1800-1950
L’écorçage en forêt de Paimpont
Techniques et vocabulaire
La technique de l’écorçage en forêt de Paimpont est documentée à partir du 19e siècle. Encadrée par les gardes du Domaine de Paimpont, cette activité a perduré jusqu’au milieu du 20e siècle.
De la poudre d’écorce de chêne pour les tanneries
Au cours du 19e siècle et jusqu’à l’arrêt définitif des hauts fourneaux des Forges de Paimpont en 1884, l’écorçage constitue le revenu complémentaire le plus important des propriétaires de la forêt 1.
Les écorces prélevées sont vendues à l’industrie locale du cuir - tanneries de Beignon, du Gué ou de Montfort - afin d’être transformées en tan, poudre d’écorce indispensable au tannage des peaux.
Le tanin présent dans un grand nombre de végétaux, en particulier dans les écorces (lat. scortea dérivé de scortum : peau) à tan (chêne), à liège (chêne-liège) et à tille (tilleul), ont largement pourvu la tannerie. Le chêne, le hêtre et l’orme fournirent l’écorce contenant la plus importante proportion de principe actif : le tanin (30 %), dont on se servit pour transformer la peau des animaux en cuir, opération qui consiste à durcir la peau et à la rendre imputrescible et imperméable à l’humidité.
En l’absence de documents sur l’écorçage aux 17e et 18e siècles 2 - âge d’or de l’industrie du cuir en forêt de Paimpont - notre article se concentre sur le vocabulaire et sur la technique de l’écorçage au 19e et dans la première partie du 20e siècle.
Le vocabulaire de l’écorçage
Peler de l’écorce
En forêt de Paimpont écorcer se dit peler du tan
ou peler de l’écorce
.
- En 1821, M. Pollet dépose au Tribunal correctionnel de Montfort :
C’est une jeune personne de dix-huit à vingt ans qui travaille comme journalière spécialement dans la forêt de Paimpont à peler du tan et à d’autres ouvrages de boiseterie, son père et son frère étant charpentiers et bûcherons.
- Le 19 mai 1826 Julien Gendrot, 19 ans, cordonnier, sans domicile fixe, déclare :
Il avait toujours travaillé depuis sa sortie d’apprentissage excepté cet hiver, mais que ce n’était pas à son métier de cordonnier, s’était à peler de l’écorce dans la forêt de Paimpont et dans celle de Merdrignac.
- Bûcheron dans les années 1950 à Beauvais en Paimpont, Jean Levesque, utilise encore ce terme.
On a écorcé aussi, « peloué » qu ‘on appelait ça.
Le pelard
L’arbre écorcé est généralement dénommé pelard
. — El Alaoui, Narjys (2014) op. cit. —
L’utilisation de ce terme en forêt de Paimpont est attestée par le collectage de Guy Larcher auprès de Philippe Guégan (1921-2000), charbonnier actif en forêt de Paimpont jusqu’en 1946.
On utilisait aussi le « pelard » qui était du bois de chêne écorcé.
Une seconde mention provient du témoignage d’Hubert Gernigon, fils d’Armand Gernigon (1893-1981) - garde forestier puis meunier au moulin à tan des Forges-Basses. Dans ce témoignage tardif, le pelard
semble plutôt désigner l’écorce prélevée sur le chêne que l’arbre écorcé lui-même.
On coupait des baliveaux de chênes à écorcer pour faire du pelard. On le faisait sécher et on le passait au moulin à écorce pour en faire du tanin pour les tanneries de la région.
L’écorçoir ou peloir
Mentionné pour la première fois à l’occasion de l’exposition universelle de 1878, l’écorçoir est le nom générique de l’outil utilisé pour écorcer les chênes 3.— KIRWAN, Ch. de, « Notice sur l’industrie des écorces à Tan », in Exposition universelle de 1878. Min. de l’Agriculture et du Commerce. Administration des Forêts., Paris, Imprimerie nationale, 1878, p. 24-25. —
Ses formes et ses appellations, nombreuses, varient selon les régions, les communes et les cantons 4. Si certains écorçoirs - très rares - sont en pierre 5, la plupart - qu’ils soient munis ou dépourvus de lame - sont en os taillé 6.
