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1995

La truite et le chêne

Un conte d’Ernestine Lorand

La truite et le chêne est un conte d’Ernestine Lorand dans lequel une histoire d’amour se réfère au Chêne à Guillotin à Concoret et à la Truite du Ridor à Plémet.

Un conte d’Ernestine Lorand

La truite et le chêne est un conte d’Ernestine Lorand publié en 1995. —  LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne. [pages 317-321] —

Dans cette légende que je viens de créer, je parle à la fois des lieux réels qui m’entourent, mais aussi du mystère qui les enveloppe.

LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne. [page 317]

Le récit intégral de La truite et le chêne

Il était une fois dans un petit village « Les Rues Éon » où vécut Éon de l’Étoile, le moine chevalier, une grande ferme dirigée par le père de José et ses deux valets, car José avait perdu sa mère à l’âge de six ans. Pour se rendre utile, ce petit garçon allait tous les jours dans les bois du Rox ramasser du bois mort pour faire chauffer le chaudron et bouillir la marmite. Il s’occupait des poules et des lapins. Ce n’était peut-être pas dur, mais ennuyeux sûrement de faire toujours la même chose.

Un jour, son père lui promit de l’emmener à la foire aux bestiaux de Loudéac. Cela lui donna du courage. Le jour étant arrivé : demain, dit-il à son fils, tu mettras tes beaux habits et nous partirons de bonne heure, car il y a loin, une trentaine de kilomètres de Concoret à Loudéac et le marché se fait tôt. José dormit mal cette nuit là.

C’est l’un des valets qui fit sa besogne. Rendu au marché, le père de José chercha les plus beaux cochons. Il s’arrêta devant une « carre » qui en contenait cinq ; la marchande venait toujours au marché avec sa fille comme cela si elle devait s’absenter quelques instant pour discuter, sa fille surveillait les cochons. Le père de José ne se laissait pas embobiner par la marchande ; ayant fait l’achat de deux cochons, il se ravisa et acheta les trois autres. Il se montra très galant et invita la marchande et sa fille à manger de la soupe. Pendant que les parents discutaient ensemble, les enfants en faisaient autant si bien qu’une grande amitié naquit entre eux et jurant tous les deux de se revoir un jour, chacun reprit sa route. La petite fille s’appelait Germaine ; elles habitaient sa mère et elle au bourg de Coëtlogon dans les Côtes-d’Armor. Le lendemain et les jours suivant, José allait dans les bois, mais il avait de moins en moins de courage et revenait de moins en moins chargé de bois mort. Il ne dormait pas bien. Il ne mangeait pas comme avant. Son père lui fit la remarque et lui dit : « Si tu ne veux pas ramasser de bois mort, coupe les branches de chêne vert, ça durera plus longtemps au feu ». Mais ce que personne ne savait c’est que la petite fille de Coëtlogon était comme José : elle se languissait de jour en jour. Elle avait perdu l’appétit, le sommeil et disait : « Je voudrais le revoir », et elle en parlait la nuit.

Le temps s’écoulait ; les enfants avaient grandi. Un jour que José allait au bois, il se dit « je vais casser le bois vert comme l’a dit mon père. » Il vit un beau chêne dont les branches trainaient à terre, il se mit à tirer dessus de toutes ses forces, tout d’un coup, il entendit une voix vers le haut de l’arbre qui disait : « Mais tu me fais mal ! Mais tu me fais mal ! » José crut d’abord qu’il y avait quelqu’un dans cet arbre, mais ne voyant rien, il recommença aussitôt. Il entendit de nouveau cette voix : « Tu me fais mal ! Tu me fais mal ! » José qui avait entendu parler des sorciers prit peur et s’enfuit à toute vitesse sans emporter la moindre branche de bois. Il savait qu’il était en pays de sorciers car à l’époque il y avait une dormeuse en Concoret. Tout cela lui donnait le frisson de peur. Pourtant, José était devenu un solide gaillard, ce qui ne l’empêcha pas de fuir à toutes jambes vers la maison. Il conta l’histoire à son père ; comme il ne croyait pas à toutes ces sornettes, surtout qu’il voulait avoir un fils brave et courageux, il le mit au défi de retourner le lendemain chercher du bois mort. Il lui donna même une correction et l’envoya au lit sans manger. Il était très dur le père de José et bien souvent ce jeune garçon pensait à sa mère : « Pourquoi nous a-t-elle quittés ? Elle m’aurais cru si elle avait été là. » José était si malheureux qu’il pleura toute les larmes de son corps et ne put trouver le sommeil. Dès qu’il fermait les yeux, il revoyait Germaine plus grande et plus belle encore ; il fallait à tout prix la revoir. Il n’en pouvait plus et finit par s’endormir vers quatre heures du matin.

Il fit alors un rêve étrange ; une voix lui disait : « Quand tu reverras Germaine, ce sera peut-être la dernière fois ; si tu penses très fort elle deviendra sous tes yeux un joli poisson avec une belle queue à la place de ses jambes et de belles nageoires à la place de ses bras ».

Au matin, il prit le chemin qui mène au bois du Rox ; c’était le premier lundi du mois, jour de la foire à Loudéac. Il se dit : « Il faut que je retourne là-bas ; J’ai peut-être une chance de la revoir. » Il prit donc la route vers son destin. Cette route est longue ; il fait chaud ! José fatigue mais le courage ne lui manque pas. Il repense à cette voix lui parlant de Germaine. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’à Coëtlogon une jeune fille partait pour aller rejoindre José. Elle avait fait un rêve tout aussi étrange. Une voix parlait dans la nuit : « Va vers Loudéac, tu rencontreras en chemin, celui qui te fait passer tes nuits blanches et tu le verras peut-être pour la dernière fois, si tu le veux, en pensant très fort, il va devenir sous tes yeux un beau chêne avec de belles racines à la place des jambes et de grandes branches à la place de ses bras. Si quelqu’un lui veut du mal, pense très fort à cet arbre et ton vœu sera accompli. » Au petit matin, elle s’en alla sur la route qui menait au bonheur ; sa mère n’y pouvait rien, elle la laissa partir. Elle était loin de se douter de la suite des évènements ; Germaine était faible et fragile ; elle marchait tout doucement sur la droite au bord de la route. Elle avait mis sa robe blanche, de petites chaussures à toile blanche et un joli chapeau de paille Elle avait déjà fait quelques pauses, mais arrivé au bord de la rivière, non loin de Plémet, elle voulut se désaltérer. Repue, elle s’endormit.

Du côté de la « Rue Éon », on s’agitait ; le midi José n’était toujours pas rentré. Son père et les valets ont fouillé les bois, mais nulle trace de José. Le père a pensé un instant qu’il pourrait être endormi car toute la nuit, il avait si mal dormi et s’était retourné sans cesse en laissant échapper quelques mots surtout « Germaine ». Il savait que c’était le jour du marché de Loudéac ; il se dit que peut-être José avait pris la route de Loudéac et il dit à ses valets : « Attelez le cheval à la voiture et prenez quelques outils car si nous devions débroussailler, ils nous seraient utiles ! » Il se mirent en route et scrutèrent de chaque côté pour voir s’il n’était pas endormi.

José a bien chaud et de temps en temps, il se repose à l’ombre, mais arrivé à un endroit où l’on pouvait passer parmi les ronces pour se rendre au bord de la rivière, il descendit pour se rafraichir. L’eau était claire et limpide ; elle coulait en faisant un petit bruit parmi les cailloux. José but dans le creux de ses mains ; il n’arrivait pas à étancher sa soif. Tout d’un coup, il se sentit léger malgré sa fatigue. Il s’arrêta net, médusé, les yeux grand ouverts ; une jeune fille était là, vêtue d’une belle robe blanche et d’un chapeau de paille. Il pensa qu’elle était peut-être malade ; il s’approcha sans faire de bruit et reconnut celle qu’il aimait, mais ne la réveilla pas ; épuisé, il lui donna un baiser sur la joue et plongea dans un profond sommeil. Ils furent réveillées par un bruit de galop et de roues. Pendant que José et Germaine se contaient leur histoire, chacun parlant de son rêve étrange, le père de José et ses valets s’étaient approchés de la rivière. L’un des valets fut attiré par des bruits de voix qui venaient du bord de la rivière ; il avait reconnu José : « Regardez, c’est bien lui ! »

Le père se mit dans une grande colère : « Vous allez voir, je vais lui montrer de quel bois je me chauffe ! » Il ne savait pas encore ce que le bois lui réservait ! « Alors, dit-il à son fils, je m’en doutais. Ah, tu vas monter en voiture et rentrer à la maison ! » Il leva très haut et très fort sa main pour la laisser tomber sur son fils. Mais avant qu’il ait pu finir son geste, Germaine pensa très fort et José fut transformé en chêne avec de belles racines à la place de ses jambes et de belles branches à la place de ses bras pendant qu’elle même se transformait en une belle truite. Le père de José se voyait pris dans les branches et cria à ses valets de prendre leur serpe. Ils se mirent en besogne et entendirent crier : « Tu me fais mal ! Tu me fais mal ! » De frayeur, il ont tout lâché ; c’est là que le père de José a commencé à croire ce que son fils lui avait raconté. « Ma parole, les arbres parlent à présent ! » Il voulut recommencer mais une grande tempête souffla soudain dans les branches et la rivière sortit de son lit emportant voiture, cheval, valets et le père de José. Ils ont tous été emportés par le courant.

Un pêcheur qui avait assisté à la scène, pris de peur s’éloigna en courant et raconta l’histoire à la première personne qu’il rencontra. La nouvelle se répandit vite de bouche à oreille et la disparition fit grand bruit, chacun disant à sa manière : les uns disaient que c’étaient le destin, les autres parlaient de sorcellerie en Brocéliande, de la sorcière des Quatre-Vents et de méchantes fées. Cela animait les veillées, mais lorsqu’on rentrait tard dans la nuit et que le vent soufflait dans les branches, un frisson passait dans l’échine. Quand les rivières étaient en crue, on croyait revoir surgir ceux que le courant avait emporté. On hésitait à couper les branches de chênes ; c’est pour cela sans doute que les émondeurs de bois chantaient en coupant les branches des arbres, peut-être pour conjurer le sort.

La rivière a toujours son doux murmure en s’écoulant parmi les petits cailloux et pendant que le bouchon taquine le poisson, le pêcheur fait un petit somme ; mais dans son rêve, n’entend-il pas quelques voix lui rappelant qu’un jour José et Germaine se sont aimés et transformés. Ils ont de longues années durant vécu au bord de cette rivière ; ses rives ont été peuplées de chênes et de belles truites frétillaient dans ses eaux claires.

Se faisant vieux, le chêne a voulu se planter ; il a redescendu le courant et c’est à la « Rue Éon » qu’on peut le voir ; il est toujours en vie et est devenue légendaire. On dit qu’il a abrité un prêtre réfractaire du nom de Guillotin pendant la Révolution. Mais ce n’est que beaucoup plus tard que la truite est remontée jusqu’à cette rivière Le Ridor à Plémet. Elle aussi, est devenue célèbre car tous les ans ont fait la fête à Plémet et elle s’appelle la truite de Ridor.


Bibliographie

LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne.