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1824-1888

La production et la vente d’écorce en forêt de Paimpont au 19e siècle

Au cours du 19e siècle et jusqu’à la fermeture définitive des hauts fourneaux de Paimpont en 1884, la vente d’écorce - destinée à l’industrie locale du cuir - constitue le revenu complémentaire le plus important des propriétaires de la forêt de Paimpont.

En l’absence de documents sur l’écorçage aux 17e et 18e siècles 1 - âge d’or de l’industrie du cuir en forêt de Paimpont - notre article se concentre sur la production et la vente d’écorce au 19e et dans la première partie du 20e siècle.

1800-1839 — Les héritiers de François d’Andigné et de Jacques de Farcy

De 1800 à 1839, la forêt de Paimpont et son usine métallurgique appartiennent en copropriété aux héritiers de François d’Andigné et de Jacques de Farcy. Deux documents datés de cette période évoquent la production et la vente d’écorce.

1824-1827 — Une activité encadrée par les gardes du Domaine de Paimpont

Le plus ancien document mentionnant la production d’écorce en forêt de Paimpont - intitulé Ordres pour les exploitations de la forêt - a été écrit entre 1824 et 1827 à l’intention des gardes, bûcherons, charbonniers et écorceurs. —  GUILLOTIN, Félix, « Dossier 29 : Ordre pour les exploitations de la forêt », Archives du S.I.V.U. « Forges et Métallurgie en Brocéliande », 1824, Voir en ligne. —

Ce document permet de cerner le circuit de l’écorçage tel qu’il se pratique au début du 19e siècle en forêt de Paimpont.

  • Certains cantons forestiers apparaissent spécialement destinés à l’écorçage.

Dans la partie de la coupe de Fontaine Leron située entre la lande du Pré aux Bœufs et la bute du Fort destinée à l’écorçage, [...]

Guillotin Félix (1824-1827) op. cit.
  • Le bois destiné à l’écorçage est du chêne, sélectionné selon la taille de son tronc.

[...] il ne sera abattu avant la sève aucun brin de chêne que ceux que les ouvriers pourraient embrasser avec le pouce et l’index, les plus gros devant être tous écorcés 2.

Guillotin Félix (1824-1827) op. cit.
  • Le transport des écorces par les voituriers est - comme celui du charbon de bois- encadré par des mesures visant à limiter les dégâts occasionnés par les chevaux.

Les chevaux employés à l’enlèvement des charbons ne pourront entrer dans la coupe sans être enmuselés [?]. Même défense est faite aux voituriers de haguilles et d’écorces contre lesquels les gardes rapporteront toutes les fois qu’ils s’écarteront des chemins sans avoir pris cette précaution.

GUILLOTIN, Félix, « Dossier 29 : Ordre pour les exploitations de la forêt », Archives du S.I.V.U. « Forges et Métallurgie en Brocéliande », 1824, Voir en ligne.

1830 — Vol d’écorce et monopole sur la vente

L’encadrement de la production d’écorce par les gardes du Domaine de Paimpont n’empêche cependant pas les larcins. En septembre 1830, René-Jean-Noël Ronceray, garde général des forêts de Brécillien, rapporte le délit commis par Godefroy Allaire, qui a volé et vendu de l’écorce à Augustin Allaire, négociant tanneur demeurant au Gué, commune de Paimpont. —  LARCHER, Guy, « Crime en forêt de Brocéliande », Glanes en Brocéliande, Vol. 82, 2014, p. 8-10, Voir en ligne. —

[...] une quantité assé considérable d’écorces leur avait été volée dans la coupe du Tertre près le village du Cannée et que les nommés Godefroi Allaire et Marie Jeanne Roland femme Lorencieux demeurant au Bout de Bas du village du Cannée en ont vendu plusieurs pochées à Monsieur Augustin Allaire négociant tanneur demeurant au Gué commune de Paimpont. Ce que le dit Allaire ne nous a pas désavoué et nous a déclaré en avoir achepté deux à raison de deux liards la livre en quantité d’environ 400 pesant et qu’il avait cru d’après le dire de ces personnes que c’étaient des morceaux qu’ils avaient trouvés perdus dans la forêt et dans les chemins après que les paquets avaient été enlevés.

RONCERAY, René Jean Noël, « Dossier 28 : Lettre de René Jean Noel Ronceray, garde général des forêts de Brécillien, à propos d’une affaire de vol d’écorces », Archives du S.I.V.U. « Forges et Métallurgie en Brocéliande », 1830, Voir en ligne.

Au delà de cette affaire de vol, ce document nous apprend qu’en 1830,Messieurs Maudet et Métairie, négociants tanneurs à Montfort 3 [...] adjudicataires de toutes les écorces de la forêt de Brécillien depuis plusieurs années., détiennent le monopole sur la vente d’écorce. — Ronceray, René-Jean-Noël (1830) op. cit. —

[...] nous observâmes au dit Allaire qu’il ne devait pas achepter ces écorces sans en avoir obtenu la permission de messieurs Maudet et Métairie à qui elles appartenaient et lui fîmes très expresse déffense d’en achepter d’autres et même de payer celles que ces personnes lui avaient portés.

Ronceray, René-Jean-Noël (1830) op. cit.
La tannerie Cosnier de Montfort vers 1930
Carte postale ancienne J. Sorel édtieur, Rennes - n°28 Montfort-sur-Meu

1839-1841 — La vente des Forges

En 1839, le sieur d’Andigné de la Chasse, actionnaire de la Société des Forges de Paimpont, notifie à plusieurs de ses coassociés sa volonté de liquider la société. Ces derniers ne contestent pas sa demande, stipulant toutefois qu’ils entendent être affranchis de toutes les conséquences des irrégularités de procédure qu’a pu commettre le sieur d’Andigné en ne consultant pas tous les coassociés.

Un jugement du 1er août 1839 ordonne la liquidation et la licitation des biens sociaux de la Société des Forges de Paimpont sans toutefois prononcer sa dissolution. L’expertise et la liquidation sont poursuivies en exécution de ce jugement, et la vente par adjudication fixée au 23 août 1841. —  CUENOT, Stephan, Journal du Palais. Recueil le plus ancien et le plus complet de la jurisprudence francaise, Vol. 1, Paris, Impr. Lange Levy, 1846, Voir en ligne.p. 219 —

La liquidation et la vente de la Société des Forges de Paimpont entre 1839 et 1841 entraine un grand nombre d’opérations administratives, judiciaires ou bancaires, et leur corollaire de documents. Plusieurs d’entre eux mentionnent la production et la vente d’écorce, permettant de la restituer dans le contexte plus global de l’économie des Forges de Paimpont 4.

1840 — L’estimation des revenus de la vente d’écorce

Afin qu’aucun actionnaire de la Société des Forges de Paimpont ne soit lésé durant la vente, une estimation de la valeur des biens et revenus de la forêt est réalisée sous la direction du Tribunal de Montfort.

Réunis ce dit jour trente et un août [1840] à huit heures du matin dans le château des Forges », Félix Marie Guillotin, employé aux forges, Nicolas Marie Bonnet, directeur des forges de la Nouée, experts nommés par jugement du tribunal de Montfort premier août 1839, et Félix Potier, employé aux forges du Vaublanc, tiers expert, en présence de trois avoués des propriétaires, commencent l’estimation de l’usine des Forges et de tout ce qui en dépend dans les communes de Paimpont, Plélan, Saint Péran, Montauban et Beignon, « appartenant aux propriétaires dont les noms suivent [...] »

Tribunal de Montfort, 3U 2 3028 (provisoire) - Février 1841 in TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : les Paimpontais du Bourg, des Forges et du Gué, auto-édition, 2022, 789 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page522]

La production et la vente d’écorce sont elles aussi soumises à l’estimation des experts.

L’estimation du produit annuel des ventes d’écorces par Félix Guillotin et Nicolas Bonnet

Les produits annuels de la vente d’écorce sont estimés par les deux premiers experts à 20 400 francs soit 25,5 % des revenus de la forêt.

