1750-1814
Guillotin abbé Pierre-Paul
Un prêtre réfractaire à Concoret durant la Révolution
L’abbé Pierre-Paul Guillotin est originaire de Concoret. Vicaire de Saint-Servan au début de la Révolution, il refuse en 1792 de prêter serment à la Constitution civile du clergé et entre en clandestinité. Durant huit ans, il se cache sur sa paroisse natale pour continuer à exercer son sacerdoce. Il consigne sur son Registre les actes cultuels ainsi que la chronique de Concoret pendant la Révolution. Il meurt à Saint-Servan en 1814.
Un enfant de Concoret
Sa famille
Pierre-Paul Guillotin appartient à une famille de notables locaux rassemblant de riches laboureurs, propriétaires terriens, des meuniers, des maréchaux-forgerons, des marchands impliqués dans la Fabrique paroissiale ainsi que des juristes de robe courte 1, des médecins, des chirurgiens et des vétérinaires. Son grand-père, « l’honorable homme » François Guillotin (1684-1732), est un laboureur aisé, marié à « l’honorable femme » Julienne Gendrot appartenant à une famille comptant nombre de régents (maîtres d’école, précepteurs). Les prêtres sont nombreux parmi ses cousins.
Son père François Guillotin (1724-1778) 2 est reçu notaire par Gaël le 15 juin 1741,
3 rejoignant son oncle « à la mode de Bretagne » 4, Joseph Guillotin, aussi notaire et procureur à Gaël.
Il épouse Mathurine Patier (1728-1801) 5 le mardi 14 octobre 1749 à Concoret. Ce couple aura douze enfants, tous nés à Concoret (Morbihan) :
- Pierre Paul (1750-1814)
- Marie (1751-1830) 6
- Marguerite (1753-1816) 7
- Joseph Marie (1755-1757) 8
- François Jean Mathurin (1757-1799) 9
- Anne Julienne (1759- ?) 10
- Jean (1762- ?) 11
- Vincent (1764-1766) 12
- Angélique (1765- ?)
- Paul Mathurin (1766-1770) 13
- Reine Anne (Marie Reine) (1769-1834) 14
- Paul René (1771- ?) 15
Sa jeunesse
Pierre-Paul Guillotin, aîné d’une famille de douze enfants, est né le 24 juillet 1750 au « Vaubossard » en la maison de la Gaudais, hameau de Concoret voisin du château du Rox 16.
Nous ignorons où Pierre-Paul a commencé ses études. Il a probablement suivi l’enseignement donné par un chapelain-régent dans une petite école proche du bourg, comme il était d’usage pour les garçons des familles aisées de Concoret 17. — Notes non publiées de Joseph Boulé (2015) —
À vingt ans, il reçoit la tonsure ainsi que les quatre ordres mineurs. Suivant une pratique fréquente chez les personnes pieuses, son oncle et sa tante, Jacques Guillotin et Françoise Morfouesse, lui assurent un « titre clérical », c’est-à-dire une rente viagère annuelle de 30 livres. Ils mettent à sa disposition leur « maison de devant » et son jardin au « Vaubossard » en Concoret, et à proximité 176,5 sillons de terre, dont 74.5 sillons de terre labourable plantée et 102 sillons pris sur les mauvaises « Landes de Lambrun » 18. — JAMAUX, Alfred, « L’Abbé Guillotin », Annales de la Société d’Histoire et d’Archéologie de l’Arrondissement de Saint-Malo, 2010, p. 225-242. [page 227] —
À partir du 4 septembre 1771, Pierre-Paul Guillotin étudie au petit séminaire diocésain de Saint-Sauveur de Dinan (Côtes-d’Armor). En août 1772, il y obtient une mention « assez bien » à l’examen de passage à l’ordre majeur. Il poursuit alors ses études au séminaire de Saint-Méen (Ille-et-Vilaine) où il est ordonné diacre le 2 septembre 1772. En février 1774, il obtient la mention « assez bien » et continue ses études, en qualité de pensionnaire gratuit, au séminaire de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) 19. Le 27 septembre 1774, il est ordonné prêtre à 24 ans dans la chapelle Saint-Sauveur de Saint-Malo. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 227 — 20
Les cures de Paimpont, Baulon et Saint-Servan
En 1774, Pierre-Paul Guillotin est nommé à son premier poste : chapelain de Saint-Samson de Telhouët en Paimpont. Il y exerce sa charge sous l’autorité du frère génovéfain Jean-François Leroy 21, prieur recteur de la paroisse de Notre-Dame de Paimpont. La frairie de Saint-Samson est limitrophe de sa paroisse natale de Concoret. Le jeune prêtre ne pouvait espérer un poste plus proche de sa famille. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 227 —
En 1776, Pierre-Paul Guillotin est promu à la cure de Saint-Blaise de Baulon (Ille-et-Vilaine), prieuré-cure dépendant de l’abbaye génovéfaine de Saint-Jacques de Montfort. Il y exerce la fonction de curé sous l’autorité du prieur-recteur Jean-Baptiste Magneval 22.
