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18 janvier- 10 février 1790

Les révoltes agraires de 1790

Du 18 janvier au 5 février 1790, la grande majorité des paroisses situées entre Ploërmel, Montfort et Redon, entrent en insurrection. Les communautés paysannes qui avaient demandé l’abolition des droits féodaux dans les cahiers de doléances rédigés en avril 1789 se révoltent contre leurs seigneurs, leur réclamant le renoncement aux droits féodaux. Après les premières attaques de châteaux en Maure, Guer et Augan le 18 et 19 janvier, la révolte se propage aux paroisses de la forêt de Paimpont durant la semaine suivante et se terminent par une fusillade mortelle au Bois-de-la-Roche le 5 février 1790.

Les émeutes agraires de janvier-février 1790

Du 18 janvier au 10 février 1790, la grande majorité des paroisses situées entre Ploërmel, Montfort et Redon, entrent en insurrection 1. Les paroisses de la région de Brocéliande, Plélan, Paimpont, Treffendel, Saint-Péran, Iffendic, Monterfil, Maxent, Concoret, Mauron, Le Bois de la Roche et Augan sont au cœur de ces évènements insurrectionnels. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 232] —

C’est seulement dans la seconde moitié du mois de janvier 1790 et au début du mois de février que des troubles agraires très graves ont éclaté dans la région de Ploermel et dans le sud-ouest de l’Ille-et-Vilaine, dans toute la partie de l’arrondissement de Redon comprise depuis Redon, au sud, jusqu’à Goven, au nord ; l’insurrection s’étend même sur la partie occidentale de l’arrondissement de Montfort. Sur ce territoire, tous les châteaux nobles sont menacés et beaucoup d’entre-eux, attaqués et saccagés. Nos documents en mentionnent une trentaine, qui ont été l’objet de violences plus ou moins graves

SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [pages 231-232]

Ces troubles agraires trouvent leur origine dans l’impatience des communautés paysannes qui exigent une réponse concrète aux doléances exprimées au printemps 1789 dans les cahiers de chaque paroisse. Le 4 août 1789, l’Assemblée Constituante abolit les rares droits féodaux pesant sur les personnes, mais elle déclare rachetables les droits beaucoup plus importants et généralisés qui pèsent sur les terres, condition impossible à satisfaire par les paysans. Nombre de ceux-ci, refusaent de payer une année de plus dîmes, devoirs féodaux et capitations, attaquent les châteaux de la région pour y détruire les chartes et fondations seigneuriales symboles de l’Ancien Régime.

La volonté des paysans de liquider tout un passé d’exploitation féodale et d’injustice fiscale les pousse à faire pression sur le Seigneur mais aussi sur les bourgeois, complices agissants du système. [Il s’agit] d’un règlement de compte avec tous ceux qui tiraient profit de l’ancien état des choses : procureur fiscal, juge seigneurial, employé des aides et devoirs, accapareur de grains, amalgame hétéroclite auquel on va joindre bientôt les notables du nouveau régime et les milices nationales voisines qui apparaissent comme des obstacles à une légitime impatience.

DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »). [pages 119-120]

Roger Dupuy souligne la concomitance entre l’agitation paysanne et la formation des milices nationales 2. Ces dernières jouent un rôle modérateur afin d’empêcher ces émeutes agraires de dégénérer vers une remise en cause de l’ordre bourgeois porté par la Révolution. — Dupuy, Roger (1972) op. cit., pp. 110-111 —

Quand on aboutit au paroxysme de janvier 1790, qu’une trentaine de paroisses entre Rennes, Ploërmel et Redon assaillent la plupart des châteaux de la région et mettent à sac les officines des procureurs fiscaux, c’est aux gardes nationaux de Rennes, épaulés par 150 soldats de la garnison, à ceux de Plélan, Bain et Ploërmel que l’on fait appel pour mener à bien ce qui devait être surtout une pacification, car là encore, ce ne sont pas des mendiants où des journaliers qui se soulèvent mais bien la majeure partie des tenanciers et propriétaires de ces paroisses.

Dupuy, Roger (1972) op. cit., pp. 111-112

Paysans et petits propriétaires en révolte

Les autorités s’interrogent sur l’origine des émeutes et sur la composition sociale des groupes révoltés. Le terme « brigands » est rapidement utilisé dans certaines lettres officielles ou par certains députés de la Constituante pour désigner les émeutiers. Les débats de l’Assemblée du 9 février 1790 font état de ces questionnements.