Passant ensuite à l’estimation de l’écorce, nous avons jugé que le tiers des 30600 stères, produit annuel de la forêt, était susceptible d’être écorcé, soit dix mille deux cents stères, dont nous fixons le prix seulement à l’unanimité à deux francs l’un, soit vingt mille quatre cent francs. 20 400 francs

TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : Telhouët, auto-édition, 2022, 686 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page 521]

Les revenus de la vente d’écorce de la forêt de Montauban - qui appartient au Domaine de Paimpont - sont quant à eux estimés à 2244 francs.

Nous estimons aussi que onze cent vingt deux stères sont susceptibles d’être écorcées dont nous portons l’écorce à deux francs l’un. 2 244.

TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : Telhouët, auto-édition, 2022, 686 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page 525]

L’estimation du produit annuel des ventes d’écorce par Félix Potier

Le troisième expert, Félix Potier, dont l’avis est séparé des autres sur plusieurs points importants, commence ses estimations par des commentaires sur l’importance de la vente d’écorce dans l’économie de la forêt de Paimpont.

La forêt de Paimpont sans l’usine n’aurait d’autre revenu assuré que le produit des écorces, car il est démontré par ce qui compose l’affouage ci-après que les autres bois sont plus que suffisants pour les besoins du pays et que dès lors sans l’usine aucun débouché certain pour les bois de la forêt.

Tribunal de Montfort, 3U 2 3028 (provisoire) - Février 1841 in TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : les Paimpontais du Bourg, des Forges et du Gué, auto-édition, 2022, 789 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page531]

Cette source de revenu fondamentale pour les Forges de Paimpont est, selon lui, conditionnée par la nécessité de préserver la ressource et d’en destiner une grande partie à l’approvisionnement de l’usine en charbon de bois.

Dans toutes les coupes exceptés deux, le chêne domine. Cependant l’expert ne porte qu’au tiers de la totalité la quantité propre à l’écorce, parcequ’en réservant davantage pour l’écorçage, cette opération se prolongerait trop loin et nuirait à la fois à la recroissance et à l’approvisionnement de l’usine. Le mode suivi depuis 25 ans pour la vente des écorces est à raison du stère de bois pelé. Depuis 10 ans, les prix ont varié depuis 1 f. 66 2/3 à 2 f. 33 1/3, terme moyen 2 francs.

Tribunal de Montfort, 3U 2 3028 (provisoire) - Février 1841 in TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : les Paimpontais du Bourg, des Forges et du Gué, auto-édition, 2022, 789 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page531]

Ainsi, Félix Potier conclut-il que 33 % des coupes de bois peuvent être écorcées annuellement en forêt de Paimpont.

1839-1841 — L’écorce dans les comptes des Forges de Paimpont

Les recettes liées à la vente d’écorce - première source de revenus complémentaires pour les copropriétaires des forges - fluctuent fortement entre 1839 et 1841, passant de 35% à 61% des divers produits des bois et forêts.

Les ventes d’écorce en 1839

En 1839 5, le produit net de la vente des écorces, déduction faite de toutes charges et frais représente 1522.50 deniers soit 35 % des 4310.19 deniers de recette en deniers des divers produits des bois et forêts. —  ARCHIVES DU S.I.V.U. « FORGES ET MÉTALLURGIE EN BROCÉLIANDE », « Dossier 67 : Compte des recettes et dépenses des forges de Paimpont Du 1er juin 1838 au 1er juin 1839 », 1839, Voir en ligne. —

Les écorces proviennent de la coupe des (Bugarons) (587.5 cordes de bois écorcés), de la coupe n°14 de Montauban (496 cordes de bois écorcés) , de La Moutte (234 cordes écorcées et non écorcées) et de la Ville d’Er (122.25 cordes écorcées et non écorcées), soit 1439.75 cordes.