Les écorçoirs à chêne, principalement réalisés en os de cheval, étaient employés pour écorcer les gros bois, tandis que ceux en os de mulet ou d’âne, passant pour être moins durs et moins bons, servaient à écorcer les petits taillis. — El Alaoui, Narjys (2014) op. cit. —
L’écorçoir taillé en os est dans la majorité des cas cuit par incinération lente
afin d’être solidifié.
Du XVIIe siècle jusqu’à la révolution industrielle, la forêt est exploitée en taillis et le produit des coupes carbonisé sur place (François 1956 : 7). C’est probablement de ce procédé que les écorceurs profitaient pour cuire leur outil par incinération lente et modérée avoisinant 600° C, qui augmentait la solidité et la résistance de l’os enterré sous les cendres, par contraction du tissu osseux qui devient alors compact, solide et inaltérable (Franchet ibid.). Mais ils pouvaient aussi procéder à cette cuisson sous les cendres chaudes résultant de la préparation de leurs repas sur place. Ainsi désinfectés, ils acquéraient une certaine solidité et longévité et étaient préférés des bûcherons qui les employaient de père en fils (Doré-Delente 1892 : 199).
En forêt de Paimpont, l’écorçoir est dénommé « peloir ». Les quelques exemplaires connus sont constitués d’un tibia de vache biseauté que l’on fait glisser entre l’écorce et l’aubier.
C’est un os de vache qu’est coupé en deux. On passait un coup d’un coté, un coup de l’autre. Je dois en avoir un encore chez nous.
La pochée d’écorce
Les écorces prélevées sont regroupées en pochées
afin d’être transportées vers le lieu de séchage.
[...] une quantité assé considérable d’écorces leur avait été volée dans la coupe du Tertre près le village du Cannée et que les nommés Godefroi Allaire et Marie Jeanne Roland femme Lorencieux demeurant au Bout de Bas du village du Cannée en ont vendu plusieurs pochées à Monsieur Augustin Allaire négociant tanneur demeurant au Gué commune de Paimpont.
La technique de l’écorçage
L’écorçage en temps de sève
La technique traditionnelle de l’écorçage dite de « l’écorçage en temps de sève » se pratique sur pied ou sur chevalet 7.
L’écorçage sur pied, le plus courant, avait l’inconvénient de nuire à la production des bourgeons qui doivent reconstituer le taillis. L’écorçage sur chevalet (après abattage de l’arbre), bien que plus long et plus fastidieux que le précédent, présentait peu d’inconvénient pour la souche pour laquelle la coupe n’avait besoin d’aucune autorisation.
En forêt de Paimpont, l’écorçage semble avoir été pratiqué sur pied. Cependant, un seul document, daté de 1863, donne des éléments permettant d’avancer cette hypothèse.
On serait arrivé sans aucun doute, en procédant de cette manière, à favoriser la reproduction naturelle du chêne par les semences, à élever une futaie qui par sa consistance, par sa composition d’arbres d’âges intermédiaires entre le baliveau de la coupe et l’ancien, se serait protégée elle-même en protégeant le jeune taillis, contre l’action des vents d’hiver, et contre les effets de la gelée après l’écorcement du chêne.
L’arbre écorcé ou « pelard » est abattu l’hiver suivant afin d’être carbonisé par les charbonniers, comme l’atteste le témoignage de l’un d’entre-eux.
On utilisait aussi le « pelard » qui était du bois de chêne écorcé.
L’écorçage sur pied s’explique donc par la nécessité de différencier l’époque de la coupe du bois, pratiquée en dehors du temps de sève, de celle de l’écorçage, qui doit - afin d’optimiser la valeur en tanin de l’écorce - avoir lieu durant le temps de sève .
Les gardes forestiers doivent donc avant l’exploitation des bois d’hiver
réserver les arbres qui seront écorcés afin qu’ils soient laissés sur pied pour être en pleine sève au moment de l’écorçage.
[...] l’exploitation des taillis pourra commencer comme par le passé, en réservant d’abord la totalité du chêne destiné à l’écorcement et parmi les autres essences les plus beaux brins, sur souche ou de semence, à raison de 60 par hectare au moins. Avant le mois de mars, quand le personnel sera pourvu de marteaux, et lorsque l’exploitation des bois d’hiver aura éclairci le massif, les agents forestiers procéderont alors à un balivage et martelage réguliers en faisant un choix définitif des baliveaux et arbres anciens et modernes à réserver et des arbres dépérissant à exploiter, et il sera rédigé procès-verbal de cette opération.
Dans Ordre pour les exploitations de la forêt - document daté de 1827 - des consignes sont données concernant la taille des chênes sélectionnés pour être abattus avant sève et ceux destinés à l’écorçage.
Dans la partie de la coupe de Fontaine Leron située entre la lande du Pré aux Bœufs et la bute du Fort destinée à l’écorçage, il ne sera abattu avant la sève aucun brin de chêne que ceux que les ouvriers pourraient embrasser avec le pouce et l’index, les plus gros devant être tous écorcés.
Durant le 19e siècle en forêt de Paimpont, la révolution des coupes destinées à la transformation en charbon de bois oscille entre 15 et 25 ans. Cette durée de révolution des coupes n’entre pas en contradiction avec les nécessités de la production d’écorce pour l’industrie du cuir.
On évitait généralement d’écorcer les coupes jeunes mais lorsque l’écorce était destinée à la tannerie, on choisissait de jeunes arbres âgés de dix à quinze ans, voire vingt à trente ans.
L’écorce de chêne
En raison de sa forte teneur en tanin, l’industrie du cuir privilégie l’utilisation de l’écorce de chêne.
Chaque quintal d’écorce de chêne donnant 90 kg de tan, il fallait environ 220 kg de tan pour transformer 100 kg de peaux en cuir. On comprend l’importance de ce produit.
Comme le montre l’intégralité des documents mentionnant la production d’écorce en forêt de Paimpont au 19e siècle, l’écorce de chêne est la seule a avoir été prélevée pour être vendue à l’industrie locale de la tannerie.
Dans plusieurs parties de la forêt centrale et des deux autres il existe de beaux peuplements et des bouquets de futaies. Partout le chêne y domine. La préférence est accordée à cette essence qui fournit un charbon plus propre à la fusion du minerai de fer et dont l’écorce [est placée ?] pour les tanneries à un prix avantageux.
La saison de l’écorçage
La saison propice à l’écorçage en temps de sève varie en fonction des sols, du climat, des espèces et de l’âge des arbres.
Pour éviter les pertes considérables (un quart de la coupe) dues aux variations atmosphériques et à l’influence pernicieuse qu’elles exercent sur la sève, l’écorçage s’effectuait durant la courte période du mouvement annuel où la sève se trouvait à son plus haut degré d’élévation (d’avril à août selon les régions), c’est-à-dire quand l’écorce se sépare aisément du bois et que les bourgeons gonflés par la sève commencent à s’ouvrir. Lorsque les feuilles sont épanouies, l’écorce est moins riche en tanin.
En forêt de Paimpont, on pèle les écorces pendant un mois ou deux du printemps
, quelquefois pendant trois mois
. Cette activité est donc un travail saisonnier pratiqué par des bûcherons dont c’est la spécialité ou par des travailleurs occasionnels 8.— 2U 562 - 19 mai 1826 in TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : Telhouët, auto-édition, 2022, 686 p., (« Les terroirs de Paimpont »).
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Dans les coupes à majorité chêne, étaient réservés les brins à écorce qui étaient écorcés alors en sève et selon les températures du temps. En principe, l’écorçage avait lieu de la mi-avril à la mi-juin.
Le séchage
Les écorces sont par la suite séchées sur tréteaux puis mises en bottes avant de rejoindre le moulin à tan.
Fallait mettre en tas, attendre que ça sèche. Fallait remettre ça en paquet. C’était les plus beaux brins de chêne qu’on laissait. C’était pour faire du tanin, y avait une tannerie à Beignon auprès de Coëtquidan [tannerie de Launay]. [...] le paquet d’écorce était payé au kilo. Il en prenait deux dans le tas à l’imprévu, ça faisait tant, tant, y faisait une moyenne.
Armand Gernigon (1893-1981) décrit ce processus de séchage dans les années vingt.
Ensuite, il y avait le séchage sur tréteaux disposés à 0,60 du sol, puis la mise en bottes de 0,80 à 0,90 de circonférence, et d’une longueur d’environ 1,80. Ces dimensions toutes approximatives. La destination était la tannerie, pour en faire du tanin pour le tannage des peaux et du cuir.