1960
Le sonnou qui de la nuit ne chôma
Un conte d’Henri Thébault
« Le sonnou qui de la nuit ne chôma… » est un conte écrit par Henri Thébault en 1960. Il raconte les déboires de Pierre Hautpas, violoniste de la forêt de Paimpont qui de retour d’une veillée dut passer la nuit dans une fosse en compagnie d’un loup.
Un conte d’Henri Thébault
Le sonnou qui de la nuit ne chôma… est un conte écrit par Henri Thébault durant l’hiver 1960. Il est publié pour la première fois dans un recueil de contes illustré par Robert Guichard. — THÉBAULT, Henri, Contes Folkloriques de France - Bretagne, Vol. 1, Angoulême, Rachelier, 1960, Voir en ligne. —
Dix ans plus tard, Henri Thébault, alors maire de Mauron et conseiller général, le fait paraitre dans un supplément au bulletin municipal de Mauron. — THÉBAULT, Henri, « Contes & légendes de Brocéliande & du Porhoët », 30 jours en Brocéliande, Supplément juillet-août, 1971, Voir en ligne. —
Le texte intégral du Sonnou qui de la nuit ne chôma…
Pierre Hautpas, le « sonnou » de Folle Pensée, était le meilleur archet de la contrée.
Son violon et lui formaient une inséparable paire d’amis. « Il l’aime mieux que sa femme » disait la vieille Péchard qui faisait aller méchamment sa langue pendant que sa cafetière mijotait sur le feu. D’ailleurs, les filles prolongées du Pays de Mauron n’ont jamais aimé les « sonnous », qu’elles appellent « les compères du diable ».
Pas de noces, pas de battages, pas de « fileries » sans que Pierre Hautpas ne fût de la partie.
Il fallait l’entendre jouer de la ridée. Quel rythme, mes amis, et quelle cadence !
Les anciens eux-mêmes, ne résistaient pas à l’invite de l’archet endiablé. Grands-pères et grands-mères tournaient sans s’essouffler en se tenant par le petit doigt en chantant et en élevant joyeusement les mains.
Le violon du « sonnou » se déchaînait lorsque tout le monde reprenait en chœur le refrain du quadrille.
« Ce sont les gars de Guilliers
Ce sont les gars de Guilliers
Qui ont de biaux habits
Qui ont de biaux habits
Pour passer
Rappasser
Qui ont de biaux habits
Pour passer par ici… »
Toute une nuit il avait animé la filerie de Lédremeuc 1.
La jeunesse ne partit que fort tard et c’est à minuit passé que le « sonnou », son violon sous le bras, s’enfonça dans la nuit.
La neige tombait à gros flocons et une bise glaciale sifflait sur la lande.
Dans une heure, je serai dans mon lit, pensa Pierre Hautpas pour se donner du courage. Ma femme, en grognant, me cédera la place chaude et s’en ira occuper la venelle 2...
Hélas, cette nuit là l’épouse du « sonnou » n’eut pas à se sacrifier.
Inquiète, elle attendit vainement le retour de Pierre… Le « sonnou » quitta les champs pour s’enfoncer dans le bois Jagut.
Il s’y enfonça tellement qu’on ne le vit plus, ni lui ni son violon, ni même son ombre.
Pierre Hautpas sentit le sol céder sous ses pas.
Il comprit, mais trop tard, qu’il venait de choir dans une fosse à loups.
Deux yeux le fascinaient. Il était là, pris au piège, le loup dont on avait parlé à la filerie. Le « sonnou » demanda à Dieu pardon pour ses péchés et regretta la vie…
Puis il attendit que le loup fît sa besogne de loup, c’est-à-dire celle de croquer le monde.
Ses doigts se mirent à trembler, et son violon à sangloter.
Pierre Hautpas tira précipitamment son archet sous sa blouse et il se mit à jouer sa dernière ballade, son propre « libera ». Les yeux du loup cessèrent de briller, ils s’adoucirent même. Pierre Hautpas comprit et il joua, jusqu’à ce que ses bras fussent engourdis, mais à chaque pause, le loup se faisait plus menaçant…et le « sonnou » reprit l’archet.