Les ventes d’écorce en 1841

En 1841 6, le produit net de la vente des écorces déduction faite de toutes les charges et frais est de 5248.18 deniers 7 soit 61 % des 8590.48 deniers de recette en deniers des divers produits des bois et forêts.
—  ARCHIVES DU S.I.V.U. « FORGES ET MÉTALLURGIE EN BROCÉLIANDE », « Dossier 56 : Compte des recettes et dépenses des Forges de Paimpont du 1er juin 1840 au 1er juin 1841 », 1841, Voir en ligne. —

Les écorces proviennent des Landes Fauchées à Paimpont (978.75 cordes pelées), de la forêt centrale (103.25 cordes pelées), de la Croix dom Georges (1759.75 cordes pelées), de la forêt de Montauban (coupe n°16) (469 cordes écorcées), de Grénédan (484.7 cordes écorcées), de Bout à Vent (202.75 cordes écorcées), de la Grenouillère et Roco (144.25 cordes écorcées), de Bovel (38.75 cordes écorcées) soit 4580.25 cordes.

Hypothèse concernant l’augmentation du produit de la vente d’écorce

Les experts de l’enquête de 1840 estiment les revenus annuels de l’écorce entre 25.5% des revenus de la forêt. En 1839, le produit de la vente d’écorce atteint 35 % des revenus de la forêt. En 1841, il culmine à 61 %, soit 29 % d’augmentation en deux ans.

Cette augmentation du revenu de la vente d’écorce est principalement due au nombre de cordes écorcées.

  • 1439.75 cordes soit 4319 stères en 1839 - 1.06 denier la corde
  • 4580.25 cordes soit 13740 stères en 1841 - 1.08 denier la corde

On peut émettre l’hypothèse selon laquelle cette forte augmentation du volume de cordes écorcées trouve son explication dans la volonté des actionnaires de la Société des Forges de Paimpont, émancipés de la gestion durable de la ressource par la vente de la forêt à Étienne de Formon (1784-1854) en novembre 1841, de dégager des revenus importants avant le changement de propriété.

1855-1866 — La banque Seillière et la vente d’écorce

La banque Seillière est le propriétaire officiel du Domaine de Paimpont entre son achat en 1855 et le retour du duc d’Aumale d’exil en 1871 8. En réalité, Seillière et Cie est une société écran, permettant au duc d’Aumale de gérer et de faire fructifier ses biens sans risque de se les faire saisir par Napoléon III.

Les liens entre la banque Seillière et le duc d’Aumale aux Forges de Paimpont sont notamment attestés par quatre documents d’archives provenant du Musée Condé de Chantilly dans lesquels la banque dresse un inventaire du Domaine de Paimpont pour le duc d’Aumale.

Deux d’entre eux évoquent la vente d’écorce.

1855 — Première expertise

Le premier document, non daté, a probablement été écrit en 1855 ou dans les premiers temps de l’acquisition du Domaine de Paimpont par la banque Seillière. L’expert mandaté par la banque y livre ses premières impressions sur la gestion de la forêt de Paimpont et la valeur potentielle de ses revenus. Malgré d’importants manquements aux règles de la sylviculture, il constate l’existence de beaux peuplements de chêne notamment propices à la production d’écorce.

Dans plusieurs parties de la forêt centrale et des deux autres il existe de beaux peuplements et des bouquets de futaies. Partout le chêne y domine. La préférence est accordée à cette essence qui fournit un charbon plus propre à la fusion du minerai de fer et dont l’écorce [est placée ?] pour les tanneries à un prix avantageux.

SOCIÉTÉ SEILLIÈRE & CIE, « Premières impressions lors d’une courte visite faite sur le Domaine de Paimpont les 12 et 19 aout », 1855, 4 p., Voir en ligne.

1863 — La gestion forestière repensée

Le deuxième document, daté du 10 septembre 1863, consiste en un inventaire exhaustif de la forêt et des méthodes à y appliquer pour en tirer le revenu le plus durable.

L’expert s’y livre à de nombreuses critiques sur l’absence de gestion forestière et ses conséquences calamiteuses sur le peuplement.

