L’accident ferroviaire de Gaël - Saint-Méen
Une catastrophe étonnamment oubliée
Le 29 novembre 1883, lors de l’achèvement de la ligne de la Brohinière à Ploërmel, a lieu un grave accident ferroviaire entre deux trains qui se télescopent en fin de journée. Le bilan est de 17 morts et 19 blessés. La majorité des victimes sont originaires du Morbihan, parmi lesquelles huit habitent des communes traversées par la ligne.
À partir de la seconde moitié du 19e siècle et jusqu’au premier tiers du 20e siècle, le chemin de fer connait en France un très fort développement. La Bretagne bénéficie de ce réseau ferroviaire grâce à plusieurs lignes : deux principales (nord et sud), cinq du Réseau Breton 1, ainsi que des lignes transversales.
La ligne Ploërmel - La Brohinière est la plus importante des lignes d’intérêt général 2 de la région. Elle permet de rejoindre au nord la ligne Rennes - Brest et au sud celle de Savenay à Landerneau. Elle est à voie unique et à écartement standard (1 435 millimètres).
Les travaux débutent en décembre 1880. Le 20 novembre 1883, la ligne Ploërmel-La Brohinière est officiellement cédée par l’État à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest — WIKIPÉDIA, « Compagnie des chemins de fer de l’Ouest », sans date, Voir en ligne. —. Toutefois, l’État s’engage à terminer les travaux avant de la livrer à l’exploitation par la Compagnie. — WIKIPÉDIA, « Ligne de Ploërmel à La Brohinière », sans date, Voir en ligne. —
La ligne devait être livrée à la circulation le 20 décembre 1883. Cependant elle ne sera ouverte au trafic voyageurs que le 6 avril 1884. La catastrophe survenue le 29 novembre 1883 entre Gaël et Saint-Méen-le-Grand est certainement la cause de ce retard.
Cet accident est l’une des catastrophes ferroviaires les plus meurtrières du 19e siècle et le plus grave en nombre de morts pour l’année 1883. Sur les 55 morts dénombrés en Bretagne dans les accidents ferroviaires durant tout le 19e siècle, 17 le sont dans l’accident de Saint-Méen. — WIKIPÉDIA, « Liste des accidents ferroviaires en France au XIXe siècle », sans date, Voir en ligne. —
La presse rapporte les détails de la catastrophe.
— Quinze articles dans la presse locale et régionale, dont treize du Morbihan
— Deux journaux nationaux : Le Figaro (un article) et Le Petit Journal (trois articles)
Bien que plusieurs victimes habitent des localités voisines de la ligne, ce terrible évènement n’a pas laissé de traces dans la mémoire collective de la région.
Nous n’avons pas trouvé mention de cet accident dans les archives de la SNCF. Cette absence pourrait s’expliquer par le fait que les archives de la Compagnie de l’Ouest et de la Compagnie des chemins de fer de l’État, entrées aux Archives nationales en 1956, ont subi des pertes sévères. Les archives du réseau Ouest consultables actuellement ne disposent plus que des archives de la voie et des bâtiments.
Les circonstances de l’accident
Au moment de l’accident, la ligne fait encore l’objet d’aménagements :
— fin des travaux de ballastage sur la voie (pour le compte de l’État)
— aménagement des maisonnettes des garde-barrières (par la Compagnie de l’Ouest)
Ne circulent donc sur cette ligne que des trains de service.
Le 29 novembre 1883, en fin d’après-midi, un train venant de Ploërmel et appartenant à la Compagnie de l’Ouest, rentre à La Brohinière 3, après avoir déposé dans les maisonnettes le long de la ligne, le mobilier des gardes-barrières. Il est constitué de deux locomotives tirant 24 wagons. La machine pousse un tender 4.
Au même moment, un train de ballast de l’entreprise Astruc et Cazelles, qui construit la voie ferrée pour le compte de l’État, revient de la Brohinière avec 38 terrassiers. Il doit déposer les ouvriers à Mauron où ils ont leurs logements. Arrivé vers 17h30 à la gare de Saint-Méen, il attend l’arrivée d’une dépêche de la gare de Mauron lui annonçant que la voie est libre. En effet, les croisements ne peuvent s’opérer qu’au niveau des gares, là où la voie est dédoublée.