— M. De Robespierre : M. Lanjuinais a proposé d’épuiser les voies de conciliation avant d’employer la force militaire contre le peuple qui a brûlé les châteaux...
— M. D’espréménil : Ce n’est pas le peuple, ce sont des brigands.
— M. De Robespierre : Si vous voulez, je dirai les citoyens accusés d’avoir brûlé les châteaux...
— MM. De Foucauld et D’espréménil : Dites donc des brigands !
— M. De Robespierre : Je ne me servirai que du mot d’hommes, et je caractériserai assez ces hommes en disant le crime dont on les accuse.

ASSEMBLÉE CONSTITUANTE, Réimpression de l’ancien Moniteur : seule histoire authentique et inaltérée de la Révolution française, Vol. 3, Paris, Henri Plon, imprimeur-éditeur, 1860, Voir en ligne. p. 338

Dans les faits, les émeutes ne sont pas composées de brigands et de marginaux comme le voudraient certains députés. Elles ne sont pas non plus uniquement le fait de paysans, mais aussi celui de petits propriétaires et de futurs notables de la République qui peuvent en être les meneurs. L’attaque du Breil-Houssoux en Plélan (aujourd’hui en Treffendel) est menée semble-t-il par Jean Bonjean, ancien domestique du seigneur ainsi que par Jean Merel, trésorier général de Treffendel. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 284] —

C’est aussi le cas de Pierre Nogues Boisselaye, procureur fiscal à Saint-Maugan en 1789 qui mène les paysans lors de l’attaque des châteaux de la Chasse et de Bléruais en Iffendic.

Dans le même temps, Nogues Boisselay de St Malo, Broussays de Plélan, et autres ardens de Paimpont et Plélan, couraient les châteaux de ce pays là, brulaient les titres de la féodalité, escortés par des attroupements dont ils se faisaient les chefs, ils vivaient au dépens des propriétaires de ces châteaux ; tous les jours on parlait de leurs exploits.

CRESSARD, Jacques et BERNARDIN, Jean-Marie, « Un notable du département d’Ille-et-Vilaine sous la Révolution : François-Félix Roumain de la Rallaye », Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, XCII, 1990, p. 83-180. [page 122]

Les groupes d’émeutiers sont donc composés de diverses catégories de petites gens, coalisées pour l’occasion et pouvant provenir des différentes paroisses. À Villeneuve ou Francmont en Plélan, ce sont les vassaux de la seigneurie qui agissent. Parfois les émeutiers comprennent des hommes provenant de plusieurs paroisses comme lors de l’attaque du château de la Châsse en Iffendic ou des Forges de Telhouët en Paimpont.

Sans doute, même lorsque les insurrections paraissent isolées, elles peuvent avoir été provoquées par la contagion de l’exemple. Des paysans sont d’autant plus facilement ébranlés qu’ils ont été avertis de ce qui se passait dans la région voisine. Peut-être aussi des émissaires, venus du foyer de la grande insurrection [Maure-Guer], ont-ils contribué à les soulever.

Sée, Henri (1921) op. cit., p. 235

Ce phénomène de contagion est confirmé par le témoignage de Joseph Augustin Denoual, 53 ans, laboureur et priseur au Bois Menu, à Bédée, dans sa déclaration du 23 février 1790, pour se disculper de sa participation à un vol de pigeons et à la destruction d’une fuie 3.

La paroisse de Bédée est très etendue et très peuplée. Ses habitans furent instruits de l’insurrection des habitans de Plélan et des environs. Ils s’assemblèrent et parlèrent des affaires publiques ; ils s’entretinrent de la continuation de leur servitude feodale et se plaignirent entre eux de ne recevoir aucun adoucissement dans leur situation quoique l’assemblée nationale s’occupat de leur sort et leur assurat un changement prospère. Ils accuserent le recteur de ne leur donner aucune connoissance des décrets des représentants de la nation, tandis qu’ils étoient si intéressés à les apprendre. Mille murmures s’elevent ; on menace de se venger ; plusieurs motions vigoureuses et plaine d’energie se font entendre. Plusieurs avis sont d’imiter les habitans de Plélan et de tirer vengeance des injustices qu’on commet à leur egard. L’article des colombiers vient accroitre l’indignation et la fureur qui animoit tous les esprits. On parle de les mettre en feu ainsy que touts les chateaux de l’aristocratie [...].

