1896
Le monument en hommage au Docteur Guérin
Un hommage à l’inventeur du pansement ouaté
Le docteur Alphonse Guérin décède le 21 février 1895. Une souscription est lancée à Paris et en Bretagne pour l’édification d’un monument à la mémoire de l’inventeur du pansement ouaté. Le monument, situé sur la place d’Armes de Ploërmel, est inauguré le 13 septembre 1896. Il fait l’objet d’une controverse à propos de la nudité de l’allégorie de la Gloire qui y figure. Il est décidé de le détruire en 1942. Un nouveau monument est dressé devant l’hôpital Alphonse Guérin de Ploërmel.
Le décès d’Alphonse Guérin
Le Docteur Guérin décède de la grippe le 21 février 1895, à l’âge de 78 ans. Il rejoint son épouse Anaïs, décédée le 5 janvier 1890, dans un mausolée qu’il lui avait fait construire, suivant ses dernières volontés, au sommet d’une colline recouverte de landes et de bois, située sur la commune de Néant-sur-Yvel : la « Lande du Cerisier » 1.
Un service funèbre est célébré en l’église Saint-Pierre-de-Chaillot à Paris, le 25 février, avant que la dépouille ne soit dirigée vers la Bretagne. À la gare Montparnasse, [...] plusieurs discours furent prononcés devant le cercueil par MM. les docteurs Lucas-Championnière 2, au nom de l’Académie de Médecine, Auger, pour la Société de Chirurgie, M. Peyron, au nom de l’Assistance publique, et enfin M. Jules Simon 3, souffrant, presque aveugle, lut avec beaucoup de peine et d’émotion l’éloge de son vieil ami dont la mort rompait une affection de soixante-cinq années.
— Orieulx de la Porte (1897). op. cit., p. 164 —
À Néant, on célèbre l’office des morts puis vient l’inhumation au sommet de la « Lande du Cerisier ».
[...] Après la cérémonie, le corps a été transporté dans notre département, où le docteur avait manifesté le désir d’être inhumé près de sa femme, sur les landes de Néant, au milieu d’une population dont ils ont été tous deux les bienfaiteurs. [...]
Dans ce long article, Le Morbihannais retrace ensuite sa carrière et fournit des informations sur sa jeunesse.
La presse nationale, quelle que soit sa couleur politique 4, rend hommage au docteur Guérin, reconnaissant en lui le grand chirurgien et le bienfaiteur de l’humanité. Le Figaro publie notamment un long article rédigé par son ami Émile de Keratry 5.
— DE KERATRY, Emile, « Alphonse Guérin », Le Figaro, 23 février, 1895, p. 2, Voir en ligne. —
Souscription pour une statue de bronze
Les amis médecins d’Alphonse Guérin, ainsi que les membres de l’Association des Bretons de Paris, forment le projet d’ériger un monument à Ploërmel. — DAREMBERG, G., « Le monument Alphonse Guérin », Journal des débats politiques et littéraires, 29 juin, 1895, p. 3, Voir en ligne. —
Les amis de l’éminent et regretté chirurgien Alphonse Guérin, ancien président de l’Académie de médecine, ont eu la pensée de lui élever une statue à Ploërmel, sa ville natale. Deux comités se sont formés pour organiser une souscription, l’un médical, présidé par M. le docteur Guyon 6, l’autre breton, constitué par « l’Association des Bretons de Paris » 7, dont Alphonse Guérin était président d’honneur. M. Jules Simon, également président d’honneur de l’Association, a accepté la présidence effective du Comité formé par elle. Le monument, confié au jeune statuaire Georges Bareau, sera l’œuvre commune des deux Comités. Le Comité breton s’adresse à tous les amis d’Alphonse Guérin, en les priant de vouloir bien envoyer leur souscription à M. Famel ou à M. Geslin, trésoriers, le plus tôt possible.
Ce sont finalement trois comités qui sont chargés de recueillir les dons pour la construction du monument, deux à Paris et un dans le Morbihan.
[...] En juin, l’association présidée par Armand Dayot ouvre une souscription publique et forme un comité en collaboration avec la « Société artistique et littéraire de l’Ouest », dirigée par Olivier Merson. Jules Simon est nommé président d’honneur et Armand Dayot vice-président.
Au même moment, deux autres comités sont créés à Paris et à Ploërmel. Le premier est formé dans le milieu médical et présidé par le docteur Guyon, de l’Institut, et le second réunit les notabilités républicaines du Morbihan. Le coût du monument est estimé à 17 000 F.