A 19 heures, à la fermeture du bureau télégraphique, aucune dépêche n’est parvenue en gare de Saint-Méen. Les ouvriers, impatientés du retard du train venant de Ploërmel, et désireux de rejoindre Mauron, pressent, dit-on, le chef des travaux d’ordonner le départ, ce qu’il fait malheureusement
.
Vers 19h15, par un épais brouillard, la machine du train de ballast, poussant un wagon plate-forme où sont montés les ouvriers, s’engage sur la voie unique. Cinq minutes à peine après leur départ, leur train percute celui de Ploërmel. Le choc est d’une extrême violence : écrasé entre les deux machines, le wagon - sans doute en bois - vole en éclats, les ouvriers sont projetés dans toutes les directions ou sont broyés sous la machine. On dénombre 17 morts et 19 blessés plus ou moins grièvement. Le personnel de la Compagnie de l’Ouest ne déplore aucune victime. Le chef des travaux qui conduisait le train de ballast sort également indemne de l’accident. — ANONYME, « Informations diverses », Le Ploërmelais, 09/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Journal de Rennes fournit de nombreux détails sur les circonstances de l’accident.
Un de nos collaborateurs, que nous avons envoyé hier [le lendemain de l’accident] à Saint-Méen, nous adresse les renseignements suivants :
A trois kilomètres de Saint-Méen on rencontre, sur le bord du chemin, la briqueterie de St-Judicaël, distante d’une cinquantaine de mètres de la voie ferrée, c’est là que la collision a eu lieu. Près du passage à niveau de la route de Gaël, 24 wagons, formant le train d’aménagement, sont encore sur la voie. Deux locomotives ayant le tender en avant le remorquaient. Au moment du choc, il s’est produit un écartement de la voie, les traverses ont cédé, les rails sont tombés à plat et les trois roues d’un des côtés de la machine ont glissé sur le ballast. Du wagonnet qui portait les 38 ouvriers, il reste les 4 roues jetées sur le côté de la voie, quelques pièces de fer tordues et c’est tout. Ce qui n’a pas offert une certaine résistance est réduit en poussière. La machine qui refoulait ce wagonnet n’a pas subi de graves avaries.Sitôt après l’accident, elle est allée jusqu’à la gare de St Méen chercher du secours. L’honorable maire de St-Méen, M. de Montgermont, arrivé le premier sur le lieu du sinistre, raconte que lorsqu’il entra dans la maison du garde-barrière, après le transport des blessés, il fut témoin d’un spectacle épouvantable : ces malheureux se tordant dans d’horribles souffrances, demandaient à mourir et suppliaient qu’on les achevât. […] Jeudi soir, à sept heures un quart, le train d’aménagement partait de Mauron et se trouvait à 3 kilomètres de Saint-Méen, lorsqu’il rencontra la machine de l’entrepreneur, refoulant devant elle le wagonnet qui portait les 38 ouvriers. Celui-ci se trouva pris entre sa locomotive et le tender d’une des machines, puisqu’elles étaient tournées tender en avant.
Le choc fut épouvantable : le wagonnet se ferma comme un livre en s’ouvrant par le fond. Les hommes qui se trouvaient à chacune de ses extrémités furent projetés sur les côtés de la voie. Ceux qui se tenaient au milieu tombèrent dans le trou qui venait de s’ouvrir sous leurs pieds. Neuf hommes passèrent ainsi sous le wagonnet. La machine de l’entrepreneur, après le choc, éprouva un mouvement de recul qui entraîna également les ouvriers tombés à terre. L’un d’eux, placé le long du rail, fut atteint par la roue du wagon, qui lui passa sur l’épaule et une partie du cou. Ce furent alors des cris déchirants. Des 38 ouvriers du wagonnet, 10 furent tués sur le coup, un autre expirait pendant qu’on l’emportait, 19 étaient blessés, et 2 jeunes garçons, les frères Kluche [?], se relevèrent sans aucun mal.
À dix minutes près, le train de Ploërmel serait arrivé en gare de Saint-Méen et l’accident aurait été évité. Sachant que l’accident a eu lieu à 19h15, que Ploërmel est situé à 32 km, et qu’on peut faire l’hypothèse d’une vitesse de 30 km/h, on en déduit que ce train serait parti de Ploërmel vers 18h15, et serait passé à Mauron avant 19h. Sans dépêche confirmant que la voie était libre, le train de ballast n’aurait pas dû s’engager.
À l’annonce de la catastrophe, M. de Montgermont, maire de Saint-Méen, organise les secours. Les blessés sont transportés à l’hôpital de la ville. L’enterrement de 11 victimes a lieu à Saint-Méen le dimanche suivant (3 décembre). Le Préfet d’Ille-et-Vilaine, le procureur de Montfort et les autorités locales y assistent.
[...] les obsèques des victimes ont été célébrées en l’église de Saint-Méen. Onze cercueils sont alignés dans la cour de l’hôpital. Ils sont recouverts chacun d’un drap blanc orné d’une grande croix noire. Ils sont portés par les ouvriers du chantier qui ne se trouvaient pas dans le train.
[...] Le deuil est conduit par M le préfet d’Ille-et-Vilaine ayant à sa gauche, M. de Mongermont, maire de Saint-Méen et à sa droite M. Michel-Jaffard procureur général près de la cour de Rennes, viennent ensuite, M. Duverger, conseiller de préfecture, M. le procureur de la République de Montfort, M. le lieutenant de gendarmerie commandant l’arrondissement, une délégation de la Compagnie de l’Ouest 5, etc. [...] Après l’absoute, le cortège se dirige vers le bas du cimetière qui touche l’église. Une large fosse est creusée. Des ouvriers qui y sont descendus alignent les onze cercueils, les six autres morts sur la demande de leur famille ayant été transportés dans leur pays…
Il ne subsiste aujourd’hui dans ce cimetière aucune trace (stèle, plaque ou monument commémoratif) de cette terrible catastrophe. Quant aux services de la mairie de Saint-Méen, ils ignorent l’existence de cet évènement.
Cinq ouvriers, tués dans l’accident, habitent des communes riveraines de la voie ferrée.
Ce dimanche également a lieu à Loyat l’enterrement de Chomaux et de Doré et à Ploërmel celui de Hélé. Leur cercueil est suivi d’une foule nombreuse, émue et recueillie.
Certains journaux ont raconté que presque tous les ouvriers étaient des Italiens. Malheureusement non, les victimes sont toutes de la Loire-Inférieure et du Morbihan, l’une d’elles des Côtes-du-Nord.
En effet, deux journaux au moins, Le Phare de Bretagne du 7/12 et le Journal de Pontivy et de son arrondissement du 9/12 font état de cette fausse information sur l’origine des ouvriers, y incluant d’ailleurs des Bas-Bretons.
Les victimes de ce terrible accident sont presque tous des jeunes gens mi-partie italiens et bas-bretons.
Le Journal de Pontivy, quant à lui, s’appesantit sur les détails les plus horribles, donnant l’impression d’avoir assisté à l’accident.
[...] Tout à coup les deux trains se rencontrent, se heurtent. Et le wagon où étaient les ouvriers se trouve pris, écrasé, entre les deux locomotives.
On devine la scène effroyable qui se produisit en ce moment, les cris d’effroi et de douleur ! Quand on put se rendre compte de l’étendue du désastre, on eut sous les yeux un spectacle horrible. Dix huit ouvriers [seize en réalité] avaient été tués sur le coup ; il ne restait de la plupart d’entre eux que des débris sanglants méconnaissables. Quinze autres [dix-neuf en réalité], grièvement blessés, embarrassés dans les débris et poussant des cris lamentables.Seul, un enfant [deux en réalité] a eu la présence d’esprit, et le bonheur, de s’élancer du wagon, au moment où il a vu arriver la locomotive, et d’échapper ainsi au sort de ses camarades.
Les victimes de ce terrible accident sont presque tous des jeunes gens italiens ou bas-bretons.Il fallut séparer les morts des vivants ; fouiller dans ces monceaux de corps pantelants encore, horriblement mutilés. Plusieurs, écrit un témoin à l’Avenir de Rennes, avaient la tête séparée du corps aussi nettement que si la section avait été faite avec une hache. D’autres n’avaient plus ni bras ni jambes, c’était réellement affreux.
En réalité, la grande majorité des ouvriers habitaient le Morbihan et la Loire-Inférieure (Loire-Atlantique). On note même que huit victimes (cinq tués et trois blessés) sont originaires de communes traversées par la ligne (Ploërmel, Mauron, Loyat, Saint-Léry, Néant-sur-Yvel).
