1839-1910
L’abbé Fouré
Des Forges de Paimpont aux rochers sculptés de Rothéneuf
1839-1863 — Naissance et jeunesse
Adolfe Julien Fouéré est né le 4 septembre 1839 à Saint-Thual (Ille-et-Vilaine) de François Fouéré, cabaretier et de Anne Redoute. — ALTMAN, Frédéric, La vérité sur l’abbé Fouéré, "l’ermite de Rothéneuf" : Le sculpteur des rochers de Rothéneuf (1839-1910), Nice, éditions A.M., 1985, 128 p. [page 19] —
Il passe son enfance dans cette paroisse. Remarqué par l’abbé Régeard, il est préparé à des études ecclésiastiques.
Son enfance, bercée des souvenirs de la Révolution, s’écoula au milieu des landes paisibles de Saint-Thual : c’est là que naquit dans son âme de paysan, le goût de la solitude et la rêverie. Le recteur de la paroisse, l’abbé Régeard, ayant remarqué sa piété, lui enseigna les premières notions de latin.
Adolfe Fouéré fait ses études au petit séminaire de Saint-Méen-le-Grand (Ille-et-Vilaine) puis au grand séminaire de Rennes. Il est ordonné prêtre le 19 décembre 1863, à 24 ans, sous le nom d’Adolphe Fouré.
1864-1877 — L’abbé Fouré à Paimpont
L’abbé Fouré est nommé 4e vicaire de la paroisse de Paimpont en 1864, en charge de la chapelle Saint-Éloi-des-Forges de Paimpont 1. — ARCHIVES DÉPARTEMENTALES D’ILLE-ET-VILAINE, et LES AMIS DE L’OEUVRE DE L’ABBÉ FOURÉ, Sculpteur d’Histoire(s) : La vie et l’oeuvre de l’Abbé Fouré - Livret d’exposition, Département d’Ille-et-Vilaine, 2023, 23 p., (« Bande dessinée et histoire »). [page 7] —
Dès sa première nomination le jeune abbé est projeté dans un contexte très différent du milieu rural dans lequel il a grandi à Saint-Thual. Ses ouailles - les familles ouvrières du hameau des Forges - vivent au rythme des aléas de l’activité métallurgique.
1855-1876 — Apogée et déclin des Forges de Paimpont
Entre 1855 et 1857, les Forges de Paimpont bénéficient de la construction de la ligne de chemin de fer Paris - Rennes, nécessitant une grande quantité de fer en barres. — CUCARULL, Jérôme, « Les forges de Paimpont (17 - 19e siècles) », Gavroche, Vol. 62 / mars-avril, 1992, p. 15-19, Voir en ligne. —
Mais la construction achevée, ce nouveau mode de transport accroît la concurrence, face à laquelle les Forges ont du mal à résister. En 1860, la signature du traité de libre-échange franco-britannique 2 amplifie les difficultés des Forges de Paimpont à résister à une concurrence désormais internationale.
Le 31 décembre 1865, la banque Seillière, gérante des intérêts du duc d’Aumale en forêt de Paimpont, ferme les deux hauts fourneaux, plongeant la région de Paimpont dans la crise.— DENIS, Michel, « Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du XVIe au XIXe siècles », Annales de Bretagne, Vol. 64 / 3, 1957, p. 257-273, Voir en ligne. [page 269] —
1865 — Le voyage en Angleterre de l’abbé Fouré
Selon la « petite histoire », l’abbé Fouré se serait rendu en Angleterre en 1865 afin de défendre la cause des ouvriers des Forges de Paimpont - alors en grève - auprès du duc d’Aumale.
En 2013, un article de Libération s’appuyant sur le travail de recherche effectué par l’Association des Amis de l’Oeuvre de l’Abbé Fouré, évoquait le caractère « légendaire » de cet épisode.
En revanche, dans les récentes recherches, rien n’accrédite ou n’infirme une autre légende qui court sur l’abbé : un voyage en Angleterre pour plaider la cause des ouvriers des forges de Paimpont (où il avait aussi été curé) auprès de leurs propriétaires qui envisageaient de les fermer. Mais le personnage vaut bien quelques mystères !
En 1907, Eugène Herpin (1860-1942) 3 - historien et journaliste à Côte d’Émeraude sous le nom de plume de « Noguette » 4 - rencontre l’abbé Fouré à Rothéneuf afin de recueillir son témoignage.
