aller au contenu

1988

Les trois pêches

Un conte adapté par Patrick Lebrun

Les trois pêches est un conte dans lequel un roi gourmand promet d’offrir sa fille unique à qui lui ferait déguster les trois plus belles pêches du royaume.

Un conte adapté par Patrick Lebrun

Les trois pêches est un conte de Patrick Lebrun publié pour la première fois en 1988 dans sa rubrique du Ploërmelais, Contes populaires de Brocéliande. —  LEBRUN, Patrick, « Les trois pêches », Le Ploërmelais, Vendredi 5 février, Ploërmel, 1988, p. 14-16. —

Il est édité en 1993 dans un recueil de contes du pays gallo avec des illustrations d’Hélène Roinel. —  ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993. [pages 90-94] —

Influences

Ce conte du type 0513 - Les compagnons extraordinaires a été collecté à deux reprises en Ille-et-Vilaine au 19e siècle. —  MATHIAS, Jean-Pierre, Contes et légendes d’Ille-et-Vilaine, Paris, De Borée, 2012, 484 p. —

La plus ancienne version, publiée par Paul Sébillot sous le titre La princesse aux pêches, a été collectée auprès de Jean Bouchery, garçon de ferme puis vannier à Dourdain (35). —  SÉBILLOT, Paul, Contes populaires de la Haute-Bretagne, G. Charpentier éditeur, 1880, 360 p., Voir en ligne. p. 89-96 —

La seconde version, intitulée Le panier de pêches, a été recueillie par Adolphe Orain auprès de Pierre Gérard, garde champêtre à Pléchatel (35). —  ORAIN, Adolphe, Contes du pays Gallo, Rennes, Honoré Champion, 1904, Voir en ligne. p. 11-21 —

Patrick Lebrun a presque intégralement repris la trame de cette seconde version en la localisant en forêt de Brocéliande.

Le récit des trois pêches

Il y avait à cette époque en Brocéliande, un seigneur qui n’avait qu’une fille qui était arrivée à l’âge de prendre époux. Comme ce seigneur était fâché avec tous ceux de son rang dans la région, il lui fallait trouver, pour sa fille, un époux parmi le peuple. Ne parvenant pas à se décider, il fit publier dans toute la forêt le message suivant : celui qui m’amènera les plus belles pêches, celui-là aura ma fille en mariage.

Une vieille veuve qui avait trois fils proposa à son ainé de cueillir les trois plus belles pêches du jardin et de les porter à la cour du roi. Son panier sous le bras, il se mit en chemin et rencontra une mendiante qui lui demanda ce qu’il pouvait bien faire de si bon matin.

— Cela ne te regarde pas vieille mendiante.
— Mais que portes-tu donc dans ton panier ?
— Si on te le demande tu diras que tu ne sais pas. Et puis après tout, si tu veux vraiment le savoir, sache que dans ce panier se trouvent les plus beaux crapauds que tu n’as jamais vus.
— J’espère pour toi que tu dis la vérité », lui répondit la mendiante.
— Cause toujours, moi j’ai mieux à faire que d’écouter des sornettes », répondit le jeune homme en continuant son chemin.

Hélène Roinel

En arrivant au château, il fut accueilli par trois valets qui lui demandèrent d’ouvrir son panier pour en évaluer le contenu. Mais en lieu et place des trois belles pêches se trouvaient trois horribles crapauds, hideux, boursouflés et crachant tout leur comptant. Les deux valets se saisirent alors de l’imposteur et le jetèrent hors du château. Le jeune homme, pantois regagna sa demeure en maudissant la mendiante.

Le lendemain matin, ce fut au second des fils d’aller cueillir trois pêches et d’aller à la cour du roi. En son chemin, il rencontra également la vieille mendiante qui lui demanda où il allait de si beau matin.
— Je vais à la cour du roi.
— Et que portes-tu dans ton panier ?
—  Cela ne te regarde pas, mais si tu veux vraiment le savoir, sache que dans ce panier se trouve une poule noire occupée à couver douze oeufs.
— Méfie-toi donc au lieu de te moquer de moi qu’en arrivant au château il soient tous éclos..
— Cause toujours », répondit le jeune homme en continuant son chemin.

