La forêt de Brécilien
L’ancien nom de la forêt de Paimpont
L’actuelle forêt de Paimpont portait le nom de Brecelien ou Brécilien jusqu’à la Révolution. Le mythe d’une grande forêt centrale portant ce nom est rapporté par l’hagiographie du 11e siècle. Il imprègne la fiction littéraire à partir du 19e siècle. Ce mythe est ensuite authentifié par les historiens de la fin du 19e siècle, tels que Aurélien de Courson et Arthur de La Borderie. Les découvertes scientifiques actuelles mettront à bas le mythe de cette grande forêt centrale.
Le 19esiècle voit aussi l’implantation en Brécilien du mythe de la Brocéliande arthurienne, une fiction littéraire qui prend ses origines chez Chrétien de Troyes au 12e siècle.
Le toponyme « Brécilien » dans l’Histoire
Origine du toponyme
Pour expliquer le toponyme de Brécilien 1, nous suivrons le linguiste Alan Joseph Raude, qui explique que la forme correcte du nom breton est Breselien ; celui-ci a évolué en Brecelien, Brécelien, Brécilien, toponymes que l’on retrouve ailleurs en Bretagne. La racine celtique bre est une variante de bren qui signifie « colline » ; elle peut être rapprochée de bron, « sein », « mamelon », qui a aussi le sens de « colline arrondie ». La racine Silin/silien correspond au gallois siglen, « marécage, fondrière ». Le sens de « Breselien/Brécilien », pourrait être « La colline du marécage ». — RAUDE, Alan Joseph, « Bretagne des Livres », Revue de l’Institut Culturel de Bretagne, Vol. 36, 1997. [page 9] —
Cette explication trouve sa raison sur le massif forestier de Paimpont, où se remarquent de nombreuses zones marécageuses, y compris dans les parties proches de son plus haut sommet. Les collines sont nombreuses : 256 mètres à proximité de Baranton, 236 mètres au Cannée, 190 mètres près de Trécesson, etc.
Premières mentions du toponyme
Plusieurs appellations se rapprochant de « Brecelien » sont mentionnées avant sa première apparition, constatée en 1405. Un toponyme Bresrelien associé à Éon de l’étoile 2 est cité dans le Chronicon Britannicum de 1145, publié par Dom Morice en 1742 3.
1145. Mort du pape Lucius, à qui succéda Eugène. On vit une comète, l’hiver fut tiède et les arbres furent stériles ; (des moutiers ?) sont incendiés, certains de leurs habitants tués par le fer et la faim, ainsi que de nombreuses autres habitations d’ermites dans Brocéliande et d’autres forêts, du fait d’un hérétique habitant ces forêts avec de nombreux partisans, que poursuivaient [?] seulement [lacune]. Ce personnage, entre autres hérésies, se divinisait ; nombreux furent ceux qui, s’obstinant à croire en lui, ou plutôt en son hérésie, en diverses provinces, et surtout dans le diocèse d’Aleth, endurèrent patiemment jusqu’à la mort des supplices variés. Il s’appelait Eudo, natif du pays de Loudéac. [traduction de Gilles Bounoure] 4
Notons au passage que le nom de la forêt est écrit Bresrelien dans le texte latin du Chronicon ; nom que G. Bounoure traduit par « Brocéliande ». C’est une erreur, car ce nom n’existait pas en 1145. Il a été inventé par Chrétien de Troyes dans son Chevalier au Lion (1176-1181). Il s’agit là de la forêt de Brecelien ou Brécilien, nom ancien que portait la forêt de Paimpont sous l’ancien régime.
La première mention certaine du toponyme apparaît dans un texte rédigé au château de Vitré le 22 janvier 1405 et intitulé Consentement donné par le duc au contrat de mariage entre Jean de Montfort et Anne de Laval
. « Les Forestz de Brecelien » y sont mentionnées dans les possessions du seigneur de Laval 5.
On trouve la forme « Brecelian » dans un texte de 1419 intitulé Comptes et receptes de la forest de Brecelian et de la châstellenie de Plelan pendant l’année 1419, rendu à Vitré, le 12 juin 1420.
