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de 1791 à nos jours

2 - Charbonniers en forêt de Paimpont - Le temps du libéralisme

Evolution du charbonnage en Forêt de Paimpont confronté à l’ouverture du marché et à la concurrence du coke.

Disparition du compagnonnage vers 1791

Les charbonniers salariés des Forges de Paimpont ont travaillé, de 1653 jusqu’au début de la Révolution, au sein d’un système bicéphale constitué par la maîtrise des forges et leur association ouvrière, le devoir de Brécilien, conduite par un père-maître élu.

À la fin du 18e siècle les charbonniers connaissent un bouleversement complet de leurs conditions d’exercice. Il découle principalement de deux séries de causes principales :

Des causes politiques

La loi Le Chapelier de 1791 promulguée par l’Assemblée Constituante interdit les associations ouvrières au nom du principe de la libre entreprise et du libre exercice des métiers manuels.

À cette cause s’ajoutent les effets des tensions politiques locales entre républicains et royalistes divisant la population et les familles. Le journal de l’abbé Pierre-Paul Guillotin (1750-1814) —  GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne. — fait état des troubles graves, allant jusqu’au meurtre, que la région de Paimpont a connu pendant la Révolution. Des compagnies chouannes hantent la forêt malgré la présence de troupes républicaines casernées à Plélan-le-Grand et à Gaillarde en Paimpont. Un climat de méfiance généralisée entretenue par les délations brise l’unité du devoir de Brécilien réunissant les charbonniers des Forges de Paimpont qui jusqu’alors se désignaient sous l’appellation de bons cousins pour exprimer leur solidarité.

Ces évènements se déroulent alors que la Convention est entrée en guerre depuis le 20 avril 1792, contre la coalition des royaumes européens alliés des immigrés. Elle constitue des troupes par la mobilisation des jeunes gens. Transitoirement, les employés des Forges, dont les charbonniers, sont considérés comme des agents économiques indispensables et sont exemptés des conscriptions. La loi commune finit par s’imposer à eux en 1793. Les régisseurs des Forges arrivent cependant à obtenir des reports de conscription sous prétexte d’insuffisance physique souvent mineurs que les autorités veulent bien admettre. A partir de 1794-1795, ces complaisances prennent fin et les conscriptions de la République et de l’Empire s’imposent totalement aux employés des Forges. Ces mobilisations désorganisent les équipes de travail, nuisent aux formations, pèsent moralement sur des familles inquiètes.

Une cause économique

Les guerres de la Première République accroissent considérablement les besoins en fer des arsenaux. Les Forges de Paimpont répondent à cette attente. La forêt s’en trouve dévastée et dans l’impossibilité de se renouveler.

Un état des boisements assez similaire est décrit le 28 fructidor de l’an IX (15 septembre 1801) dans le procès-verbal d’un prisage des bois. Cette année-là, l’âge moyen des coupes était à peine supérieur à 9 ans (Roux, 1987). Cette très courte durée de rotation des coupes ne permet pas aux essences forestières d’atteindre leur maturité sexuelle.
Dans ce contexte, il apparaît que seuls les rares individus les plus âgés de la végétation arborescente pollinisent. Les autres plants, plus jeunes, n’ont pas le temps d’atteindre leur maturité sexuelle (…).

OILLIC, Jean-Charles, « Fer et forêt en Bretagne : le massif de Paimpont du xviie au xxe siècle », in Des hommes et des plantes. Exploitation du milieu et gestion des ressources végétales de la préhistoire à nos jours, Sous la direction de C. Delhon, I. Théry-Parisot, S. Thiébault, Antibes, Éditions APDCA, 2010, (« XXXe rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes »), Voir en ligne. [page 269]

La pénurie de bois amène les propriétaires des Forges à élargir les modalités d’approvisionnement de l’usine à fer. Ils incitent des charbonniers à prendre des initiatives personnelles pour compléter les besoins en charbon à partir de bois lointains.

Ces bouleversements conduisent à une nouvelle organisation de l’approvisionnement des hauts-fourneaux basée sur l’initiative privée et la concurrence. Elle se développe à côté des équipes salariées des forges réduites en nombre.

À partir de 1776, recours de plus en plus important à des entrepreneurs indépendants

Dès 1776, les directeurs des Forges avaient confié à des maîtres charbonniers les achats de bois en dehors du massif de Brécilien. Des équipes sont mobilisées pour carboniser ce bois sur place.

Entre 1776 et 1790, il est produit annuellement, sur les terres appartenant aux Forges, entre 6 000 et 12 000 cordes de bois (soit 18 000 à 36 000 stères). Bien qu’importante, cette production est loin de répondre aux besoins métallurgiques, aussi l’entreprise se fournit en bois auprès des propriétaires voisins (6 551 pieds pour la campagne 1778-1779 et 5 809 pour celle de 1783-1784).

Oillic, Jean-Charles (2010) op. cit., pp. 261-262

À partir de 1791, cette pratique se développe et se transforme.

Cette évolution du charbonnage nous est partiellement connue grâce à des documents des 17e, 18e, 19e siècles conservés dans la famille Berson et partiellement explorés entre 1964 et 1967. Le collectage de la tradition orale, conservée par Eugène Berson et ses frères Pierre et Victor, a permis d’éclairer l’histoire de la charbonnerie locale. Elle a été complétée par celui fait près des familles alliées Martin et Boulé impliquées dans le commerce et l’industrie du bois pendant près de deux siècles. Eugène Berson 1(1885-1970), industriel du bois et négociant en charbon de bois, demeurant à Concoret, a apporté son éclairage sur le contenu de ses documents à son petit-fils, Joseph Boulé.

Commentant les documents de cette époque en sa possession, Eugène Berson disait :

Les maîtres de forges ne pouvaient plus employer un grand nombre de charbonniers dans leurs forêt. Ailleurs, plusieurs forêts et bois avaient changé de mains pendant la Révolution et leurs nouveaux propriétaires ne se comportaient pas en seigneurs mais en hommes d’affaire. Des propriétaires, héritiers de vieilles familles nobles, étaient prêts à vendre du bois pour se procurer de l’argent. De nouveaux marchés étaient accessibles.

Il ajoutait :

La liberté de se mettre à son compte a attiré les plus entreprenants. De nombreux salariés sont devenus artisans tandis que d’autres se sont faits négociants. Quelques voituriers et cuiseurs connaissant mieux la région que les autres charbonniers ont rassemblé autour d’eux des bons cousins bien choisis. Le monde des charbonniers a perdu son unité. Le devoir a été déserté. les fractures politiques ont conduit à des regroupements par affinité.

Désuni, sans encadrement, le compagnonnage n’a plus de raison d’être. Le devoir de Brécilien s’éteint en cette fin du 18e siècle à une date indéterminée. La loi de 1804 autorisant les associations ouvrières n’y change rien.

De ce collectage, il ressort qu’à la fin du 18ème, les maîtres des Forges décident de chercher des ressources complémentaires de charbon en dehors de Brécilien et incitent des charbonniers à se mettre à leur compte pour pénétrer ces marchés potentiels.