En arrivant au château, il prévint les trois valets qu’il apportait les trois meilleures pêches que le roi ait jamais mangées. Mais en ouvrant le panier il entendit le caquètement d’une poule ainsi que celui de douze poussins noirs. Saisissant le jeune homme par la culotte, les valets le jetèrent dans les douves du château. Comme son frère ainé, il rentra pantois et maudit la mendiante qu’il avait croisée.

La veuve était bien embêtée, car il restait bien le frère cadet, mais celui-ci n’était pas finaud, il était même un peu “lipauët berraü” comme on dit en pays gallo. Malgré tout, il alla cueillir trois pêches le lendemain et prit le chemin du château.

Il rencontra lui aussi la vieille mendiante qui était une sorcière, comme vous l’aviez deviné. Ce matin-là elle portait un gros fagot que le jeune homme proposa d’emmener jusqu’à sa demeure. En arrivant, le jeune homme ne fut guère rassuré : la marmite qui bouillait sur le feu laissait échapper de drôles d’odeurs, des chauves-souris pendaient au plafond et des crapauds dansaient sur la table. Bientôt, la conversation s’engagea :

— Ma pauvre dame, si vous le saviez ! Je vais à la cour du roi qui a promis sa fille en mariage à celui qui lui apporterait les plus belles pêches. Bien que mes pêches ne soient pas vilaines, je n’ai guère d’espoir. Mes frères ainés ont eux-mêmes tenté l’expérience en prenant les plus belles et sont revenus sans la princesse. Mais comme ma mère a promis sa chance à chacun d’entre nous, j’y vais tout de même.

— J’espère pour toi, répondit la sorcière, que le roi n’aura jamais mangé de si bonnes pêches que celles qui se trouvent dans ton panier.

Lorsqu’il arriva au château, les valets lui demandèrent en riant s’il apportait des crapauds dans son panier. Mais quand il montra ses pêches, ces derniers ne purent qu’en admirer la beauté. Le roi, quand il les vit les avala aussitôt, s’exclama qu’’il n’en avait jamais mangé de meilleures et lui promit sa fille en mariage. Mais l’intendant du royaume, qui se voyait bien épouser la princesse, dit au roi :

— Mon roi, cet homme a certes apporté les plus belles pêches, mais à le regarder de plus près, il n’a pas l’air très intelligent et avant de confier le royaume à une personne de cette espèce, vous devriez prendre certaines précautions.

— Soit », dit le roi en s’adressant au jeune homme. « Tu as apporté les plus belles pêches, mais afin de me rendre compte si tu es quelque peu intelligent et débrouillard, à partir de demain matin, tu iras dans la forêt trois jours de suite garder trente lapins blancs que tu devras ramener chaque soir bien repus.

Le lendemain matin, le jeune homme partit en direction de la forêt, avec un sac sur les épaules dans lequel se trouvait trente lapins blancs. Alors qu’il se demandait comment il allait faire pour s’en sortir il rencontra la vieille mendiante qui lui demanda pourquoi il paraissait si triste.

Comment pourrais-je être gai avec ces lapins blancs que j’ai dans mon sac, que je dois aller faire paître en forêt et ramener au château et ceci trois jours de suite.

Arrête donc de pleurnicher ainsi sur ton sort, ne t’ai-je pas déjà permis d’avoir les plus belles pêches que le roi n’ait jamais mangées. A présent, prends ce sifflet et à chaque fois qu’il manquera un lapin, tu n’auras qu’à siffler trois fois avec et aussitôt il regagnera ton sac.

Le jeune homme passa la matinée dans une clairière de forêt en compagnie de ses lapins qui à sa grande surprise restèrent autour de lui à grignoter l’herbe tendre de Brocéliande. Vers midi, il aperçut un bûcheron qui s’avançant vers lui, lui demanda :

Aurais-tu un lapin à vendre pour un pauvre bûcheron ?

Le jeune homme, bien que pas très finaud, reconnut l’intendant déguisé en bûcheron et lui dit :

Bon, je veux bien vous vendre un lapin, et même vous le donner, mais à une condition, que vous montiez sur le rocher et que vous en redescendiez sur le derrière.