En 1778, il est nommé à la cure de Saint-Servan, faubourg de Saint-Malo. Le bénéfice de cette paroisse est tenu par Mathurin Dumont de 1760 à 1781, puis par Jean Dumont jusqu’à la Révolution. Son premier acte est un baptême daté du 9 mai 1778. Après dix ans de ministère servannais, la Révolution survient.
La cure de Baulon est restée sans desservant depuis la mort de Jean-Baptiste Magneval en 1788. Les deux autorités qui doivent s’entendre pour y pourvoir sont en conflit. Claude Fauchet (1744-1793), abbé de Saint-Jacques de Montfort, ouvert aux idées révolutionnaires, propose deux génovéfains, successivement refusés par l’évêque de Saint-Malo, Cortois de Pressigny (1745-1823). Ce dernier propose d’y placer Pierre-Paul Guillotin qui refuse à son tour. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 229 —
Le 27 septembre 1790, l’Assemblée Constituante vote en faveur d’un serment des clercs à la Constitution civile du clergé. Le recteur de Saint-Servan, Jean Dumont, Pierre-Paul Guillotin et ses deux autres curés, refusent de prêter serment. L’évêque de Saint-Malo quitte le pays le 17 octobre suivant. Les quatre curés réfractaires exercent leurs fonctions jusqu’au 13 mars 1791, date à laquelle ils refusent de lire la proclamation de l’évêque constitutionnel élu. Ils sont alors évincés de la cure de Saint-Servan et remplacés par des curés constitutionnels. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 230 —
1791 — Le chapelain de Beuve en Mauron
Expulsé par les clercs assermentés, l’abbé Guillotin, âgé de quarante et un ans, quitte Saint-Servan pour Concoret en juin 1791.
[...] Le 5 juin 1791, je fus contraint par défaut de serment d’abandonner la cure de Saint-Servan et de me retirer dans mon lieu natal. J’ai été l’espace d’un an chapelain de Beuve.
La chapelle Sainte-Anne de Beuve est située au village de « la Saudraie » en Mauron, limitrophe avec Concoret. Les églises paroissiales étant tenues par des prêtres assermentés, les réfractaires continuent cependant d’exercer leur sacerdoce dans les chapelles frairiennes. Mais le compromis dure peu de temps et bientôt les municipalités confisquent les objets du culte et ferment les chapelles. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 230 —
Outre son activité de chapelain, l’abbé participe avec le recteur Bétaux (1717-1797) 23 à la vie paroissiale de Concoret.
On a dépouillé tous les registres du général de la paroisse jusqu’en 1791 ; son nom ne s’y trouve mentionné qu’une fois à propos d’une grand’messe qu’il chanta et pendant laquelle on fit prêter serment à je ne sais quel officier civil. Toutefois ces registres du général ont certainement eu pour secrétaire l’abbé Guillotin, car on y reconnait sans peine sa belle et régulière écriture.