Le monde des charbonniers se partage alors en trois groups inégaux :

  • ceux qui restent des charbonniers salariés des forges,
  • ceux, peu nombreux, qui deviennent des entrepreneurs tournés vers le négoce et le commerce,
  • ceux, nombreux, qui deviennent des artisans cantonnés à la seule fabrication du charbon qu’ils vendent aux entrepreneurs.

Le collectage nous aide à suivre le sort des charbonniers indépendants : négociants, marchands et artisans.

D’anciens charbonniers salariés, membres des familles Berson, Chouin, Moitel et Turpin, et quelques familles venues d’autres forêts s’adaptent à cette situation et deviennent des entrepreneurs. Cela nécessite non seulement de bien connaître le métier mais d’avoir aussi une surface financière suffisante pour garantir aux propriétaires forestiers le paiement des coupes de bois et de posséder au moins un attelage. Il leur faut un certain niveau d’instruction pour bien gérer l’affaire et créer un réseau de clients, faire des échanges de courriers. Peu nombreux sont ceux qui réunissent ces conditions.
- "Une poignée d’hommes, venant essentiellement du voiturage et de la maîtrise, ont franchi le pas" disait Eugène Berson qui ajoutait :- "Dès avant la Révolution les propriétaires des forges avaient déjà confié à quelques uns d’entre eux des achats de bois et des chantiers en dehors de la forêt de Paimpont. Ces hommes avaient leur confiance."

Si cette nouvelle organisation reste largement agie par les besoins des forges qui restent, pendant trente ans, les principaux clients de ces entrepreneurs, ceux-ci sont conscients que l’avenir de celles-ci est fragile et qu’il est souhaitable de ne pas être tributaire d’un seul client aussi important soit-il. Ayant les coudées franches, ils s’acharnent à saisir très tôt d’autres débouchés et à diversifier leurs activités. Ces entrepreneurs vont organiser des filières de production, de transport et de vente tandis que la plupart des charbonniers de base restent confinés sur la seule production. Cette nouvelle organisation fait que le charbonnier de base, salarié ou sous-traitant dépend maintenant d’une entreprise conduite par un « patron » et non plus d’un devoir réglé par un père-maitre.

On peut distinguer deux catégories d’entrepreneurs :

— Celle des négociants essentiellement issus du milieu des voituriers.

Au nombre de huit ou neuf, ils deviennent les acteurs les plus actifs du charbonnage indépendant en Centre-Bretagne où toutes les forges sont confrontées aux mêmes difficultés d’approvisionnement. On retrouve parmi eux des membres des familles Moitel, Chouin, Turpin et Berson. Bien qu’appelés "grands patrons", leurs entreprises sont cependant de dimensions modestes et aucune ne rassemble plus d’une vingtaine de charbonniers et voituriers agissant dans les forêts et bois entourant les diverses forges situées en Centre-Bretagne. Au fil du temps, ils s’impliqueront de plus en plus dans le roulage et s’écarteront du charbonnage forestier.

Leur formule de négoce est basée sur leur engagement à fournir à leurs principaux clients que sont les forges de Paimpont, de Lanouée, de Sainte-Brigitte et de La Prénessaye, etc... un volume certain de charbon à un prix convenu à l’avance et livrable à un terme précis. Pour dégager une marge bénéficiaire tout se joue en amont : il leur faut contenir le prix de production au moyen d’une organisation rigoureuse des activités de leurs salariés et sous-traitants et mettre en place une logistique rationnelle du transport .

Ils s’approvisionnent en bois dans les nombreuses petites forêts et les bois d’une trentaine d’hectares du Centre-Bretagne. A l’image des marchands de fil, ces négociants préfèrent au salariat la sous-traitance près d’artisans isolés. Ils deviennent ainsi les intermédiaires obligés entre les propriétaires de bois et les charbonniers de base. Ils se chargent de l’achat du bois sur pied, de l’organisation de la production et de la rétribution des charbonniers travaillant pour eux à façon. Pour couvrir leurs engagements, si nécessaire, ils complètent leur besoin en charbon par des achats près de leurs confrères moins importants, les marchands-artisans.

Ils apportent ainsi aux forges, le complément de charbon que leurs propres salariés ne peuvent tirer de leur propriété forestière. Ils fournissent aussi les maréchaux, forgerons, cloutiers, ferronniers et cette multitude de tailleurs, de couturières et de repasseuses de coiffes dont les fers sont chauffés au charbon. Ils se placent sur des marchés demandeurs lointains comme en offre la métallurgie artisanale et industrielle se développant à Saint-Malo, Rennes, Redon. Des particuliers de Rennes deviennent leurs clients : le stockage du charbon demande moins de place que le bois pour un pouvoir calorique équivalent ; il est beaucoup moins lourd et il est plus facile de le monter dans les appartements. Ils participent aussi à l’envoi des clous de leurs voisins cloutiers à destination des villes et des ports. Pour éviter les retours de charrettes vides, les marchands charbonniers se font commissionnaires et s’ouvrent au transport de marchandises. Ces anciens bons cousins évitent de se faire une guerre des prix et gagnent assez bien leur vie sans faire fortune.

— Celle des marchands-artisans essentiellement issus des charbonniers cuiseurs habitués aux fouées.
Leurs entreprises sont plus petites et ne dépassent pas dix employés choisis, le plus souvent, dans leur parentèle proche. Il ne nous a pas été donné de pouvoir évaluer leur nombre. Nous verrons qu’ils s’impliqueront de plus en plus dans le bûcheronnage au détriment du charbonnage.

La situation sociale de ces "petits patrons" est à mi-chemin de celui des négociants et de celui des artisans de base. Comme les négociants, ils achètent du bois sur pied à de petits et moyens propriétaires forestiers. Le diamètre de l’aire où ils travaillent est de l’ordre de vingt kilomètres autour de la seule forge qu’ils approvisionnent à la différence des négociants qui alimentent plusieurs forges. Leur commerce se limite à écouler leur production et celle de quelques artisans sous-traitants de leur voisinage. A la différence des négociants, leur marge bénéficiaire est tributaire du prix arrêté au dernier moment lors de la vente de leur produit. Arguant de la qualité de leur charbon, ces petits patrons tentent de vendre au mieux l’essentiel de leur production à la forge industrielle la plus proche et à une clientèle d’artisans dans un rayon de quinze kilomètres autour de leur domicile, ce qui leur permet de faire l’aller-retour dans la journée avec une charrette et d’établir des relations fortement personnalisées avec leurs clients. Leur surplus éventuel est vendu à des négociants avec tous les aléas du marché que cela implique.

La raréfaction de la matière première, l’augmentation générale du cours des bois et l’instabilité de celui du charbon, joint au désir de ne pas passer leur vie loin de chez soi, conduisent nombre de ces marchands-artisans à tabler sur l’alternance de deux activités forestières : la fabrication du charbon surtout à la belle saison et le bûcheronnage au service de marchands de bois en hiver. Cette pratique permet de moduler la production et de stocker du charbon dans l’attente des cours les plus hauts. De plus le bûcheronnage du bois d’œuvre est devenu attractif pour être de mieux en mieux rétribué.

