1761-1848
Poignand Jean Côme Damien
L’inventeur du Tombeau de Merlin en forêt de Paimpont
Jean Côme Damien Poignand est l’inventeur du Tombeau de Merlin en Forêt de Paimpont en 1820. Cette « découverte archéologique » ouvre la voie à l’implantation du légendaire arthurien en forêt de Paimpont.
Éléments biographiques
Jean Côme Damien Poignand est né le 29 avril 1761 dans la maison familiale du Ricotay en Iffendic (Ille-et-Vilaine), située entre le bois de Montfort et celui de Trémelin. Il est le fils ainé de Mathurin Poignand, « homme de loi » et de Julienne Boivin, mariés le 18 juin 1759 à Iffendic. Son frère, Félix-Mathurin Poignand est né le 7 mars 1764.
La jeunesse
Durant son enfance, il découvre la partie orientale de Brocéliande, dans laquelle se trouvent la fontaine de Jouvence et le château de Boutavent à propos desquels il écrira deux ouvrages.
Vers 1768, étant en pension chez le curé de Saint-Péran qui avait beaucoup d’autres écoliers, nous allions souvent dans nos promenades visiter les ruines du vieux château de Boutavam, dont la tradition s’occupait encore beaucoup.
En 1775, il est au collège de Dinan, ville où il reste sept années consécutives
puis il réside à Vannes 1. Il se marie le 14 octobre 1793 à Bréal-sous-Montfort à Thérèse Jamiot (1773-1811). De cette union naissent trois enfants 2.
La carrière juridique
Jean Côme Damien Poignand fait partie de la bourgeoisie de la région de Montfort qui accède à des responsabilités grâce à la Révolution. Avocat en 1783 — A.D.I.V. 1 U 86 —, il est élu procureur-syndic du district 3 de Montfort en 1790 4, puis juge du Tribunal du district de Montfort-la-Montagne en 1792 5.
En janvier 1794, il fait partie du tribunal criminel d’Ille-et-Vilaine, présidé par M. Laisné, qui signe en compagnie de deux autres juges citoyens, Mancel et Hunault, la condamnation à mort du prêtre insermenté Pierre-Jean-Baptiste Besnard 6. — LEMASSON, Auguste, Les actes des prêtres insermentés de l’archidiocèse de Rennes guillotinés en 1794, Bureaux du Secrétariat de l’archevéché, 1927. [page 35] —
Jean Côme Damien Poignand exerce la fonction de juge à Montfort jusqu’en octobre 1795 7, date à laquelle l’unité administrative du district est dissoute par le Directoire 8. — TESTU, Laurent-Étienne, Almanach national de France, Chez Testu, 1794, Voir en ligne. p. 317 — Le 19 vendémiaire de l’an IV (11 octobre 1795), les districts de Rennes et de Montfort sont réunis en un seul arrondissement justiciable siégeant au tribunal correctionnel de Rennes. Cependant une loi du 9 Thermidor de l’an IV (27 juillet 1796) corrige cette suppression et localise un des six tribunaux correctionnels d’Ille-et-Vilaine à Montfort. — FRANCE. CORPS LÉGISLATIF., Collection générale des lois et des actes du Corps Législatif et du Directoire Executif, Chez Baudoin, 1800, Voir en ligne. p. 131 —
Il exerce la fonction de juge citoyen au tribunal civil de Rennes de 1796 à 1798. — TESTU, Laurent-Étienne, Almanach national de France, Chez Testu, 1797, Voir en ligne. p. 273 —
Après le coup d’État du 18 Brumaire, le Consulat (9 novembre 1799 à mai 1804) réforme les institutions judiciaires 9 et crée les tribunaux correctionnels. Poignand exerce la fonction de juge et de directeur du jury dans celui de Montfort. En 1803 (an XII), il est l’auteur d’une ordonnance sur la mendicité qui révèle une certaine humanité.
[...] Il n’y a pas lieu à en infliger [des peines de justices] non plus pour le simple fait de mendicité sans les circonstances prévues par la loi, surtout dans une année où la misère est telle que des personnes jouissant même précédemment d’une médiocre aisance sont obligées de mendier faute de trouver du travail [...]