1792-1793 — Les débuts dans la clandestinité à Concoret
1792
Ce n’est véritablement qu’à l’été 1792 que les lois anticléricales poussent l’abbé vers la clandestinité.
Le 20 août 1792, l’abbé Guillotin prête serment devant la municipalité de Concoret. Il inclut cependant une restriction, ce qui revient à le rendre caduque.
Je réserve formellement ce qui pourrait préjudicier au pouvoir spirituel de l’église catholique apostolique et romaine dans laquelle je veux vivre et mourir.
Pierre-Paul Guillotin assiste alors à la montée en puissance de la répression révolutionnaire.
Le 11 septembre 1792, Mathurin François Marie Viallet est nommé par la municipalité officier public pour enregistrer les naissances, mariages et sépultures et assurer par là l’état-civil des citoyens ; mais comme dans la nouvelle forme d’enregistrement il n’est fait mention ni de baptêmes, ni de bénédiction nuptiale, il paraît nécessaire de tenir un registre particulier par lequel les catholiques puissent reconnaître dans la suite que leurs naissances et mariages ont été sanctifiés par les sacrements et cérémonies de la religion. C’est la raison pour laquelle je tiens le présent à Concoret le 11 septembre 1792.
Il commence alors la rédaction du Registre de Concoret qui permet de le suivre pas à pas dans sa nouvelle condition. Durant presque dix ans, l’abbé Guillotin y consigne près de 700 actes de baptême, 180 célébrations de mariage et près de 350 actes de sépulture. Ces actes dressés dans l’église de Concoret
ou dans une maison particulière à cause de la persécution
sont facilités par la majorité des habitants restés fidèles à la religion catholique, par les autorités municipales elles-mêmes, voire le District. Le Registre est la source quasi exclusive de renseignements concernant l’abbé Guillotin durant sa vie clandestine entre 1791 et 1800.
Un témoignage complémentaire, fort succinct cependant, a été recueilli par l’abbé Jarno, ancien vicaire de Concoret et de Camoël (Morbihan) vers 1900. Il comprend notamment la seule description physique connue de l’abbé Guillotin.
Malgré toutes mes recherches [...] je n’ai presque rien appris touchant le caractère et la personne de l’abbé Guillotin.[...] Il était, semble-t-il d’une taille fort élevée (six pieds deux pouces, selon quelques-uns). On ajoute qu’il ne connaissait pas la peur. [...]
Les mesures contre l’Église catholique, le culte et le clergé se renforcent.
Le 23 septembre 1792, on publie à Concoret un décret de l’assemblée nationale qui ordonne que tous les prêtres, fonctionnaires publics non sermenteurs sortent de la France, sous huitaine, sous peine d’être poursuivis et traités comme rebelles aux lois et comme perturbateurs du repos public.
Une dizaine de prêtres de Concoret partent pour l’exil. Seul reste l’abbé Guillotin, plus ou moins toléré par les autorités :
Le lundi suivant 1eroctobre, la municipalité de Concoret a écrit au district de Ploërmel que tous les prêtres de l’endroit étaient partis, à l’exception d’un qui n’est point fonctionnaire public. Le district a répondu que ce prêtre pouvait rester tranquille, en se comportant avec circonspection. En conséquence de cela, et encore plus à cause de la recommandation que M. Betaux m’a faite de son troupeau, je me décide à dire la messe et à exercer les fonctions curiales à Concoret, avec beaucoup de précautions, et en craignant toujours quelque trahison des ennemis de la religion. Je n’ose plus coucher chez moi.
Le vieux recteur Bétaux lui a en effet remis tous ses pouvoirs ainsi qu’une pierre d’autel. Une semaine plus tard, il célèbre une dernière messe dans l’église Saint-Laurent de Concoret. C’est enfin l’évêque en exil lui-même qui lui transmet des pouvoirs élargis.
