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27 janvier 1790

L’incendie du Château de Comper

Un épisode des révoltes agraires de 1790

Le 27 janvier 1790, au cours des révoltes agraires qui agitent la région, une troupe d’environ quatre-cents hommes se rend au château de Comper en Concoret pour réclamer une renonciation écrite du seigneur à ses droits féodaux. Par ailleurs, après avoir obtenu les titres de la seigneurie, les émeutiers les brûlent dans la cour, puis se livrent au pillage et mettent le feu au château. L’incendie est éteint le 29 janvier par les habitants de Concoret.

Du 18 janvier au 5 février 1790, la grande majorité des paroisses situées entre Ploërmel, Montfort et Redon, entrent en insurrection. Les communautés paysannes qui avaient demandé l’abolition des droits féodaux dans les cahiers de doléances rédigés en avril 1789 se révoltent contre leurs seigneurs.

Le 4 août 1789, l’Assemblée constituante abolit les rares droits féodaux pesant sur les personnes, mais elle déclare rachetables les droits beaucoup plus importants et généralisés qui pèsent sur les terres, condition impossible à satisfaire par les paysans. Nombre de ceux-ci, refusant de payer dîmes, devoirs féodaux et capitations une année de plus, attaquent les châteaux de la région pour y détruire les chartes et fondations seigneuriales symboles de l’Ancien régime.

L’expédition de la Garde nationale de Saint-Méen

Félix Roumain de la Rallaye (1752-1827), colonel de la Garde nationale de Saint-Méen, apprend que des bandes de paysans en révolte veulent se rendre au château de Comper pour y brûler les titres féodaux. Accompagné d’une soixantaine d’hommes en armes, il s’y rend afin de prévenir le pillage du château. Cet épisode mal daté précède vraisemblablement de quelques jours ou semaines l’incendie du château de Comper 1.

Nous fûmes instruits que les bandes de Nogues, des Broussaye 2, avaient le projet d’aller piller le château de Comper. Nous résolûmes de leur ôter le prétexte de brûler les titres féodaux, et d’enlever deux petits biscayens 3 ou pierriers, anciennes armes restées dans le château après les guerres de la ligue. Les cy-devant vassaux en voulaient beaucoup à Michel, procureur fiscal et régisseur, très exact à faire payer les rentes et exiger des aveux. Nous convînmes, Chevalier et moi, de n’exiger de Michel que les papiers inutiles qu’on brûlerait sur l’esplanade, devant le château, pour plus grande publicité, et d’enlever les petits pierriers pour ôter tout prétexte aux bandes organisées. Nous partîmes Chevalier et moi, avec 60 ou 80 gardes nationaux. [...] Je me présentais avec 4 ou 5 à la porte du château.[...] On visita d’abord le château et on n’y trouva ni rassemblement d’hommes ni d’armes, ce qui tranquillisa nos braves. Michel, rassuré par notre conduite, offrit de nous livrer ce qu’il y avait de titres féodaux dans le château. [...] Nous lui donnâmes un reçu de ses deux pierriers. Nous chargeâmes le cheval des deux petits canons. Nous rentrâmes à St Méen en triomphe.

CRESSARD, Jacques et BERNARDIN, Jean-Marie, « Un notable du département d’Ille-et-Vilaine sous la Révolution : François-Félix Roumain de la Rallaye », Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, XCII, 1990, p. 83-180. [pages 124-126]

Mais le triomphe du colonel de la Garde nationale de Saint-Méen n’est que de façade. Peu de temps après, les émeutes agraires connaissent leur paroxysme dans la région de Brocéliande, et les châteaux, l’un après l’autre, sont investis par les paysans révoltés.

Les émeutes de la Chèze-Erbrée et du Breil-Houssoux en Plélan

Selon les rumeurs qui agitent le pays, un grand nombre de « brigands » se rendent de château en château afin de réclamer les titres des seigneuries, d’en demander l’abrogation et de les brûler. François Michel, procureur fiscal de la baronnie de Comper, est l’homme de confiance du marquis de Montigny, propriétaire du château de Comper. Inquiet de la sécurité du château, il envoie le dimanche 24 janvier 1790, des domestiques au manoir de la Chèze-Erbrée en Plélan afin de vérifier le bien-fondé de ces rumeurs.

Le lundi 25 janvier à midi, une troupe de cinquante à soixante hommes se présente à la Chèze-Erbrée, enfonce les portes de tous les appartements et les brûle dans la cour du château. Elle oblige ensuite le gardien à écrire une lettre au marquis de Montigny lui demandant d’envoyer les titres de sa seigneurie de Plélan sous huit jours ainsi qu’une renonciation à tous ses droits féodaux. Les émeutiers menacent d’incendier le château et interdisent au gardien, sous peine de mort, de prévenir le sieur Michel de son arrivée.

Le mardi 26 janvier, des domestiques du château de la Chèze-Erbrée qui s’étaient enfuis, arrivent à Comper pour prévenir le procureur fiscal de l’arrivée imminente d’émeutiers. François Michel réquisitionne de toute urgence des charrettes à Gaël pour y transporter ses effets et les sauver du pillage. —  MONTGOBERT, Gilles, Eclats en Brocéliande : le Pays de Mauron 1789-1800, les mutations du monde rural, Saint-Léry (56), Office Culturel du District de Mauron, 1993. [page 181] —

Vers quatre heures de l’après-midi, le même jour, quatre-vingts individus se rendent au manoir de Breil-Houssoux sur la paroisse de Plélan (aujourd’hui en Treffendel), exigeant du seigneur un renoncement aux droits féodaux. Ils brûlent les archives dans la cour du château. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [pages 283-287] — Le même après-midi, le château de Francmont (ou Franquemont) en Plélan, connait le même sort. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 293 —

Le mardi soir vers 10 heures, trois charrettes quittent Comper avec les effets du sieur Michel. Les conducteurs rencontrent sur l’esplanade du château six hommes en armes dont deux ou trois habillés en curés. Symphorien Meslé du bourg de Gaël, un des conducteurs, resté au château pour se rafraichir, rejoint les charrettes après une vive altercation avec les six hommes. Un quart d’heure plus tard, le sieur Nicolas, bourgeois de Gaël, sort du château et demande aux hommes en armes ce qu’ils font là. Nous sommes l’avant-garde répondent-ils. Le sieur Nicolas rentre à Comper, les portes sont promptement fermées et la nuit passe ponctuée de coups de feu dans les environs. — Montgobert Gilles (1993) op. cit., p. 182 —

L’incendie du château de Comper

Le mercredi 27 janvier, vers trois heures de l’après-midi, une troupe d’environ quatre-cents hommes arrive au château de Comper. La masse des paysans, devancée par cinq cavaliers de la maréchaussée, est accompagnée de la milice nationale de Plélan au complet. On demande à boire et à manger au chapelain de Saint-Marc de Comper. Puis on réclame le sieur Michel, afin d’obtenir les titres de la seigneurie. La troupe menace de mettre le feu au château puis au bourg de Gaël si le régisseur Michel ne se présente pas dans la journée. Un domestique mandaté par le chapelain va le chercher à Gaël. De retour au château, Michel livre sous la contrainte les titres qui sont brûlés dans la cour intérieure. On l’oblige alors à signer, au nom de marquis de Montigny, une renonciation à tous les droits féodaux, puis on lui extorque de l’argent. Michel profite du tumulte résultant de la distribution de 180 livres en monnaie pour se fondre dans la foule, aidé de deux hommes, et gagner le bois de Comper puis Rennes. Une partie des émeutiers menés par « Auble », dit « poil de carotte », du village de Comper, saccage la chapelle, pille le château et met le feu dans la fuye 4, qui se communique au grand corps du château. — Montgobert Gilles (1993) op. cit., p. 183 —

La milice nationale de Concoret, qui accompagne les émeutiers tout au long de la journée, a dressé un procès-verbal des évènements du 27 janvier.

À trois heures et demie du soir une troupe de 900 hommes mal intentionnés s’est transportée au château de Comper de notre paroisse de Concoret qui n’est composée que de 800 communiants. Surpris de cet événement si subit nous avons appelé notre garde qui n’a pas tardé à se rendre au dit lieu. Voyant un si grand nombre de gens furieux abandonnés à la rage, dominés par l’excès du vin, révoltés contre l’oppression de ceux qui s’étaient engraissés de leurs substances, nous n’avons pas osé leur demander s’il avaient des certificats pour justifier leur démarche. Craignant pour nous et pour tous les autres individus qui forment notre paroisse, nous n’avons pas tenté de les repousser, nous les avons engagés à ménager nos citoyens, à ne pas mettre le feu au château et à ne pas outrager ceux qui l’habitaient. Nos représentations n’ont pas été entièrement infructueuses puisqu’ils n’ont tué ni blessé personne, mais elles n’ont pas eu tout le succès que nous espérions. Fatigués de nous voir nous opposer à des entreprises qui semblent avoir été puisées dans la source d’une ignorance populaire, ils ont été incendier la moitié du château, tuer cinq cochons et trois veaux, boire le vin et brûler tous les meubles que le régisseur du lieu n’avait pu enlever. Témoins d’un soulèvement dont nous gémissions, nous avons poussé des cris impuissants, las de ne pouvoir mettre fin à un carnage si affligeant, nous nous sommes retirés dans nos maisons.

A.D. 56 L 4496 in Montgobert Gilles (1993) op. cit.

Félix Bellamy, qui n’a écrit que quelques lignes sur l’incendie de Comper, mentionne cependant une anecdote qui n’apparaît pas dans les procès verbaux de la Garde nationale de Concoret.

Dans les derniers jours [en réalité les premiers jours] de l’année 1790, Comper fut ravagé par une bande de paysans des environs : Paimpont, Gaillarde, etc. qu’avaient poussé à la violence les révolutionnaires du pays, car il n’en fut point à l’abri malheureusement. Les émeutiers se dirigèrent vers le château et jetèrent dans un étang la fille d’un ancien régisseur. Elle parvint à s’en retirer, puis ils entrèrent au château.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 708-709

Gilles Montgobert à trouvé confirmation de cette anecdote dans une smanuscrite de M. Moisan, ancien maire de Mauron.

La milice de Paimpont et les habitants de Gaillarde contraignirent sous peine de mort Julien Foulon, ancien fermier général de la Baronnie, retiré dans sa maison de Gaillarde depuis ses revers de fortune et la prise de Gaël par Michel, de les accompagner pour les guider dans leur recherche. Arrivés au château, une des filles qui les avait suivis les insulta, et contre les brutalités des soldats leur reprocha vivement leur crime, notamment à l’un des plus acharnés, un M. Jallu de Paimpont. Celui-ci exaspéré la saisit à bras le corps et la jeta par-dessus le parapet dans l’un des étangs, d’où les autres femmes la retirèrent assez à temps pour qu’elle ne se noie pas. La bande commença d’abord par chercher le fermier général Michel. Celui-ci, aidé par un des meilleurs serviteurs du château, qui le paya de sa vie, Vincent Hannet, parvint à leur échapper malgré la fusillade dont ils saluèrent la fuite.

Montgobert Gilles (1993) op. cit., p. 184

Les groupes d’émeutiers des 27 et 28 janvier

Si la plus grande majorité des émeutiers passe la journée au château de Comper, quelques groupes quittent Comper pour attaquer les manoirs, châteaux et maisons des procureurs fiscaux des environs.

Le pillage du manoir des Forges de Telhouët

Le 27 janvier 1790, deux particuliers de Plélan entrent au manoir des Forges de Telhouët et demandent à boire à un domestique puis rejoignent le gros de la troupe au château de Comper.