A.D.I.V. 2B 1215 4

Seigneurs, agents seigneuriaux et prêtres

La cause profonde des troubles agraires, c’est le régime seigneurial, ce sont aussi les pratiques abusives auxquelles il donne lieu. Remarquons qu’ils ont surtout éclaté dans la région, dépendant de l’évêché de Saint-Malo, qui est certainement l’une des parties de la sénéchaussée de Rennes où les cahiers se plaignent avec le plus d’énergie et de précision du régime qui pèse sur eux, des pratiques abusives des seigneurs et surtout de leurs agents.

Sée, Henri (1921) op. cit., p. 244

L’insurrection paysanne est dirigée contre les seigneurs et leurs droits féodaux. Pourtant, aucun d’entre eux n’est véritablement maltraité. Henri Sée constate que plusieurs nobles dont les châteaux ont été attaqués sont membres du Parlement de Bretagne 5.

Si les troupes de paysans en révolte attaquent les châteaux et exigent le renoncement du seigneur à ses droits féodaux, c’est avant tout aux agents seigneuriaux, aux procureurs fiscaux qu’ils s’en prennent. C’est le cas de Jean-Baptiste Allaire, procureur fiscal de l’abbaye de Paimpont ; de Boisgontier, procureur des évêques de Saint-Malo de Beignon ; du sieur Sauvage, procureur à Plélan et futur maire de cette commune.

Remarquons aussi qu’en plusieurs paroisses, aux élections pour les États Généraux, la masse des paysans a refusé d’assister à l’assemblée convoquée par l’agent seigneurial, a fait scission, a rédigé un cahier séparé, beaucoup plus énergique que le cahier de l’assemblée officielle. C’est ce qui s’est passé à Plélan, à Messac, à Bain, à Goven [ainsi qu’à Beignon et Saint-Péran]

Sée, Henri (1921) op. cit., p. 245

Les prêtres ont joué un rôle au cours de ces émeutes, le plus souvent celui de modérateur, défendant les intérêts du seigneur de la paroisse. Ce geste est mal accueilli et vaut à certains recteurs comme Jean-François Allaire de Plélan, cousin du procureur fiscal précédemment cité, ou Joseph Delourme, recteur de Monterfil de subir des pressions et menaces. — Sée, Henri (1921) op. cit., p. 237-328 —

Le début des troubles agraires

Les premières émeutes agraires commencent le 18 janvier dans les paroisses de Maure, Guer et Augan et s’étendent rapidement aux paroisses voisines. Le registre des délibérations de la municipalité de Rennes en porte trace à la date du 20 janvier 1790.

M. Chanteloup a fait rapport d’un attroupement qui a dû avoir lieu à Guer le jour d’hier [...] L’Assemblée considérant qu’elle n’a aucune instruction positive, a chargé Monsieur le Procureur Syndic d’écrire aux municipalités de Ploërmel, Plélan et Guer pour s’instruire des causes des émeutes qui doivent régner dans ce pays et au surplus qu’il n’y a lieu de délibérer quant à présent

A.D.I.V. registre n°341- fol. 181 r°

Cependant, aucune délibération n’est prise, en raison de la nature des plaintes qui concernent des gens et des biens liés à l’Ancien Régime. Le 22 janvier les autorités rennaises ignorent toujours l’origine de ces émeutes.

Lecture donnée d’une lettre reçue de Ploërmel, d’une autre reçue du Comité de Plélan et d’une délibération de ce Comité.

L’Assemblée voyant que les citoyens de Ploërmel et Plélan soupçonnent que les ennemis du Bien Public et de la Révolution actuelle sont les auteurs des émeutes et des attroupements qui effraient quelques paroisses voisines et que MM. de Ploërmel et de Plélan attendaient eux-même pour prendre un parti, à avoir des connaissances qu’ils n’ont pu encore se procurer, a persisté dans sa délibération du vingt de ce mois, portant qu’il n’y a lieu à délibérer quant à présent [...]

A.D.I.V. registre n°341- fol. 181 r°

Le 23 janvier, un détachement et des cavaliers de maréchaussée sont envoyés par la municipalité de Rennes pour disperser un attroupement dans la région de Bain-sur-Oust.