Ainsi Jean-Claude Berson (1756-1826), d’abord officier-forgeron du devoir, descendant en lignées paternelles et maternelles de maîtres-charbonniers, quitte le salariat des forges pour constituer un groupe de quelques charbonniers qu’il fait travailler aux fouées. Comme les autres marchands-artisans, il vend sa production aux Forges de Paimpont et à des clients proches et pour partie aux négociants. En hiver, il arrête la carbonisation pour faire de sa petite équipe des bûcherons saisonniers qui passent d’un bois à un autre et en débardent les grumes, c’est-à-dire les tirent jusqu’à un chemin carrossable avec l’aide d’un cheval. Cela répond aux attentes des marchands de bois et des charpentiers qui bénéficient d’une nouvelle demande : les nouveaux riches issus de la Révolution et de l’Empire regroupent des terres pour faire de grandes fermes et ont besoin de bois d’œuvre pour construire de vastes et sains bâtiments.

— Situation des charbonniers de base, artisans et ouvriers

Les charbonniers de base dépendent des précédents. Il est aujourd’hui difficile de cerner le nombre de ceux-ci en fonction, à cette époque, dans le massif de Paimpont et les bois qui l’environnent. Certains chiffres peuvent faire illusion. Il a été écrit qu’en 1814, entre 180 et 200 bûcherons sont employés pour la coupe de 7 000 à 8 000 cordes de bois. Le rapport entre ce volume de bois rapporté à ce très grand nombre de bûcherons met en évidence que cette coupe n’a pu durer tout au plus que trois à quatre mois et n’a pas apporté durablement de la matière première aux charbonniers.

[...] en ce début de siècle, la raréfaction de la ressource se fait sentir et oblige les propriétaires à s’approvisionner hors de Paimpont, comme nous l’indique une lettre de l’administration des Finances au préfet d’Ille-et-Vilaine :« L’activité et l’abondance du travail qui s’y fait [aux Forges] ont souvent rendu insuffisants pour leur approvisionnement les bois qu’en tiraient les coassociés et les ont forcé à compléter dans les forêts voisines la quantité de bois nécessaire au roulement de l’usine ».

Oillic, Jean-Charles (2010) op. cit., p. 252

La réduction drastique du nombre des employés extérieurs des forges a obligé nombre de charbonniers à rejoindre les entreprises indépendantes. Cependant les nouveaux territoires mis en exploitation par les négociants et les marchands pallient momentanément à la baisse de l’emploi sur Paimpont. Ces charbonniers de base, n’ayant pas les moyens d’acheter des coupes de bois ni de transporter le charbon, deviennent :

  • pour partie, des salariés près des négociants employant surtout des voituriers,
  • pour partie, des salariés près des marchands employant surtout des cuiseurs,
  • pour le plus grand nombre, des petits artisans considérés comme indépendants mais qui dans les faits sont des sous-traitants au service des précédents.

En dehors des équipes réduites des salariés des Forges, le nouveau système est largement basé sur des entités familiales restreintes, très mobiles. Au sein des bois et forêts plus petites que celle de Paimpont, la vie communautaire qui avait atteint des dimensions quasi-villageoises, disparait. Un groupe de travail ne rassemble plus que quelques hommes, membres d’une, deux ou trois familles cellulaires, ce qui conduit à un isolat difficile à supporter et les femmes répugnent à vivre dans de telles conditions. Elles commencent à se marier avec des tisserands et des cultivateurs ou s’engagent comme domestiques.

Vers 1821, effets déstabilisants de la substitution du coke au charbon de bois

À partir de 1821, un nouveau bouleversement se produit. Les métallurgistes commencent à recourir au coke arrivant à Saint-Malo et à Nantes. Ce nouveau combustible issu de la houille par pyrolyse a un pouvoir calorifique supérieur à celui de la houille et du charbon de bois. Les Forges de Paimpont commencent alors à utiliser ce nouveau « charbon de terre ».

Un projet de forges fonctionnant entièrement au coke est établi mais, dès l’année suivante, on s’aperçoit du caractère irréalisable du projet faute de gisement de houille proche. Aussi une solution mixte est-elle adoptée, le charbon de terre ne servira qu’à achever l’affinage des gueuses dans les fours à réverbère.
[...]
Malgré les innovations visant à augmenter la production en maîtrisant la consommation en charbon de bois et une baisse sensible de la production des Forges, l’étiolement des ressources forestières se poursuit. Et, aux environs de 1840, les maîtres de forges de Paimpont font l’acquisition de la forêt de Montauban pour suppléer à la raréfaction du bois à Paimpont. Les nouveaux propriétaires en viendront même, en 1851, à demander l’autorisation de faire la coupe rase de la totalité de la forêt de Montauban (546 ha) et de 2 238 ha en forêt de Paimpont pour assurer le fonctionnement des forges.

Oillic, Jean-Charles (2010) op. cit., p. 263

Malgré ces aléas, les Forges de Paimpont introduisent ce combustible de plus en plus massivement, ce qui pèse lourdement sur le marché local du charbon de bois. Le monde traditionnel des charbonniers salariés se défait davantage. La « bonne vie » est bien terminée.

Conséquence pour les négociants

Les négociants indépendants sont très bousculés par cette concurrence du coke et la raréfaction du bois dont le prix monte. Les débouchés des marchés de proximité, qu’ils alimentent déjà, ne suffisent pas. Plusieurs négociants découragés disparaissent. D’autres ouvrent des entrepôts en ville, notamment à Lorient et à Nantes où ils tentent d’accroître le nombre de leurs clients. Ils sont des habitués des voyages et des auberges. Ils passent leur vie à cheval ou à côté de leur cheval disait Eugène Berson. Ils y retrouvent des négociants venus de toutes parts. Ils sont confrontés à une concurrence féroce et à la réduction de leurs marges. Il n’y a plus de bons cousins qui se respectent.

Les revenus des négociants restés dans le commerce exclusif du charbon de bois chutent inexorablement. Les salaires des charbonniers suivent la même pente. La plupart des négociants abandonnent progressivement la fabrication du charbon pour faire du roulage leur principale activité. Ils continuent cependant de transporter, pendant un temps, le charbon produit par les artisans tout en commençant à ramener des ports de Saint-Malo et de Nantes le coke destructeur de leur ancien métier.

Approfondissant leur reconversion, ils renforcent la diversification des transports d’autres marchandises dont les produits du sol que leur confient les marchands de grains et de pommes de terre. Ils ramènent des villes vers les bourgs les commandes de commerçants. Les « grands patrons », tirant la leçon de l’évolution des marchés et des transports, se désengagent totalement de la filière du charbon de bois. La plupart s’installent en ville pour y faire le commerce du charbon de terre ou y installer le siège de leur entreprise de transport.

