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1127 - 1467

De Teleo à Telhouët

Toponymie d’un lieudit de Paimpont

Telhouët est un lieudit de la commune de Paimpont attesté depuis 1124. La graphie du toponyme s’est stabilisée sous sa forme actuelle à partir du 14e siècle. Plusieurs interprétations sur l’étymologie de Telhouët sont proposées.

Premières mentions au 12e siècle

En 1124, Raoul II, seigneur de Gaël-Montfort donne des terres situées à Telhouët, en forêt de Brécilien, pour fonder un prieuré dédié à saint Samson. Ce prieuré dépend de l’abbaye de Notre-Dame du Nid-au-Merle, près de Rennes, connue aujourd’hui sous le nom de Saint-Sulpice-la-Forêt.

L’original de la charte de fondation est perdu. Nous connaissons cependant ce texte par une traduction du 16e siècle, conservée dans le chartrier de Comper 1. —  ROPARTZ, Sigismond, « Thélouet », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 39, 1876, Voir en ligne. pp. 174-175 —

Les plus anciennes versions du toponyme « Telhouët » proviennent de trois documents du 12e siècle mentionnant ce prieuré.

1127 — Sanctu Sanson de Teleio

En 1127, le lieudit est mentionné dans un document où l’archevêque de Tours prend sous sa protection le prieuré sanctu Sanson de Teleio 2 —  LAUNAY, Vincent, « Les dépendances de l’abbaye Saint-Sulpice aux XIIe et XIIIe siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Vol. 121 / 1, 2014, p. 27-50. [page 29] —

1146 — Ecclesia S. Samsonis de Teloio

Dans une bulle du 24 avril 1146, le pape Eugène III prend sous sa protection l’ensemble des possessions de l’abbaye Saint-Sulpice, constituées de quinze établissements dont l’ecclesia S. Samsonis de Teloio 3. —  MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 597-598 —

1181 — Sanctimoniales Sancti Samsonis de Teloit

Une troisième mention datée de 1181 provient d’un acte du cartulaire de l’abbaye Saint-Sulpice dans lequel le lieudit apparait sous la forme latine Sanctimoniales Sancti Samsonis de Teloit qui signifie les moniales de Saint-Samson de Teloit 4. —  ANGER, abbé Joseph, « Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt », Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, Vol. 39 / 1, 1909, p. 1-207, Voir en ligne. p. 37 —

Mentions aux 14e et 15e siècles

Aux 14e et 15e siècles, le toponyme s’est stabilisé dans une graphie proche de la forme actuelle.

Dans un acte contemporain du Grand schisme d’Occident 5 (1378 - 1417) le prieuré de Telouet est touché par les mesures fiscales exercées par les papes d’Avignon.

De prioratu de Telouet, taxato XXX libr., vacante per obitum dni Johanne du Rochier, prout in restis deffuncti Stephani Guiho apparet.

LESQUEN, Gilles de et MOLLAT, G., « Mesures fiscales exercées en Bretagne par les papes d’Avignon à l’époque du Grand Schisme d’Occident (suite). », Annales de Bretagne, Vol. 19 / 2, 1903, p. 133-184, Voir en ligne.

Le toponyme est écrit sous la forme Theloët dans les Comptes des receptes de la forest de Brécilian datés de 1420. —  L’ESTOURBEILLON, marquis Régis de, Les revenus de la forêt de Brocéliande aux XVe et XVIe siècles, Vannes, Imprimerie Galles, 1894, Voir en ligne. —

En 1467, il est utilisé à plusieurs reprises dans la charte des Usements de la Forest de Brécilien sous la forme Telouet —  PUTON, Alfred, « Usages, anciennes coutumes et administrations de la forêt de Brécilien. De ceux qui ont droit d’usage et droit de prendre du bois dans cette forêt pour leurs besoins nécessaires. », in Coutume de Brécilien. Titres, jugements et arrêts concernant les usages de Paimpont et Saint-Péran, Nancy, Imprimerie E. Réau, 1879, p. 1-30, Voir en ligne. p. CCLXXVI —

Mentions à partir du 18e siècle

En 1782, sur la carte de Cassini, le toponyme apparait sous sa forme actuelle, à l’exception du tréma.