— L’ESTOURBEILLON, marquis Régis de, « Les revenus de la forêt de Brocéliande aux XVe et XVIe siècles », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1893, p. 121-133, Voir en ligne. pages 122-123 —
Le toponyme apparaît ensuite dans les Ordonnances manuscrites du comte de Laval, connues sous le titre Usemens et coustumes de la forest de Brecelien. Ce document a été rédigé en 1467, par Guy XIV de Laval. — COURSON, Aurélien de, « En suivent les usemens et coustumes de la forest de Brécelien, et comme anciennement elle a esté troictée et gouvernée », in Cartulaire de l’Abbaye de Redon en Bretagne [832-1124], Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. CCCLXXII, Voir en ligne. —
De Brecelien à Bréchéliant
Une trace historique du nom donné à la forêt apparaît vers 1160-1170 dans le Roman de Rou de Wace, écrit sur commande du roi d’Angleterre Henri II. Dans ce manuscrit, relatant l’histoire des ducs de Normandie, qui n’a aucun rapport avec le légendaire arthurien de Chrétien de Troyes, Wace dit se rendre en forêt de « Brecheliant » ou se trouve la fontaine de « Berenton » :
E Raol i vint de Gael
E maint Breton de maint Chastel,
E cil de verz Brecheliant,
Dunc Breton vont sovent fablant,
Une forest mult lunge è lée,
Ki en Bretaigne est mult loée.
La fontaine de Berenton
Sort d’une part lez le perron ;
La différence entre « Brecheliant » chez Wace et « Brecelien » tient sans doute à la phonétique. En Bretagne, au 12e siècle, la prononciation d’un nom de lieu varie, à plus forte raison chez Wace, Normand « clerc lisant de Caen », dont le parler n’est pas celui usité en Bretagne.
[Pour Charles Foulon] Il est extrêmement remarquable que cette forme soit écrite en normand : le mot Brecheliant semble bien être la transformation du nom breton brec’hellien où à la spirante s’est substituée une prépalatale sourde : au Brecheliant de Wace correspond normalement un Breceliant ou Brecelian. Le seul toponyme attesté est Brecelien (ou Brecilien) nous l’avons vu.
L’écart entre les noms orthographiés Brecelien et Brecheliant est faible. De plus, le Roman de Rou réunit plusieurs éléments (Bretaigne, Raol de Gaël, forest de Brecheliant et fontaine de Berenton) qui permettent de rapprocher Brecheliant du massif forestier de Paimpont.
Transformations du nom de la « Forêt de Brécilien »
L’appellation « Forêt de Brécilien », attachée au domaine seigneurial, est progressivement remplacée par celle de « Forêt de Paimpont » à partir de la création de la commune du même nom en 1791.
Ce nom donné au massif forestier va se trouver dès le début du 19e siècle en concurrence avec le nom légendaire de Brocéliande, qui apparaît lié pour la première fois à celui de Paimpont en 1821, sous la plume de Miorcec de Kerdanet. — MIORCEC DE KERDANET, Daniel-Louis, Histoire de la langue des Gaulois et par suite de celle des Bretons, Rennes, chez Duchesne, 1821, Voir en ligne. page 57 —. C’est en Bretagne, dans la forêt de Brécilien ou de Brocéliande que Merlin est enseveli…
L’avocat précise dans ses notes qu’il s’agit de la forêt de Paimpont, qui en 540 partageait la Bretagne en deux parties
et ajoute plus loin que Brécilien se situe […] vers Concoret.
Bien que « Brocéliande » soit née d’une œuvre littéraire au 12e siècle, des auteurs ont voulu identifier cette constellation mythique à différents territoires toujours en concurrence aujourd’hui, dont celui de Paimpont.
Le mythe de la Grande Forêt Centrale
L’existence d’une forêt centrale primitive en Bretagne perdure de nos jours dans la confusion des appellations « Brécilien » et « Brocéliande ». Elle relève d’une histoire complexe, allant du 11e au 20e siècle, qui voit une succession d’hommes de lettres, de chercheurs, d’historiens et d’amateurs passionnés proposer, à partir d’une compilation de textes, des explications qui se révèlent aujourd’hui largement erronées 6. Ils ont puissamment contribué à l’implantation du légendaire sur le massif forestier de Paimpont.
