1467
De la décoration de la forêt de Brécilien...
Un chapitre des Usements sur les merveilles de la forêt
La charte des Usements de la forêt de Brécilien de 1467 regroupe des ordonnances qui déterminent les droits des usagers de la forêt. Un chapitre intitulé De la décoration de la dicte forest et des mervoilles estans en ycelle détonne par rapport au texte juridique de l’ensemble des Usements. Ce chapitre a longtemps été vu comme un élément rapporté à cause de son contenu pour le moins singulier. Il s’adapte pourtant parfaitement aux objectifs du comte Guy XIV de Laval concernant la gestion de sa forêt.
De la décoration de la dite forêt et des merveilles qui la composent
Nous reprenons ici le titre d’origine du cinquième chapitre des Usements de la forêt de Brécilien de 1467 : De la décoration de la dicte forest et des mervoilles estans en ycelle
1. Les Usements sont constitués d’anciennes ordonnances et d’une nouvelle réunies par le comte Guy XIV de Laval 2 pour que sa forêt soit une source de revenus pour sa famille. Le comte de Laval entend élargir les droits d’usage pour ouvrir sa forêt seigneuriale à tous les riverains et autres habitants du duché de Bretagne. Le chapitre est placé à la fin de la première partie des anciennes ordonnances du 13e siècle, juste avant les dix-neuf ordonnances ajoutées par le comte de Laval. Le style surprend par rapport à celui de l’ensemble des Usements. Il ne s’agit plus de règlement intérieur mais de la grandeur et de la noblesse de la forêt de Brécilien. Il est aisé de constater que Guy XIV de Laval a apporté quelques modifications à l’ancienne narration du 13e siècle. La plus importante de celles-ci concerne Ponthus, héros d’un roman écrit entre 1392 et 1425 3.
Ce qui apparait comme une diversion dans le contenu juridique des Usements sert à Guy XIV d’outil de valorisation. Nous reproduisons le chapitre dans son intégralité.
La forêt occupe un grand et vaste espace appelé mère forêt qui embrasse 7 lieues de long sur 2 et même plus de large. Ce territoire est peuplé de nombreuses abbayes et prieurés de religieux et de dames, ainsi qu’il est déclaré précédemment au chapitre des usagers qui sont tous du fief de la seigneurie de Montfort et de Lohéac dont les seigneurs leur ont donné les droits et privilèges ci-dessus indiqués.
Il y a aussi dans cette forêt quatre châteaux et maisons fortifiées, grand nombre de beaux étangs et les plus belles chasses que l’on puisse rencontrer.
Il y a également deux cents brieux de bois ayant chacun un nom différent et, à ce qu’on prétend, autant de fontaines ayant chacune son nom.
Parmi ces brieux de la forêt, il y a un breil nommé le breil au seigneur, dans lequel n’habite et ne peut habiter aucune bête venimeuse ou portant du venin, ni aucune mouche. Si même on apportait dans ce breil quelque bête venimeuse aussitôt elle y mourrait et elle ne peut y vivre. Lorsque les bestiaux pâturant dans la forêt sont couverts de mouches et gagnent avec ces mouches le breil au seigneur, soudain les mouches s’en vont et sortent de ce breil.
Il y a également près de ce breil un autre breil nommé le breil de Bellenton et auprès de celui-ci une fontaine appelée fontaine de Bellenton, auprès de laquelle le bon chevalier Pontus fit ses armes, ainsi qu’on peut voir par le livre qui en fut composé.
Près de cette fontaine, il y a une grosse pierre qu’on appelle le Perron-de-Bellenton. Chaque fois que le seigneur de Montfort vient à cette fontaine et y prendre de l’eau pour arroser et mouiller ce perron, quelque chaleur et temps contraire à la pluie qu’il fasse, de quelque part que vienne le vent et qu’au dire de chacun le temps ne soit nullement disposé à la pluie, il arrive aussitôt ou peu après, ou parfois avant que le seigneur ne soit rentré en son château de Comper ou, en tout cas, avant la fin de la journée, qu’il pleut au pays si abondamment que la terre et ses biens sont arrosés et en ont grand profit 4. Ce terme pourrait correspondre au caractère originel, nourricier et protecteur de la forêt. Guy XIV souligne que les
nombreuses abbayes et prieurés de religieux et de dames 5sont des fiefs venant de ses aïeux, les seigneurs de Montfort. Il en est de même des droits et privilèges qui leurs sont accordés. Il cite les lieux de résidence,quatre châteaux et maisons fortifiées,qu’on suppose être les châteaux connus de ces seigneurs : Gaël, Montfort, Comper et Boutavent. À cela s’ajoute un grand nombrede beaux étangs et les plus belles chassesainsi que lesdeux cents brieux de boisetautant de fontainesqui agrémentent la forêt.Le breil au seigneur
Le toponyme de « breil » était couramment usité pour désigner des espaces forestiers, comme en témoignent les actes notariés du 17e siècle.