Interprétations concernant l’origine du toponyme

Une déformation du suffixe -etum

Les toponymes en -ouet, -oet ou -oué situé en Haute Bretagne proviennent majoritairement d’une déformation du suffixe latin -etum, indiquant un nom de lieu associé à une plante.

L’autre « héritage » de ces noms en -etum est une catégorie représentée par les noms en -oet que l’on retrouve écrit sous les formes -ouet, -oet ou -oué. [...] Ces toponymes se retrouvent à Monterfil : Issaugouët, à Paimpont : Telhouët et également Isaugouët..., auxquels s’ajoutent des microtoponymes : à Paimpont, « le Clos Roulouet », « le Helouet », « pré du Feigouet » (ou Feiguad), « pré de Terouet », à Plélan, « le Clos Perrouet », « le clos Thouet ».

DUVAL, Jean-François, Occupation et mise en valeur du sol dans la région de Plélan-le-Grand au Moyen Âge (Ve-XIIIe siècle), Maitrise d’Histoire, Rennes II, 1998, 149 p., Voir en ligne. [pages 44-46]

Le suffixe -etum a aussi donné des déformations en -it, terminaison que l’on retrouve dans le toponyme Telo-it, attestée à Telhouët en 1181.

Le préfixe Tel- : l’orme

Plusieurs toponymes de la région de Brocéliande offrent des similitudes avec Telhouët. C’est notamment, selon Jean-Marie Plonéis, le cas du Thélin en Plélan-le-Grand, de la Telhaie et du Telhiant en Guer. Or, selon ce dernier, ces deux derniers toponymes proviennent des variantes de « Till ».

Till (= tilleuls, du latin tilia) qui désigne aussi les ormes, surtout dans le nord et l’est du domaine bretonnant, et cela dès le moyen breton (le Catholicon, 1464, traduit till-enn par « ourme » seulement), est assez courant dans nos noms de hameaux ; mais l’ambiguïté sémantique ne permet pas toujours de trancher 6.

PLONÉIS, Jean-Marie, La toponymie celtique : l’origine des noms de lieux en Bretagne, Paris, Éditions du Félin, 1989. [page 91]

Cette hypothèse végétale s’accorde avec l’existence du suffixe -etum ayant évolué en -ouet. Telhouët aurait donc pu être à l’origine Till-etum signifiant le « lieu de l’orme ».

Le préfixe Tel- : la tuile

Le préfixe Tel- pourrait aussi avoir un lien avec l’activité de fabrication de tuiles attestée à Telhouët au début du 15e siècle.

Dans un aveu rendu en 1419 par le sieur des Forges de Telhouët (Arch. priv.) et garants du compte de Jacques de Limoges (A. D. I.-et-V., I F 746), l’historien Michel Denis relève la fabrique de tieulles, ancienne dénomination de tuiles 7. —  DENIS, Michel, « Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du XVIe au XIXe siècles », Annales de Bretagne, Vol. 64 / 3, 1957, p. 257-273, Voir en ligne. —

Tel’hoet : le bois sacré

Jean-Côme-Damien Poignand, l’inventeur du Tombeau de Merlin, fonde une partie de sa découverte sur une étymologie du toponyme Tel’hoet, dont le nom signifie bois sacré. L’antiquaire en déduit en 1820 que les tombes de Merlin et de Viviane doivent se situer à proximité.

C’est à de tels signes, que j’ai cru reconnaître le tombeau de Merlin et celui de son épouse, proche l’abbaye de Tel’hoet, au bord de la forêt de Brécilien.

POIGNAND, Jean Côme Damien, Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, Voir en ligne. pp. 140-141

Jean-Côme-Damien Poignand invente une étymologie du lieu qui justifie son hypothèse concernant le Tombeau de Merlin.


Bibliographie

ANGER, abbé Joseph, « Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt », Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, Vol. 39 / 1, 1909, p. 1-207, Voir en ligne.

DENIS, Michel, « Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du XVIe au XIXe siècles », Annales de Bretagne, Vol. 64 / 3, 1957, p. 257-273, Voir en ligne.

LAUNAY, Vincent, « Les dépendances de l’abbaye Saint-Sulpice aux XIIe et XIIIe siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Vol. 121 / 1, 2014, p. 27-50.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne.

POIGNAND, Jean Côme Damien, Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, Voir en ligne.

PLONÉIS, Jean-Marie, La toponymie celtique : l’origine des noms de lieux en Bretagne, Paris, Éditions du Félin, 1989.