La grande forêt centrale dans l’hagiographie du 11e siècle
Le mythe d’une grande forêt centrale qui couvrait la péninsule armoricaine repose sur des sources hagiographiques du 11e siècle. Le bénédictin Dom Lobineau (1666-1727) rapporte le récit de la Vita Mevenni (Vie de saint Méen), dont l’auteur est resté anonyme.
Une grande forêt, qui divisée en différens cantons, fait aujourd’hui les forêts particulières de Painpont, de Brecilien, de la Hardouinaie, de Montcontour, et de la Nouée, s’étendoit alors depuis Gael jusqu’à Corlay, et partageoit la Bretagne en deux portions, dont l’une se nommoit le païs de deça et l’autre le païs de delà la forêt. Ces noms se donnoient apparemment au païs étendu de l’orient au couchant, plutôt qu’à celui qui s’étend du septentrion au midi ; puisqu’on trouve le pays de saint Méen de Gael, et le païs de Massent également nommez le païs de delà les bois, ou Trans Sylva
Dom Lobineau cite une autre Vie plus tardive, celle de saint Léri, qui apporte quelques précisions sur l’étendue de la forêt.
Une grande et vaste forêt, qui commençoit vers les confins de l’Evêché de Rennes, et continuoit jusques vers celui de Cornouaille, séparoit autrefois la partie septentrionale de la Bretagne Armoricaine, d’avec la partie méridionale ; et l’on appelait, à cause de cela, païs d’outre les bois, cette partie septentrionale, en Latin Pagus trans-Sylvam, et en Breton Pou-tre-coet, d’où s’est depuis formé le nom de Porhoet, quoique le païs qui porte le nom de Porhoet n’ait pas une aussi grande étendue, que celui qui étoit auparavant compris sous le nom de Pou-tre-coet, ou de Pagus trans-Sylvam.
Brécilien prend le nom de Brocéliande au 19e siècle
Dès le début du 19e siècle, l’influence romantique conduit des intellectuels bretons à vouloir retrouver leurs racines celtiques à travers les textes anciens. Ils y reprennent le mythe d’une grande forêt centrale primitive couvrant la péninsule armoricaine, dont les forêts bretonnes actuelles seraient les vestiges morcelés. Deux sources principales leur permettent de développer leurs arguments : les textes hagiographiques bretons et la littérature arthurienne. Ils trouvent dans les Vies des saints bretons l’existence d’un « pays à travers bois » appelé « Poutrecoët ». De même, à partir des écrits de l’abbé de La Rue en 1814, ils découvrent la forêt de « Brecheliant » de Wace — LA RUE, abbé Gervais de, Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine dans le Moyen Âge, Caen, Imprimerie de Poisson, 1815, Voir en ligne. p. 44 — et dans la littérature arthurienne la forêt de « Brocéliande » de Chrétien de Troyes. Les Usemens et coustumes de la forest de Brécelien rédigés par Guy XIV de Laval-Montfort en 1467 — COURSON, Aurélien de, « En suivent les usemens et coustumes de la forest de Brécelien, et comme anciennement elle a esté troictée et gouvernée », in Cartulaire de l’Abbaye de Redon en Bretagne [832-1124], Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. CCCLXXII, Voir en ligne. — leur permettent d’établir une relation entre ces éléments, qu’ils tiennent pour certaine, mais qui apparaît aujourd’hui largement erronée.
Influence de Chateaubriand et de La Villemarqué
— En 1812, l’écrivain romantique François-René de Chateaubriand (1768-1848) affirme qu’au douzième siècle, les cantons de Fougères, Rennes, Bécherel, Dinan, Saint-Malo et Dol, étaient occupés par la forêt de Brécheliant
. Associant à tort ces territoires aux Usemens de Brécilien, il introduit une confusion entre le « Brecheliant » de Wace et le « Brecilien » des Usemens.