— H.V., « Une statue à Alphonse Guérin », Le Journal, 2 juillet, 1895, p. 2, Voir en ligne. —
Préparation de l’inauguration
Un article dans le Nouvelliste du Morbihan du 10 septembre annonce l’évènement.
Le monument qu’on va inaugurer à Ploërmel est le résultat d’une souscription publique qui a atteint le chiffre rond de 17.000 fr., et dont l’Association des Bretons de Paris a pris l’initiative. [...] L’exécution a été confiée au sculpteur Georges Bareau, un jeune Breton que guette aussi l’avenir glorieux et qui a donné la mesure de son talent le plus intime et le plus recueilli.
Sur un socle assez haut, flanqué d’un bas relief, se dresse le buste d’Alphonse Guérin. A mi hauteur du socle, une Gloire, idéale de beauté calme, inscrit sur ses tablettes « le pansement ouaté ». M. Duménil a fait l’architecture du monument.
La ville de Ploërmel est heureuse de cette inauguration, qui va lui permettre de rendre d’une façon si éclatante hommage à l’un de ses illustres enfants.
Avant l’inauguration, Le Ploërmelais se montre enthousiaste. Il note que les habitants vont participer à la fête.
[...] Nos compatriotes, nous n’en doutons pas, tiendront à l’honneur de fêter, comme il le mérite, la mémoire de ce grand homme. On annonce, en effet, que de leur propre initiative, les habitants de plusieurs quartiers ont décidé de pavoiser et d’illuminer, nous engageons vivement les autres à suivre cet exemple, et montrons aux Parisiens comment on sait faire une fête en Bretagne.
Le monument est offert officiellement à la ville de Ploërmel le 13 septembre 1896.
La remise du monument est faite à la ville de Ploërmel par M. Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts et président des « Bretons de Paris ». Il salue dans Alphonse Guérin « un des plus puissants et des plus infatigables bienfaiteurs de l’humanité », en souhaitant que « sur bien des points de notre territoire se dressent comme d’éloquents exemples des monuments pareils à celui-ci ». Oui, en effet, car le maire de Ploërmel, M. le docteur Goupil, peut répondre que cette statue dira aux enfants bretons :
« Allez et travaillez. Soyez vaillants, soyez bons, placez haut votre idéal, efforcez-vous de l’atteindre. »
Description du monument
Un buste de bronze est érigé en témoignage de la reconnaissance des Ploërmelais. Il est l’œuvre du sculpteur breton Georges Bareau 8 et de l’architecte Pierre Duménil 9. Il est situé Place d’Armes et inauguré le 13 septembre 1896.
Une stèle à quatre côtés, de proportions harmonieuses, supporte le buste en bronze du grand chirurgien, pétillant de vie, d’intelligence souriante et puissante. Au-dessous de l’inscription :
« Au docteur A. Guérin,
Ses collègues, ses compatriotes et ses amis. »repose, assise sur une avancée du socle, une Gloire au visage tranquille ; elle tient un parchemin — de bronze comme elle — sur lequel elle inscrit ces mots symboliques : « Pansement ouaté — 1870 ».
Sur le piédestal lui-même, un bas-relief d’une rare vigueur représente Alphonse Guérin appliquant son pansement dans une salle d’hôpital militaire, scène destinée à rappeler l’inauguration de sa découverte.
Des deux côtés sont gravées les inscriptions suivantes :
L’inauguration dans la presse
On observe des différences de traitement dans l’importance donnée à l’évènement par la taille de l’article, peut-être selon l’orientation politique du journal. Rappelons qu’Alphonse Guérin était un républicain et un anticlérical affirmé.
Dans la presse locale
- Le Journal de Ploërmel y consacre deux pages entières — L.B., « Alphonse Guérin », Journal de Ploërmel, 20 septembre, 1896, p. 3-4, Voir en ligne. —
- De même Le Nouvelliste du Morbihan lui donne une large place :
Ce n’est certes pas des fêtes de grand apparat qu’a organisées Ploërmel en l’honneur de son illustre enfant le docteur Guérin […] Mais aussi était-ce bien un jour de réjouissances que ce jour de dimanche dernier consacré à honorer une mémoire irréprochable de savant modeste et d’homme de bien ? [...]
Suit la liste détaillée des nombreuses personnalités bretonnes et parisiennes qui sont intervenues à cette occasion et le contenu de leur intervention. Le monument est évidemment décrit en détail. Le menu du banquet est même mentionné !