À cette époque - nous sommes en 1866 - la forêt de Paimpont appartenait aux princes d’Orléans, et les forges avec leurs hauts fourneaux étaient en pleine prospérité. Un jour, le bruit se répandit que les hauts fourneaux allaient être éteints. Le bon recteur partit aussitôt pour Londres, plaida chaleureusement leur cause auprès du comte de Paris, des ducs d’Aumale et de Chartres, et ne revint dans sa forêt de Brocéliande qu’au bout de six semaines, sans avoir pu, hélas, gagner son procès.
En 1919, « Noguette » reprend la matière de cet interview dans une brochure biographique sur l’Ermite de Rothéneuf, sans cependant rien apporter de nouveau à ce qu’il avait écrit douze ans auparavant concernant l’épisode du voyage en Angleterre 5.— NOGUETTE, La Vie de l’Ermite de Rothéneuf, Saint-Malo, Imprimerie R. Bazin, 1919, 9 p., Voir en ligne. page 3 —.
Il est à noter qu’aucune mention d’une grève aux Forges n’apparait dans ces deux textes. Les recherches menées par nos soins ne nous ont par ailleurs pas permis de trouver trace d’une grève à Paimpont en 1865 ou 1866. Il est fort probable que « l’invention » de cette grève - qui n’exclut pas un mouvement social lié à la fermeture des Forges 6 - soit le fait de Frédéric Altman, premier auteur à la mentionner en 1985.
L’abbé est allé en Angleterre pour défendre auprès des propriétaires des Forges de Paimpont, la cause des ouvriers en grève. Il échoua dans sa tentative pour maintenir l’activité des Forges de Paimpont.
En 2021, un article du Télégramme écrit à partir du travail de l’Association des Amis de l’Oeuvre de l’Abbé Fouré évoque à son tour le voyage de l’abbé en Angleterre, insistant sur le caractère social et novateur de la médiation du vicaire de Paimpont.
C’est dans le contexte des célèbres forges à bois que ce catholique social fait entendre sa voix. En 1866, les hauts fourneaux de la capitale du pays de Brocéliande - qui font vivre trois cents personnes - sont sur le point de s’éteindre. En cause ? Les innovations technologiques et l’ouverture commerciale par Napoléon III vers plusieurs pays frontaliers, permettant d’employer une main-d’œuvre à moindre coût. Deux ans après l’abrogation du délit de grève, un mouvement social se déclenche et l’abbé Fouré monte au front. Il ira jusqu’à rencontrer le propriétaire des forges, le duc d’Aumale, en exil en Angleterre après la révolution de 1848. Las, il n’obtiendra rien de lui. Les hauts fourneaux stoppent leur production… Jusqu’en 1870, où la guerre contre la Prusse va pousser l’Empire à rouvrir les forges. Pour l’abbé Fouré, ce combat est fondateur. Quatre ans avant la Commune de Paris, un ecclésiastique engageait une lutte sociale, sous un régime autoritaire et peu en phase avec l’Église, mais qui a su en tirer parti pour éviter les mouvements de protestation. « Louis-Napoléon ne nourrit aucune sympathie pour l’Église, mais y voit un antidote efficace contre l’esprit révolutionnaire », analyse l’historien Michel Guironnet.
En 2023, le travail conjoint de recherches, menées par les Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine et l’association des Amis de l’Œuvre de l’Abbé Fouré aux Archives du musée Condé du château de Chantilly, permet de prouver l’existence de ce voyage en Angleterre 7.
Sensible aux conséquences qu’un arrêt de l’activité pourrait avoir pour des familles entières, l’abbé fouré et Joseph Eveillard - 1er vicaire - partent outre-Manche pour plaider la cause ouvrière en mai 1865. Encouragés par l’archevêque de Rennes, ils sont recommandés auprès de l’évêque de Southwark, un proche de la famille d’Orléans. Malgré une entrevue avec Édouard Bocher, secrétaire du duc, les forges sont mises à l’arrêt en décembre 1865.
L’abbé Fouré est nommé premier vicaire de la paroisse de Paimpont à la fin de l’année 1870. Il quitte Paimpont pour Guipry en 1877. — Les Amis de l’Œuvre de l’Abbé Fouré (2023) op. cit. p. 7 —
1887-1889 — Le recteur de Maxent
Après Paimpont, l’abbé Fouré est nommé vicaire dans deux paroisses d’Ille-et-Vilaine, Guipry (1877-1881), puis Forges-la-Forêt (1881-1887).
Il revient dans la région de Brocéliande en juillet 1887 en tant que recteur de Maxent, avec mission de reconstruire l’église. L’affaire est urgente, l’ancienne abbaye du 9e siècle, partiellement reconstruite au 17e, menace ruine.