Conséquences pour les marchands-artisans

D’autres charbonniers, (petits patrons) locaux, survivent grâce au bûcheronnage comme Pierre Berson (1782-1858). Après avoir été délivré de ses longues obligations militaires vers 1806, il est revenu à Paimpont pour aider son père, Jean-Claude Berson. Ils sont restés de ces petits entrepreneurs indépendants vendant, jusqu’en 1820 le plus gros de leur production aux Forges de Paimpont et le surplus à des forgerons et des cloutiers. A partir de 1821, les Berson continuent d’employer quelques salariés passant, selon la saison, de la cuisson des fouées au bûcheronnage. Charbonniers, ils travaillent dans des bois dans un rayon de 15-20 km autour de leur domicile de Gaillarde en Paimpont et vendent leur charbon à des clients proches de leurs fouées, petits clients maintenant délaissés par les négociants. Bûcheurs, ils travaillent pour les besoins des charpentiers et des marchands de bois. Ils sont aussi occupés à l’abattage du bois permettant l’ouverture de nouveaux chemins forestiers rectilignes dits lignes que les propriétaires commencent à tracer en forêt de Paimpont.

D’une manière générale, la part du charbonnage dans leur activité décroit chez les artisans charbonniers au profit d’autres travaux forestiers. Ils en viennent à se replier sur leur seule famille et constituent des sortes de frérêches, groupes de travail réduit aux frères, enfants et neveux et régi par un leader de leur famille agissant en patriarche.

Conséquences pour les charbonniers de base

Les charbonniers de base ne trouvent plus à s’employer près des négociants charbonniers et des marchands charbonniers. Une partie d’entre eux, voulant « rester au bois », trouve à s’employer dans le bûcheronnage et sur les premiers chantiers de reboisement nés de la nouvelle politique forestière des grands propriétaires maintenant tournés vers la production de bois d’œuvre.

La plupart des cuiseurs, poussés par la nécessité, quittent la région de Paimpont. Certains improvisent des micro-exploitations personnelles à proximité des villes, ce qui contribue à l’éparpillement des familles et les vestiges des traditions du compagnonnage s’éteignent d’eux-mêmes. Nombreux sont ceux qui gagnent des régions encore préservées autour de Châteaubriant et de Redon. Des entreprises métallurgiques florissantes continuent de s’y développer sans recourir autant au coke. Ils sollicitent des emplois près de leurs rares cousins métallurgistes qui ont connu une réussite exceptionnelle tels Jean-Pierre Trébuchet 2, à Riaillé ou Armand Franco, à Châteaubriant, devenus maîtres de forge. Ainsi nombre de charbonniers se convertissent en ouvriers métallurgistes dans cette période où les fonderies et les ateliers de constructions mécaniques sont en pleine expansion.

Les charbonniers de base restés en Centre-Bretagne travaillent dans de petites forêts ou de grands bois dans lesquels les taillis occupent des surfaces restreintes. Ils peinent de plus en plus à vendre leur charbon à des négociants en difficulté. Le prix du charbon continue de chuter. Les chantiers durent peu. Les changements de lieux répétés lassent leurs épouses d’autant plus qu’il leur est demandé de contribuer au travail des fouées.

La misère rode. Les charbonniers vieillissent et très peu de jeunes viennent les remplacer. Les jeunes filles échappent à l’emprise familiale et cherchent à s’établir ailleurs qu’en forêt. La formation des apprentis est devenue une affaire strictement familiale. La qualité de l’apprentissage s’en ressent souvent, ce qui amène des négociants travaillant sur Paimpont à recruter ailleurs des adultes expérimentés notamment de la région de Camors. Ce sera un échec. Ces nouveaux-venus, tout autant en difficulté, usant du breton, se trouvent coupés de la population et en butte à l’hostilité des charbonniers locaux. Ils viennent seuls, sans leurs épouses et leurs filles. Les mœurs et les conditions de vie s’en ressentent. Des conflits graves éclatent entre charbonniers d’origines différentes voire de familles différentes. L’alcoolisme fait son apparition. Les chapardages et vols se multiplient. La population en vient à se défier des charbonniers.

1850-1884 — L’agonie du charbonnage forestier, conséquence de la réduction puis de l’arrêt de la fonderie

Implacablement, l’industrialisation des fabriques et le développement du rail ont des répercussions jusqu’au centre de la Bretagne. Évènement capital, de changement de mains en changement de mains, les propriétaires successifs de l’usine à fer de Paimpont réduisent la part de la fonderie pour se consacrer à l’usinage d’éléments mécaniques.

En 1884, vaincus par la concurrence, les hauts-fourneaux des forges s’éteignent définitivement mettant un terme à deux-cent-vingt ans d’existence. Les divers ateliers de constructions mécaniques qui prennent la suite ont de moindre besoin en énergie et les cuiseurs voient leur métier terriblement menacé. Partout les fonderies locales sont remplacées par des ateliers de constructions mécaniques moins gourmands en énergie, les maréchaux-forgerons ne fabriquent plus autant d’outils, les cloutiers de village sont débordés par les fabrications industrielles de clous et pointes, les citadins utilisent de plus en plus des boulets de coke pour se chauffer.

La fin des négociants en charbon de bois

De rares négociants en charbon de bois, restés sur place et souvent âgés, se maintiennent difficilement à flot. A partir de 1884, cette activité devenue vestigiale ne nourrit plus son homme et disparait.

Les jeunes voituriers se retirent de la filière du charbonnage du bois pour d’autres activités centrées sur le roulage et le commerce demi-gros du coke en ville. Leurs nouveaux champs d’activité s’accroissent. Partant des premières gares desservant quelques villes, où arrivent des produits manufacturés, ils amènent les produits issus de la fabrication industrielle jusque dans les bourgs. Ils seront à l’origine de sociétés de transporteurs, tels les Roleau, descendants des Berson, à Saint-Méen-le-Grand (35), qui tablent avec succès sur les liaisons entre les gares et la population rurale.

Cette disparition des « grands patrons » oblige les charbonniers de base à quitter leur métier. Restent dans la région ceux qui possèdent une maison et un peu de terres. Ils deviennent pour la plupart cultivateurs. Persiste tout de même un micro-artisanat réactionnel maintenu par une poignée de charbonniers. On en vient au « chacun pour soi » en essayant de vendre une petite production à des clients très proches. Certains ne vont plus en forêt et « cuisent » près de leur domicile du bois de haie tout en cultivant quelques terres.

La mort lente des marchands-artisans

Les marchands-artisans se voient privés de leurs débouchés près des forges et des négociants. Ils ne peuvent plus proposer de sous-traitance aux charbonniers de base. Pour survivre, ces derniers entrent en concurrence avec leurs anciens employeurs en achetant à leur tour de petites coupes de bois et en tentant de vendre leurs produits à des cloutiers et forgerons de proximité à des prix dérisoires, ce qui réduit d’autant les marges de tous les producteurs.

Parmi les derniers « petits patrons », Dominique Berson (1813-1880), fils de Pierre, continue vaille que vaille la double activité de charbonnier et de bûcheur comme ses prédécesseurs. Il espère beaucoup que la création, vers 1853, de fours à chaux à Saint-Thurial lui offrira un débouché. Il n’en sera rien. La température nécessaire au fonctionnement de ces fours peut être obtenue avec du bois de chauffe moins coûteux que le charbon de bois. Il n’est besoin que de peu de charbon au moment de leur allumage. Dominique Berson « cuit » de moins en moins de ce bois qu’il exploite dans la région de Mauron et de Gaël. Il ne brûle guère plus que les cimes des arbres que ses bûcherons abattent. En fait, seul le bûcheronnage porte sa petite entreprise. Il se maintient cependant à flot par la fourniture de bois d’œuvre à son beau-père, Patern Bricon (1782-1851), scieur de long et maître charpentier à Rezel en Concoret et à de nombreux autres maîtres charpentiers locaux ainsi qu’à des menuisiers.

