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1914

Les lutins du moulin de la Hâtaie

Une légende de Guer publiée par François Cadic

La légende des Lutins du moulin de la Hâtaie est publiée par François Cadic en 1914 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris.

1914 — Une légende publiée par François Cadic

La légende des Lutins du moulin de la Hâtaie (ou de la Hattaie) est publiée par François Cadic (1864-1929) en 1914 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris. —  CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », La Paroisse bretonne, 1914. —

Carte postale ancienne du château de la Hattaie - Guer

François Cadic écrit avoir entendu cette légende auprès de M. Lecomte de Guer.

Rééditions

1922 — François Cadic

Cette légende fait l’objet d’une réédition en 1922, du vivant de l’abbé, sous le même titre. —  CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, II, Première série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1922, p. 53-58. —

2001 — Terre de Brume

Les lutins du moulin de la Hâtaie est à nouveau édité dans les œuvres complètes de François Cadic publiées entre 1998 et 2001 aux éditions Terre de Brume. —  CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, II, Première série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1922, p. 53-58. [pages 381-386] —

Le texte intégral des Lutins du moulin de la Hâtaie

Qu’avait-il donc fait aux farfadets, aux korrigans, aux poulpiquets, Jean-Louis, le meunier du moulin de la Hâtaie, pour que ces méchants petits êtres lui aient un jour voulu malemort ? Il n’aurait su le dire lui-même.

Jusqu’à ce moment, il n’y avait pas eu d’homme plus heureux. Tandis que le clair soleil allumait des reflets d’or à la surface de l’étang et que les belles tours du château voisin se miraient dans le miroir des eaux, il n’avait qu’à se promener, les mains dans les poches, en rêvant aux étoiles ou à taquiner le goujon. Son moulin besognait pour lui.

Le brave serviteur ne boudait d’ailleurs pas à la peine. Jour et nuit, ses roues tournaient, éclaboussant ses vieux murs de paillettes de cristal, et l’on entendait le toc-toc de la meule qui gémissait sous l’effort, en broyant le grain. La vue de ce bonheur avait-elle excité la jalousie des lutins ? Peut-être bien. Toujours est-il qu’ils s’y prirent de singulière façon pour le troubler.

Il y avait dans le château de la Hâtaie, du côté qui regardait le moulin, une tour solitaire qui était inhabitée depuis longtemps, parce que disait-on, elle était hantée. Ce fut là que la troupe échevelée et bruyante des lutins alla s’installer. Pauvre Jean-Louis ! À dater de ce jour, il ne connut plus le repos. Adieu la douce vie d’autrefois ! Il était en alerte perpétuelle.

Sitôt que le soleil avait disparu et que la nuit avait commencé à envelopper de ses ombres la surface de l’étang, réveillant, parmi les glaïeuls et les nénuphars, les coassements des grenouilles, les vilains petits êtres s’élançaient, tel un essaim de frelons malfaisants, et fondaient sur le moulin. On les entendait venir de loin. On aurait dit une armée de diablotins en marche. Leurs voix débordantes et aigrettes rappelaient celles des enfants en colère. Ils chantaient, mais leurs chants étaient une cacophonie infernale capable d’épouvanter les morts dans leurs sépulcres. Pour narguer Jean-Louis, ils répétaient à tue-tête la chanson.

Meunier tu dors, ton moulin,
Ton moulin va trop vite ;
Meunier tu dors, ton moulin,
Ton moulin va trop fort.
Ton moulin, ton moulin va trop vite,
Ton moulin, ton moulin va trop fort.

Ah non ! il ne dormait guère, Jean-Louis, et son moulin n’allait pas fort non plus. À peine étaient-ils là que les roues ne tournaient plus ou qu’elles tournaient mal. Bientôt, la maison en était pleine. Il y en avait partout de ces méchants petits bonshommes, sur les chaises, sur les bancs, sur la table, sur le foyer, dans les lits, jusque dans la marmite et la baratte à beurre et il en arrivait sans cesse d’autres. Quand la troupe était au complet, ils se mettaient à danser, en se tenant par leurs mains crochues, leurs longues barbes balayant la terre, et c’était toujours le même refrain qu’ils reprenaient en chœur :

Par-dessus haies et buissons,
Nous dansons des rigodons,
Et ce que nous défaisons,
Meunier, nous le refaisons.

Ce disant, d’ailleurs, ils ne mentaient pas, les vilains. Personne ne s’entendait mieux à faire et à défaire. Si Jean-Louis levait la vanne, afin de laisser couler l’eau sur les roues, vite, il se précipitaient après lui, et s’accrochant à la planche, ils tiraient en haut, tiraient en bas ainsi que des scieurs de long qui font aller leur outil, et les roues ne tournaient plus que par saccades.

Si Jean-Louis arrêtait sa meule pour la piquer, eux ils la remettait en travail, en lui imprimant des mouvements fantastiques, capables de la briser. Dans de telles conditions, on juge si les clients avaient lieu d’être contents. Lorsqu’ils ouvraient leurs sacs, il y retrouvaient moitié grain, moitié farine. Un dernier méfait des lutins acheva d’exaspérer Jean-Louis et le décida à user des grands moyens.