Le nouveau recteur est à l’origine du projet d’église romano-byzantine 8 à plan centré dont Arthur Regnault lui propose très vite un premier plan, daté du 8 octobre 1887, et un projet finalisé en septembre 1888. Préalablement, l’architecte a pu montrer à l’abbé une réalisation comparable à Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) dont le clocher à bulbe était en voie d’achèvement (1881-1890). Après le départ précipité de l’abbé en février 1889, son successeur, l’abbé Brizou, conduit le chantier, remanié à moindre coût - la construction de la sacristie et du clocher sera différée - jusqu’à son terme (1893 et 1896) — ANDRIEUX, Jean-Yves, Arthur Regnault, architecte (1839-1932) : La quintessence de l’art sacré, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. —.
Il serait intéressant de savoir pourquoi le célèbre auteur des rochers sculptés de Rothéneuf fut dessaisi de sa tâche, malheureusement le livre de paroisse pour cette époque est égaré. […] On peut supposer que l’ombrageux recteur se montra trop proche des fermiers face aux tout puissants et très catholiques châtelains de Poulpiquet du Halgouët, incontournables donateurs (il eut également des soucis avec le châtelain de Saint-Thual, son village natal).
Des recherches menées aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine ont permis de mettre au jour des querelles internes
à l’origine de son départ précipité de Maxent.— Les Amis de l’Œuvre de l’Abbé Fouré (2023) op. cit. p. 9 —
L’abbé Fouré est l’auteur présumé d’une tête de chevalier casqué
en pierre (15 kg) grossièrement sculptée, longtemps restée dans la cour de l’ancien presbytère de Maxent 9.
Il quitte cette paroisse en février 1889 puis occupe la charge de recteur de Langouët (Ille-et-Vilaine) de 1889 à 1893.
1889-1893 — le recteur de Langouët
L’abbé Fouré arrive à Langouët (Ille-et-Vilaine) en 1889 avec une dureté d’oreille
10. En 1893, il est victime d’un accident vasculaire qui accentue sa surdité. Il est alors contraint par le diocèse - malgré une pétition de ses paroissiens voulant le conserver - d’abandonner son ministère.
La légende voulait qu’il soit sourd et muet, ce qui aurait justifié qu’il arrête son ministère. En fait, à Langoët, sa dernière paroisse, il avait eu des démêlés avec des familles puissantes et l’ancien prêtre à propos d’une donation et une polémique autour de l’école du village. En pleine guerre scolaire et laïque, il avait été démis discrètement de ses fonctions.
1893-1910 — Le sculpteur de Rothéneuf
En 1893, Adolphe Fouré, démis de ses fonctions de recteur de Langouët, part s’installer à Rothéneuf (Ille-et-Vilaine) 11 en tant que prêtre habitué 12.
C’est le hasard qui en 1893, m’a fait choisir Rothéneuf 13, j’écrivis au recteur que je connaissais. Il me loua un petit logement, après ma démission de recteur et ne voulant pas rester inactif, je me mis sculpteur de roches...
Entre 1894 et 1907, il réalise près de trois cents sculptures, parsemées sur la pointe de la Haye, à Rothéneuf qui l’inscrivent avec l’un des ses contemporains, le facteur Cheval 14, comme l’un des pionniers de l’Art Brut.
Brocéliande dans l’œuvre de l’abbé Fouré
Les quinze années passées aux Forges de Paimpont ont, semble-t-il, particulièrement marqué l’abbé Fouré. En 1907, alors installé à Rothéneuf, il se confie à « Noguette », venu l’interroger.
Grand pêcheur autant que grand chasseur, notre ermite semble avoir conservé un souvenir particulièrement cher de son séjour à Paimpont. Et dans son œil profond, il a encore, je crois, la vision des chevreuils qui tombèrent sous les coups de fusil de sa bonne rouillasse.
Selon le même « Noguette », son séjour en Brocéliande aurait fortement influé sur la vocation et l’inspiration artistique de l’abbé.
De cette période de sa vie, il conserva un inaltérable souvenir. Grand pêcheur, ainsi qu’intrépide chasseur, épris de la vie contemplative, il aimait sa chère paroisse dont le clocher se mire dans l’étang sur lequel glissent, dans les robes du brouillard, les "mystérieuses dames blanches". Il aimait s’égarer dans les mystères de cette forêt de Brocéliande où les légendes, dit le folkloriste, sont nombreuses autant que les feuillages. Ce fut dans le domaine de Merlin l’enchanteur, de la fée Viviane et du Val sans Retour, dans ce paradis breton des fées, des chevaliers de la table ronde, du roi Arthur... que le futur sculpteur de Rothéneuf trouva sa tournure d’esprit et d’inspiration des œuvres futures.