En décembre 1792, j’ai reçu de M. Durand de la Furonière, grand-vicaire de Mgr l’évêque de Saint-Malo, alors à Jersey, des pouvoirs très étendus pour tout le diocèse de Saint-Malo, et qui dureront jusqu’à révocation.
1793
En ce début d’année 1793, les messes du curé réfractaire en l’église Saint-Laurent de Concoret sont une exception. Elles attirent de nombreux fidèles des paroisses environnantes :
Je continue à dire la messe à l’église, tantôt à une heure, tantôt à l’autre ; on y vient de trois à quatre lieues à la ronde, attendu qu’ailleurs les prêtres catholiques n’osent plus paraître. M. Duclos, recteur de Saint Liry, célèbre encore publiquement. Tous les habitants de Concoret tiennent mon parti. Ceux de Paimpont, de Plélan, St-Malon et Muel, qui sont révolutionnaires, ne sont pas mes ennemis.
Les autorités républicaines, inquiètes de ces dérogations aux nouvelles lois en vigueur, tentent d’y remédier en nommant un prêtre assermenté que la municipalité de Concoret refuse :
Le dimanche 10 mars 1793, quelques électeurs du district de Ploërmel, y convoqués et assemblés, ont nommé M. Chedaleu, prêtre des environs de Rochefort, pour curé constitutionnel de Concoret, et le mardi suivant la municipalité dudit Concoret, a fait écrire au district, que la paroisse ne veut point de prêtre.
Mais le ton se durcit et l’abbé Guillotin, menacé, célèbre ses dernières messes en l’église de Concoret en avril 1793. Le recteur réfractaire est bientôt l’objet d’une véritable traque :
Le dimanche 6 octobre, je fus dénoncé à la municipalité de Paimpont, pour avoir exercé des fonctions en ladite paroisse, et il y fut décidé de sommer les gendarmes de Plélan et 200 gardes nationaux de Paimpont pour venir me chercher le mercredi soir. J’en fus prévenu et quatre gendarmes vinrent fouiller chez moi au Vaubossart et couchèrent au Rox. Les fusiliers de Paimpont fouillèrent chez mes parents, au bourg, à la Chauvelais, à la rue Eon, et je passai cette nuit sur la lande de Renihal, avec M. Clouet, curé du Bran.
Durant l’année 1793, l’abbé Guillotin a enregistré 67 baptêmes, 40 mariages et 30 sépultures. Après le 2 mars, tous les actes sont enregistrés dans des maisons particulières à cause de la persécution
. Loin de se limiter à Concoret, l’abbé baptise de nombreux enfants sur les paroisses voisines de Gaël, Beignon, Campénéac, Muel, Le Bran, Paimpont, et Néant. — Héligon, abbé Joseph Judicaël (1904) op. cit., p. 304 —
1794-1796 — L’escalade de la violence
1794
En ce début d’année 1794, les autorités font descendre les cloches de l’église de Concoret. La municipalité cache le mobilier et le chemin de croix. De nombreuses croix sont abattues et remplacées par des chênes de la Liberté. La République, qui a fait appel à des levées en masse de soldats, instaure la Terreur. Bientôt la guerre civile touche la région. Le combat des Landes de Beignon entre les chouans de Joseph de Puisaye et les troupes républicaines marque l’entrée de la région de Paimpont dans la première chouannerie. Les chouans traversent la forêt et passent par Concoret, poursuivis par les républicains sous le regard de l’abbé Guillotin. L’abbé continue cependant à marier, baptiser, enterrer et faire la messe malgré une pression de plus en plus forte.