[…] le breil du petit Châtenay, le breil du chêne dom Guillaume, le breil du grand Châtenay, le breil du Seigneur, le breil de Beauvais ; le breil du gué de Mony ; le breil de la Mare-Noire ; le breil du Gué […]
Parmi les deux cents brieux qu’il possède, Guy XIV de Laval en cite un qui présente un caractère particulier :
le breil au seigneur.Il s’agit vraisemblablement du breil de l’ancien quartier de forêt nommée Lohéac, que l’on trouve aujourd’hui encore sur le plan cadastral, où un canton de la forêt de Paimpont situé entre le « Gué de Plélan » et Paimpont (sur la D 38) porte ce nom de « breil au seigneur ».Le pâturage du bétail en forêt de Brécilien est soumis à une réglementation très précisément énoncée dans les Usements. L’espace délimité du « breil au seigneur » y est décrit comme un lieu d’exception, un refuge pour le bétail, donnant à son propriétaire le pouvoir « merveilleux » 6 de protéger les animaux domestiques :
aucune bête venimeuse ou portant du venin, ni aucune mouchene peut pénétrer dans ce breil.Guy XIV place le breil au seigneur sous sa protection et y interdit toute intrusion néfaste. Ce pouvoir rassure les usagers qui peuvent en toute confiance amener leur bétail en forêt. Le message est clair : le seigneur leur garantit qu’il n’arrivera rien aux animaux inscrits dans sa forêt.
Il existe des cas similaires dans les hagiographies. Ce texte difficile à interpréter présente un caractère sacré montrant des similitudes avec un passage de la Vita Mevenni (Vie de saint Meen), que nous a livré le frère dominicain Albert Le Grand (†1640). Cet extrait est conforme à la biographie de la Vie de saint Meen écrite en 1130. Il relate son installation initiale sur les terres de Gaël à la fin du 6e siècle.
Le terroir de Gaël fort gras et fertile, estoit fort endommagé par certaines petites bestioles, lesquelles sortans de leurs tannieres, quand le bled s’en alloit meur, y faisoient un grand dégast. Saint Méen ayant expérimenté le dommage qu’elles faisoient au Monastère, ayant fait Oraison, s’alla présenter devant la tanniere où se retiroient ces bestes et leur commanda, de la part de Dieu, de se retirer si avant dans le désert, qu’elles ne peussent faire plus dommage, ny au Monastère, ny à personne, à quoy elles obeïrent, prenant leur chemin à travers pays, & oncques depuis n’en fut veu en ce pays là.
Ce passage de la Vie de saint Meen et celui du comte de Laval ont en commun la présence d’un territoire duquel les animaux nuisibles sont exclus. Intervient d’un côté l’action miraculeuse du saint, pour favoriser les travaux agricoles, de l’autre la garantie du seigneur, par transmission héréditaire, de la protection des animaux domestiques. Il est intéressant de signaler ici le rapprochement qu’opère Bernard Robreau entre cet extrait de la Vitae Mevinni et le conte gallois d’Owein du 12e siècle.
Il est ici très clair que Méen usurpe la fonction du maitre des animaux rencontré par Yvain dans la clairière voisine de la fontaine [de Barenton] [...] Plus précisément, c’est du conte gallois d’Owein que la description se rapproche le plus. [...] Le gardien païen des étendues sauvages est devenu un protecteur chrétien de l’espace cultivé.
Le breil de Bellenton
Le breil de Bellenton 7 rapporté par Guy XIV dans lequel est la célèbre fontaine de Barenton n’apparait pas au cadastre, mais il est possible qu’il ait existé. Les actes notariés du 17e siècle font référence à un breil dont le nom n’est pas donné, mais le descriptif qui en est fait pourrait lui correspondre.