- En revanche, le Ploërmelais en rend compte très succinctement et de façon réservée. Dans son édition du 13 septembre, il avait pourtant accueilli favorablement cet évènement. Il semble avoir été froissé par l’attitude de certains « Parisiens ».
LE MONUMENT GUÉRIN
On ne pardonnerait pas au Ploërmelais de passer sous silence l’inauguration qui a été faite, dimanche dernier, du monument élevé, en notre ville, à la mémoire de notre compatriote.
Mais il nous serait malaisé d’écrire un article qui ne blessât personne, tant il y aurait à dire sur les attitudes diverses et successives de certains personnages qui traitent maintenant notre localité en pays « conquis ».
Dans la presse nationale
- Le Petit Parisien du 9 septembre
La semaine prochaine, selon les dernières décisions prises, aura lieu en Bretagne, à Ploërmel, une fête scientifique importante, l’inauguration de la statue d’Alphonse Guérin. Ce nom, à peu près inconnu de la majorité du public, il convient de ne le prononcer qu’avec respect et reconnaissance, car le docteur Guérin fut mêlé activement à ce qu’on peut appeler, sans crainte d’être démenti, une des plus grandes découvertes du siècle : celle de la Méthode antiseptique.
La suite de l’article est un long développement sur les progrès obtenus par Pasteur et les méthodes antiseptiques contre
le vibrion septique
.
- La Liberté du 14 septembre
— ANONYME, « Le monument d’Alphonse Guérin », La Liberté, 14 septembre, Paris, 1896, p. 3, Voir en ligne. —
Une courte dépêche mentionne le discours du Pr. Félix Guyon 10.
- L’Intransigeant du 15 septembre
— ANONYME, « Le monument d’Alphonse Guérin », L’Intransigeant, 15 septembre, 1896, p. 1, Voir en ligne. —
Une courte dépêche mentionne également le discours de Félix Guyon.
- Le Temps du 15 septembre
La vision lyrique d’un parisien sur la Bretagne...Ploërmel : une petite ville de couvents et de cloches, perdue au fond de la Bretagne, et autour du nom de laquelle s’entrelace le lierre des mélodies de Meyerbeer. Elle est entourée de bois de sapins, d’étangs, de légendes, et de landes roses. Et, depuis aujourd’hui, elle possède le monument d’un grand savant et d’un grand bienfaiteur de l’humanité, le docteur Alphonse Guérin. [...]
Éloges à l’occasion de l’inauguration
Éloge d’Alphonse Guérin prononcé le 19 avril 1896 pour la Société de chirurgie par Paul Reclus, secrétaire général
Cet éloge est publié en six épisodes par le Ploërmelais 11, dans le mois précédant l’inauguration.
[...] Il resta vaillant, alerte et gai et lorsque, à cet âge de 78 ans, le sort le désigna comme juge de l’internat qui cette année-là dura près de 6 mois [...] il accepta. Un jour de février, en plein hiver [...] il se rendit à l’Assistance Publique. Pour rentrer chez lui il monta sur l’impériale d’un omnibus. Il y prit une fluxion de poitrine sérieuse [...]. Un jour que les souffrances étaient trop vives il voulut se pratiquer lui-même une piqûre de morphine : la dose était trop forte, il fut terrassé. [...]
Tel fut Alphonse Guérin, telle fut sa vie simple, droite, généreuse et fière, et que marqua une découverte de génie. [...] Lorsque, à travers les temps, les historiens futurs écriront cette révolution prodigieuse qui fit, de la chirurgie meurtrière de jadis, la merveilleuse science d’aujourd’hui ils auront à réunir, dans leur admiration et dans leur reconnaissance ces trois noms pour nous à jamais inséparables : Pasteur, Lister et Alphonse Guérin.
Discours prononcé le jour de l’inauguration par Armand Dayot
Armand Dayot 12 est président de « l’Association des Bretons de Paris ». Il a participé en tant que vice-président à un comité pour un monument à la mémoire d’Alphonse Guérin.
[...] et au nom de l’Association des Bretons de Paris, si puissamment secondée dans sa généreuse entreprise par les admirateurs d’Alphonse Guérin, j’ai l’honneur de remettre à la Ville de Ploërmel ce remarquable monument qui consacre sous forme si heureuse la noble et glorieuse carrière de l’illustre savant breton.