On y trouvait d’ailleurs et on y voit encore dans les bons cantons que l’exploitation n’a pas parcouru depuis six ans, de beaux chênes de divers âges et d’une assez belle végétation. Toute médiocre qu’elle était par le nombre et par la qualité, cette futaie sur taillis formait cependant un fonds d’immobilisation qui avait son importance dans la forêt et qu’il était possible d’améliorer beaucoup au profit du revenu, en faisant un plus grand et un meilleur choix de baliveaux et en réservant soigneusement, lors des exploitations, tous les jeunes arbres à peu près bien venants. On serait arrivé sans aucun doute, en procédant de cette manière, à favoriser la reproduction naturelle du chêne par les semences, à élever une futaie qui par sa consistance, par sa composition d’arbres d’âges intermédiaires entre le baliveau de la coupe et l’ancien, se serait protégée elle-même en protégeant le jeune taillis, contre l’action des vents d’hiver, et contre les effets de la gelée après l’écorcement du chêne. On serait arrivé ainsi, par un couvert plus grand, à modifier la qualité des taillis, dont les principaux brins auraient été excités à s’élever. Malheureusement ces considérations ne paraissent pas avoir assez préoccupé les forestiers qui ont dirigé les exploitations dans la forêt de Paimpont depuis près de deux révolutions de coupes

ANONYME (J.Q.), « Notes sur la forêt de Paimpont et accessoirement sur les usines métallurgiques qui y sont annexées », Paris, 1863, 21 p., Voir en ligne.

Afin de repenser la gestion de la forêt de Paimpont - anticipant probablement la fermeture des hauts fourneaux - l’expert préconise un ensemble de modifications des règles sylvicoles à appliquer. Il propose notamment de réserver la totalité des chênes à l’écorçage.

Le personnel forestier n’étant pas organisé en ce moment pour faire les opérations de balivage et de martelage, l’exploitation des taillis pourra commencer comme par le passé, en réservant d’abord la totalité du chêne destiné à l’écorcement et parmi les autres essences les plus beaux brins, sur souche ou de semence, à raison de 60 par hectare au moins. Avant le mois de mars, quand le personnel sera pourvu de marteaux, et lorsque l’exploitation des bois d’hiver aura éclairci le massif, les agents forestiers procéderont alors à un balivage et martelage réguliers en faisant un choix définitif des baliveaux et arbres anciens et modernes à réserver et des arbres dépérissants à exploiter, et il sera rédigé procès-verbal de cette opération.

ANONYME (J.Q.), « Notes sur la forêt de Paimpont et accessoirement sur les usines métallurgiques qui y sont annexées », Paris, 1863, 21 p., Voir en ligne.

1866-1884 — La vente d’écorce après les fermetures des hauts fourneaux

Les deux hauts fourneaux des Forges de Paimpont s’arrêtent une première fois en 1866, reprennent en 1870, avant de s’arrêter définitivement en 1884. La vente d’écorce de chêne à l’industrie du cuir devient alors la principale source de revenus des propriétaires du Domaine de Paimpont.

1869 — Un procédé d’écorçage à la vapeur testé aux Forges de Paimpont

Le 31 décembre 1865, la banque Seillière, gérante des intérêts du duc d’Aumale en forêt de Paimpont, ferme les deux hauts fourneaux, plongeant la région de Paimpont dans la crise. —  DENIS, Michel, « Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du XVIe au XIXe siècles », Annales de Bretagne, Vol. 64 / 3, 1957, p. 257-273, Voir en ligne. [page 269] —

La gestion de la forêt, entièrement repensée, est validée par le plan de l’ingénieur géomètre Bauchet de 1867. Antérieurement considéré comme un revenu complémentaire des Forges de Paimpont, l’écorçage devient la principale source de profit générée par l’exploitation forestière.

Plan géométrique et topographique du Domaine de Paimpont
—  LEVESQUE, Jérôme, Les Levesque de la fin du XVIIe siècle à nos jours, Les Forges de Lanouée, 2004. —
Beauchet, ingénieur géomètre 1867

M. Jourdan, directeur du domaine de Paimpont pour la banque Seillière, expérimente de nouvelles techniques pour augmenter les revenus de la vente d’écorce, parmi lesquelles le procédé d’écorçage à la vapeur de M. J. Maitre.

Il y a quelques années, M. Joseph Maître, propriétaire de Châtillon-sur-Seine, imaginait un mode d’écorçage des bois au moyen de la vapeur en vases clos, dont l’emploi donnait les résultats les plus satisfaisants. Nous l’avons signalé en son temps en attendant qu’une mise en pratique plus longue vienne confirmer les chiffres des premières expériences.