Charbonniers et bûcherons
Cartes postales anciennes
(1) Bûcherons - débardeurs
(2) Cuiseurs
(3) Cuiseurs - dresseurs
(4) Sacquetiers

(A défaut d’une iconographie contemporaine, des cartes postales, datant d’une période postérieure, permettent d’illustrer les aspects intemporels du travail des charbonniers qui restera presque inchangé pendant un siècle jusqu’à l’entrée en guerre en 1939-45.)

De nouveaux propriétaires du massif forestier de Paimpont se substituent aux descendants des familles de Farcy et d’Andigné. Tous restructurent leur domaine et continuent d’y percer des chemins forestiers rectilignes. Dominique Berson travaille aussi avec ses bûcherons à la création de ces lignes dont le réseau s’étend. Il est de ceux qui, de nuit, munis de boussoles, alignent des lanternes pour marquer la rectitude de ces nouveaux chemins à travers les taillis. Ce petit bois des lignes devient plus que suffisant pour ses besoins en charbon.

Il disait avant de mourir, magnifiant sans doute beaucoup le passé à la mesure de ses déceptions :

Au cours de ma vie, je n’ai « brûlé » que deux fois un peu de ce qui reste de bois de la forêt de Paimpont alors que mes aïeux l’avaient fait trois fois d’une belle forêt.

L’arrivée du charbon de terre dans les petites villes et les bourgs

Surgissent localement des marchands de charbon de terre comme Jean-Marie Apert (v. 1855-1915), exerçant à Mauron, gendre et neveu des frères Poulain ayant un important atelier de construction mécanique aux Basse-forges. J-M. Apert et d’autres marchands de coke conquièrent des parts importantes de marché chez les maréchaux, les ferronniers et les derniers cloutiers, les particuliers des petites villes et des bourgs. Ils détruisent à terme, chez les charbonniers forestiers, toute espérance d’activité suffisamment rentable.

Les dernières illusions

Se confirme l’agonie des charbonniers locaux. La plupart quittent le métier définitivement.

C’est le cas de Dominique Berson. En mauvaise santé, vieilli précocement, il se retire du métier laissant les rênes à son fils aîné, Jean-Marie Berson (1849- ?). Celui-ci ne réussit pas à prendre des parts de marché dans la fourniture de traverses pour la voie de La Brohinière à Gaël. Les salaires des bûcherons montent : ils sont très recherchés par les fabricants de traverses ferroviaires tels qu’Ange Bossard, de Rennes et Julien Martin, de Loyat. Ce dernier fait travailler plus de deux cents bûcherons et scieurs de long. Dominique Berson ne peut suivre ce mouvement. Il perd ses employés et arrête le bûcheronnage. C’en est trop pour lui et peu après la mort de son père en 1880, il quitte l’entreprise familiale à son tour.

Son frère cadet, Eugène Mathurin Berson (1857-1914) ne veut pas croire à l’inéluctable. À contre-courant de tous ceux qui quittent les fouées, il continue le charbonnage. Il espère que la disparition brutale de la concurrence autour de lui améliorera son sort. Pendant un temps, il est le principal fournisseur des cloutiers locaux mais ceux-ci disparaissent avec l’arrivée des trains apportant les produits de la clouterie industrielle. Il s’acharne inutilement, persuadé que les qualités du charbon de bois seront reconnues et resteront préférées pour certains usages. Son anticipation n’est pas totalement utopique mais il ne sait pas frapper aux bonnes portes.

Il attend beaucoup de la briqueterie Saint-Judicaël naissante près de Saint-Méen et connait la même déception que son père avait connue avec les fours de Saint-Thurial. Après quelques tâtonnements, on y utilise peu de charbon, le bois de chauffe étant là aussi suffisant. Conduit par de fausses espérances, il commet l’erreur d’acheter une grosse coupe de bois. Elle lui reste sur les bras et, confronté à un déficit, il se trouve obligé de vendre beaucoup de ses biens pour couvrir sa dette et payer ses salariés. Il survit misérablement avec une équipe réduite à trois personnes et un attelage.

Cette évolution défavorable connue par les Berson est générale. Le métier se meurt.

Tout au long de cette fin de siècle, le nombre des charbonniers baisse inéluctablement sur le site de Paimpont. Partant de quarante-deux charbonniers en 1856, il tombe à vingt-cinq en 1866, onze en 1891.

Le maintien de quelques charbonniers de 1880 à 1940

Un micromarché local a tout de même permis à quelques irréductibles de continuer d’exercer leur passion pour les fouées au prix de grands sacrifices. Les initiatives d’Eugène Alexandre Berson améliorent leur situation à partir de 1909. Il table sur la double activité de marchand de bois et de marchand de charbon pour tirer le meilleur parti des coupes de bois et réduire les coûts d’exploitation.

Actions d’Eugène Berson

Le marchand de bois

Eugène Alexandre Berson (1885-1970), fils du précédent, a été juridiquement émancipé par ses parents à dix-huit ans alors que la majorité légale est fixée, à cette époque, à vingt-et-un ans. Cette émancipation lui permet d’ouvrir en 1903, une entreprise de sciage, à Rezel près de Comper. Pour la démarrer il va bénéficier de la confiance de quelques prêteurs locaux qui lui fournissent les premiers fonds. Il commence avec six employés, bûcherons et scieurs de longs et, en un an, double son activité et le nombre de ses employés. À proximité, son père persiste toujours difficilement dans le charbonnage.

Vers 1908, ayant fait ses preuves, E. Berson convainc la famille de Charette de lui consentir un apport important de fonds pour créer une scierie mécanique au bord de l’étang du moulin de Comper. L’énergie nécessaire aux bancs de scie est fournie par une grosse machine à vapeur utilisant les déchets de sciage ce qui l’affranchit des limites saisonnières que rencontrent les scieries mues par l’énergie hydraulique. Cette initiative rencontre le succès.

Il n’est pas le seul à ouvrir une scierie en ce début de siècle. L’avaient d’ailleurs précédé la famille Gernigon qui tient la scierie de la Fenderie (2) des Forges de Paimpont depuis 1875 ainsi que Julien Martin, de Loyat, qui, dès 1868, développe des scieries fixes et volantes couvrant le Centre-Bretagne dont l’une se base périodiquement près du moulin du Châtenay à Beauvais. En ce début du 20ème siécle sont créées plusieurs scieries industrielles telles celles de MM. Allain, à Mauron, Boulé au Bois-de-La-Roche, Besnard à Mordelles. Certains des enfants de Julien Martin, fondateurs de la Société Martin Frères de Ploërmel, continueront d’intervenir sur Paimpont jusqu’en 1918 puis se tourneront essentiellement vers le négoce du bois en concertation avec les maîtres de scieries locaux devenus leurs fournisseurs pour une part importante. Cette mécanisation des scieries signe définitivement la fin des scieurs de long.

