1940-1980
Brocéliande dans la peinture surréaliste
Trois peintres surréalistes ont réalisé des œuvres inspirées par la forêt de Paimpont ou les mythes de Brocéliande.
Le mythe arthurien, Brocéliande et le surréalisme
Le mythe arthurien a exercé une influence discrète mais cependant réelle sur le surréalisme. D’importants précurseurs et auteurs proches du mouvement y ont puisé une part de leur inspiration. Guillaume Apollinaire (1880-1918) en 1909 avec L’Enchanteur pourrissant, Alfred Jarry (1873-1907) en 1906 dans La Dragonne, roman posthume localisé en forêt de Brocéliande ou Julien Gracq dans Au château d’Argol, roman publié en 1937.
Primitivement relégué dans les marges du surréalisme, le mythe arthurien prend son essor dans le contexte de bouleversement des valeurs induit par la Seconde Guerre mondiale.
En octobre 1942, alors en exil à New-York, André Breton (1909-1966), expose quinze poèmes objets 1 - dont un collage intitulé Le Graal
- regroupés sous le titre De la survivance de certains mythes et de quelques autres mythes en croissance ou en formation. — BRETON, André et DUCHAMP, Marcel, « First papers of Surrealism », 1942, Voir en ligne. —
En décembre 1942, Louis Aragon (1897-1982) publie Brocéliande, œuvre composée de sept poèmes, dans lesquels il invoque la forêt merveilleuse et la fontaine de Bellenton en réponse à la barbarie nazie.
Quand j’écrivais Brocéliande, les nazis tenaient le haut du pavé dans mon pays, et d’une façon pas du tout mythique. Ils venaient de tuer, avec des fusils modernes, sans l’ombre de Siegfried et de Walhalla à la clé, des hommes de chair et de sang qui étaient mes amis, et qu’ils avaient probablement torturés et parmi eux, mon cher Georges Politzer 2 qui était l’homme au monde qui avait le mieux dénoncé les mensonges des mythes hitlériens, de leur utilisation pour la domination de l’homme par la brute.
À l’instar de sa place dans les productions littéraires du mouvement, Brocéliande reste une thématique marginale et tardive de la peinture surréaliste. Exceptée une œuvre de jeunesse du peintre nantais Pierre Roy (1880-1950), les références picturales à Brocéliande ne commencent qu’à partir de la refondation américaine du surréalisme par le mythe et le merveilleux dans les années 1940.
André Masson
Éléments biographiques
André Masson (1896-1987) est né à Balagny-sur-Thérain (Oise) en 1896. Il étudie à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles puis aux Beaux-Arts de Paris à partir de 1912. Grièvement blessé au Chemin-des-Dames durant la Première Guerre mondiale, il passe de longs mois dans les hôpitaux. Il s’installe à Paris en 1922, rencontre Max Jacob (1876-1944) et se lie avec Michel Leiris (1901-1990), Antonin Arthaud (1896-1948), André Breton et Joan Miró (1893-1983). Il entre dans le groupe surréaliste et participe à sa première exposition picturale en 1926 à la Galerie Pierre.
En 1929, il rompt avec le mouvement tout en continuant à publier dans la revue surréaliste Le Minotaure. La guerre civile le surprend en Catalogne où il s’était installé avec sa famille. Il rentre à Paris en 1937 et renoue avec le groupe surréaliste. En 1940, il quitte la France pour les États-Unis en compagnie d’André Breton et du peintre Yves Tanguy (1900-1955). En 1965, le Musée d’Art Moderne de Paris lui consacre une rétrospective, ainsi que le Museum of Modern Art de New-York en 1976. — PICON, Gaétan, Le surréalisme, 1976, Genève, Skira, 1995, 216 p. [page 210] —
1940-1941 — Brocéliande
André Masson est l’auteur de trois dessins intitulés Brocéliande. Tous réalisés entre 1940 et 1941, ils appartiennent à la phase américaine de sa seconde période surréaliste (1937-1943).
Après avoir renoué avec les surréalistes en 1937, André Masson est le compagnon d’exil new-yorkais d’André Breton de juin 1940 à octobre 1945. Fasciné par la découverte de la nature du Nouveau monde - Masson passait des heures absorbé dans la contemplation et l’exécution de croquis des plantes et de la faune entourant sa maison
- André Masson développe des références à la nature dans nombre de ses œuvres américaines.
La nature avait déjà joué un rôle important dans l’œuvre de Masson, mais à présent l’intérêt qu’il lui portait ne constituait plus une exception dans le contexte du surréalisme. [...] La nature dans les toiles américaines de Masson, est perçue d’une manière assez différente par rapport à son œuvre précédente. [...] Masson a dit de ces tableaux qu’ils sont des "symboles de floraison et de germination. Mais l’agression et la destruction y ont aussi leur place : l’attaque des chenilles, dévorant des insectes".