La même année, il est déjugé par le tribunal de cassation pour un abus de pouvoir négatif
. — TRIBUNAL DE CASSATION, Bulletin des jugemens du Tribunal de Cassation rendus en matière criminelle, correctionnelle et de police, Imprimerie de la République, 1804, Voir en ligne. p. 165 —
En 1805, l’Empire crée les tribunaux de première instance dans les sous-préfectures. La même année, Poignand est nommé juge d’instruction de celui de Montfort. — TESTU, Laurent-Étienne, Almanach Impérial, Chez Testu, 1805, Voir en ligne. page 445 — Il le reste durant tout l’Empire.
En 1815, à la suite de la défaite de Napoléon à Waterloo, une grande partie de la France est occupée par les forces de la Coalition, notamment l’Ille-et-Vilaine par les troupes prussiennes. Poignand fait partie des vingt-quatre habitants les plus aisés de Montfort, appelés par voie de réquisition à verser sur le champ l’argent nécessaire, en l’occurrence 60 livres, à l’achat de denrées pour les troupes prussiennes qui devaient passer par Plélan. — POMMERET, abbé Hervé, « Les prussiens à Montfort en 1815 », Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, Vol. 55, 1928, p. 195-198, Voir en ligne. p. 196 —
Il prend sa retraite en 1841 10. Il est membre du Conseil d’arrondissement de sa création en l’an VIII de la République (1799) à la monarchie de Juillet (9 août 1830). Il supplée même aux fonctions de sous-préfet à deux reprises — BARON, Yann et GUIGON, Philippe, « Des hommes de loi antiquaires en Brocéliande durant le premier XIXe siècle, Poignand et Baron du Taya. », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2016, p. 177-208. [page 178] —.
Sa femme meurt en 1811 à l’âge de 48 ans. Il décède le 13 avril 1848, à son domicile de la rue de la Saulnerie à Montfort-sur-Meu, à l’âge de 87 ans.
1817 — Notice historique sur l’arrondissement de Montfort
Le premier essai historique de Poignand, daté de 1817, est une commande officielle émanant de l’administration.
[pour] répondre à la lettre de M. le Préfet du département d’Ille-et-Vilaine, en date du 28 avril 1817, qui en réfère une de son Excellence le Ministre de l’intérieur en date du 10 du même mois, demandant une notice sur les anciens châteaux, abbayes et autres monuments curieux par leur architecture et les faits historiques qui peuvent s’y rapporter dans l’arrondissement de Montfort [...]
On trouve dans cet essai les ébauches des théories historiques que Poignand développe dans les années 1820-1830 et notamment les premières mentions d’une localisation de Brocéliande en forêt de Paimpont 11. Cet essai manuscrit ne sera jamais publié.
1820 — Antiquités historiques
En 1820, Jean Côme Damien Poignand publie ses théories sur les antiquités celtiques et romaines du nord de l’Ille-et-Vilaine dans un ouvrage qui reste sa principale contribution aux problématiques de son époque. — POIGNAND, Jean Côme Damien, Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, Voir en ligne. —
L’érudit montfortais fait partie de la première génération d’antiquaires bretons qui, dès le début du 19e siècle, s’est intéressée à la Bretagne des origines. Il appartient à un cercle de notables férus d’antiquités romaines et celtiques, pour lequel il rédige un recueil de notes.
Depuis la rédaction de mes Notes itinéraires pour le voyage que nous avions projeté, afin de visiter toutes les antiquités de Corseul et de ses environs, sans courir le risque d’en oublier sur notre passage, je viens de lire, dans le n°10 du Censeur européen, qu’on vient de découvrir à Corseul (Côtes-du-Nord) une maison souterraine parfaitement conservée. [...] De pareilles relations, publiées dans les deux journaux, m’ont fait présumer qu’elles pourraient déterminer d’autres curieux que nous et nos amis à entreprendre le même voyage pendant la belle saison qui se prépare. C’est pourquoi je me décide, dans ce moment opportun, à faire imprimer mon opuscule : il pourra, mieux que dans tout autre tems, se trouver agréable et utile aux voyageurs, en leur servant de Cicerone.
L’ouvrage commence par un essai consacré à la Cane de Montfort, qui devait à l’origine être publié de façon autonome. Poignand est le premier érudit de ce début de 19e siècle à publier sur cette légende. Ce paragraphe interpolé intitulé Montfort - Canne miraculeuse est surtout remarquable par sa connaissance du Montfort de la fin du 18e siècle. — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Montfort - Canne miraculeuse », in Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, p. II-XII, Voir en ligne. pp. II-XII —
Le corps de l’ouvrage recense les antiquités de Montfort à Corseul. Il comprend de nombreuses thèses historiques qui font sourire aujourd’hui mais qui étaient en phase avec les connaissances de son époque. Poignand y signale notamment la découverte des tombeaux de Merlin et de Viviane en forêt de Paimpont, localisation qui résulte d’une reconsidération alambiquée de l’histoire de Bretagne du haut Moyen Âge. — Poignand, J.C. D. (1820) op. cit., pp. 140-141 — Poignand est en effet convaincu, comme ses contemporains, que les romanciers, les poètes et les écrivains du Moyen Âge
ont défiguré les mœurs des bretons et le culte druidique.
Selon lui, le druidisme aurait été dénaturé pendant la domination romaine puis rétabli par Merlin dans le royaume de Domnonée armoricaine dont le premier roi, grand-père de Judual, serait Arthur :
La tradition est que le chef lieu de leur gouvernement aurait été à Gaël, et que le principal siège du culte druidique rétabli par eux aurait été dans la forêt de Brécilien. Leur grand pontife, Merlin, sur lequel ont été faits tant de contes et de romans, doit y avoir été enterré, ainsi que son épouse Viviane, vers la fin du cinquième siècle.
Dans l’esprit de l’auteur, le tombeau de Merlin n’est pas une invention mais une découverte archéologique d’importance basée sur des preuves qu’il veut historiques. Pour Poignand, la forêt de Brécilien redevient avec Merlin un foyer druidique auquel se sont abreuvés
Salomon, roi de Bretagne au 9e siècle, puis Éon de l’Étoile au 12e siècle. Il mentionne aussi la Fontaine de Barenton sans pour autant la relier au légendaire arthurien :
[…] miraculeuse fontaine de Barenton, en haute forêt proche de la commune de Concoret, dont les habitants ont toujours gardé le sobriquet de sorciers de Concoret, à cause de cela, et où l’on dit aussi ce proverbe que les saints de Concoret ne datent de rien, parce que la plupart des malades ont été longtemps de préférence porter en secret leurs pèlerinages à cette fontaine, et à d’autre monuments du druidisme dans la forêt.
1823- 1826 — Le Lycée Armoricain
La parution de son ouvrage Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul lui ouvre les portes du Lycée Armoricain, revue nantaise dans laquelle il publie plusieurs articles.
1823 — Parallèle des monuments celtiques avec les monuments romains
Poignand signe un article dans le premier volume de la revue paru en 1823, dans lequel il compare l’intelligence logique de l’art romain et le génie étrange et merveilleux de l’art celtique. Incluant comme ses contemporains les sites mégalithiques de Carnac dans le domaine celtique, il relève notamment l’antériorité de ces monuments sur ceux des romains et des grecs :
En dernière analyse, l’un est joli et grand ; mais l’autre est beau et immense ; l’un est admirable et l’autre est étonnant.
1824 — Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne
En 1822, Poignand rencontre Blanchard de la Musse, figure littéraire nantaise et membre important du Lycée Armoricain avec lequel il se lie d’amitié. Cette rencontre entre les deux érudits aboutit à l’invention du Val sans Retour en forêt de Paimpont. Blanchard de la Musse signe un article dans le Lycée Armoricain en 1824, qui reprend mot pour mot le texte d’un essai manuscrit de Poignand. — BLANCHARD DE LA MUSSE, François-Gabriel-Ursin, « Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne », Le Lycée Armoricain, Vol. 4, 1824, p. 300-313, Voir en ligne. — 12
1826 — Une polémique avec Marie-François Rever
L’invention du « Tombeau de Merlin » et du « Val sans Retour » en forêt de Paimpont fait l’objet d’un article polémique paru en 1826 dans le Lycée Armoricain. Marie-François Rever y demande quelques éclaircissements sur la méthode qui a permis à Blanchard de situer le Val sans Retour en forêt de Paimpont ainsi que sur la chanson populaire de la cane collectée par Poignand — REVER, Marie François, « Sur Montfort. A M. l’éditeur du Lycée Armoricain », Le Lycée Armoricain, Vol. 8, 1826, p. 113-120, Voir en ligne. pp. 119-120 — Poignand lui répond à travers la plume de Blanchard de la Musse :
Par rapport aux éclaircissements que vous demandez sur les deux tombeaux de Merlin et de son épouse Viviane, je me bornerai à répondre que leur existence et leur situation sont très précisément indiquées dans l’Arthuriade connue sous le nom de roman de la table ronde ; car ce prétendu roman n’est rien autre chose qu’une véritable histoire écrite en style d’Épopée comme la Henriade de Voltaire, et la Franciade de M. Viennet ; mais on nous l’a donnée, travestie plutôt que traduite sur l’original celtique, faute d’en avoir bien entendu les diverses allégories. Une notion exacte des localités, jointes à l’intelligence de la langue celtique, fournissent la clef de presque toutes les allusions de cet antique poème national, et ne permettent pas de douter qu’il n’ait été vraiment composé dans les environs de notre forêt de Brécilien, à l’époque où le druidisme y luttait contre l’introduction du Christianisme. Au surplus, les deux tombeaux dont il s’agit n’étaient que de simples dolmens, tels que tous ceux qu’à décrits M. l’Abbé Mahé, dans l’intéressant ouvrage qu’il vient de faire imprimer à Vannes, sur les Antiquités du Morbihan ; ils ont été abattus depuis les trente ans derniers, et leurs matériaux restent encore presque tous amoncelés sur le lieu : si l’on fouillait dessous, l’on n’y trouverait que ce qui a été trouvé ailleurs dans des fouilles pareilles : il en est assez d’exemples cités dans l’ouvrage de M. l’Abbé Mahé, et je crois n’avoir rien de mieux à faire que de vous y renvoyer à cet égard.
1826 — Forêts submergées
En 1826, Poignand fait paraitre un dernier article non signé dans la revue nantaise. — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Forêts submergées », Le Lycée Armoricain, Vol. 7, 1826, p. 431-439, Voir en ligne. — 13. L’érudit montfortais y argumente sur l’existence d’un cataclysme qui au commencement du 8e siècle aurait mené à la submersion de plusieurs forêts, entre Saint-Michel en Grève et les Sept Iles, dans la région de Corseul, ainsi que dans la baie du Mont-Saint-Michel. Poignand énonce dans cet article sa théorie sur la fin du druidisme en Armorique, rappelant au lecteur de la revue que Merlin habitait en forêt de Paimpont.
1835 — Karrek et Boutavam
En 1835, l’antiquaire monfortais publie une étude consacrée au château de Boutavent dans laquelle il rassemble tous les souvenirs historiques qui se rattachent à l’étang de Careil. — POIGNAND, Jean Côme Damien, Karrek et Boutavam., Rennes, Duchesne Libraire, 1835, Voir en ligne. — 14
1817- 1835 — Les cahiers manuscrits
La plus grande partie de son œuvre n’a jamais été publiée. Il est l’auteur de neuf essais historiques, écrits entre 1817 et 1835, restés sous forme manuscrite. Composés de vingt-quatre cahiers, ces essais font partie du fonds « Arthur de la Borderie » conservé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine.
- 1817 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Notice historique sur l’arrondissement de Montfort », 1817, 104 p., Voir en ligne. —
- 1821 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Réhabilitation de la mémoire des celtes et des druides », 1821. —
- Vers 1823 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Guérande et Le Croisic », 1823. — 15.
- 1829 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Les gaulois primitifs et les gaulois domnonéens. Développements qui m’ont été demandés au sujet de quelques notes marginales sur les antiquités morbihannaises de M. l’abbé Mahé, chanoine de la cathédrale de Vannes. », 1829, 208 p. —
- 1829 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Vicissitudes politiques et religieuses du pays de la Bretagne. Réponse à M. le chevalier Hersart, membre du Conseil Général et secrétaire de la Commission Départementale de la Loire-Inférieure pour le monument de Quiberon », 1829, 70 p. — 16.
- 1833 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Notice historique sur la Gaule et Saint-Jouan de l’Isle », 1833. —
- 1835 — — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Carnac et l’ophiolâtrie », 1835, 48 p. —
- non daté — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Histoire monumentale du royaume de Domnonée fondé en Bretagne après l’expulsion des romains, Chorographie Domnonéenne sur Montfort-la-Canne, son arrondissement communal et quelques points de la Bretagne, de l’Angleterre, des Gaules et des pays étrangers qui ont eu d’antiques rapports tant avec les gaulois primitifs qu’avec les gaulois domnonéens », sans date, 183 p. — 17.
- non daté — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Résumé analytique de l’histoire de Bretagne », sans date, 183 p. —
Poignand et ses contemporains
Poignand est un auteur mineur, néanmoins respecté grâce à ses théories sur les origines celtiques de la Bretagne, en phase avec les débats intellectuels bretons des années 1820. Il entretient des relations savantes et amicales avec plusieurs auteurs réputés de son temps comme Miorcec de Kerdanet, Blanchard de la Musse ou l’abbé Mahé. Son principal ouvrage, cité et commenté par d’influents contemporains, apparait dans de nombreuses bibliographies. Une partie de ses essais manuscrits circulent grâce à ses relations dans les milieux des érudits bretons.
Les sociétés savantes
Poignand a participé à l’aventure des premières sociétés savantes bretonnes. Outre le Lycée Armoricain, revue dans laquelle il a publié deux articles, il a été membre de deux autres sociétés dès leur fondation.
Le 24 juillet 1826, il y eut une grande promotion de vingt cinq membres correspondants, parmi les noms desquels on peut relever ceux de [...] - Poignant juge à Montfort-sur-Meu et « archéologue émérite » et du comte Blanchard de la Musse [...] - tous admirateurs du chanoine Mahé, ses correspondants et parrains auprès de diverses Compagnies savantes dont il faisait partie.
En 1846, Il devient membre de la classe d’archéologie de l’Association Bretonne fondée deux ans plus tôt, en compagnie de deux autres érudits locaux, Baron du Taya et l’abbé Oresve.
Miorcec de Kerdanet
La principale publication de Poignand est dédicacée à son très affectionné serviteur et ami Miorcec de Kerdanet
, bibliothécaire à Rennes et défenseur de la localisation de Brocéliande en forêt de Lorge. Les deux érudits qui partagent le même éditeur rennais, chez Duchesne, se connaissent suffisamment pour que Kerdanet dirige l’impression de son manuscrit.
J’espère que vous ne me refuserez pas la complaisance de diriger l’impression et d’en corriger l’épreuve, pour le celtique surtout, que vous entendez, et que peut-être le prote 18 n’entendra pas. Les fonctions judiciaires dont je suis chargé, et d’autres fonctions administratives que des circonstances viennent de m’imposer momentanément, ne me laissent pas le loisir d’y aller donner moi-même mes soins.
Dans un essai de 1823, Poignand rend hommage à l’érudition de Miorcec de Kerdanet.
M. Miorcec de Kerdanet [...] est un de ceux qui forment autorité parmi les antiquaires de notre province. C’est un jeune littérateur qui ne parait pas avoir quarante ans d’âge mais qui a lu, ou plutôt étudié, tout ce qu’ont écrit les chroniqueurs, les légendaires et les historiens, sur nos antiquités nationales. Comme la nature l’a doté d’une mémoire prodigieuse, il a son immense lecture imperturbablement présente à l’esprit, et dans quelque dissertation que ce soit, sur pareille matière semble une bibliothèque vivante.
Blanchard de la Musse
En 1822, Poignand rencontre Blanchard de la Musse, figure littéraire nantaise et membre éminent du Lycée Armoricain.
Il [Blanchard] menait à Nantes une vie paisible et retirée quand la mort de son épouse le jeta dans un douloureux isolement. L’année suivante, en 1822 il voulut, pour se distraire, revoir la ville de Rennes, où il n’était pas allé depuis longtemps. Il y trouva d’anciens amis qui le déterminèrent à rester près d’eux ; il habita successivement la petite ville de Montfort-sur-Meu et Rennes, où il a terminé sa carrière en mars 1836, à l’âge de quatre-vingt quatre ans.