E. Berson échappe à l’effet de cette concurrence en créant un réseau de vente dirigé vers les grandes entreprises et gros négociants à l’instar de la Société Martin Frères. Sa production répond aux attentes des mines qui ont besoin d’étais, des menuiseries artisanales et industrielles, des parqueteries, des constructeurs utilisant des planches de coffrage pour le béton. Ce dernier marché est très porteur : la construction de la Ligne Maginot et des ouvrages secondaires comme celle des nouveaux immeubles et ponts en béton entretiennent une augmentation constante des besoins en coffrage.

La majorité des propriétaires forestiers de Paimpont et des alentours lui ouvrent leurs portes. Son entreprise les rend moins dépendants de celle de la Fenderie. Vers 1923, E. Berson transfère sa scierie de Comper au bourg de Concoret et y installe une puissante machine à vapeur pour alimenter en énergie les scies de son entreprise. À l’ouverture et à la fermeture des périodes de travail, retentit le « sifflet » de cette machine aussi puissant que celui d’un navire. Par bon vent, il est entendu dans un rayon dépassant 15 km et rythme la vie locale ! E. Berson ajoute rapidement à sa scierie principale des scieries volantes mues par de petites locomobiles amenées sur les coupes de bois dans un rayon de 25 kilomètres autour de Concoret. Ses productions sont livrées à grande distance par camions et wagons. Tablant aussi sur un complément de retour pour abaisser le coût du transport, il ouvre également un commerce de bois du nord et de matériaux de construction animé par son frère, Victor Berson. Il passe des contrats avec des transporteurs de porcs qui lui amènent ces matériaux de construction pour ne pas revenir à vide depuis de lointains abattoirs. L’ensemble de ces activités, scieries, bûcheronnage, transport et commerce du bois, emploie environ quarante-cinq personnes, sans compter des bûcherons saisonniers.

Le marchand de charbon de bois

En marge de ses activités florissantes, E. Berson a à cœur de maintenir la tradition charbonnière familiale. Vers 1909, il récupère les quelques charbonniers de son père devenu malade et constitue un stock de charbon. Il laisse à qui veut les petits clients locaux et aborde des firmes d’une certaine importance. Plus adroit que son père, il persuade des raffineurs nantais de la qualité de sa production. Il multiplie les contacts avec des entreprises modernes qui utilisent un charbon de bois de grande qualité tels que des producteurs de vins cuits comme Byrrh, des raffineries de sucre comme Béghin-Say, des industries chimiques utilisant des filtres à base de charbon de bois, des laboratoires de pharmacie commercialisant du charbon médicinal fabriqué à partir du peuplier noir, des ateliers mécaniques et de brasures consommateurs de braisettes. Dès 1912, sa clientèle est établie et son flux de production s’écoule avec régularité.

Pendant la guerre 14-18, l’armée lui achète du charbon nécessaire aux masques à gaz et à ses premiers véhicules à gaz pauvre tel l’énorme tracteur Latil de vingt tonnes utilisé pour tracter des canons. E. Berson n’a pas été mobilisé lors de cette guerre pour cause d’infirmité manuelle. En effet, vers 1911, huit phalanges de ses deux mains ont été tranchées par une scie circulaire qu’un de ses ouvriers a malencontreusement embrayée alors qu’il lui montrait comment placer un guide de protection. Moralement troublé par sa réforme, E. Berson demande à faire partie de la Réserve ce qui lui est refusé, les autorités estimant que la conduite de son entreprise est indispensable aux intérêts de la nation. Pendant la durée de la guerre, il a à cœur de fournir à l’armée du charbon à prix coûtant.

Figure 1 - Tracteur Latil et camion
— En haut : tracteur Latil de l’armée
— En bas : camion à moteur gazogène avec roues à bandages

Au sortir de la guerre, E. Berson suit avec attention la publication des travaux scientifiques des constructeurs de moteurs à gaz pauvre que sont les entreprises Libault, Imbert, Cazes. Il apparait que 12 kg de bois transformé en 6 kg de charbon peuvent produire autant d’énergie que 5 litres d’essence, ceci à un prix compétitif. Le tracteur à gazogène Latil de la Grande Guerre est reconverti avec succès dans les activités civiles. Dès 1929, les compagnies de chemin de fer Paris-Orléans et PLM organisent des congrès et soutiennent des recherches. Panhard met au point en 1936 une automotrice très performante. Berliet connait une belle réussite en équipant de gazogène une partie de sa production de camions. Ils sont appréciés pour leur faible consommation (80 kg de charbon de bois pour cent kilomètres) et on leur découvrira une longévité exceptionnelle.

Figure 2 - Tracteurs Latil
— En haut : tracteur Latil reconverti (1)
— En bas : tracteur Latil reconverti (2)

À cette même époque, la Direction générale des Eaux et Forêts multiplie les expériences avec le double but de valoriser la filière bois en métropole et de mettre au point une source d’énergie se passant du pétrole au sein des colonies françaises d’Afrique. Avec l’aide de l’Automobile Club de France, les Eaux et Forêts organisent plusieurs concours automobiles et des rallyes renommés de 1921 à 1929. Panhard fait une démonstration en Afrique : Dakar-Bamako-Abidjan puis Douala-Bangui ; tout au long de ce parcours, le charbon est fabriqué au fur et à mesure dans des fours métalliques. En 1934, un congrès du bois de feu et du charbon de bois est rassemblé à Nancy. En 1935, un sous-secrétariat d’État chargé des Forêts est créé auprès du ministère de l’Agriculture ; il ouvre un centre d’expérimentation à Cadarache, des centres d’instruction professionnelle, une École du bois et des carburants forestiers et créée le Comité technique supérieur des carburants forestiers. La même année, des rallyes tels celui des Cévennes, ceux de Rome-Paris et Londres-Berlin mettent en valeur les exploits des véhicules gazogènes.

En 1937, Henri Queuille, ministre des Travaux publics, décrète que les services publics, les entreprises et l’armée ont l’obligation d’utiliser 10% de véhicules à gazogène. Ce décret aura un effet limité : en 1938, on dénombre six milles véhicules à gazogène, dix-neuf autorails, plusieurs dizaines de péniches et un peu plus de trois mille moteurs fixes. Le sous-secrétariat, ayant réalisé la création de structures essentielles, est supprimé en 1938 et ses missions sont confiées à la Commission des gazogènes de la Direction Générale des Eaux et Forêts.

Tout au long des années 20, E. Berson rencontre des ingénieurs des Eaux et Forêts et des constructeurs de gazogènes pour cerner au mieux l’efficacité des différentes essences de bois et l’utilisation de bois de petit diamètre (braisette, noisette, charbonnette). Il entretient une correspondance avec eux, participe à des essais et accumule un savoir que ne possèdent pas la plupart des charbonniers. Ainsi il sait mieux répondre aux attentes de sa clientèle mais sans qu’il y ait un changement d’échelle signifiant de son activité.

