La Croix Lucas
La « Croix Lucas » est une vieille croix en schiste rouge située dans les landes de Gurvant au dessus du versant sud du « Val sans Retour ». Elle est censée marquer l’endroit où se serait déroulée, en 876, une bataille opposant Gurvant et Pascweten, pour la couronne du regnum Breton. Le souvenir de cette bataille aurait donné son nom à la vallée de Gurvant ainsi qu’aux buttes de terre appelées Tombelles de Gurvant qui situeraient l’emplacement des sépultures.
Une ancienne croix de chemin
La Croix Lucas, dont l’origine du nom est inconnue, fait partie des vingt-sept croix de chemins recensées sur la commune de Paimpont. Si la majorité de ces ouvrages ne présente pas d’intérêt particulier, la Croix Lucas, la Croix Neuve et la Croix saint Judicaël sont les seules à être très anciennes.
Taillée dans une lame de schiste pourpre, elle s’apparente à un ensemble d’ouvrages de type "palis" concentrés en limite des départements d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan. La simplicité formelle et l’absence de décor rendent cependant toute datation malaisée. — DUCOURET, Jean-Pierre et QUILLIVIC, Claude, « Croix de chemin dite Croix Lucas », in Inventaire général du patrimoine culturel : Inventaire préliminaire : Ille-et-Vilaine : Paimpont, Rennes, 2000, Voir en ligne. —
Félix Bellamy lui consacre quelques lignes dans La forêt de Bréchéliant. Après avoir précisément décrit la croix, il indique :
[...] On la découvre inévitablement en partant du village de la Touche-Guérin et marchant vers le couchant à travers la lande, sans trop s’écarter du bois. - Réputée très antique.
La Croix Lucas se situe actuellement à la limite des communes de Paimpont et Campénéac et par extension de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan. Son emplacement correspondait à la limite occidentale de la seigneurie de Gaël-Montfort.
La ferme et la rivière de la Croix Lucas
Le toponyme « Croix Lucas » apparait sur la feuille 129 de la carte de Cassini, réalisée en 1783. Le symbole utilisé pour marquer le lieu désigne un hameau sans chapelle.
Le cadastre napoléonien de Campénéac de 1823 mentionne une construction sans référence à proximité de la Croix Lucas. Il s’agit certainement de la maison citée lors de l’inventaire du 26 février 1844, après décès de Mathurin Gillet, de la Touche Guérin une maison à la Croix Lucas.
Elle est encore indiquée en 1849 lors de l’inventaire après décès de Jean-Baptiste Gillet : une masure à la Croix Lucas
— TIGIER, Hervé, Les Terroirs de la haute forêt de Paimpont : Le Cannée, Beauvais, Folle Pensée, Le Pertuis-Nanti, Auto-édition, Paimpont, 2012. —
Le dictionnaire Ogée-Marteville la mentionne sous le nom de « ferme de la Croix Lucas » et indique que « la rivière de la Croix Lucas » prend sa source à proximité. — OGÉE, Jean-Baptiste, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, dédié à la nation bretonne. R-Z, Vol. 4, Nantes, Vatar, 1780, Voir en ligne. pp. 27-28 — Un des affluents de l’Oyon 1, naît en effet dans les landes de Gurvant et alimente le plan d’eau qui entoure le château de Trécesson. Cette branche nommée « Ruisseau des Landes de Rohan » sur la carte IGN portait donc le nom de « rivière de la Croix Lucas » au 19e siècle.
La Croix Lucas dans les années 1980
La croix endommagée
Deux vues aériennes juxtaposées (1950-2012 - la croix est au centre de la photo) montrent qu’en 1950 la Croix Lucas se trouvait au milieu de la lande, sans chemin visible.
Suite aux incendies de 1976, les landes de Gurvant sont réaménagées pour en faciliter l’accès motorisé. Un premier chemin, tracé vers 1978, passe à proximité de la croix.
Une photo de la croix de novembre 1983 montre qu’elle n’était pas endommagée. C’est peut-être lors de la création du carrefour de deux lignes, dont l’une longe la limite départementale et l’autre mène vers le Tombeau des Géants, que son pied aurait été brisé. La croix tronquée est dotée d’une nouvelle base et remise en place au milieu du carrefour.
La valorisation touristique de la croix
Un plan départemental de développement économique de l’intérieur du Morbihan par le tourisme voit le jour au milieu des années 70. C’est finalement le site privé du « Val sans Retour », situé sur la commune de Paimpont en Ille-et-Vilaine, qui est choisi pour servir de support au développement touristique des communes morbihannaises des environs. L’Association de Sauvegarde du Val Sans Retour est créée en septembre 1979, pour permettre la mise en place d’une politique d’aménagement touristique du Val qui commence à partir de 1981.
L’année 1979 voit aussi la création de l’Association des Amis du Moulin du Châtenay. Cette association en convention avec l’Université de Rennes 1 (Station Biologique de Paimpont) a pour but d’établir des interactions avec les populations locales afin de développer l’activité culturelle de la région. Une partie de ses membres réagit au projet d’aménagement du Val par l’Association de Sauvegarde du Val Sans Retour et propose une valorisation touristique basée sur les traditions populaires et l’histoire locale, jusqu’ici ignorées au profit de la légende arthurienne.
Le guide touristique et culturel de 1982, réalisé en partenariat avec l’association des Amis du Moulin du Châtenay, est porteur de cette nouvelle approche. C’est dans ce document que l’on trouve la première mention de la « Croix Lucas » associée à l’emplacement de la bataille :
C’est une croix plate en schiste rouge qui indiquerait le lieu de la victoire du comte de Rennes, Gurwan, sur son frère le comte de Vannes Pascwiten, en 875.
C’est dans ce contexte que Michel Cabaret, étudiant en Maitrise des Sciences et Techniques en stage à la Station biologique de Paimpont (Université de Rennes 1), réalise une étude sur la valorisation du « Val sans Retour » entre 1980 et 1982. L’étudiant, alors en contact avec l’Association des Amis du Moulin du Châtenay, reprend dans son étude la mention de la « Croix Lucas » comme lieu de la bataille que se sont livrés Gurvant et Pasweten.
Au Sud-Ouest du petit village de la Touche Guérin, à la limite de Campénéac (Morbihan) se trouve la « Croix Lucas ». Elle représenterait le lieu où les deux fils de Salomon de Bretagne : Gurwan et Pasqwiten, s’affrontèrent en 875. Gurwan, Comte de Rennes triompha de Pascwiten, comte de Vannes ; l’histoire dit que le vainqueur mourut le soir même. Il serait cependant plus probable que cette bataille se soit déroulée à proximité de Rennes (P. Baneat, 1973 tome III) 2
Selon cette interprétation initiée au début des années 80, l’appellation « Landes de Gurvant » est plus authentique que celle de « Val sans Retour ». Elle renvoie à un épisode historique qui aurait été supplanté par l’imaginaire arthurien. Pourtant les liens entre le personnage historique du 9e siècle et la vallée et le bois de Gurvant semblent tout aussi ténus.
Le travail de Stéphane Hummel, étudiant à la Station Biologique en 1990, s’inscrit dans la même logique. Son inventaire des ressources patrimoniales et naturelles du « Val sans Retour » évoque à son tour la Croix comme lieu de commémoration de la bataille.
La Croix Lucas, monument monolithique d’un mètre cinquante de haut, dressé au sommet de ces collines commémorerait cet affrontement. Celle-ci est cependant d’origine beaucoup plus récente, mais aura peut-être été implantée en substitution d’un monument plus ancien.