Le 29 juin, au matin, quinze soldats républicains sont venus en garnison à Concoret pour chercher les prêtres catholiques et les garçons déserteurs, afin de fusiller les premiers et de conduire les autres à l’armée, Concoret ayant été dénoncé par les patriotes de Paimpont comme un refuge de prêtres réfractaires et de déserteurs. Ces soldats ont fait des recherches étonnantes dans les villages de la Rivière, la Roche, le Vaubossart, le Rox et la Chanvelaie. Ils ont enfoncé les portes, brisé les meubles, percé les couettes à coups de sabres, volé argent, linge et ce qu’ils pouvaient emporter. Ils ont trouvé dans la grange du Gave, au Vaubossart, un paquet caché, dans lequel étaient un vieil ornement pour célébrer la messe, une vieille écharpe, un rochet, quelques hardes noires à l’usage des prêtres et une caisse qui contenait plusieurs corporaux et purificatoires. S’étant habillés dans ces ornements, ils ont fait, le long du chemin jusqu’au bourg, toute sorte de dérisions contre le sacrifice de la messe et contre les prêtres. Mathurine Laguillée, leur ayant avoué avoir caché ce paquet lors du départ des prêtres, a été incarcérée deux jours. C’est moi qui avais donné cela à garder. Cette garnison, redemandée du district pour une autre expédition, est partie à la hâte le 2 juillet.
Selon le témoignage de l’abbé Jarno, l’abbé Guillotin se cache alors dans de nombreuses maisons de la région.
L’abbé habitait un peu partout selon le hasard des circonstances et des dangers. Lorsque la région devenait plus calme, il rentrait secrètement à la maison paternelle du Vaubossard où madame Guillotin se faisait son infatigable complice et se retirait ensuite à la moindre alerte vers la forêt de Paimpont, les vallées voisines obstruées d’impénétrables taillis et les rochers de Lambrun.
À la fin de l’année 1794, l’abbé réfractaire a célébré 136 baptêmes et 32 mariages clandestins. Parmi ces actes figure celui du baptême du fils d’un fervent républicain, fonctionnaire au district.
Jean-Baptiste-Armand Viallet, ci-devant procureur au parlement, et de demoiselle Julie Buchet, né au lieu de Bellevue, près le bourg de Concoret, le dimanche de la Quasimodo, a été baptisé secrètement, le lendemain, par moi soussigné.
1795
Début 1795, on accorde 60 francs de prime à celui qui arrête un prêtre réfractaire. Les Concorétois réparent cependant leur église en avril et le maire invite à nouveau l’abbé Guillotin à y célébrer la messe.
Le dimanche 30 août, cinq « bleus » interrompent la messe et menacent l’abbé réfractaire.
[...] trois particuliers de Plélan et deux de Gaillarde, armés de fusils, se sont présentés au bourg de Concoret, à l’issue de la dernière messe et ont insulté et menacé plusieurs personnes. Ils sont revenus au commencement de vêpres.[...] Au sortir de l’église, ils ont dit hautement que les prêtres réfractaires ne diront pas longtemps la messe et que si j’avais prié pour le Roi, à la prière, ils m’eussent fusillé dans l’église.
Le 20 septembre, l’église est à nouveau fermée. L’abbé Guillotin conclut son registre pour l’année 1795 sur cette phrase.
La Bretagne est actuellement livrée à toutes les horreurs de la guerre civile par les pillages, les massacres et les combats journaliers entre les royalistes et républicains.
Malgré toutes ces violences, l’abbé Guillotin a célébré 140 baptêmes, et 26 mariages clandestins en 1795.
1796
L’année 1796 débute elle aussi dans la violence.
Cette année a commencé par de nouvelles poursuites contre les prêtres catholiques, un nouvel acharnement entre les royalistes et les républicains et une plus affreuse guerre civile. On n’entend parler de toute part que de meurtres et de brigandages. Les routes sont impraticables, le commerce tout-à-fait interrompu, les haines et les vengeances continuelles. Chacun tremble chez soi la nuit et le jour, et le désordre ne fait qu’augmenter.
L’abbé Guillotin songe pour la première fois depuis le début de sa clandestinité à retourner à Saint-Servan.
