1956
L’artilleur de Paimpont
Un conte de Jean Markale inspiré d’un fait divers
L’artilleur de Paimpont
est un conte recueilli par Jean Markale à Tréhorenteuc en 1956 dont la trame est inspirée d’un « fait divers » qui aurait eu lieu à la mine de l’Étang Bleu à Paimpont au début du 20e siècle.
1961 — La première publication du conte
En 1961, Jean Markale publie aux Éditions du Ploërmelais un recueil de contes populaires et de légendes arthuriennes localisés en forêt de Paimpont dans lequel figure le conte intitulé L’artilleur de Paimpont
. — MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p.
[pages 20-21] —
Cette histoire est une adaptation par Jean Markale d’un fait divers
du début du 20e siècle, situé à la mine de l’Étang Bleu à Paimpont.
1986-1992 — La réédition du conte
En 1986, Jean Markale fait paraitre Contes de la mort des pays de France, recueil dans lequel il insère L’artilleur de Paimpont— MARKALE, Jean, Contes de la mort des pays de France, Christian de Bartillat éditeur, 1986, 396 p. —
L’ouvrage est réédité en 1992 dans la collection Espaces libres d’Albin Michel. — MARKALE, Jean, Contes de la mort des pays de France, Albin Michel, 1992, 396 p., (« Espaces libres »). [pages 77-79] —
Jean Markale y présente L’artilleur de Paimpont comme un collectage recueilli à Tréhorenteuc (Morbihan) en 1956
. Le conte est complété par un commentaire sur sa signification.
De toute évidence, il s’agit d’un fait divers parfaitement réel sur lequel l’imagination a quelque peu brodé. L’intention morale est très précise : il ne faut pas défier l’orage, c’est à dire les puissances célestes, car on s’expose à une terrible vengeance. Seuls les dieux ont le pouvoir de commander à l’orage. L’artilleur est un simple usurpateur qui doit être châtié par la mort. Et comme il n’a rien d’un Prométhée, la sagesse populaire à tendance à dire : c’est bien fait pour lui. Ce récit prouve en tout cas la capacité des ruraux à intégrer des éléments de mythologie dans un fait-divers malheureusement assez fréquent. La date récente de ce récit nous montre également le processus de fabulation qui s’opère : le mythe a besoin, pour être exprimé, d’un événement concret sur lequel s’articule la structure mentale. A bien réfléchir, il a du en être de même au cours des temps, pour la plupart des grandes légendes.
Le récit intégral de L’artilleur de Paimpont
Les orages sont terribles en forêt de Brocéliande. L’histoire de Menou le Herquelier, histoire authentique, à ce qu’on m’a assuré, en est une preuve, mais elle me remet en mémoire un fait divers surprenant qui vaut bien un conte. Écoutez-le donc, et que sainte Barbe vous protège !...
Vers 1900, l’Étang Bleu n’existait point encore. C’était un coin de forêt un peu marécageux. Les hommes de Rennes étaient venus et avaient dit que le terrain était riche en minerai de fer. Et l’on mit en chantier une mine, ou plutôt une carrière pour exploiter le minerai. Les hommes de Rennes recrutèrent des ouvriers un peu partout dans les environs, et un beau jour, on commença à creuser à coups de pelles et de pioches, histoire de débroussailler. Puis, enfin, on en vint à placer des mines pour faire sauter le rocher.
Celui qui était chargé des mines était un ancien artilleur originaire de Paimpont, du nom de Caro. Nul n’était mieux indiqué que lui pour accomplir ce travail. Il n’avait pas besoin de choses compliquées : une charge d’explosifs placée dans un trou, une mèche suffisamment longue à laquelle il mettait le feu ; on reculait derrière un rideau d’arbres, on se bouchait les oreilles et broum ! ... Il n’y avait plus qu’à recommencer ailleurs. Caro faisait plaisir à voir. Il se démenait comme un beau diable, donnait des ordres avec une voix rauque d’adjudant ; et lorsqu’il sortait son briquet pour allumer la mèche, il s’écriait :
— A vos pièces !... Feu !...
Or, ce matin là, Caro venait de faire sauter plusieurs quartiers de rocher quand le ciel s’assombrit, de grosses gouttes de pluie se mirent à cingler sur les feuilles des arbres.
On entendit au loin le roulement du tonnerre. Les hommes continuèrent cependant à déblayer, mais lorsque l’orage devint trop fort et la pluie torrentielle, force leur fut de s’abriter dans les cabanes qu’on avaient construites à l’usage du matériel.
Caro, lui, ne se souciait pas d’être mouillé ; il en avait vu d’autres à la guerre, devant les Prussiens. Il restait près de la porte d’une des cabanes, riant et plaisantant avec les ouvriers. Chaque fois qu’un éclair déchirait le ciel sombre, on l’entendait crier de sa voix félée :
— A vos pièces !... Feu !...
Et le tonnerre lui répondait immanquablement. Satisfait de lui, pénétré de l’orgueil de commander aux éléments, Caro soulevait son chapeau et faisait une pirouette. L’écho et l’orage dans la forêt murmuraient sinistrement et prolongeaient le cri de triomphe de l’artilleur.
— Caro ! clama l’un des ouvriers, viens donc te mettre à l’abri et ne fais pas le fanfaron ! Cela ne te portera pas bonheur !
Caro éclata de rire :
— Tu vois bien que c’est moi qui dirige le feu d’artifice ! Tiens, regarde !
Un éclair blanchit le chaos des roches éventrées.
— A vos pièces !... Feu !...
Mais alors, un autre éclair, accompagné d’un terrible craquement, jaillit en face de la cabane. Le cri de Caro se perdit dans le tumulte, et, frappé en plein par la foudre, Caro s’écroula, mort, sur le sol détrempé...
— MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p. [pages 20-21] —