A propos du racisme envers les Bas-Bretons et les Italiens
Cette fausse information dans un journal traduit l’existence dans la population d’un racisme envers à la fois les Bas-Bretons et les immigrés italiens.
Croyez-moi, Monsieur, le catalan […] n’est qu’un jeu d’enfant auprès du bas breton. C’est une langue que celle-là. On peut la parler fort bien, je crois, avec un bâillon dans la bouche , car il n’y a que les entrailles qui paraissent se contracter quand on cause en bas breton. Il y a surtout l’h et le c’h qui laissent loin derrière la jota espagnole. Les gens qui parlent cette belle langue sont bons diables, mais horriblement sales (…) On voit dans les villages les enfants et les cochons se roulant pêle-mêle sur le fumier, et la pâtée que mangent les premiers serait probablement refusée par les cochons du Canigou.
Un manifeste de 1851 contre les immigrés bretons
En 1851, l’année où le chemin de fer, symbole de la modernité, parvient à Nantes, le polytechnicien Auguste Chérot présente au maire de la ville son Rapport sur les immigrations bretonnes dans la ville de Nantes. — GUYVARC’H, Didier, « Un manifeste de 1851 contre les immigrés bretons », Genèses. Sciences sociales et histoire, Vol. 24, 1996, p. 137-144, Voir en ligne. —
La première vague d’immigrants italiens avait quitté l’Italie entre 1871 et 1900, pour fuir la pauvreté.
On observe dès la seconde moitié du 19e siècle sur l’ensemble du territoire breton, la constitution de réseaux migratoires durables d’Italiens, toujours perceptibles aujourd’hui. — EMERY, Céline, Immigration italienne en Finistère : parcours d’intégration, Thèse de doctorat en Ethnologie, Bretagne occidentale, 2013. —
Localisation du lieu de l’accident
Jean-Pierre Nennig avance une hypothèse concernant le lieu de l’accident.
La tradition situe la catastrophe au passage à niveau à la sortie de Gaël. Les blessés sont conduits dans une longère située à quelques dizaines de mètres. Cette maison est dénommée par la population locale « L’Ambulance » 6.
Plusieurs indices permettent de remettre en cause cette hypothèse et de situer précisément le lieu de l’accident.
L’article du Journal de Rennes mentionne en effet :
[...] A trois kilomètres de Saint-Méen on rencontre, sur le bord du chemin, la briqueterie de St-Judicaël, distante d’une cinquantaine de mètres de la voie ferrée, c’est là que la collision a eu lieu. Près du passage à niveau de la route de Gaël, 24 wagons, formant le train d’aménagement, sont encore sur la voie. [...] L’honorable maire de St-Méen, M. de Montgermont, arrivé le premier sur le lieu du sinistre, raconte que lorsqu’il entra dans la maison du garde-barrière, après le transport des blessés, il fut témoin d’un spectacle épouvantable. [...]
Ce lieu, situé sur la commune de Gaël, s’appelle aujourd’hui « Mi-Voie » ou « La Brique ».
Cette dernière appellation fait référence à la briqueterie Saint-Judicaël 7, mentionnée dans la presse pour situer l’accident. Le bâtiment a existé jusque dans les années 1970.
L’article mentionne également le passage à niveau et la maison du garde-barrière. Cette maison, aujourd’hui disparue, figure sur les photos aériennes jusqu’en 1965.
Le passage à niveau est aujourd’hui fermé, la maison a disparu, ainsi que la briqueterie. Une autre maison a été construite à son emplacement.
Bilan de la catastrophe
Synthèse réalisée à partir des articles du Morbihannais, du Phare des campagnes et du Journal de Rennes.
— ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Le Phare des campagnes, 09/12, 1883, Voir en ligne. ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Journal de Rennes, 03/12, 1883, Voir en ligne. —
Dix-sept ouvriers décédés
Balac, Louis Marie, 33 ans, marié, de Fégréac (Loire Inférieure)
Balac, François-Marie, 29 ans, marié, de Fégréac (Loire Inférieure)
Bocquel, Clément, 43 ans, marié, de Fégréac (Loire Inférieure)
Chomaux, Théophile, 18 ans, célibataire, de Loyat (Morbihan)
Doré, Pierre, 34 ans, marié, de Loyat (Morbihan)
Dupé, Jean, 36 ans, marié, de Fégréac (Loire Inférieure)
Dupé, Michel, 49 ans, marié, frère du précédent, de Fégréac (Loire Inférieure)
Evano, Pierre, marié, de Néant (Morbihan).