L’Assemblée ayant tout lieu de croire que les hommes attroupés ne sont que des habitants des campagnes et des vassaux ne sachant qu’elle est la cause de ces attroupements et craignant que la moindre violence exercée contre eux pût conduire les citoyens à se combattre respectivement a arrêté d’écrire à MM. de la Municipalité de Bain pour les instruire du parti que la Municipalité de Rennes a pris relativement aux attroupements de même espèce qui ont dû avoir lieu du côté de Guer et de Plélan.

A.D.I.V. registre n°341- fol. 181 r°

La pression exercée par l’Assemblée Nationale

Du 18 au 23 janvier 1790, plusieurs châteaux de la région de Maure, Guer et Augan sont attaqués par les émeutiers. Pourtant, la municipalité de Rennes tergiverse, ne voulant pas sévir contre ses alliés en défendant ses adversaires de l’aristocratie. Le 25 janvier, cinq commissaires conciliateurs sont envoyés à Guichen. Le 26, douze commissaires arrivent à Plélan et Guer

pour instruire les habitants des décrets de l’Assemblée Nationale, recevoir les mémoires de leur plaintes et demandes, rapporter des procès-verbaux de l’état des choses et des faits, engager les habitants à attendre dans la paix et la tranquillité l’heureux effet des travaux de l’Assemblée Nationale

Archives communales de Rennes in A.D.I.V. fol° 188 r°

De leur côté, les municipalités de la zone concernée par les révoltes adressent des courriers à la municipalité de Rennes, dont elle attendent secours. La municipalité de Montfort écrit à celle de Rennes le 27 janvier 1790.

Les menaces journalières des paroisses voisines de vouloir venir fondre de jour à autre sur cette ville et particulièrement sur l’hôtel du District sous prétexte de se faire décharger des rentes ci-devant seigneuriales, des octrois et des ennemis du Bien Public menacent de se porter à toutes sortes d’excès contre cette ville, chef-lieu du District, de laquelle ils prétendent qu’émanent toutes les loix qui leur font obstacle.

Registre des délibérations du Conseil municipal de Montfort 23 juin 1756- 2 avril 1791, fol. 100 v°

Le 28 janvier, le vicomte de Mirabeau 6 dénonce à la tribune de l’Assemblée Constituante l’inaction de la municipalité de Rennes et sa responsabilité dans la propagation des émeutes. Ce dernier explique l’insurrection par la violence innée de certaines paroisses de la région.

Une dernière observation préliminaire que j’invite l’assemblée à faire, c’est que les paroisses de Maxant et d’Augan d’où est parti le premier essaim de brigands, sont celles de la province de Bretagne qui ont fourni le plus de mauvais sujets dans tous les temps ; que sept à huit habitants de ces lieux furent roués pour assassinats, il y a quelques années, c’était le digne foyer d’une aussi criminelle insurrection dans lequel le choix des complices pourrait déceler les autres.

ASSEMBLÉE NATIONALE, Archives parlementaires de 1787 à 1860 - Première série 1789-1800, XI, Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1880. [page 366]

La municipalité de Rennes commence à agir sous la pression de l’Assemblée Constituante. Le 28 janvier, des troupes envoyées par les autorités rennaises arrivent dans les cantons de Plélan, Maure, Lohéac, et Bain. Elles ont pour mission de calmer la situation par un discours d’apaisement dans les décisions de l’Assemblée Constituante.

La région de Brocéliande en insurrection

Les causes spécifiques de l’insurrection

Henri Sée constate que toutes les paroisses en révolte dépendent de l’évêché de Saint-Malo. L’historien explique cette localisation des révoltes par le caractère aigu des abus seigneuriaux qui y sont exercés par les procureurs fiscaux.

Les révoltes agraires de janvier 1790 touchent exclusivement les paroisses de la moitié sud de l’évêché de Saint-Malo ou archidiaconé 7 du Porhoët dont le siège est à Saint-Malo-de-Beignon. Les doléances de 1789 expriment de nombreux griefs contre les seigneurs évêques de Saint-Malo et les abbés de Paimpont. Le manoir des évêques de Saint-Malo-de-Beignon est d’ailleurs attaqué le 28 janvier et l’abbaye de Paimpont le lendemain.

L’abbé Martin, auteur d’un ouvrage inédit sur les révoltes paysannes dans la sénéchaussée de Ploërmel (1788-1791) 8 relève quant à lui le caractère spécifique des révoltes agraires dans la région de Brocéliande. Ses recherches s’appuient sur l’étude des cahiers de doléances des paroisses de la sénéchaussée, ainsi que sur une précieuse correspondance inédite conservée au Château du Rox en Concoret. Selon cet auteur, les troubles agraires du pays de Brocéliande trouvent leurs origines dans des raisons locales, indépendantes des causes générales de la Révolution.