FERLET, A., « Bulletin forestier », Journal de l’agriculture de la ferme et des maisons de campagnes de la zootechnie, de la viticulture, de l’horticulture, de l’économie rurale et des intérêts de la propriété, Vol. 4, 1869, p. 845-846, Voir en ligne.

En 1868, M. Jourdan teste ce procédé d’écorçage sur deux coupes de la forêt de Paimpont.

M. Maître ajoute à cette lettre les témoignages de plusieurs propriétaires, directeurs de domaines forestiers, etc., qui tous constatent que le système est bon, et que l’écorce obtenue est excellente. L’un de ces expérimentateurs, M. Jourdan, directeur du domaine de Paimpont (Ille-et-Vilaine) affirme que forestièrement, l’écorçage à la vapeur ne laisse rien à désirer. Deux coupes qu’il a écorcées ainsi en 1868 renferment un recru de chêne plus beau que celui des coupes voisines qui avaient été écorcées en sève. Quant à la qualité des écorces, les marchands la trouvent supérieure, et les tanneurs ne font aucune différence entre les écorces dues à la vapeur et celles faites en sève.

Machine d’écorçage à la vapeur de M. J. Maitre
—  DU ROSCOUAT, Vicomte, « Ecorçage du chêne par la vapeur », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences, belles-lettres et arts d’Orléans, Vol. 15, 1873, p. 132-157, Voir en ligne.
[page144] —

Cette expérience poursuivie par M. Jourdan a été longuement commentée dans des revues spécialisées en 1871 et 1873.

1871 — Rapport sur le procédé d’écorçage à la vapeur de M. J. Maitre

Il faut, pour conclure avec précision, nous appuyer sur des essais faits en grand. Ces essais ont été faits par M. Jourdan dans les forêts qu’il administre pour les forges de Paimpont. Dans une première expérience portant sur 60 stères, M. Jourdan a constaté que le rendement en écorce levée en temps de sève est de 82 kilog. par stère, et que le prix de la main-d’œuvre s’élève à 140 fr.

316 stères écorcés à la vapeur ont fourni 104,826 au stère. Le prix de la main-d’œuvre s’élève à 1,293 fr.

Malgré cet accroissement considérable des frais, l’opération se traduit par un bénéfice net, à cause de la plus grande quantité d’écorce obtenue.

Dans une deuxième expérience comparative, M. Jourdan a trouvé, pour 10 stères écorcés en sève, une moyenne de 80,761 au stère ; la main-d’œuvre s’est élevée à 24 francs. Pour 96 stères écorcés à la vapeur il a obtenu 87,500 au stère ; la main-d’œuvre s’est élevée à 393 fr. 50 c.

Dans cette dernière expérience l’accroissement de produit ne compense pas l’augmentation de dépense ; mais la perte est peu considérable et doit, d’après le consciencieux observateur, être compensée par la plus-value des écorces et du bois.

BOUQUET DE LA GRYE, M., « Rapport sur le procédé d’écorçage à la vapeur de M. J. Maitre », Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d’agriculture, 1871, p. 347-351, Voir en ligne. p. 349
1873 — Écorçage du chêne par la vapeur

Quand on cherche à trouver une raison scientifique de la différence, on est fort embarrassé, et nous hésitons vraiment à l’admettre. Voici pourtant l’explication qu’a tenté d’en donner M. Jourdan, Directeur du domaine de Paimpont (Ille-et-Vilaine).

Pourquoi l’écorce vapeur contient-elle, toutes conditions égales d’ailleurs, plus de tannin que l’écorce en sève ? Il y a là un phénomène physiologique qui demande à être étudié de près. M. Jourdan suppose alors que le tannin n’existe qu’en très petite quantité dans l’écorce pendant l’hiver, et qu’il ne prend naissance que sous l’influence de la séve. Que la vapeur d’eau venant jouer sur l’écorce le rôle de la première sève de mai déclarerait la production du tannin non-seulement sur le passage de la sève, mais dans les autres parties de l’écorce que la sève n’aurait pas atteintes. Ainsi le tannin serait contenu dans l’écorce implicitement à la manière de l’acide acétique, de l’alcool méthylique et du nombre indéterminé d’alcools et acides que fournit la distillation...

M. Jourdan ne semble pas trop croire lui-même à son explication. Il serait néanmoins facile et intéressant d’approfondir cette hypothèse par des études chimiques, et des analyses sur les écorces obtenues à différentes époques de la végétation.

Quoiqu’il en soit des causes, M. Jourdan affirme une plus grande richesse effective dans les écorces-vapeur.

DU ROSCOUAT, Vicomte, « Ecorçage du chêne par la vapeur », Mémoires de la Société d’agriculture, sciences, belles-lettres et arts d’Orléans, Vol. 15, 1873, p. 132-157, Voir en ligne. p. 150

1888 — Les revenus de la vente d’écorce

En 1875, Louis Auguste Levesque (1809-1888) achète le Domaine de Paimpont - comprenant la forêt et l’usine métallurgique - à la banque Seillière.

En 1884, à la fermeture définitive des hauts fourneaux, ses fils, Donatien (1842-1908) et Rogatien (1844-1922), gestionnaires du domaine, cherchent à développer les revenus liés à la forêt - création d’une scierie, plantation de pins maritimes et autres résineux, réforme de la garderie, relance de l’activité métallurgique, création d’un élevage de truites - parmi lesquels la production d’écorce joue un rôle capital.

En 1888, la Commission de visite des reboisements en Bretagne se rend en forêt de Paimpont et constate que les écorces forment le principal revenu de la forêt .—  HALGOUËT, Vicomte du, « Commission de visite des reboisements en Bretagne », Bulletin mensuel de la Société des agriculteurs de France, Vol. 27, 1888, p. 222-233, Voir en ligne. p. 229 —

N’ayant plus à produire du charbon de bois en grande quantité pour approvisionner les Forges en énergie, la révolution des coupes forestières est passée de 25 à 20 ans pour favoriser la production d’une écorce de meilleure qualité.

M. Rogatien Levesque a conservé de l’ancienne administration princière la division en 12 séries, la plus grande de 750 hectares, la plus petite de 350. L’aménagement précédent fixait la révolution à vingt-cinq ans ; elle a été ramenée à vingt ans, par le motif qu’à partir de cet âge et dans les moins bons cantons la production du bois s’affaiblissait, et que l’écorce devenant plus dure donnait des produits d’une qualité plus inférieure et d’une vente moins facile.

HALGOUËT, Vicomte du, « Commission de visite des reboisements en Bretagne », Bulletin mensuel de la Société des agriculteurs de France, Vol. 27, 1888, p. 222-233, Voir en ligne. p. 227

1900 — La fin de l’utilisation de l’écorce de chêne dans la tannerie

Nous ne possédons aucun document postérieur à 1888 attestant de l’importance du produit de la vente d’écorce de chêne en forêt de Paimpont. Cette absence trouve très probablement son explication dans l’abandon de l’usage du tanin d’écorce et son remplacement par la technique du tannage à l’acide dans l’industrie du cuir breton vers 1900.

A l’heure actuelle l’industrie de la fabrication du cuir a subi d’importantes modifications. Les usines qui jusqu’alors n’avaient pas de machines en ont installé et les maisons qui fabriquaient encore exclusivement avec les anciens procédés, se sont vues dans l’obligation - de par la loi de la concurrence, - d’adopter les procédés modernes. Quelques-unes ont bien tenté de continuer malgré tout le tannage par l’écorce de chêne et autres anciens procédés ; mais elles ont vite été obligées d’employer la fabrication par l’acide pour satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante.

« Etude documentaire de l’industrie en Ille-et-Vilaine : (suite) (1) Cuirs et peaux », « Etude documentaire de l’industrie en Ille-et-Vilaine : (suite) (1) Cuirs et peaux », Revue de Bretagne de Vendée & d’Anjou, Vol. 42, 1909, p. 210, Voir en ligne. p. 213

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TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : Telhouët, auto-édition, 2022, 686 p., (« Les terroirs de Paimpont »).


↑ 1 • D’autres régions de Bretagne sont mieux documentées. Une documentation sur la production d’écorce pour les tanneurs de Basse Bretagne a notamment été utilisée par Michel Duval dans deux de ses ouvrages.

  • —  DUVAL, Michel, Forêt et civilisation dans l’Ouest au XVIIIe siècle, Rennes, Presses artisanales de M. Le Mée, 1959, 297 p., Voir en ligne. [pages 22-26] —
  • —  DUVAL, Michel, « De l’écorçage du tan au galoches douloureuses des patriotes de l’an II », in Forêts bretonnes en Révolution : mythes et réalités, Nature & Bretagne, 1996, p. 195-205.  —

Aucun élément concernant l’écorçage en Haute-Bretagne n’y est mentionné.

↑ 2 • Cette destination à l’écorçage de cantons spécifiquement constitués de jeunes chênes trouve probablement son explication dans l’utilisation des écorces prélevées à l’usage exclusif de l’industrie du cuir.

On évitait généralement d’écorcer les coupes jeunes mais lorsque l’écorce était destinée à la tannerie, on choisissait de jeunes arbres âgés de dix à quinze ans, voire vingt à trente ans. Les taillis de chêne étaient alors soumis à l’écorçage selon la volonté du propriétaire, les besoins des tanneries et là où la main-d’œuvre était bon marché (Vivien 1840 : 287).

EL ALAOUI, Narjys, « Le chêne, le cheval, le bûcheron. Une collection d’écorçoirs des XIXe et XXe siècles au musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée », Revue d’ethnoécologie, Vol. 5, 2014, Voir en ligne.

↑ 3 • 

Au début du 19e siècle, François Maudet, qui sera maire de Montfort de 1843 à 1950, est propriétaire de la seule tannerie de la ville, située alors en aval du pont de Coulon, sur la rive droite du Meu. Pour l’exploiter, il s’est associé à Mathurin Métairie. Elle est citée comme étant « la plus belle et la plus grande tannerie du département » en 1818. Tous les bâtiments sont regroupés à coté du moulin à tan, à l’exception d’un magasin de stockage situé un peu plus haut sur la rue de Coulon.

DUCLOYER, Jean-Pierre, Montfort : une petite ville en Bretagne, Vol. 2, Montfort-sur-Meu, autoédition, 2019. 2 vol. [pages 264-265]

↑ 4 • Dans les années 1840, l’industrie du cuir breton, dont profite le marché de l’écorce, est en pleine métamorphose.

Cette industrie, dont les besoins ont donné aux forêts de Bretagne une nouvelle valeur, a tout à la fois près d’elle les matières premières dont elle se sert, et devant elle un riche avenir.

BENOISTON DE CHATEAUNEUF, Louis-François et VILLERMÉ, Louis-René, Voyage en Bretagne en 1840 et 1841, Tud Ha Bro, 1982, 160 p. [page 147]

↑ 5 • Du 1er juin 1838 au 1er juin 1839.

↑ 6 • Du 1er juin 1840 au 1er juin 1841.

↑ 7 • En 1841, le produit net de la vente des écorces déduction faite de toutes les charges et frais est de 5248.18 deniers dont 81.90 de reçu du sieur Allaire pour écorce de 39 chênes à 2.10. —  ARCHIVES DU S.I.V.U. « FORGES ET MÉTALLURGIE EN BROCÉLIANDE », « Dossier 56 : Compte des recettes et dépenses des Forges de Paimpont du 1er juin 1840 au 1er juin 1841 », 1841, Voir en ligne. —

↑ 8 • La presse mentionne la banque J.-A. Seillière ou le Baron Seillière en tant que propriétaire des Forges de Paimpont.

  • En novembre 1858, la banque J.-A. Seillière est mentionnée en tant que propriétaire des Forges de Paimpont.—  ANONYME, « Chronique locale », Le phare de la Loire, 6 novembre, Nantes, 1858, p. 4, Voir en ligne. —
  • En avril 1868, le Baron Seillière est mentionné en tant que propriétaire des Forges de Paimpont.—  DURANT, Alex, « La situation de la métallurgie française », Le Moniteur industriel, 30 avril, 1868, p. 1, Voir en ligne. —