Au cours des années 1930, ses efforts et ses contacts lui valent cependant de nouveaux débouchés près de points de vente routiers dans l’Ouest. Le litre d’essence vaut 2 F 67 en 1938 (1,33 € de 2020) quand le kilogramme de charbon de bois vaut 1 F (0,50 € de 2020). Cette différence de prix couvre largement le surcoût d’un véhicule gazo, sa relative perte de ‘’charge utile’’ due au poids de sa ‘’marmite’’ et le temps quotidien consacré à son nettoyage. E. Berson obtient notamment des marchés intéressants près de l’armée de terre. Celle-ci, avant même le décret d’Henri Queuille, voyait dans l’usage des gazogènes un moyen de limiter les risques de pénurie d’approvisionnement en pétrole en cas de conflit.

Publicité Panhard pour le gaz des forêts
1936

Grâce à la diversification de ses ventes, il réussit à maintenir un négoce de charbon de bois. Il emploie durablement une quinzaine de charbonniers travaillant dans les bois et forêts situés dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de Concoret. Il introduit les premiers fours métalliques permettant de carboniser des bois de faible section sans qu’ils s’enflamment. Il incite même quelques charbonniers de Camors fort compétents et capables, les quatre frères Guégan, à s’installer en Paimpont. Cette petite équipe sera la source d’une résurrection du charbonnage pendant la guerre de 39-45.

Figure 3 - Camions des années 30
— En haut : camion des années 30 (1)
— En bas : camion des années 30 (2)

Le recours aux charbonniers de 1940 à 1954

À la veille de la guerre de 1939, les charbonniers de Paimpont ne sont plus que neuf mais d’autres travaillent toujours dans des forêts voisines. La guerre va changer du tout au tout la donne. En 1940, l’occupation de la France par les Allemands entraine une pénurie d’essence, de coke et de gaz qui a des effets jusqu’en 1954. Joanny Guillard (1928-2018), ethnologue, ingénieur agronome et ingénieur des Eaux et Forêts, membre de l’Académie des sciences, a fait une étude approfondie des énergies alternatives dans le passé, notamment sur ce qu’il nomme « le gaz des forêts ».

C’est la guerre de 1939-1945 qui, par suite du manque de produits pétroliers, va donner un essor considérable au ‘’ gazo”, comme on prend l’habitude de le dénommer. Le charbon de bois et le bois se font concurrence pour l’alimenter, le premier plus facile mais salissant, le second plus encombrant, exigeant un entretien plus serré des épurateurs mais moins coûteux. (…)
Dès novembre 1939, un décret du ministère des Travaux publics concerne les transports publics routiers assurés par des véhicules à gazogène. Un autre décret de Vichy en juin 1940 crée un service spécial sur les carburants. A. Caquot, le 24 juin 1940, présente une note au Conseil supérieur de la défense nationale qui préconise la fabrication et l’adaptation de véhicules au gaz et au charbon de bois (…).

GUILLARD, Joanny, « Histoire et Territoire : Le gaz des forêts », Revue Forestière de France, Vol. 2, 2002.
Figure 4 - Voitures et triporteur 1939-1952
— En haut : voiture 1939-1952 (1)
— En bas : voiture 1939-1952 (2)
— A droite : triporteur 1939-1952
Figure 5 - Camions 1939-1952
— En haut : camion 1939-1952
— En bas : camion de l’armée 1939-1945
Figure 6 - Tracteur et blindés 1939-1945
1 - Tracteur de l’armée 1939-1945
2 - Char allemand 1939-1945 (1)
3 - Char allemand 1939-1945 (2)
4 - Blindé de la Résistance

La charbonnerie retrouve une ampleur considérable pendant cette période pour alimenter les ateliers de constructions mécaniques et les maréchaux-forgerons encore assez nombreux. Pour se tirer d’affaire, les Français utilisent le moteur à gaz pauvre. Fin 1944, on estime que sur cent mille véhicules utilitaires roulant en France, quatre-vingt-neuf mille fonctionnent avec ce procédé. S’y ajoutent la quasi-totalité des voitures privées. Les petites entreprises de métallurgie et les ateliers de brasure, amenés à faire beaucoup de réparations, suite à la raréfaction des produits manufacturés captés par les Allemands, réclament du charbon de bois et de la braisette pour pallier le manque de coke et de gaz de soudage à l’arc.

Dès 1939, Eugène Alexandre Berson trouve dans cette expansion des besoins l’occasion de traduire en actions l’accumulation de ses réflexions antérieures. Il prend contact avec des familles d’anciens charbonniers dispersés en Centre-Bretagne. Il en rassemble les forces vives. Des vétérans reviennent au bois et forment à la hâte des jeunes. Autour de son négoce, environ deux-cent-cinquante charbonniers vont travailler sur plusieurs forêts de la Bretagne centrale dont celle de Paimpont. L’importance de son négoce devient telle qu’il est alors surnommé « le roi des charbonniers de l’Ouest ». Monsieur Deron, de Beignon, réunit de son côté une trentaine de charbonniers. D’autres entrepreneurs venus de l’extérieur surgissent à côté de ces deux entreprises. Localement, la concurrence entre ces entreprises entraine une montée importante des salaires des charbonniers de base. S’y ajoute la pression salariale de l’entreprise Tomine qui, collaborant avec l’Allemagne, cherche à attirer des salariés pour construire le Camp d’aviation de Point-Clos en Gaël... Ces bonnes rémunérations font que le métier de charbonnier est redevenu attractif. Au milieu de ces nombreux charbonniers se glissent des réfractaires du S.T.O. qui compteront dans les premiers foyers de Résistance.

Au sortir de la guerre, cette activité charbonnière se maintient sur Paimpont tant que durent la pénurie d’essence et le bon état des gazogènes. Des progrès sont même réalisés grâce à l’usage de nouveaux fours métalliques facilement transportables fournis par les Américains dans le cadre du plan Marshall. En 1946, vingt-deux charbonniers travaillent encore à Paimpont. A partir de 1952, le renouvellement du parc automobile et la fin de la pénurie d’essence provoquent un second effondrement de la filière. MMs Berson et Deron arrêtent leurs négoces définitivement. En deux ou trois ans, la plupart des charbonniers quittent le métier. En 1968, seuls Victor Renouard et son fils travaillent encore au bois.

En 1973, M. Renouard allume sa dernière fouée sur la côte de Beauvais à quelques kilomètres de Paimpont. Il met un point final à cette activité économique ancestrale. C’est la dernière fois, que la fumée bleue d’une fouée conduite par un professionnel monte dans le ciel, fermant, ainsi, la porte de 2.500 ans de cette pratique du charbonnage en Forêt de Paimpont.

Les derniers charbonniers

Ailleurs, existent encore de rares charbonniers répondant aux besoins limités des forgerons et ferronniers par des cuissons exceptionnelles. Le charbonnage est maintenant une activité très marginale entretenue par quelques passionnés vivant principalement des besoins en charbon des amateurs de barbecues.

La prise de conscience actuelle de la crise énergétique incite de nouveaux « gaziers » à traiter la biomasse mais la technologie qu’ils utilisent a peu à voir avec celle du passé.