ROPARTZ, Sigismond, « Thélouet », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 39, 1876, Voir en ligne.


↑ 1 • Dans cette traduction du 16e siècle, la graphie utilisée pour désigner le lieux-dit est Thelouet

↑ 2 • 

Nos tam monasterium beatae Mariae et sancti Sulpicii, quam res et possessiones adillius pertinentes sub nostra et nostrae ecclesiae suscipimus tutela. Unde et praesentis pagina privilegii, quantum ad nos pertinet, statuimus ut quaecumque bona, quascumque possessiones in Turonensi provincia vel in praesenti tempore vel in futurum largiente adipisci juste et canonice poteritis, vobis et his qui vobis successerint fi ram et illibata permaneant, videlicet : ecclesia sanctae Mariae Scotiae, in episcopatu Nannetensi, et in eodem episcopatu, ecclesia sanctae Radegundis cum pertinentiis suis, et sanctae Honorinae de Heric et insulade Graia ; in episcopatu Cornugaliensi, ecclesia sanctae Mariae de Locmaria, cum pertinentiis ; in episcopatu Cenomanensi, ecclesia sancti Martini de Fonte, cum pertinentiis suis ; in episcopatu Aletensi, sanctu Sanson de Teleio ; in Andegavensi, terra de Petra Aubereiae.

LAUNAY, Vincent, « Les dépendances de l’abbaye Saint-Sulpice aux XIIe et XIIIe siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Vol. 121 / 1, 2014, p. 27-50. [pages 29]

↑ 3 • 

Bulle d’Eugène III. Pape adressée Mariae Abbatissae Monast. B. M. quod in sylva Nidi-Merli fictum est, ejusque sororibus regularem vitam professis, par laquelle il prend en sa protection tous les biens qui en dépendent, entr’autres ceux-ci nommés distinctement. Ecclesia S. M. in Scotia in Episc. Nannet. fitam in eodem Episc. Eccl. S. Radegundis […] In Ep. Aleth eccl. S. Samsonis de Teloio & eccl. S. Guiani cum pertinentiis earum. […] Incarnationis Domini MCXLVI. Pontificatus anno II. Tit. de Coets.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 597-598

↑ 4 • Le texte original latin :

Albertus, Dei gratia Macloviensis episcopus, confirmat compositionem factam inter abbatem et canonicos sancti Jacobi de Montforti et Sanctimoniales sancti Samsonis de Teloit, super molendino de Ponte Joannis, etc, cujus compositionis testes fuerunt : Holiverio de Monteforti, W de sancto Egidio, Willelgiloe, praeposito S. Alani, Galt Rabaste, Guarinus de Bresel, W. de S Magan, Gaufridus de Romillé, Herveus de Gael, Radul... Conani, D., Priore de Teloit, B. capellanus ejusdem loci. Actum est anno ab incarnatione domini 1181.

Peut se traduire ainsi.

Albertus, évêque de Saint-Malo à la grâce de Dieu, confirme l’accord fait entre l’abbé et les chanoines de Saint-Jacques de Montfort et les Sanctimoniales de Saint-Samson de Thelouet à propos du moulin de Pont de Jean, etc., dont ils étaient les témoins de l’accord : Holiverio de Montfort, W. de Saint Egidio, Willelgiloe, un gouverneur de Alan S., Rabaste Galt, Guarin de Bresel, W. S Magan, Geoffrey de Romille Hervey de Gael, Conan ... Ralph D., la prieure de Thelouet, B. chapelain de ce même lieu. Promulguée en l’année de l’incarnation du Seigneur 1181.

Traduction d’après l’original latin - Bib nat. Ms. 22325, p. 181

↑ 5 • On appelle Grand schisme d’Occident (ou Grand Schisme) la crise pontificale qui touche le catholicisme au tournant des 14e et 15e siècles (1378-1417), divisant pendant quarante ans la chrétienté catholique en deux courants rivaux.

↑ 6 • On remarquera que l’origine latine de l’orme (ulmus) devient olme (variante oulme) en ancien français, exemple explicite d’altération de « l » en « r ».

↑ 7 • La tieulle est aussi le nom donné dans l’Ouest à une poêle très plate où l’on fait les crêpes. Cette utilisation du mot est attestée au 15e siècle : Tieulle, sable, chaux, carreau (Ordonn. janvier 1498).