L’intendant hésitant accepta finalement le marché. Il descendit le rocher sur le derrière et revint avec un pantalon tellement déchiré qu’on lui voyait les fesses. Le jeune homme lui donna un lapin en riant puis quand celui-ci se fut suffisamment éloigné, siffla trois fois dans son sifflet et les trente lapins regagnèrent le sac.

L’intendant qui n’avait rien vu attendait le retour du jeune homme au château avec impatience. Quand il le vit revenir avec les trente lapins dans son sac il n’en crut pas ses yeux mais se dit qu’il lui restait encore deux jours.

Le lendemain alors qu’il gardait ses lapins dans une autre clairière de la forêt, il vit apparaitre un vieux meunier.

Bon, tu veux un lapin, soit, je veux bien t’en donner un, mais à condition que tu fasses devant moi trois galipettes (des culs de bousinettes comme on dit chez nous).

L’intendant hésitant accepta finalement le marché. Il exécuta les trois galipettes et le jeune homme lui donna un lapin en riant. Il attendit quelque temps puis siffla trois fois dans son sifflet. Le soir, de retour au château, il présenta les trente lapins au roi sous les yeux de l’intendant.

Le troisième matin, il repartit en forêt avec ses trente lapins, se demandant sous quelle apparence l’intendant allait cette fois se présenter. Ce n’est qu’en début de soirée qu’il vit arriver une jeune bergère filant sa quenouille. Aussitôt elle lui demanda de lui vendre un lapin.

Pour vous, ma belle, il sera gratuit, si vous acceptez de me donner un baiser.

Le jeune homme avait reconnu la princesse sous le déguisement de bergère. Alors qu’elle refusait de l’embrasser il ajouta.

C’est cela ou pas de lapin. Et puis, après tout, il n’y a pas de mal à ce qu’une gardienne de moutons donne un baiser à un gardien de lapins. Nous sommes tous des pauvres.

La princesse pensa que ce jeune homme était loin d’être aussi bête qu’il en avait l’air et partant avec le lapin espéra qu’il trouve un moyen de le récupérer avant de rentrer au château. Était-elle devenue amoureuse ? En tout cas elle préférait mille fois ce jeune homme à cet intendant prétentieux qui rêvait de prendre la place de son maitre. La bergère aussitôt partie, il siffla trois fois dans le sifflet et revint le soir même au château tout heureux de pouvoir présenter ses trente lapins bien repus au roi.

C’est extraordinaire, dit le roi. Et comme promis, pour avoir ramené les trois plus belles pêches du royaume et après avoir gardé pendant trois jours mes trente lapins blancs dans la forêt, c’est toi qui sera mon gendre.

Extraordinaire, c’est bien le mot s’écria l’intendant. Méfiez-vous sous son air niais et pas fin, il est certainement un de ces sorciers qui peuplent la forêt de Brocéliande. Vous n’allez tout de même pas, mon bon roi, confier votre royaume à un sorcier.

N’ayez aucune crainte mon beau-père, déclara le jeune homme, sorcier moi-même je ne le suis pas. Mais je peux vous dire une chose, c’est que pour un lapin, j’ai vu un intendant se déchirer tout son postérieur et faire également trois culs de bousinettes. J’ai aussi vu pour ce même lapin une jeune et belle princesse me donner...

Mon ami, n’en dites pas plus s’écria la jeune princesse en donnant un baiser cette fois non plus au gardien de lapin mais à son futur époux. C’est depuis ce jour, que les habitants de Brocéliande peuvent déguster de magnifiques pêches sucrées et bien juteuses.


Bibliographie

LEBRUN, Patrick, « Les trois pêches », Le Ploërmelais, Vendredi 5 février, Ploërmel, 1988, p. 14-16.

MATHIAS, Jean-Pierre, Contes et légendes d’Ille-et-Vilaine, Paris, De Borée, 2012, 484 p.

ORAIN, Adolphe, Contes du pays Gallo, Rennes, Honoré Champion, 1904, Voir en ligne.

ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993.

SÉBILLOT, Paul, Contes populaires de la Haute-Bretagne, G. Charpentier éditeur, 1880, 360 p., Voir en ligne.