Discours prononcé par Félix Guyon 13 le jour de l’inauguration du monument
Au moment où je viens, au milieu des compatriotes d’Alphonse Guérin, remplir la mission qui m’a été confiée, je ne puis pas ne pas me souvenir d’un autre grand deuil qui récemment frappait aussi la France et la Bretagne.
Je serai, j’en suis sûr, l’interprète des sentiments de tous ceux qui se pressent aux pieds du monument, élevé sur l’initiative de l’Association des Bretons de Paris, en saluant la mémoire de Jules Simon 14, avant de vous dire, comment un humble enfant de Ploërmel est devenu le grand chirurgien, le bienfaiteur de l’humanité dont vous célébrez aujourd’hui la Gloire. [...] Vos pensées vont d’elles-mêmes, dès l’ouverture de cette réunion, vers l’homme illustre, vers le grand citoyen, qui fut le camarade d’enfance d’Alphonse Guérin et demeura son ami fidèle, pendant toutes les années de leur longue existence. [...]
Controverse autour du monument du docteur Guérin
Ce monument fait l’objet d’une controverse à propos de la nudité de l’allégorie de la Gloire qui y figure. En effet, les références de la plupart des Ploërmelais en matière d’art sont limitées à l’art religieux. Peu d’entre eux connaissent l’art sculptural de leur époque, représenté notamment par Auguste Rodin 15.
Dans cette controverse l’intérêt artistique de l’œuvre est largement évacué. Seules les « considérations morales » sont prises en compte. La Gloire va cristalliser, pendant des années, les passions politiques de l’époque opposant Républicains et Légitimistes, les tenants de la laïcité à ceux prônant l’enseignement confessionnel.
Ainsi, le marquis de Bellevüe écrit en 1915 :
Monument qui ne fait honneur ni au sculpteur qui l’a exécuté ni à la municipalité qui l’a accepté et payé. Non, le docteur Guérin, si peu idéaliste qu’il fut, aurait protesté contre cette saleté, moulée en bronze, qui est pour sa mémoire non une gloire mais un outrage.
Un monument détruit pendant la Seconde Guerre mondiale
Le monument est détruit sur décision du conseil municipal du 8 avril 1942. Un autre monument en hommage au Docteur Guérin est dressé devant l’hôpital de Ploërmel. Cette opération est décrite sous le nom de « restauration » dans les délibérations du conseil municipal de Ploërmel.
Restauration du monument Guérin, 19.000 fr
[...] le prix de cession du bronze du monument du docteur Guérin, évalué 6.000 fr.
La construction d’un nouveau monument est confiée au statuaire Edmond Delphaut 16. Il est édifié devant l’hôpital de Ploërmel.
Statue du docteur Guérin -
M. le Maire communique à l’assemblée le devis établi par M. Delphaut, statuaire, lauréat des artistes français [...] pour l’exécution du buste du docteur Guérin et du bas-relief à ce monument. Ce devis prévoit l’exécution du buste portrait et du bas-relief en granit de Kersanton, le nettoiement de la stèle existante place d’Armes 17, la pose et le scellement des deux œuvres, moyennant le prix net et forfaitaire de 19.000 fr. [...] Le conseil municipal approuve la proposition de M. Delphaut en vue de la restauration du monument élevé à la mémoire du docteur Guérin. [...]
Le nouveau monument, surmonté d’un buste en granit, est alors érigé devant l’hôpital. Il s’y trouvait encore en 1995.
Un examen attentif des stèles en granit des deux monuments permet d’affirmer que la stèle du premier monument (1896) a été récupérée pour l’érection du second (1942, visible encore en 1995).
Soixante-dix ans plus tard, un article de Ouest-France reprend cet épisode avec deux informations sujettes à caution :
- l’opération imposée à la demande du préfet
- le bronze vendu pour fabriquer des canons
Malheureusement, la dernière guerre fera disparaître ce monument de la place d’Armes. Le 8 avril 1942, à la demande du préfet, le conseil municipal de Ploërmel vote la rénovation du monument avec la vente du bronze pour la refonte, pour une somme de 6 000 francs. Le buste du docteur Guérin et les autres sculptures du monument serviront à faire des canons ! 18 Un nouveau buste en granit est alors sculpté et le monument est déplacé de la place d’Armes vers l’hôpital. Aujourd’hui, le monument a disparu et seul le buste en granit a été conservé : il est placé dans le hall d’accueil du centre hospitalier de Ploërmel qui porte le nom de cet illustre Ploërmelais.