Il joua jusqu’au petit jour.
Les fermiers de Bourrien vinrent explorer la fosse. Ils entendirent le violon… et naturellement tuèrent le loup.
La femme du sonnou l’attendait sur le seuil mais la venelle était froide….
Éléments de comparaison
Le sonnou qui de la nuit ne chôma… est une adaptation locale du récit du type « Le musicien suivi par le loup ». Un second conte du même modèle existe sur le massif forestier de Brocéliande, La Croix Robert, écrit par l’abbé Oresve en 1858, dont l’action se déroule dans le bois de Coulon en Montfort. — ORESVE, abbé Félix Louis Emmanuel, Histoire de Montfort et des environs, Montfort-sur-Meu, A. Aupetit, 1858, Voir en ligne. pp. 65-70 —
Paul Sébillot mentionne plusieurs cas de musiciens bretons échappant aux crocs du loup en jouant de la musique. Il a lui-même publié un conte intitulé « Le biniou » dont le héros met en fuite grâce à son instrument une bande de ces bêtes qui assiègent l’arbre sur lequel il s’était réfugié. — SÉBILLOT, Paul, Le folklore de la France : la faune et la flore, Vol. 3, Paris, Guilmoto, 1906, Voir en ligne. p. 62 —
Ah mon Dieu ! Il faut qu’avant d’être dévoré, je joue sur mon biniou ma plus belle chanson. Il porta l’instrument à ses lèvres : mais dès que les loups eurent entendu ce son qu’ils ne connaissaient point, ils prirent peur et s’enfuirent comme s’ils avaient une meute à leurs trousses.
Il existe de nombreux contes de ce type en Bretagne mais aussi dans le reste de l’Europe. L’historien François de Beaulieu cite plusieurs témoignages collectés dans les Côtes-d’Armor concernant un sonneur tombé dans une fosse en compagnie d’un loup.
À titre d’exemple citons : François Marie Derrien, dit Cousin (1874-1938) de Ploubezre [Côtes-d’Armor] en rentrant d’une soirée où il avait joué du violon, était tombé dans un piège à loup. Il avait joué toute la nuit en chantant : « Biken ken, biken ken / Cousin na sono da den » (Jamais plus cousin ne chantera pour personne, personne.) De même, un joueur de vielle de Runan [Côtes-d’Armor] avait chanté : « Birviquen, birviquen, coadig kozh na sono da den » (Jamais plus le vieux Coadig ne jouera pour personne.) Aussi précis soient-ils, ces récits (nous pourrions en citer beaucoup d’autres issus de collectes ou de mentions savantes) sont un moyen de consacrer la réputation d’un bon musicien (violoneux en Hongrie, gaïtero dans les Asturies, cabretaïre en Aubrac) et peut-être, de rappeler que le bruit et a fortiori la musique peuvent effrayer les loups.
Adaptations et rééditions
Adaptations
Le sonnou qui de la nuit ne chôma… a fait l’objet de deux adaptations.
- La première, par Patrick Lebrun, a été publiée dans sa rubrique du Ploërmelais,
Contes populaires de Brocéliande
, sous le titre Le sonnou vivant grâce à son violon. — LEBRUN, Patrick, « Le sonnou vivant grâce à son violon », Le Ploërmelais, Ploërmel, sans date, Voir en ligne. —
- La seconde, par Daniel Duquenne, est parue dans la revue Souche en 2005.— DUQUENNE, Daniel, « Le "Sonnou" qui de la nuit ne choma », Souche, Revue du Cegenceb, Mauron, Vol. 1 - 1er trimestre, 2003, p. 4, Voir en ligne. —
Rééditions
Le sonnou qui de la nuit ne chôma… a été l’objet de deux rééditions dans les années 1990.
- — ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993. [pages 67-68] —
- — CARREFOUR DE TRÉCÉLIEN, Contes et légendes de Brocéliande, Terre de Brume, 1999. [pages 183-185] —