Guillé, Jean-Marie, 28 ans, de Pontchâteau (Loire-Inférieure)
Hélé, Alphonse, 34 ans, marié, de Ploërmel (Morbihan)
Le Bihan, Mathurin, d’Auray (Morbihan).
Le Cloarec, François, 50 ans, marié, d’Elven (Morbihan)
Moulac, Mathurin Marie, 26 ans, de Sérent (Morbihan)
Pin, Yves, de Magoar (Côtes-du-Nord)
Pitre, de la Loire-Inférieure
Quémeureuc, Jean-Marie, 32 ans, Saint-Léry (Morbihan)
Vaillant, Jean-Baptiste, de Missillac (Loire-Inférieure).
Seize ouvriers sont tués sur le coup. Mathurin Moulac décède à l’hospice de Saint-Méen.
- Origine :
Loire-Inférieure : 8 dont 5 de Fégréac
Morbihan : 8
Côtes du Nord : 1
Total : 17
- Dont 5 ouvriers locaux : Loyat (2), Saint-Léry (1), Ploërmel (1), Néant-sur-Yvel (1)
Dix-neuf ouvriers blessés
Bocquel (Julien), 37 ans, six enfants, demeurant à Fégréac (Loire-Inférieure).
Danot, François, 41 ans, quatre enfants, demeurant à Molac (Morbihan).
Evano (Louis), 12 ans, demeurant à Néant (Morbihan).
Guehot, 39 ans, trois enfants, demeurant à Saint-Marcel (Morbihan).
Jossin (Nicolas), 38 ans, deux enfants, demeurant à Molac (Morbihan).
Le Breton, Mathurin, 22 ans, demeurant à Callac (Morbihan).
Leray (Jean), 18 ans, demeurant à Gomené (Côtes-du-Nord).
Mahé (Michel), 42 ans, trois enfants, demeurant à Fégréac (Loire-Inférieure).
Robert (François), 35 ans, cinq enfants, demeurant au Baud-Dunois (Morbihan).
Rosin (Louis), 22 ans, demeurant à Elven (Morbihan).
Riaux (Jean), 27 ans, un enfant, demeurant à Allaire (Morbihan).
Thébault, François, 21 ans, demeurant à la Grivolais (Pontchâteau, Loire-Inférieure).
Bidard, Joseph du village de la Georgelais, en Saint-Marcel (Morbihan)
Le Gall. près Questembert (Morbihan)
Carcet (Louis), 15 ans, demeurant à Mauron (Morbihan)
Huet (Joseph,), 46 ans, trois enfants, demeurant à Mauron (Morbihan)
Lebrun (Joseph), 26 ans, demeurant à la Vraie-Croix (Morbihan).
Salaün (Jean-Baptiste), 43 ans, trois enfants, demeurant à Moëlan (Finistère).
- Origine :
Loire-Inférieure : 3 dont 2 de Fégréac
Morbihan : 14
Côtes du Nord : 1
Finistère : 1
Total : 19
- Dont 3 ouvriers locaux : Mauron (2), Néant (1)
Communes d’origine des victimes (global)
Morbihan : 22
Loire-Inférieure : 11
Côtes-du-Nord : 2
Finistère : 1
Deux ouvriers seulement sur 38 (les frères Kluche ?) sont donc sortis indemnes ou très légèrement blessés, ce qui témoigne de l’extrême gravité de cet accident.
Les avis de décès des cinq ouvriers locaux dans le registre de Gaël
D’après le registres des décès de Gaël - commune où s’est produit l’accident - les ouvriers sont décédés à sept heures quinze du soir audit lieu la briqueterie St Judicaël
Localisation de l’origine des victimes
On remarque que, à part deux communes situées dans les Côtes-d’Armor (Gomené et Magoar), toutes les autres victimes résident dans une commune proche (au maximum 5-6 km) d’une voie ferrée (en violet).