Il avait reçu ce jour là des pochées (des sacs) de froment, à ne savoir où les loger, et déjà, il se frottait les mains d’aise : « Bonne affaire, se disait-il ; j’ai là de la besogne pour plusieurs mois et, grâce à Dieu, il sera possible au meunier de la Hâtaie de renouveler son vestiaire l’hiver prochain. » L’affaire était bonne, assurément, mais il avait compté sans ses hôtes. Le soir même, korrigans, farfadets et poulpiquets envahissaient le moulin, plus nombreux que jamais. « Ah ! Ah ! s’écrièrent-ils, le meunier a trouvé la fortune. Il doit être content. Nous voulons être de la fête.

Alors commença une singulière procession. Chacun des lutins s’empara d’un sac, et les uns derrières les autres, ils se mirent à déambuler autour du moulin et le long de l’étang, jusqu’au château. On aurait dit une multitude de fourmis se promenant autour de leur nid, un gros œuf entre les pattes. Cela dura de la sorte jusqu’à l’aube. Jean-Louis se désolait. Cette fois il était sûrement ruiné. Il ne reverrait plus son grain.

Or, au premier chant du coq, tout était rentré. Les sacs avaient repris leur place et les lutins avaient disparu. Ils avaient voulu simplement montrer de nouveau qu’ils savaient faire et défaire à leur fantaisie.

Le meunier voulut montrer lui aussi qu’il entendait être le maître désormais chez lui et demanda conseil aux gens avisés. Il y avait en ce temps là, au bourg de Guer, une vieille femme, Guillemette Gicquel, un peu sainte, un peu sorcière, qui en savait sur le petit doigt plus long que plusieurs notaires et qui aimait à tirer le pauvre monde de peine. « Pourquoi ne vas-tu pas la voir ? lui dit un mendiant qui sollicitait un morceau de pain à sa porte. Il y a longtemps qu’elle t’aurait indiqué la recette pour te débarrasser de ces vilains bonshommes. » Il alla trouver Guillemette Gicquel. Oui bien sûr, mon bon Jean-Louis, lui répondit la vieille, je serais heureuse si je puis te mettre à l’abri des tours de ces ennemis d’un nouveau genre ; mais, une première question : Comment entrent-ils dans ta maison ?

— Ils y entrent, répliqua le meunier, par la porte, par les fenêtres, par la cheminée, par toutes les ouvertures qu’ils rencontrent et en répétant une chanson, toujours la même. Ah ! je la connais leur chanson ! L’ai-je assez souvent entendue !

Par-dessus haies et buissons,
Nous dansons des rigodons,
Et ce que nous défaisons,
Meunier, nous le refaisons.

La vieille se frappa le front : J’ai trouvé ! s’écria-t-elle. Les malins aiment à refaire ce qu’ils ont défait. Donne leur donc un travail où le diable perdrait son latin.

— Je mettrais à brûler un cierge de deux écus devant la statue de messire saint Gurval, patron de cette paroisse, repartit Jean-Louis, et à vous, la mère, je donnerais deux sacs de pure farine de froment si je réussis à les embarrasser.

— La chose mon gars n’est pas si difficile que tu le crois, reprit Guillemette. Écoute-moi bien : lorsque, à la tombée de la nuit, tu lèveras la vanne de ton moulin, aie soin de poser en travers un sac plein de son. Retire-toi ensuite et attends. Tu viendras demain m’apporter des nouvelles de tes bonshommes.

Jean-Louis suivit le conseil. Aux premières ténèbres, il remonta sa vanne, plaça auprès, en équilibre, un sac de son et se retira. Il avait à peine fermé la porte de son moulin que le refrain habituel : « Par-dessus haies et buissons... » lui annonça au loin l’arrivée des lutins.

— Oui, oui, chantez toujours, les malins, murmura-t-il. On verra bien qui chantera le dernier. À mon tour de rire à présent. Ce fut son tour en effet. Il n’y avait pas une minute que la troupe des petits bonshommes malfaisants était sur la chaussée qu’un affreux concert de vociférations s’élevait parmi eux. Tous criaient à la fois, se disputant et se battant, et il y avait motif. L’un deux venait de s’accrocher à la vanne pour l’abaisser et la remonter, suivant leur habitude, et, dans sa précipitation, il n’avait pas pris garde au sac. Or, voilà que celui-ci était allé choir dans l’étang et aussitôt le son s’était répandu à la surface de l’eau.

Il s’agissait maintenant de ramasser ce son, puisque les lutins prétendaient faire ce qu’ils avaient défait ; mais pensez si c’était facile. Ils avaient beau plonger et replonger, s’efforcer de saisir cette poussière de froment qui flottait de tous côtés, peine inutile.