Son aspiration renouvelée pour la nature n’est pas pour autant un abandon de son intérêt pour les mythes du Vieux Monde
. S’il poursuit sa longue exploration du mythe du Minotaure, il s’intéresse pour la première fois à celui de Brocéliande, ce dernier lui permettant d’unir les thématiques mythologiques et naturelles.
En 1940, il réalise un premier dessin intitulé Brocéliande. La forêt, constituée d’un arbre tronc, abrite et protège animaux, humains et petit-peuple de la violence qui rôde à sa lisière. Le mythe de Brocéliande et son imaginaire y apparaissent comme un refuge à la guerre.
En 1941, il réalise deux autres dessins sur le thème. Dans le premier d’entre eux, Brocéliande est devenu un visage androgyne, aux traits anguleux, marqué par les cicatrices et les scarifications. La bouche est close et les yeux, derrière des branchages, observent le monde avec inquiétude et réprobation.
Dans le second dessin intitulé Brocéliande, un visage nous regarde avec force et défi alors qu’un oiseau, indifférent, passe en silence devant ses lèvres closes.
Plusieurs œuvres de cette période - Paysage iroquois ; La légende du maïs - témoignent de l’intérêt d’André Masson pour les populations indigènes de l’Amérique.
Ces deux derniers dessins sont-ils des références masquées aux amérindiens, qui cachés dans leur Brocéliande américaine, observent la guerre européenne à l’abri de leur refuge forestier ?
Datés de 1940-1941, les trois dessins intitulés Brocéliande - antérieurs à la refondation par Benjamin Péret (1899-1959) et André Breton du surréalisme par le mythe et le merveilleux - apparaissent comme les premières œuvres marquant le renouveau d’intérêt surréaliste pour le mythe arthurien.
René Magritte
Éléments biographiques
René Magritte nait en 1898 à Lessines en Belgique. Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1916-1918), il collabore aux revues d’esprit surréaliste Œsophage et Marie. Entre 1927 et 1930, il réside en banlieue parisienne et entre en contact avec le groupe surréaliste. En 1928, il participe à une exposition collective à la Galerie Goemans et collabore à la Révolution Surréaliste. De retour à Bruxelles, il devient le chef de file des surréalistes belges jusqu’à sa mort en 1967.— PICON, Gaétan, Le surréalisme, 1976, Genève, Skira, 1995, 216 p. [page 209] —
Auteur d’une œuvre abondante, le Musée d’Art Moderne de New-York lui consacre une vaste rétrospective en 1965.
1963 — Massif forestier de Paimpont
Massif forestier de Paimpont est une œuvre de René Magritte (1898-1963) datée de 1963, dernière période de création de l’artiste.
La forêt de Brocéliande est réduite à quelques feuilles portées par des troncs. En arrière plan du tableau, un soleil couchant se reflète sur l’océan. Un rideau de la même couleur que le coucher de soleil vient clore le tableau sur la droite cependant qu’un cavalier minuscule avance dans la composition permettant de saisir l’ampleur et la majesté des arbres.
L’arbre et la feuille sont des éléments récurrents dans l’œuvre de Magritte. Dans La Géante, l’arbre est une grande feuille dont la tige s’enracine dans le sol. Dans La feuille et l’arbre c’est la feuille qui contient l’arbre sur un fond d’écorce.
La modification du titre provisoire « Brocéliande » en son titre définitif « Massif forestier de Paimpont » traduit l’intérêt de Magritte pour les décalages entre un objet et sa représentation. L’incongruité du titre renforce ici l’étrangeté de la scène peinte. La forêt merveilleuse de Brocéliande est renvoyée à son aspect le plus prosaïque, sa localisation géographique et administrative en forêt de Paimpont.
Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées.
Aube Elléouët
Éléments biographiques
Aube Elléouët, née le 20 décembre 1935, est la fille d’André Breton (1909-1966) et de l’artiste plasticienne Jacqueline Lamba (1910-1993).
En 1950, elle se rend pour la première fois en forêt de Paimpont en compagnie de son père. En 1955, elle rencontre l’artiste peintre, poète et écrivain Yves Elléouët (1932-1975) avec lequel elle se marie l’année suivante.
En 1966, elle s’installe à Saché en Touraine où elle crée son atelier. Elle réalise des collages d’inspiration surréaliste à partir de 1970 et expose ses œuvres à partir de 1977.
Ses collages sont exécutés d’une manière classique avec des découpages de revues ou de vieilles gravures. Détournant leur représentation initiale, misant sur leur effet poétique, Aube Elléouët recrée une infinité de visions d’un monde merveilleux par la fusion d’éléments hétérogènes, révélant en douceur le côté subversif de ses rêves. Ses œuvres d’une grande fraîcheur de coloris, parfois rehaussées à la gouache, sont évidemment issues de l’héritage de Max Ernst, mais ne s’apparentent à aucun des collages réalisés jusqu’alors, que ce soit par lui ou par d’autres artistes surréalistes.
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1980 — Brocéliande
Aube Elléouët est l’auteur d’un collage sur papier intitulé Brocéliande, réalisé en 1980.