— Les communes d’origine sont concentrées près de la ligne Questembert-Saint-Méen-La Brohinière. La section Ploërmel-La Brohinière était alors en voie d’achèvement.
— Les ouvriers résidant dans les communes proches de cette section ont pu être embauchés sur place (certains sont très jeunes : 12, 15 et 18 ans).
— D’autres communes sont proches de la ligne sud Bretagne (la section Savenay - Lorient est inaugurée le 21 septembre 1862 par la Compagnie du Paris Orléans). C’est le cas notamment de la commune de Fégréac (7 victimes), dont les ouvriers, pour les plus âgés d’entre eux ou leurs enfants, auraient pu participer aux travaux sur cette ligne.
Les suites judiciaires
29 novembre 1883 - Date de l’accident
3 janvier 1884 - Jugement du responsable de l’accident par le tribunal de Montfort
Samedi dernier, le tribunal correctionnel de Montfort sur-Meu a condamné à trois mois de prison, minimum de la peine, M. Fouilloux, conducteur des travaux de la ligne de Ploërmel à la Brohinière, poursuivi comme auteur d’homicides et blessures par imprudence. Le ministère public lui reprochait d’être parti, le 29 novembre, avec un train d’ouvriers sans avoir eu la dépêche lui disant si la voie était libre.
Nos lecteurs se rappellent que 17 hommes furent tués et que dix-neuf furent blessés.
On se rappelle le terrible accident, qui a eu lieu le 29 novembre dernier, sur la ligne de la Brohinière à Ploërmel.
M. Jules Fouilloux, conducteur de travaux des entrepreneurs, comparaissait samedi devant le tribunal de Ploërmel [ou de Montfort ?] sous la prévention d’homicides et de blessures par imprudence. M. Fouilloux a été chaleureusement défendu par Me Hamard, dans une courte et émouvante plaidoirie ; aussi a-t-il été condamné au minimun de la peine (trois mois d’emprisonnement).
Un terrible accident de chemin de fer a eu lieu le 29 novembre dernier sur la nouvelle ligne de Ploërmel à la Brohinière, à peu de distance de Saint-Méen.
Une locomotive, poussant devant elle un wagon plate-forme contenant 38 terrassiers, quittait, vers sept heures et demie du soir, Salnt-Méen, sous la direction de M. Fouilloux, préposé de l’entreprise Astruc et Cazelles, lorsque ce train fut rencontré par un train venant en sens inverse. Le choc fut épouvantable ; il y eut 19 tués et 18 blessés.
M. Jules Fouilloux, conducteur de travaux pour l’entreprise Astruc et Cazelles, était poursuivi pour homicides et blessures par imprudence.
Le ministère public lui reprochait d’être parti de Saint-Méen sans avoir attendu la dépêche qui devait lui indiquer de Mauron que la voie était libre et qu’il pouvait partir. Le tribunal de Montfort (Ille-et-Vilaine) vient de juger cette affaire.
La prévention a été soutenue par M. le procureur de la république Leconte.
Me Hamard a fait valoir les bons antécédents du prévenu qui un jour sauva un train au péril de sa vie et sortit mutilé de cet événement.
Foullloux a été condamné à trois mois d’emprisonnement.
14 janvier 1884 - Arrêt de la cour de Rennes
L’entreprise Astruc et Cazelles est jugée civilement responsable de l’accident.
Procès en dédommagement
D’après les jugements du tribunal civil de Ploërmel entre le 16 juillet et le 20 août 1884 8, la compagnie d’assurances Caisse générale des Familles est tenue de rembourser aux entrepreneurs Astruc et Cazelles les sommes par eux versées aux diverses familles et aux ouvriers blessés.
Astruc et Cazelles, par suite du refus fait par la compagnie d’assurances de payer le montant des condamnations prononcées par le tribunal civil de Ploërmel, sont l’objet de saisies-arrêts mises entre les mains du trésorier payeur-général d’Ille-et-Vilaine.
12 décembre 1884 - Jugement rendu par le tribunal de commerce de la Seine contre la Caisse Générale des familles qui refusait d’indemniser les préjudiciés.
» Condamne la Caisse générale des Familles, par les voies de droit, à payer à Astruc et Cazelles : 1° 23,786 fr. 60 c. par eux versés, avec les intérêts, suivant la loi ; 2° 9,572 fr. 60 c., montant du capital représentatif de la rente annuelle viagère de 365 francs en titres 3 %, achetée au profit de veuve Quesnereux, réversible sur la tête de sa fille pour 300 francs, jusqu’à la majorité de cette dernière, conformément au jugement du tribunal civil de Ploërmel du 2 août 1884, [...] 3° 8,000 francs payés à veuve Vaillant, avec les intérêts suivant la loi, à partir du 29 novembre 1883, date de l’accident, ainsi qu’il résulte du jugement du tribunal civil de Ploërmel du 16 juillet 1884, ensemble les frais exposés devant ledit tribunal ; 4° 500 francs restant dus sur 3,100 francs, montant des condamnations prononcées au profit de veuve Hélé, [...] conformément au jugement du 20 août 1884 ; 5° 5,000 francs à titre de dommages-intérêts ;
[...]
» Ordonne l’exécution provisoire nonobstant appel et sous caution pour le paiement des sommes ayant fait l’objet de condamnations par le tribunal civil de Ploërmel, sus-indiquées ;
« Condamne, en outre, la Caisse des Familles, par les voies de droit, en tous les dépens. »
6 juin 1885 - La Cour d’appel de Paris, suite à l’appel interjeté par la compagnie d’assurances, récapitule les jugements successifs.
Appel a été interjeté par la société d’assurances la Caisse générale des Familles.
Après plaidoiries de Me Boulloche, avocat de la compagnie appelante, et de Me Barboux, avocat de MM. Astruc et Cazelles, intimés, et sur conclusions conformes de M. l’avocat général Sarrut,
» La Cour,
» Faisant droit sur l’appel interjeté par la Caisse générale des Familles, du jugement rendu par le tribunal de commerce de la Seine le 12 décembre 1884 ;
» Adoptant les motifs des premiers juges, [...]
La cour reprend en détail et récuse les arguments de la compagnie d’assurances Considérant qu’en vain la compagnie appelante prétend n’avoir point à répondre du sinistre
.
— Le sinistre a eu lieu suite à une infraction aux lois et règlements : cette clause ne s’applique que pour les lignes en exploitation. La ligne de la Brohinière à Ploërmel n’était pas livrée à l’exploitation lorsque l’accident s’est produit.
— L’accident s’est produit en dehors des heures de travail : c’est faux puisque les ouvriers étaient payés également sur le temps de transport, considéré comme du temps de travail et couvert par l’assurance.
[...] l’assurance a été subordonnée à deux conditions : 1° que les ouvriers employés ou salariés quelconques des intimés fussent atteints par un accident ; 2° que cet accident survînt dans un travail, et par suite d’un travail rétribué par les intimés ;
» Que dans les circonstances de la cause, ces deux conditions ont été réalisées ;
» Met l’appellation à néant ;
» Ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet ;
» Condamne la compagnie appelante à l’amende et aux dépens d’appel, »
Traitement de la catastrophe dans la presse nationale
Comparaison avec la catastrophe de Saint-Brieuc du 26/07/1895
26 juillet 1895 - Sur le territoire de la commune de Saint-Brandan (Côtes-d’Armor), tiré par deux locomotives, un train Pontivy-Saint-Brieuc, dont la composition a été forcée à 14 voitures pour faire face à l’afflux des pèlerins de Sainte-Anne-d’Auray, déraille dans une courbe, la première machine semblant avoir escaladé le rail. L’ensemble du convoi s’écrase contre les parois rocheuses d’une tranchée. L’accident fait 11 morts et 45 blessés. — WIKIPÉDIA, « Liste des accidents ferroviaires en France au XIXe siècle », sans date, Voir en ligne. —
Pour juger du traitement comparé des deux catastrophes, nous nous référons à la presse nationale.
Traitement par Le Figaro
Traitement par Le Petit Journal
La différence de traitement entre les deux catastrophes est flagrante.
— Alors que le nombre de morts est supérieur à Saint-Méen, la surface éditoriale est 10 à 15 fois plus importante dans la presse nationale pour celle de Saint-Brandan.
— L’évènement est couvert par des envoyés spéciaux.
Cette différence de traitement peut s’expliquer.
— Impact émotionnel : l’accident concerne des pèlerins revenant de Sainte-Anne-d’Auray.