Jean-Louis était accouru, et, les poings sur les hanches, riant à gorge déployée, il les encourageait à la besogne : « Voyons ! voyons ! les gars, criait-il, ça ne va donc plus ! Du cœur à l’ouvrage, que diable ! J’ai besoin de mon son. Je ne l’ai pas mis sur ma vanne pour le jeter aux poissons. Il me le faut céans ». Rien n’y faisait. Au bout de dix minutes, le son avait disparu au fond de l’étang ou partait à la dérive avec le torrent qui cascadait sur les roues du moulin.

Les petits hommes, mouillés, transis, toussant, pleurant, pris de douleurs et de rhumatismes et n’en pouvant plus s’en allaient eux aussi, honteux d’avoir été vaincus par un meunier. Ils emportaient un au revoir malicieux de celui-ci. Pour petits qu’ils sont, les lutins ne sont pas moins d’orgueilleux personnages. Ils se croient supérieurs aux hommes par l’esprit et jamais ils ne se montrent, là où ils croient trouver leur maître. Voilà pourquoi jamais ils n’ont reparu à la Hâtaie.

Bien des années se sont passées depuis ceci et beaucoup de choses ont changé. Seul, le beau château survit avec son donjon, sa cour d’honneur, ses fossés, ses cachettes qui servaient d’asile à de malheureux prêtres pendant la Révolution. La tour où nichait les lutins a été supprimée ; l’étang s’est changé en prairie ; le moulin n’est plus qu’une ruine et Jean-Louis est parti chez le bon Dieu.

Le souvenir des méchants petits êtres n’en a pas disparu pour cela de Guer. Volontiers, de braves gens racontent encore leurs méfaits et la façon dont le meunier de la Hâtaie eut raison d’eux. Leur aventure prouve une chose, c’est qu’en ce monde il n’est malin qui ne rencontre un jour plus malin que lui.

Raconté par M. Lecomte de Guer

—  CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », La Paroisse bretonne, 1914. —

1915 — La version de l’abbé Le Claire

En 1915, l’abbé Le Claire (1853-1930) publie une volumineuse histoire de Guer dans laquelle il évoque plusieurs légendes de la paroisse, parmi lesquelles celle des Lutins du moulin de la Hâtaie.—  LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne. [page 233] —

La première partie de sa version est similaire à celle de François Cadic. Il est cependant à noter que la sorcière du bourg de Guer n’est plus Guillemette Gicquel, un peu sainte, un peu sorcière, mais une sorcière de la ville de Guer, Marie Maingard, autre nom donné à la Bête de la Lohière. La fin du récit, qui fait intervenir le diable, se dissocie de la version de François Cadic, et parait plus conforme à la structure d’une légende puisqu’elle donne l’explication de la ruine du moulin.

Le texte intégral de l’abbé Le Claire

Autrefois, il y avait le moulin à eau de la Hâtaie. En voici la légende : Jean-Louis était le meunier du moulin, qui passait pour un peu voleur, comme tous les gens de sa profession. Dans le pays, alors il y avait des Korrigans ou petits êtres qui aimaient à jouer des tours au meunier. Ils vinrent donc un jour s’installer dans la vieille grosse tour de la Hâtaie et tous les soirs, ils en sortaient pour taquiner le meunier. Celui-ci ayant consulté une sorcière de la ville de Guer, Marie Maingard, réussit à s’en débarrasser, en les mettant dans l’impossibilité de « faire ce qu’ils avaient défait ». Honteux, les lutins ne revinrent pas. Mais leur maître, Messire Guillaume Satanas, plus fort qu’eux, vint à son tour, emporta le meunier dans son enfer. Alors le moulin n’ayant plus de meunier, tomba vite en ruine ; l’étang se remplit d’herbes et il n’en reste plus que l’emplacement. Le meunier aurait-il réussi à se tirer d’affaire avec Satan comme il l’avait fait avec les lutins et à se faire admettre en paradis ? Les uns disent oui, les autres, non.

Éléments de comparaison

Plusieurs contes et légendes du pays de Brocéliande mettent en scène des lutins, korrigans ou autres membres du petit peuple.

Les Korrigans de Tréhoranteuk ou la Semaine des nains de Ernest du Laurens de la Barre est une adaptation en forêt de Paimpont du conte Les Korils de Plaudren d’Émile Souvestre, publié dans le Foyer Breton en 1844.—  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Veillées de l’Armor, récits populaires de Bretons, Vannes, Caudéran, 1857. —

Mais c’est avant tout d’une autre légende de Guer, Les lutins du château de Coëtbo, publiée par Alfred Fouquet en 1857, qu’il convient de rapprocher les facéties des Lutins du moulin de la Hâtaie.—  FOUQUET, Alfred, Légendes, contes et chansons populaires du Morbihan, Vannes, Caudéran, 1857, Voir en ligne. —


Bibliographie

CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », La Paroisse bretonne, 1914.

CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, II, Première série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1922, p. 53-58.

CADIC, François, « Les lutins du moulin de la Hâtaie », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, II, Première série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1922, p. 53-58.

DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Veillées de l’Armor, récits populaires de Bretons, Vannes, Caudéran, 1857.

FOUQUET, Alfred, Légendes, contes et chansons populaires du Morbihan, Vannes, Caudéran, 1857, Voir en ligne.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne.