgeoisie. — DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »). [pages 189-190] —
Dominique Hélaudais, emprisonné en août 1789, est libéré à la fin des révoltes agraires de janvier 1790.
Dans les premiers mois de 1790, M. Drouin, procureur du roi au présidial, fit mettre en liberté Dominique Hélaudais, le promoteur de la manifestation du 26 janvier, qui était détenu depuis près d’un an.