Blanchard de la Musse se lie d’amitié avec le juge montfortais.
J’ai invité un antiquaire, qui depuis sa jeunesse explore Montfort et ses environs, à surveiller, à diriger mon travail. Je ne puis que me louer de son empressement à me procurer, sur les lieux, tous les renseignements nécessaires pour remplir mon but. Nous nous sommes peu quittés depuis dix mois…
L’amitié entre les deux érudits aboutit à l’invention du Val sans Retour en forêt de Paimpont. — BLANCHARD DE LA MUSSE, François-Gabriel-Ursin, « Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne », Le Lycée Armoricain, Vol. 4, 1824, p. 300-313, Voir en ligne. —
L’abbé Mahé
Poignand est un admirateur de l’œuvre pionnière de l’abbé Mahé sur les « antiquités celtiques ». En 1824, Mahé reprend une partie des théories de Poignand sur Éon de l’Etoile publiées dans Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul. — MAHÉ, chanoine Joseph, Essai sur les antiquités du département du Morbihan, Vannes, Galles aîné, 1825, Voir en ligne. p. 427 —.
Blanchard de la Musse écrit à l’abbé Mahé le 18 février 1826, dans une lettre expédiée de Montfort sur Meu, pour lui dire en quelle estime lui-même et son ami antiquaire tiennent son ouvrage.
Je vous dirais de plus, monsieur, pour vous tranquilliser qu’un archéologue émérite, juge à Montfort, M. Poignand, avec qui je suis très lié, a demandé de suite votre ouvrage à Rennes, après avoir lu le compte qu’en a rendu M. Athénas ; et M. Poignand est sobre d’éloge ; cet ami désirerait que les stances que je vous ai adressées, fussent placées en tête des exemplaires qui sont encore à la disposition chez vos libraires ...
Poignand entretient une correspondance avec l’abbé Mahé. En 1829, dans son essai sur les gaulois, il développe certains points de ces échanges.
Au commencement de mon ouvrage [...] il me semble à propos d’expliquer le motif qui m’a fait l’entreprendre. M L’abbé Mahé, ayant publié à Vannes en 1825, un volume de sa composition sous le titre Essais sur les Antiquités du département du Morbihan, je m’empressai de me le procurer et de le lire. Il m’inspira tant d’intérêt qu’au lieu de lui faire comme à beaucoup d’autres, que j’ai souvent mis de côté pour n’y songer plus, j’inscrivis des notes marginales auprès d’un certain nombre d’articles où je croyais que M. l’abbé Mahé ne s’était pas suffisamment tenu en garde contre des préventions résultantes de sa vaste érudition bibliothécaire. Peu de temps après, j’eus occasion de recevoir ici chez moi des amis, et même des commensaux, du vertueux et savant chanoine. La conversation fut amenée à parler de lui, ainsi que du livre qu’il venait de faire imprimer. Je donnai connaissance de quelqu’unes de mes annotations, et l’on m’engagea pour lors à les transcrire sur un petit cahier qui lui fut porté immédiatement [...] Je reçus en réponse une lettre extrêmement polie, mais elle ne comportait pas moins de vingt pages d’écriture minutée, toute en questions différentes, pour demander sur la plupart de mes notes d’autres nouvelles explications.
Édouard Richer
Édouard Richer, érudit influent et fondateur du Lycée Armoricain, ne semble pas tenir en haute estime Jean Côme Damien Poignand. En 1823, l’essai manuscrit de Poignand consacré à la région de Guérande — POIGNAND, Jean Côme Damien, « Guérande et Le Croisic », 1823. — est vivement critiqué par Édouard Richer.