Un document historique du quinzième siècle, les Usements et coutumes de la forêt de Brécilien, confirme le roman de Rou : elle est, disent les Usements, de grande et spacieuse étendue.
— En 1836, Chateaubriand se sert des écrits de l’abbé Gervais de la Rue pour travestir ceux de Wace à la convenance de son nombrilisme.
[...] je ne place pas Bréchéliant près Quintin, comme le veut le roman de Rou ; je tiens Bréchéliant pour Becherel, près de Combourg.
— En 1837, Hersart de la Villemarqué, grand connaisseur de littérature arthurienne, rend compte de son voyage en forêt de Paimpont.
Brécilien était une de ces forêts sacrées qu’habitaient les prêtresses du druidisme dans les Gaules ; son nom et celui de sa vallée l’attesteraient à défaut d’autre témoignage ; les noms de lieux sont les plus sûrs garans des évènements passés.
Il utilise lui aussi l’appellation « Brécilien » pour nommer une forêt originelle qu’il sacralise et assimile à « Brocéliande ».
J’avais tant de fois, dans mon enfance, entendu parler de Merlin, et lu, dans nos romans de chevalerie bretonne, de si merveilleuses choses sur son tombeau, la forêt de Brécilien, la fontaine de Barenton et la vallée de Concoret que je fus pris du désir de visiter ces lieux, et qu’un beau matin je partis.
La Villemarqué écrit en 1881 un article historique sur la forêt de Brocéliande. Dans cet article, l’influence de l’historien Arthur Le Moyne de La Borderie 7 et du chartiste Aurélien de Courson 8 transparaissent dans la référence aux Usemens de Brécilien comme justification historique de cette « mère forêt » des origines.
Cette forêt de Brocéliande, Bréséliac, Bréchéliant ou Brécilien a toujours excité la curiosité de tout le monde […] Son étendue seule m’épouvante : trente lieues de long, sur dix ou douze de large ; au Moyen Âge, la moitié de la Bretagne, le cœur même du pays. Elle s’étendait alors de Gaël à Paule, la forêt de l’Hermitage, près de Quintin, en est un tronçon. Primitivement elle a pu être la corde d’une espèce d’arc immense, formé par la mer […] Le témoignage authentique, peut-être le plus ancien, quoique le style soit du bas moyen-âge, concernant la forêt de Brocéliande et la fontaine de Baranton, paroisse de Concoret est celui de Maitre Lorence, chapelain du Comte de Laval, seigneur de Montfort et propriétaire de la forêt. Dans les ordonnances qu’il renouvela par son ordre, en date du 30 août 1467, sous le titre d’Usements et coustumes de Brécilien, on remarque un chapitre particulier « De la décoracion de ladicte forest et des mervoilles estans ycelle ». […] On le voit, cette mère forêt était encore très respectable au moyen-âge par son étendue et ses prodiges.
Influence des « antiquaires » locaux tels que Poignand et Baron du Taya
Ces rêveries romantiques deviennent rapidement populaires. Elles influencent des « antiquaires » locaux, tel Jean-Côme Damien Poignand, juge d’instruction à Montfort-sur-Meu. À propos de sa « découverte » des tombeaux de Merlin et Viviane il écrit :
Le roi Arthur avait fixé sa résidence ordinaire à Gaël, au milieu de la forêt de Brécilien, qui avait alors quatre-vingts lieues de tour.
Poignand retient donc très tôt l’idée d’une vaste forêt centrale dont le cœur est pour lui, Gaël. Partisan d’une approche historique qu’il veut rigoureuse, il préfère l’appellation « Brécilien » qu’il juge réelle et antérieure à celles de « Bréchéliant » ou « Brocéliande », qu’il considère comme un travestissement littéraire des poètes et romanciers, écrivains du Moyen Âge.
On retrouve en 1839, chez un autre antiquaire, Baron du Taya, les mêmes évocations enrichies d’une argumentation plus rigoureuse. Dès l’avant-propos, Baron du Taya écrit :
La très-ancienne Broceliande, c’était peut-être la réunion des bois de Painpont, de la Hardouinaye, de Loudéac, de Quintin, de Duault, etc. Le Brécilien moderne, c’est la forêt de Painpont.