Les lieux communs de « Noguette » concernant l’influence de Brocéliande sur le cheminement artistique de l’abbé Fouré ne résistent pas à l’examen de ses œuvres. Dans les faits, aucun des rochers sculptés de Rothéneuf ne fait explicitement référence à la forêt légendaire. Seules trois œuvres aujourd’hui disparues peuvent prétendre être liées au séjour de l’abbé aux Forges de Paimpont.— LES AMIS DE L’OEUVRE DE L’ABBÉ FOURÉ, « L’abbé Fouré et ses sources d’inspirations », 2022, Voir en ligne. —
« L’isolé »
Selon Frédéric Altman, un des rochers sculptés par l’abbé Fouré à l’écart des autres rochers - et pour cette raison appelé « L’isolé » - est injustement dénommé « Jean IV duc de Bretagne » 15. Il représenterait Judicaël, roi de Domnonée du 7e siècle honoré comme étant le fondateur de l’abbaye Notre-Dame de Paimpont. — Altman, Frédéric (1985) op. cit. p. 113-114 —
Des recherches menées par l’Association des Amis de l’Oeuvre de l’Abbé Fouré permettent d’écarter cette hypothèse. L’étude d’une carte postale ancienne représentant cette sculpture montre que l’abbé avait lui même écrit le nom du duc de Bretagne sur le blason qu’il avait sculpté sur un rocher attenant.
« La Fée Viviane »
Un personnage d’une mosaïque faite sur un fond de baril
, autrefois exposée dans la « Grande Galerie » du salon, représentait la « Fée Viviane ». Cette œuvre aujourd’hui disparue n’aurait, là encore, que peu de rapport avec la forêt de Paimpont. Le guide du musée de 1919 indique qu’il s’agit de la Fée Viviane de Saint-Coulomb
. Tout au plus peut-on imaginer que l’abbé a trouvé des ressemblances entre une femme de ce village voisin de Rothéneuf et la légende de la Fée Viviane de Brocéliande. — NOGUETTE, Guide du musée de l’ermite de Rothéneuf, Saint-Malo, Imprimerie R. Bazin, 1919, 18 p., Voir en ligne. page 9 —
« Merlin l’enchanteur, le jeteur de sort »
La sculpture intitulée « Merlin l’enchanteur » était - du vivant de l’abbé - exposée dans son salon, en compagnie d’autres œuvres de la « Galerie mystique ».
Merlin l’enchanteur, le jeteur de sort
Qui est en train de fasciner et d’hypnotiser Victorine du Lupin. Les visiteurs sont frappés de certaine ressemblance de l’Enchanteur Merlin avec un grand personnage qui a joué un rôle important pendant la grande guerre. C’est à se demander si l’Ermite, en faisant son dragon volant, signe précurseur des aéroplanes, et Merlin l’Enchanteur, n’avait pas voulu prédire la grande guerre et son dénouement. Victorine serait alors la nation battue, hypnotisée, en un mot, qui lui aurait jetée le sort.
Au centre de la carte postale, « Saint Mamert », l’un des six guérisseurs bretons. Sur sa droite, Rose et Lucus puis « Merlin l’enchanteur » et « Victorine Lupin », surmontés d’un « dragon volant ».— Altman, Frédéric (1985) op. cit. p. 48 —
« Un pèlerinage ouvrier en 1889 »
Une sculpture sur bois, aujourd’hui disparue, apparait comme un dernier clin d’œil de l’abbé aux ouvriers de Forges de Paimpont 16. L’œuvre intitulée « Un pèlerinage ouvrier en 1889 » 17 met en scène un ouvrier métallurgiste. Cette statue dont aucune carte postale ancienne ne semble avoir gardé la mémoire, était elle aussi exposée dans le salon de l’abbé.
Huit ou dix mille ouvriers français de tous corps de métiers ont été en pèlerinage à Rome. Le pape leur a donné ou ils ont acheté une maquette représentant le Pape, cette maquette a été remise à l’Ermite qui l’a entourée de sculptures. Mais ce qui fait la curiosité de ce tableau c’est que l’Ermite y a symbolisé la profession de l’ouvrier, en y mettant un tire-point et une clef, pour faire remarquer que l’ouvrier qui avait fait le pèlerinage était un ouvrier du fer.