Le pays de Brocéliande fut [...] comme le berceau et le foyer principal du mouvement insurrectionnel en Bretagne (1788-1791). Il existait en effet chez les habitants et les riverains de la forêt de Paimpont une tendance séculaire [...] qui les portait à confondre les droits forestiers d’usage avec le droit foncier. D’où procès et rixes parfois sanglantes. Comme ailleurs, l’inégalité devant l’impôt et la corvée des grands chemins provoquaient de nombreuses plaintes de la part des paysans [...] La mortalité fut considérable dans la région de Ploërmel, particulièrement dans les paroisses de Sérent, Guilliers, Loyat, Concoret, et ce malheur fut encore un stimulant de plus à la révolte paysanne. Enfin, la dîme sous toutes ses formes et d’ordre un peu spécial dans la région de la forêt de Paimpont, les procès de fiefs, l’impopularité des procureurs-fiscaux chargés de la cueillette des impôts seigneuriaux et qui, dans l’exercice de leurs fonctions, usaient trop souvent de raideur, de dureté, de procédés vexatoires, telles furent les causes qui contribuèrent le plus [...] au mouvement insurrectionnel de la Jacquerie, dans la région de Ploërmel, au début de la Révolution.

Le déroulement des troubles

Sur la trentaine de paroisses de Haute-Bretagne en insurrection, nombreuses sont en effet les paroisses de la région de Brocéliande : Augan, Guer, Beignon, Plélan, Paimpont, Treffendel, Saint-Péran, Iffendic, Monterfil, Maxent, Concoret, Guilliers, Le Bois-de-la-Roche.

Les premiers troubles naissent dans la région de Maure, Guer et Augan. Ces premières insurrections paysannes sont le fait de bandes organisées pouvant compter plusieurs centaines d’émeutiers. Les premiers châteaux touchés par les émeutes sont ceux de Coëtbo en Guer le 18 janvier, et celui du Bois du Loup en Augan, le 19 janvier. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 232] —

Quelques jours plus tard, l’insurrection s’est étendue à Beignon, Plélan et Paimpont. Du 25 au 28 janvier, les vassaux des seigneurs de Plélan, Saint-Malo-de-Beignon et Paimpont attaquent les châteaux de leurs seigneurs et demandent la fin des droits féodaux.

Dans les jours qui suivent, le versant nord du massif forestier est lui aussi touché par les révoltes agraires. Du 28 janvier au 4 février, les paroisses de Concoret, Iffendic, Saint-Maugan et enfin du Bois de la Roche connaissent elles aussi des attaques de châteaux.

Le foyer de Maure-Guer a donc agi sur une assez vaste région, jusque vers le château de Comper, qui a été incendié, et l’abbaye de Paimpont. Mais, dans les paroisses situées plus au nord, dans l’arrondissement de Montfort, les insurrections sont le fait des vassaux eux-mêmes.

Sée, Henri (1921) op. cit., pp. 234-235

Henri Sée recense l’attaque d’une trentaine de châteaux dans la région touchée par les insurrections. Nous avons pour notre part recensé dix-sept manoirs, châteaux ou abbayes ayant été la cible des émeutiers dans la région de Brocéliande entre le 19 janvier et le 5 février 1790 :

La fin des émeutes

Les révoltes paysannes cessent début févier 1790 suite à l’intervention de l’armée. Dans la majorité des paroisses, la présence de l’armée et de commissaires envoyés par la municipalité de Rennes a suffi à calmer les ardeurs belliqueuses des paysans révoltés. Cependant, deux émeutes ont été matées par l’usage de la force. Le 2 février, l’armée tire sur les émeutiers à Pipriac, faisant deux morts, plusieurs blessés et 9 prisonniers. La dernière émeute de la région, au Bois de la Roche le 5 février se conclut par la mort de plusieurs paysans.

Les expéditions des détachements armés ont duré une douzaine de jours. Toutefois, l’apaisement est superficiel. Une lettre de la municipalité de Rennes signifiant la fin de leur mission aux commissaires et aux détachements de Gardes Nationales envoyés à Plélan souligne la fragilité des résultats de leur action.