Dans son premier chapitre, l’auteur explique que la forêt de Brocéliande porte un nom qui a été différemment écrit
: Breselianda, Bersillant, Berthelien, Berceliande, Brecheliant, Brecilien, Broceliande. Il assimile ainsi clairement Brecilien à Brocéliande. Du Taya s’emploie à trouver des preuves historiques.
Que les seigneurs de Gaël et de Mauron aient possédé Brecilien, et que la forêt ait porté très anciennement le nom de Lohéac, c’est ce dont il ne faut pas douter, si l’on ajoute foi à l’enquête Rohan, rapportée par Dom Morice. La forêt, dont la contenance n’a pas toujours été la même, a fait partie de plusieurs terres et de divers domaines successivement réunis et démembrés. Il m’est impossible d’indiquer l’époque à laquelle les forêts de la Hardouynaie, de Loudéac, et de Quintin, ont cessé de faire partie de Broceliande. Ainsi, je n’ai trouvé de renseignements historiques réels que sur la Brocéliande de Painpont.
Parmi ses recherches l’auteur cite les articles de la Charte de 1467, transcrits le 18 août 1634 et dont la copie est aux archives de Painpont.
Influence des historiens François Manet, Aurélien de Courson et Arthur le Moyne de La Borderie
Les historiens du 19e siècle utilisent les sources de Dom Lobineau, qui évoquent une grande forêt centrale armoricaine.
— Dès 1834, François Manet reprend ses écrits en y ajoutant ses propres déductions.
La plus vaste des forêts de l’ancienne Armorique […] commençait près de notre Montfort actuel ; et continuait jusque vers Quintin et Corlay : de façon que les forêts particulières que nous appelons maintenant de Coulon, de Paimpont ou de Brécilien, de Saint-Méen, de Cotelun, de la Nouée, de Branguily, de Loudéac, et de Lorges, n’en sont plus que de faibles démembremens.
[...] Le bois de Brécilien, que nous venons de mentionner, devint en particulier, dans les 12e, 13e, et 14e siècles, fort célèbre chez nos romanciers, sous les noms harmonieux de forêt de Bréchiliant ou Broceliande…
— En 1840, Aurélien de Courson, évoquant l’immense forêt de Brékilien
, — Courson, Aurélien de (1840). op. cit., p. 37 — fournit une parution partielle de la Charte des Usemens et coustumes de Brécilien. C’est à partir de la découverte par l’historien de ce texte juridique que l’appellation « Brécilien » est abusivement étendue à une grande forêt centrale.
En 1863, à l’initiative d’Arthur de La Borderie, Aurélien de Courson publie intégralement le texte des Usemens et coutusmes de la forêt de Brecilien. — Courson, Aurélien de (1863). op. cit., p. CCCLXXII —
Ce document, rédigé au château de Comper en 1467, est signé de Guy XIV, comte de Laval, descendant de la famille Gaël-Montfort, seigneur de Montfort et de Brécilien. Cette charte est l’aboutissement d’un ensemble d’usages qui s’exerçaient séparément dans des secteurs distincts de la forêt. Elle permet au comte de Laval, par certaines mesures d’ordre administratif, de remédier aux abus se commettant journellement dans sa forêt.
Dans ses prolégomènes, Aurélien de Courson rapporte :
C’est M. de La Borderie qui a découvert dans la déclaration de la seigneurie de Paul, en 1682, le passage suivant « Le chasteau de Brécilien, à présent sous-bois de haulte fustaie, l’emplacement duquel est entouré de fossés en son cerne, etc.
— Arthur le Moyne de La Borderie localise à Paule, dans les Côtes d’Armor, un toponyme de « Brecilien » qu’il identifie à celui des Usemens. L’historien s’appuie sur cette découverte pour fixer les limites d’une grande seigneurie de Porhoët s’étendant d’un « Brecilien » à l’autre.