Le 22 janvier, au soir, je me mets en route pour me rendre à Saint-Servan. Malgré tous les dangers des chemins, je parviens jusqu’à Saint-Maden, où j’apprends que Saint-Servan, étant en état de siège, est presque impénétrable. Le 2 février, jour où je devais tenter la route, un combat a eu lieu à la Houssais entre les républicains et les royalistes, ce qui m’obligea de revenir à Concoret, où j’arrive le 6 février.
La garnison républicaine de Gaillarde commet de nombreuses exactions à Concoret. La liste des fusillés s’allonge.
[...] les royalistes et les républicains se font une guerre continuelle sur le terrain de Concoret qui, étant censé favoriser les royalistes, est dévasté par les autres, surtout le bourg, le Tertre, Brandeseuc, la Chauvelaie, le Vaubossart, la Roche et la Haye.
Pourtant, selon un témoignage rapporté par l’abbé Jarno, jamais les républicains de Gaillarde ne se sont attaqués à l’abbé Guillotin.
Un vieillard me raconta que les patriotes du camp de Gaillarde le craignaient à cause de sa haute influence sur ses compatriotes ; d’autres m’ont affirmé que le commandant de ce poste défendait à ses hommes de lui faire aucun mal et que le prêtre allait pendant la nuit jusqu’aux abords du cantonnement baptiser les enfants et assister les malades ; son devoir accompli, il ne s’attardait jamais malgré les invitations les plus pressantes. Le chef de camp ne l’ignorait pas, mais laissait faire par politique, car en cas de mort de M. Guillotin malheur fut arrivé à toute la garnison de Gaillarde.
Sur la fin juin 1796, la grande majorité des chouans déposent les armes aux chefs-lieux de départements, par accord passé entre les chefs des deux partis. De juillet à septembre, une épidémie de dysenterie touche Concoret et les paroisses voisines, tuant un grand nombre d’enfants et de vieillards. Certains prêtres exilés reviennent à Concoret, déchargeant l’abbé Guillotin de son ministère. L’abbé peut enfin se rendre à Saint-Servan où il reste quatre mois.
Le 24 septembre, j’ai quitté Concoret pour me rendre à ma cure de Saint-Servan, où je suis arrivé le 28 avec beaucoup de difficulté.
1797-1799 — Les dernières années de clandestinité
1797
Le 29 janvier 1797, l’abbé Guillotin est de retour à Concoret après quatre mois passés à la cure de Saint-Servan. La République atténue la répression contre les prêtres qui peuvent à nouveau circuler et officier.
Le 8 mars, j’ai retourné à ma cure de Saint-Servan, M. Regnard restant à Concoret. En mars et avril, les prêtres catholiques ont recommencé à dire la messe dans les églises de Gaël, Mauron , Beignon et quelques autres, les patriotes les y engagent et même les y contraignent par menaces. Le 5 mai, je suis revenu de Saint-Servan, Concoret étant resté sans prêtre, M. Regnard étant allé à Glac.
Le dimanche 11 juin 1797, l’abbé Guillotin célèbre la messe à voix basse
en l’église de Concoret en raison de l’état de délabrement dans laquelle elle se trouve après plusieurs années de Révolution.
J’ai trouvé l’église remplie des débris des autels et de toutes les choses servant au service divin, les statues des saints réduites en charbon , etc. ; attendu que le culte public pour le présent n’est pas conforme à l’avis de nos évêques, et que notre église est si dévastée, je refusais d’y dire la messe quoiqu’on la disait dans les paroisses voisines. Mais M. ***, commissaire national, ayant ordonné que je l’y célébrasse où que je sortisse de la paroisse [...]
En juillet 1797, plusieurs prêtres reviennent d’exil, rassurés par la nouvelle politique menée par la République. Mais le 4 septembre 1797 (18 fructidor an V), le Directoire qui gouverne la France organise un coup d’État contre les députés royalistes, qui étaient redevenus majoritaires dans les deux Assemblées et menaçaient de rétablir l’Ancien Régime. La répression s’intensifie de nouveau contre les émigrés, les chouans et les prêtres réfractaires.