— La catastrophe de Saint-Brandan se produit sur une ligne en exploitation, alors que la ligne de Saint-Méen est en cours de construction (en voie d’achèvement).
— L’accident de Saint-Brandan concerne des voyageurs, celui de Saint-Méen des ouvriers.
En conclusion
Il nous semble que l’accident de Saint-Méen ait été traité dans la presse comme un accident du travail, diminuant ainsi son retentissement. On retrouve ce même traitement de nos jours où les accidents du travail sont invisibilisés, bien qu’ils représentent des centaines de morts par an.
Comment accepter qu’une telle catastrophe soit tombée dans l’oubli ?
Ne serait-il pas souhaitable de rendre hommage aux victimes avec une stèle commémorative, comme la commune de Saint-Léger-des-bois l’a fait pour un accident minier en 1855 ?
Annexe - La catastrophe rapportée dans la presse
Presse nationale
Le Figaro du 01/12/1883
— ANONYME, « Télégrammes et correspondances », Le Figaro, 01/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Petit Journal des 02-03-04/12/1883
— ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Le Petit Journal, 02/12, 1883, Voir en ligne.
ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Le Petit Journal, 03/12, 1883, Voir en ligne.
ANONYME, « Saint-Méen - 2 décembre », Le Petit Journal, 04/12, 1883, Voir en ligne. —
Presse régionale
Le Journal de Rennes du 01/12/1883
c’est l’article le plus complet
— ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Journal de Rennes, 03/12, 1883, Voir en ligne. —
L’Union de Bretagne du 03/12/1883
très succinct
— ANONYME, « Chronique de Bretagne et de l’Ouest », L’Union de Bretagne, 01/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Petit Breton du 01/12/1883
— ANONYME, « Montfort-sur-Meu, 30 novembre », Le Petit Breton, 01/12, Vannes, 1883, Voir en ligne. —
Le Phare de Bretagne du 02/12/1883
— ANONYME, « Dernières nouvelles -Accident de Chemin de fer. - 18 morts, 15 blessés », Le Phare de Bretagne, 02/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Petit Breton du 04/12/1883
article très détaillé
— ANONYME, « La collision de la Briquerie », Le Petit Breton, 04/12, 1883, Voir en ligne. —
L’avenir du Morbihan du 05/12/1883
Ce journal évoque très brièvement l’accident. Il annonce également l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la Compagnie de l’Ouest, pour statuer sur la convention passée entre L’État et la compagnie.
— ANONYME, « Josselin », L’avenir du Morbihan, 05/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Morbihannais du 05/12/1883
article très détaillé
— —
Le Phare de Bretagne du 07/12/1883
article détaillé
fausse info sur les italiens et bas-bretons
— ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Le Phare de Bretagne, 07/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Phare des campagnes du 09/12/1883
même contenu que le précédent
fournit la liste des victimes
— ANONYME, « La catastrophe de Saint-Méen », Le Phare des campagnes, 09/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Ploermelais du 09/12/1883
article détaillé
— ANONYME, « Informations diverses », Le Ploërmelais, 09/12, 1883, Voir en ligne. —
Le Journal de Pontivy et de son arrondissement du 09/12/1883
article à sensation
fausse info sur les italiens et bas-bretons
— ANONYME, « Voici quelques détails sur la malheureuse collision », Le Journal de Pontivy et de son arrondissement, 09/12, 1883, Voir en ligne. —
Comptes rendus du jugement du responsable de l’accident
Le Courrier de Bretagne du 02/01/1884
— ANONYME, « Tribunal correctionnel de Montfort sur-Meu », Courrier de Bretagne, 02/01, 1884, Voir en ligne. —
Le Phare de Bretagne du 03/01/1884
— ANONYME, « La catastrophe de la Brohinière », Le Phare de Bretagne, 03/01, 1884, Voir en ligne. —
Journal des débats politiques et littéraires du 04/12/1884
article détaillé
— ANONYME, « Un terrible accident de chemin de fer », Journal des débats politiques et littéraires, 04/01, 1884, Voir en ligne. —
Le Courrier des campagnes du 06/01/1884
— ANONYME, « Catastrophe de Saint-Méen », Le Courrier des campagnes, 06/01, 1884, Voir en ligne. —