[…] Le breil commençant à Locquion le long du Haut-Breil et le bas de la Lande de Bellanton 8, au-dessous de la fontaine, tirant au chemin étant au-dessous du village de Folle Pensée 9 […]
Ponthus dans la forêt de Brécilien
Guy XIV situe ce
breil au seigneurprès d’unautre breil nommé le Breil-de-Bellanton.Si l’on s’en tient actuellement à l’emplacement des lieux, la distance entre ces deux breils est d’environ neuf kilomètres. Il nous semble que Guy XIV de Laval marque une volonté d’associer symboliquement ces breils pour introduire l’histoire de Ponthus, un personnage de fiction, héros du roman Ponthus et Sidoine écrit entre 1392 et 1425 10, par un auteur anonyme. Le comte de Laval fait une allusion discrète au personnage :auprès de laquelle le bon chevalier Pontus fit ses armes, ainsi qu’on peut voir par le livre qui en fut composé.Guy XIV qui entend donner du prestige à sa grande forêt, associe le breil de Bellenton à Ponthus, un personnage contemporain dont l’histoire valorise la noblesse de Bretagne. Plusieurs familles sont citées dont celle de Laval, particulièrement concernée par un épisode du roman qui se déroule en forêt de Brécilien 11. Ponthus organise chaque semaine durant une année, des joutes contre les meilleurs chevaliers des plus grandes familles de France et de Bretagne. Les joutes ont lieu à la
fontaine des Merveillesqui est identifiable à celle de Barenton, comme en témoigne lerituelrapporté dans le roman.Le Chevalier noyr [Ponthus] print une coupe d’or, et puis puisa en la fontaine et en arrousa la pierre, et quand le heaulme fut pendu, il commença à tonner, à gresler et à faire fort temps, mais il ne dura gayres. Si s’en merveillèrent moult les estrangers de la merveille de cette fontaine, et toujours l’arrousait-il devant combattre.
Guy XIV fait le choix d’un personnage fictif dont le succès littéraire est avéré au-delà des frontières du royaume de France. Il parvient à faire de Ponthus un personnage historique, venu réellement faire ses pas d’armes à la fontaine. Son histoire apporte du prestige à la forêt et lui donne de la noblesse car Ponthus devient roi de Bretagne et de Galice à la fin du roman.
Faire tomber la pluie : un pouvoir du seigneur de Montfort
Guy XIV de Laval s’attribue le prodige de la fontaine de Barenton.
Chaque fois que le seigneur de Montfort vient à cette fontaine et y prendre de l’eau pour arroser et mouiller ce perron [...] il pleut au pays si abondamment que la terre et ses biens sont arrosés et en ont grand profit.
Ce pouvoir de faire tomber la pluie est à mettre en relation avec les écrits de Wace au 12e siècle. Wace, historiographe du roi Henry II Plantagenêt, écrit à sa demande une histoire des ducs de Normandie. Il compose son manuscrit en 1160 12 en langue dite « romane », d’où le titre Roman de Rou 13. Wace dit s’être rendu en Bretagne à la fontaine de « Berenton » dans la forêt de « Brecheliant ». Il est le premier à témoigner que les chasseurs ont coutume de venir puiser de l’eau à la fontaine avec leur cor et d’en mouiller le perron pour avoir de la pluie 14.
Il est certain que Guy XIV ne pouvait pas ignorer la littérature autour du rituel de la fontaine de Barenton. Il met donc de côté les écrits de Wace et de Chrétien de Troyes, il se perçoit comme l’héritier du pouvoir ancestral des seigneurs de Montfort. Il assure aux habitants de sa seigneurie sous sa protection que la forêt et les terres alentours seront fertiles car elles ne manqueront jamais de pluie. Il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’une transcription qui figurait déjà dans les anciennes ordonnances du 13e siècle.
Guy XIV de Laval est le maître de la forêt parce qu’il édicte un règlement des usages qui prend source à la fois dans le profane et le sacré. C’est pourquoi le chapitre De la décoration... s’inscrit parfaitement dans la charte des Usements.
Le breil de Bellenton et Ponthus sont des éléments mal interprétés par les historiographes du 19e siècle. Cette mauvaise interprétation a introduit une confusion entre le chapitre De la décoration... et l’affaire de La préséance aux États de Bretagne. qui a cours à la même période.