Les limites du comté de Porhoët, tel qu’il fut constitué au XIe siècle, et qui s’étendait, en longueur, de l’est à l’ouest, depuis Campénéac jusqu’à Plouguernevel, et, en largeur, depuis Corlay jusqu’à Camors
Cette affirmation de La Borderie amène Aurélien de Courson à étendre l’application des Usemens, pourtant spécifique à la forêt du comte de Laval, aujourd’hui forêt de Paimpont, à l’ensemble de la grande forêt mythique armoricaine.
Dans son premier tome d’Histoire de Bretagne, La Borderie se fait le plus influent propagandiste de cette grande forêt de Brécilien, qu’il n’hésite pas à assimiler à « Brocéliande ».
Il existe encore, sur l’étendue primitive de la grande forêt centrale de la péninsule armoricaine, quelques autres indices caractéristiques qu’on ne doit pas négliger. Le nom de cette forêt, au moins à l’époque bretonne, était Brécilien ou Brecelien, dont les poètes français du Moyen Âge firent Broceliande.
Le mythe de la grande forêt armoricaine, ainsi constitué, s’impose durablement jusqu’au 20e siècle.
La forêt centrale démystifiée
Historiens et archéologues d’aujourd’hui s’accordent pour rejeter l’existence d’un énorme bloc sylvestre, une muraille de Chine verdoyante
recouvrant le centre de la Bretagne depuis l’époque gauloise
, pour reprendre les termes de La Borderie.
— L’historien André Chédeville explique.
On est maintenant convaincu que la forêt centrale popularisée par la littérature sous le nom de Brocéliande ou de Brécilien, n’était pas aussi opaque qu’on l’a dit […] les ensembles sylvestres de l’époque carolingienne correspondent nettement aux forêts actuelles et, conclusion qui importe davantage à notre propos, les zones de sols favorables étaient déboisées depuis fort longtemps.
— Même conclusion de l’historien Noël-Yves Tonnerre.
Au cœur de la Bretagne, le vaste espace forestier occupant la moitié méridionale du Poutrecoët était largement défriché dès le XIe siècle. L’étude toponymique montre que les limites de la forêt de Paimpont se rapprochaient des limites forestières actuelles.
— Des fouilles archéologiques sur plusieurs sites mégalithiques sont entreprises de 1982 à 1986 sur le massif forestier de Paimpont. Elles s’accompagnent d’interventions secondaires sur d’autres sites et de nombreuses prospections sur les allées couvertes, alignements et coffres de la région par Jacques Briard, alors directeur de recherche au C.N.R.S.
Ce programme de fouilles a voulu se compléter d’une action pluridisciplinaire, recherchant en particulier les éléments du paléo-environnement ou encore les éléments matériels, pétrographie, céramologie, permettant de reconstituer le système écosociologique des populations vivant en forêt de Brocéliande de la fin du Néolithique au début de l’Age du Bronze […] Le résultat global de cette étude a été positif. Il détruit le mythe fabulaire de la « grande forêt primitive » puisque palynologie aussi bien que microsédimentologie montrent le déforestage et la mise en culture du territoire dès le Néolithique. Il donne une image diversifiée des échanges économiques protohistoriques avec une grande variété de recherches des matériaux utilisés tant pour l’industrie lithique que pour les composants des céramiques. […] La vie reste cependant modeste, axée sans doute sur la chasse, l’élevage et l’agriculture. Là encore la présence de meules conforte les résultats des études palynologiques et microsédimentologiques qui montrent l’accentuation de la déforestation du Néolithique à l’Age du Bronze.
— Cette analyse est confirmée par l’archéologie aérienne effectuée par Maurice Gautier. L’archéologue rejoint les conclusions de Jacques Briard.
Depuis 1989, la région fait l’objet de prospections aériennes systématiques. Elles révèlent peu à peu l’extraordinaire densité de l’occupation ancienne du sol, notamment aux époques gauloise et gallo-romaine et mettent définitivement à mal le mythe de la grande forêt centrale quasi-impénétrable, chère aux érudits et celtisants du 19e siècle. Là, comme ailleurs, les investigations récentes montrent une région largement humanisée à l’aube de l’histoire… du moins autour du massif forestier actuel.