Ils ont fait porter un décret qui défend, 1° la rentrée des prêtres exilés et ordonne à ceux qui sont rentrés de sortir de France sous quinzaine ; 2° qui défend aux prêtres restés en France de faire aucune fonction de leur ministère, à moins qu’ils n’aient prêté le serment de haine à la royauté et d’inviolable soumission aux lois de la République.
Le 14 septembre l’église Saint-Laurent de Concoret est désornée et ses portes fermées. L’abbé repart pour Saint-Servan du 23 septembre au 11 novembre 1797.
Le samedi 16 décembre, des soldats et gendarmes sont venus à Concoret pour chercher des prêtres catholiques et enlever les armes. Depuis quelques semaines, on fait des fouilles dans les environs chez les prêtres et on en a pris plusieurs.
L’abbé Guillotin enregistre 57 baptêmes et 15 mariages pour l’année 1797. Certains d’entre eux sont célébrés par d’autres prêtres revenus au pays, MM. Regnard, prêtre de Concoret, Peruchot, prêtre du Bran, Bernard, vicaire de Mauron , Roblair , vicaire de Néant, et Clonet, recteur de Gaël.
1798
L’année 1798 est marquée par de fortes persécutions contre l’Église et la foi catholique. La semaine est remplacée par la décade et le dimanche est aboli.
Le dimanche, 12 août, jour où l’on célébrait la fête de St Laurent, patron de la paroisse, neuf soldats de la garnison de Méen sont venus à Concoret et y ont fait des patrouilles de nuit.[...] Le 20 septembre et jours suivants, des gendarmes déguisés sont venus chercher les prêtres catholiques par Concoret et Paimpont.
Malgré le danger d’une arrestation suivie d’une condamnation à mort, l’abbé continue à exercer son sacerdoce.
Le dimanche 25 novembre, j’ai béni une croix plantée proche la Fervaie, dite la Croix-Grand-Pierre, laquelle avait été ci-devant brisée par les patriotes. Le 28 novembre, j’ai béni à Trébran une maison servant ci-devant d’étable à laquelle Jean Besnard et Julienne Bouesnard son épouse, ont fait faire une cheminée pour y demeurer. J’y ai dit la messe.[...] Le 4 décembre , j’ai béni au Vaubossart une maison que Pierre Le Feubvre, tailleur et Gabrielle Minier ont fait bâtir en une maison appartenant ci-devant aux Pongerard. J’y ai dit la messe.
Durant l’année 1798, l’abbé Guillotin mentionne 81 baptêmes et 31 mariages sur son Registre.
1799
En ce début 1799, les mesures anticléricales se poursuivent. À cette répression s’ajoute un froid intense, et un tremblement de terre ressenti à Concoret le 5 janvier. Quelques jours plus tard, l’abbé chute et se casse le bras.
Le 10 janvier, je me suis cassé le bras droit la nuit sur la glace et j’ai été plus d’un mois sans pouvoir m’en servir.
L’abbé ne donne aucun renseignement sur son activité. Son Registre pour l’année 1799 ne mentionne que les nombreux faits marquants. La guerre civile entre républicains et royalistes fait de nombreuses victimes de part et d’autre. L’abbé Guillotin s’épanche longuement sur la mort en captivité du pape Pie VI dans les prisons républicaines de Valence.
La troisième chouannerie débute à l’automne 1799. Les républicains de Concoret et de la garnison de Gaillarde quittent la campagne, devenue trop dangereuse, pour les bourgs et les villes. Un nouveau coup d’État a lieu les 9 et 10 novembre 1799 (18 Brumaire), portant le général Bonaparte au pouvoir.
Durant l’année 1799, l’abbé Guillotin mentionne 84 baptêmes et 21 mariages.