Cette heureuse idée était réservée à M. Poignand, ancien magistrat de Montfort, qui l’a consignée dans un Mémoire sur Guerrande et le Croisic, que j’ai le malheur de ne pas connaître, mais qui a été entre les mains d’Édouard Richer. Celui-ci en a donné une courte analyse, à la p. 35 de son Voyage à Guerrande. Il parait que M. Poignand s’y livre aux étymologies les plus excentriques, et que, près de lui, le bon abbé Deric n’est qu’un tout petit garçon. Enfin il est allé si loin, que Richer n’a pu s’empêcher de terminer ainsi son article : « C’est après avoir lu de pareilles étymologies, après être arrivé à de telles conclusions, que l’on conçoit le dégoût des esprits judicieux pour la science étymologique. C’est alors qu’on jette un ridicule ineffaçable sur une science qui a ses abus comme toutes les autres, mais qui serait susceptible de jeter tant de jour sur l’histoire, si l’on s’en servait avec la modération convenable. »
Edouard Richer, qui s’intéresse aux origines de la Bretagne et à la localisation de Brocéliande, ignore les découvertes de Poignand sur les tombeaux de Merlin et Viviane en forêt de Paimpont. En 1823, il continue de localiser Brocéliande en forêt de Lorge.
On sait que l’enchanteur Merlin disparut dans la forêt de Brocéliane ou Brocéliand, aujourd’hui la forêt de Lorges, prés de Quintin dans les Côtes du Nord .
On sent poindre la rivalité dans un article non signé, daté de 1826, ou Jean Côme Damien Poignand lui reproche son manque de rigueur historique.
C’est ainsi enfin que M. Richer lui même, dans l’article dont je m’occupe, a lu, et copié Rivierre de Sannion, au lieu de Rivierre de Lannion, [...] et cette erreur ne manquerait pas d’être propagée par tous ceux qui, comme M. Richer, répéteraient cette particularité historique sans connaitre le pays.
François Manet et Louis de Marchangy
Quelques auteurs majeurs des années 1820 ont utilisé les thèses de Poignand dans leurs ouvrages historiques ou littéraires.
François Manet fait référence à la principale publication de Poignand dans — MANET, abbé François Gilles Pierre Barnabé, Histoire de la Petite-Bretagne : ou Bretagne-Armorique, depuis ses premiers habitans connus, Vol. 1, Saint-Malo, E. Caruel, Imprimeur-Libraire, 1834, Voir en ligne. p. 208 — L’historien breton mentionne les apports de Poignand concernant la localisation de la fontaine de Barenton, Éon de l’étoile et l’histoire de la forêt de Brécilien.
Marchangy cite l’ouvrage de Poignand comme référence historique dans son Tristan le Voyageur — MARCHANGY, Louis-Antoine-François de, Tristan le voyageur, ou la France au XIVe siècle, Vol. 2, Paris, Chez Maurice libraire, 1825, Voir en ligne. —
Postérité de l’œuvre de Poignand
Dès la fin des années 1830, les thèses de Poignand apparaissent dépassées et sans fondement historique à la nouvelle génération d’historiens de la Bretagne. Son argumentation, basée sur des rapprochements toponymiques et étymologiques fantaisistes, ne résiste pas à l’examen critique.
Ses ouvrages tombent dans l’oubli. Louis Jacques Marie Bizeul, l’un des rares auteurs à le citer après son décès, se livre à un examen très critique des inventions de Poignand sur la région de Corseul.
Nous ne parlerions pas de l’article consacré à Corseult par M. Poignand, magistrat de Montfort, contemporain de M. Delaporte dans ses antiquités historiques et monumentales, si cet observateur ne comptoit parmi les copistes inexacts de l’inscription de Silicia, que nous rappellerons en parlant plus particulièrement de cette inscription. Le reste de son travail n’est qu’une incomplète copie de ce qui avoit été dit avant lui.
Les écrits de l’antiquaire montfortais sont pourtant remis en lumière à la fin du 19e siècle. Ses abondants cahiers manuscrits servent de guide à Félix Bellamy pour ses recherches sur la forêt de Brocéliande, le Tombeau de Merlin, ou la fontaine de Jouvence.
[...] M. Poignand de Montfort, archéologue érudit, qui a laissé d’excellentes notes concernant les antiquités du pays.
Jean Côme Damien Poignand, auteur mineur uniquement connu des cercles d’érudits bretons des années 1820, est néanmoins à l’origine de l’invention de Brocéliande en Forêt de Paimpont. Ses théories sans fondement historique sur la persistance du druidisme en forêt de Brécilien et plus encore ses découvertes du Tombeau de Merlin et Viviane ont à certains égards eu plus d’influence que celles d’auteurs marquants de son époque.