Bibliographie

BOULÉ, Joseph, « La vie au XVIIIe siècle en Centre-Est-Bretagne (suite 3e partie) : Les artisans et ouvriers de la filière métallurgique -1ère partie », Revue du Cegenceb, Souche, Vol. 28 - 4e trimestre, 2009, p. 21-24, Voir en ligne.

BOULÉ, Joseph, « Charbonniers en forêt de Paimpont : le temps du libéralisme de 1791, à nos jours (seconde partie) », Revue du Cegenceb, Souche, Vol. 71 -3ème trimestre, 2020, p. 22-31 (I-IV), Voir en ligne.


↑ 1 • Documents Berson — Commentaires de Joseph Boulé, petit-fils d’Eugène Berson - le 09/06/2015

Parmi les éléments qui nous ont permis la rédaction de cet article une large part provient d’écrits trouvés en 1962, enfermés dans deux malles en bois, semblables à des cantines militaires, dans le grenier d’Eugène Alexandre Berson (1885-1970), ancien industriel du bois et négociant en charbon de bois, demeurant place de l’église à Concoret.

Eugène Berson était issu d’une ancienne lignée de charbonniers, d’abord maîtres charbonniers des forges de Paimpont et pères-maîtres de Ventes du compagnonnage charbonnier puis marchands-artisans charbonniers. Sa généalogie met en évidence une parenté avec beaucoup de familles impliquées dans la charbonnerie et la métallurgie sur un territoire couvrant le centre et l’est de la Bretagne, la région ligérienne allant de Mayenne à Châteaubriant ainsi que l’Orne.

Ces documents comprenaient :

— un ensemble de feuillets isolés ou reliés par des fils de lin portant des textes concernant des périodes discontinues de la deuxième moitié du 17ème siècle. Ils étaient contenus dans des pochettes de cuir fermées par des lacets. En mauvais état, et difficile à lire, ils n’ont pas été explorés. Il y aurait fallu beaucoup de temps.

— quelques feuillets dégradés et non datés portant la description de rituels. Certains étaient décorés de dessins coloriés manuellement représentant des outils et des arbres. Eugène Berson et ses frères les désignaient comme étant ce qui restait d’un catéchisme du devoir.

— des livrets couverts de cuir, de dimensions variées mais avec prédominance d’in-quartos. Leurs graphies faites par différents mains étaient soignée et parfois élégantes. Ils portaient sur d’épaisses feuilles de papier le compte-rendu bien rédigé des Ventes tenues chaque année, avec les signatures noms et surnoms des maîtres de vente, des secrétaires et des trésoriers successifs. Le premier datait de 1723, le dernier de 1791. Y étaient portés la désignation des chantiers à venir avec nombre de détails sur les essences de bois, leur cubage approximatif et leur durée probable d’exploitation, les stocks constitués, les lieux, l’environnement, la proximité des villages. Il y était établi la liste des charbonniers classés par grade et lieux d’exercice, les noms et surnoms des officiers contremaîtres, le nom des nouveaux fendeurs incorporés à la compagnie et leurs affectations près de tel contremaître, le montant attendu par les sous-groupes de charbonniers pour faire ce travail et le mandat donné au père-maître de vente pour en arrêter le prix avec le propriétaire des bois. Ces livrets rassemblant, chacun, habituellement cinq années couvraient presqu’en entier une période allant de 1723 à 1791. En fin de liste étaient portées les sommes allouées à des malades et à des veuves ou à des tuteurs d’orphelins. Y étaient joints sur des feuilles volantes, des contrats de travail avec des bûcherons. On y trouvait aussi, à partir du dernier quart du 18ème siècle d’autres livrets, mélangés aux premiers, traitant de l’achat direct de bois à brûler près d’autres propriétaires que ceux de Brécilien, ce qui confirme que des maîtres de vente ont aussi agi, à cette époque, en tant que en marchand. Seules quelques notes succinctes ont été prises lors de leur parcours portant surtout sur les livrets les plus anciens.

— des livrets allant de 1792 à 1820 sensiblement identiques dans leurs dimensions. Les écrits qu’ils contenaient marquaient une rupture. On y trouvait quelques livrets contenant des comptes rendus très simplifiés « d’assemblées » ne portant plus le nom de ventes allant de 1792 à 1800 mélangés à de très nombreux livrets portant des écrits faisant état de contrats de sous-traitance et de salariat. On y trouvait attachés par des fils à ces livrets, classés par année, des liasses de contrats d’achat de bois, des contrats de vente près d’artisans divers, cloutiers, forgerons et des notes de livraison à des particuliers. D’autres livrets portaient des comptes de pesée et de cubage datés et localisés en face des rémunérations.

— des journaux de comptabilité achat-vente se substituaient aux précédents à la fin des années 1820 ainsi que des comptes des rémunérations de salariés et de voituriers. Ces états ne contenaient essentiellement que des chiffres et les noms des contractants. De temps à autres apparaissaient « ’alloué à la veuve untelle et à ses enfants la somme de tant ‘’ sans qu’il soit dit s’il s’agit d’une aide gratuite ou d’une rémunération.

Ces malles du grenier d’Eugène Berson contenaient aussi de nombreux autres écrits non classés et inexplorés et divers petits objets dont des rubans d’environ 1 mètre 20 de long aux couleurs des grades du compagnonnage ainsi que deux colliers en sautoir, blanc-jaune, portant des broderies de feuilles de chêne et de houx auxquels étaient accrochés à chacun une petite hache miniature et à l’un d’eux un petit sifflet de buis.

Ce fond très intéressant en soi m’a été commenté longuement à plusieurs reprises par mon grand-père Eugène Berson et par ses frères Pierre et Victor Berson. Ils regrettaient de n’avoir pu conserver la mémoire de tout ce qu’ils avaient entendu dire dans leur famille. Ce qu’ils en avaient conservé était déjà, en soi, surprenant. J’ai perçu combien les coutumes des charbonniers avaient marqué les esprits. Ces personnes étaient heureuses qu’une oreille attentive se prête à l’écoute des coutumes du compagnonnage. Elles ont pu me détailler les rituels dont le souvenir leur avait été transmis par leurs propres grands-parents nés vers 1810-1820. Cela m’a valu bien des séances de dessin pour me faire expliquer les positions des compagnons lors des Ventes ou la technique de construction d’une meule.

Il me faut rappeler, avant de clore, que la transmission orale est souvent sujette à des inexactitudes et à des erreurs et implique des réserves. De nombreux documents étaient là pour l’appuyer. Hélas ! Ma grand-mère a cru bon de faire vider son grenier en 1972 après le décès de mon grand-père, ne voyant pas qu’elle commettait, là, une erreur irréparable.

Une autre partie de mes informations provient des familles Boulé et Martin. Ces familles ont été impliquées dans l’industrie du bois depuis près de deux siècles. Elles m’ont aidé à faire des recoupements éclairant le sujet.

↑ 2 • Le maître de forges, Jean-Pierre Trébuchet (1672-1738), est le grand-père de Sophie Trébuchet, mère de Victor Hugo.