Le retour à Saint-Servan à partir de 1800
L’abbé Guillotin poursuit l’écriture de son Registre dans les premiers mois de l’année 1800. Remplacé par Joseph Bigarré, natif de Mauron, l’abbé Guillotin peut quitter Concoret. Il s’installe définitivement à Saint-Servan à partir du 15 mars 1800. Le Concordat signé le 16 juillet 1801 entre le Premier consul Bonaparte et le pape Pie VII permet à de nombreux prêtres déportés du diocèse de Saint-Malo de revenir en leur paroisse sous la conduite de l’abbé Le Saout, recteur de Saint-Malo. L’église de Saint-Servan est réouverte au culte le 31 octobre 1801. Le 8 avril 1802, le Concordat est promulgué. Le 1er avril 1803, l’abbé Guillotin ouvre le registre des sépultures de Saint-Servan.
Selon la nouvelle organisation ecclésiastique, l’évêché de Saint-Malo n’existe plus. Il y a un évêque pour chaque département et chaque chef-lieu de canton devient une « cure de première classe » avec un curé à sa tête. Les autres paroisses prennent le statut de « succursale », avec un prêtre desservant. Pierre-Paul Guillotin, ancien prêtre du diocèse de Saint-Malo, devient alors prêtre du diocèse de Vannes puisque Concoret, sa paroisse, est devenue morbihannaise. Pourtant, l’abbé Guillotin déroge à la nouvelle règle instaurée par le Concordat et occupe son ancienne charge de vicaire à Saint-Servan. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 234-235 —
Revenu à son poste, après la Révolution, il s’occupa surtout de régulariser les unions contractées durant son absence. L’église de Saint-Servan possède encore sur ce chapitre, un registre entier fait de sa main. Le nombre de mariages ainsi revalidés est considérable.
Le 25 septembre 1812, il signe en l’étude de Maitre Robert, notaire à Paimpont, un testament en faveur de ses deux sœurs célibataires, Anne-Julienne, résidant au bourg de Concoret et Marguerite qui habite au Vaubossard.
Il célèbre un dernier mariage le 1er décembre 1813 et tombe gravement malade un mois plus tard. Il décède le 28 janvier 1814, âgé de 63 ans. Il est inhumé au cimetière de la Vigne-Chapt à Saint-Servan.
L’an mil huit cent quatorze, le vingt huit janvier aux cinq heures du matin. Nous Pierre Charles Cousin juge de paix du canton de Saint-Servan, premier arrondissement, département d’Ille-et-Vilaine, assisté de M. Placide Michel Plainfossé notre adjoint. Sur l’avis nous donné que M. Pierre Paul Guillotin, l’un des vicaires de cette ville, venait de décéder en son domicile rue du Centre, chez M. André Collet où il était en qualité de pensionnaire, nous nous sommes transportés d’office chez le dit Sr Collet et lui avons fait part du motif de notre présence, attendu l’absence des héritiers du prédit feu Sr Guillotin ; à quoi il nous a répondu qu’il était prêt à nous montrer tout ce qui appartenait au dit défunt, et nous conduit dans une chambre au premier étage ayant son ouverture sur ladite rue du Centre et sur la cour au midi ; où nous avons procédé à l’annotation des objets appartenant au défunt.
Le 2 mars 1814, sa sœur Anne Julienne, munie d’une procuration, se présente devant le juge de paix de Saint-Servan pour récupérer les quelques objets que possédait son frère. — Jamaux Alfred (2010) op. cit., p. 236 —
Le chêne à Guillotin
Cet arbre remarquable, plusieurs fois centenaire, est situé aux Rues Éon en Concoret, à une centaine de mètres du château du Rox. D’abord appelé « Chêne des Rues Éon » au 19e siècle, il devient « Chêne à Guillotin » à partir de la fin des années 1960. Pourtant, aucun élément historique n’a jamais mentionné l’utilisation de cet arbre creux comme refuge pour l’abbé Guillotin sous la Révolution.