Lettre de la municipalité de Rennes aux commissaires du 2 février 1790

La seule chose qu’il nous semble que vous puissiez tenter avant votre départ serait d’assembler le plus grand nombre d’habitants possibles et de leur dire que vous n’étiez pas venus pour soutenir les procureurs fiscaux, mais au contraire pour instruire les habitants, pour les éclairer sur les véritables intérêts, pour recevoir leurs plaintes, pour leur procurer justice et que vous regrettez qu’ils ne vous aient pas accordé plus de confiance ; qu’ils n’aient pas eu plus de déférences à vos avis, que vous leur offrez toujours vos soins et les nôtres, mais que vous êtes obligés de revenir. Nous sommes etc [...]

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1921)

M. de Fouchy, l’un des chefs du détachement envoyé à Plélan, répond à cette lettre avec plus d’optimisme laissant même entendre que sa mission d’apaisement est en voie d’achèvement.

Lettre de M de Fouchi à M. Monthierry, maire de Rennes - Plélan, le 4 février 1790

Je suis fort aise, Monsieur, que la municipalité ait adopté le plan de nous laisser le détachement [de dragons] ici jusqu’à lundi matin et qu’elle nous ait renvoyé les commissaires dont le zèle et les qualités conciliantes peuvent contribuer à ramener le bon ordre. Nous commençons à espérer remplir notre mission sans être sorti des voies de modération. L’exemple de Pipriac, l’enlèvement des prisonniers qu’on vous a envoyés à Rennes, nous préservera d’en faire de ce coté-ci. Les têtes se refroidissent ; en gagnant du temps, les gens se dissipent, et s’il y a du mal, je crois qu’il sera dans des cantons plus reculés.

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1921)

Dans une délibération datée du 6 février 1790, le Comité Provisoire de Rennes, réuni en séance extraordinaire, avoue son impuissance à calmer l’agitation paysanne, sans cesse renaissante. Des troubles ressurgissent à Pipriac en avril 1790 mais c’est surtout dans le nord-ouest du département, dans les districts de Dinan, Broons et Saint-Malo, qu’elle va connaitre un nouveau paroxysme en janvier 1791. — Dupuy, Roger (1972) op. cit., pp. 142-143 —


Bibliographie

ASSEMBLÉE CONSTITUANTE, Réimpression de l’ancien Moniteur : seule histoire authentique et inaltérée de la Révolution française, Vol. 3, Paris, Henri Plon, imprimeur-éditeur, 1860, Voir en ligne.

DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »).

MARTIN, abbé Pierre-Marie, « La Jacquerie dans la sénéchaussée de Ploërmel (1788-1791) », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1943, p. 97-98, Voir en ligne.

SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370.

TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.


↑ 1 • Henri Sée recense trente paroisses de Haute-Bretagne en insurrection : Maure, Guer, Augan, Réminiac, Lieuron, Loutehel, Mernel, Campel, Bruc, Pipriac, Renac, Sixt, Guipry, Lohéac, Saint-Malo de Phily, Guignen, Guichen, La Chapelle-Bouexic, Messac, Lassy, Goven, Plélan, Paimpont, Treffendel, Saint-Péran, Bléruais, Iffendic, Monterfil, Maxent. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 232] —

↑ 2 • La milice nationale de Plélan comme d’autres milices des gros bourgs de Haute-Bretagne nait en effet au moment des troubles agraires.

↑ 3 • Une fuye ou fuie est une petite volière.

↑ 4 • Transcription par Hervé Tigier.

↑ 5 • M. de la Bourdonnaye Montluc, premier président ; le président de Talhouët ; M. Huchet de Cintré à Iffendic ; M. du Breil-Houssoux à Plélan ; M. de Pinieuc à la Chapelle-Bouëxic.

↑ 6 • André Boniface Louis Riquetti de Mirabeau, dit « Mirabeau-Tonneau » puis « Mirabeau-Cravates », nait à Paris, le 30 novembre 1754, et meurt à Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, le 15 septembre 1792.

↑ 7 • Dans l’Église catholique, l’archidiaconé est une circonscription religieuse, subdivision d’un diocèse. Elle est placée sous l’autorité d’un archidiacre, prêtre nommé par l’évêque pour le représenter.

↑ 8 • L’abbé Pierre-Marie Martin, recteur de Réguiny n’a semble-t-il jamais publié cet ouvrage. Il a cependant fait lecture du premier chapitre de cet ouvrage à la Société Polymathique du Morbihan lors de la session du 14 juin 1945.