Le même jour, vers quatre heures, deux cents émeutiers, de Paimpont, Concoret et Gaël, arrivent au manoir de Telhouët. Ils forcent un charpentier à enfoncer les portes des chambres et des armoires, incendient les titres et les papiers, s’emparent des miroirs, des meubles et du linge. Ils brisent les carreaux et menacent de brûler une femme qu’ils croient être la domestique du propriétaire Louis Yves Du Bouexic.

La troupe met la main sur les réserves en alcool et boit les trois-quarts d’un tierçon 5 de vin rouge, douze bouteilles de vin de Ségur, douze bouteilles de liqueurs, quatre-vingts pots de cidre et burent et gaterent environ quatre barriques de cidre.

Le jeudi matin 28, six particuliers qu’on croit être de Plelan et de Maure arriverent au chateau des Forges, se firent donner à boire et à manger et menacerent la domestique de la jetter au feu.

Le 29 au matin, à quatre heures, cinq particuliers viennent avec l’intention d’incendier le manoir, déclarant que trois cents émeutiers les suivent. On arrive à les repousser 6. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 291 —

Le 2 juin 1790, un juge du Présidial de Rennes se rend sur place pour entendre les témoins dans l’affaire de l’Incendie des titres au château des Forges en Paimpont. Faute d’adjoint, le juge désigne deux paimpontais pour l’assister, Joseph Launay et Charles Cordier, marchands, notables de la municipalité.

Sept témoins, tous de Paimpont sont entendus : Jean Huguet, charpentier à Trudeau 7, Victor Crignon Bonvalet, vivant de ses rentes aux Portes, village de Telhouët 8, Pierre Launay, marchand de fil et de fer à Telhouët 9, Mathurin Gapais, laboureur en son bien à Telhouët 10, Joseph Boscherie, père, blanchisseur de fil à Telhouët 11, Joseph Bocherie, fils, blanchisseur de fil demeurant avec son père à Telhouët 12, Jean Marie Sauvage, 45 ans, cordonnier à Telhouët qui dit n’avoir aucune connaissance des faits.

Le Procès-verbal d’effractions est signé au château des Forges le lendemain 3 juin 1790 par Thomas Pattier, 46 ans, menuisier à Telhouët, qui prête serment comme expert, Mathurin Buis, 44 ans, maréchal à Telhouët, ainsi que par les assistants du juge, Joseph Launay et Charles Cordier. — Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016. —

Du bourg de Concoret au château du Rox

Selon le procès verbal de la Garde nationale de Concoret, une partie des émeutiers se rend le lendemain matin jeudi 28 janvier vers huit heures, chez le procureur fiscal de Concoret pour lui demander des comptes. — Montgobert Gilles (1993) op. cit., p. 184 —

Environ quatre-vingts des mêmes hommes sont allés dans notre bourg, ils se sont incontinent saisis de l’étude d’un procureur fiscal, demeure du sieur Viallet. Ils y entrèrent, le sieur Viallet était absent, seules restaient sa femme Marie Renée Joseph Harel de Chantelou et sa servante Mathurine Morin, âgée de 27 ans. Ces hommes s’emparèrent de tous les titres, le nommé abbé Morfouesse, frère de Pierre, habitant à Plélan, était le plus acharné à descendre les papiers dans la rue où Félix Salmon du bourg de Concoret, y mit le feu. Les sieurs abbé Morfouesse et Pierre Morfouesse, son frère, avant de partir dirent hautement qu’ils reviendraient avec leur troupe le lundi ou mardi suivant si Viallet n’envoyait pas son désistement et sa déclaration de renoncer à jamais de travailler pour aucun noble. Ce que fit Viallet.

A.D. 56 L 4496 in Montgobert Gilles (1993) op. cit.

Les quatre-vingts hommes, échauffés par l’altercation avec Viallet, continuent sur leur lancée et se dirigent vers le château du Rox en Concoret.

Ces mêmes gens, commandés par la rage et le désespoir, guidés par un esprit de vengeance qui enfantait un affreux souvenir de la féodalité tyrannique, se sont mis en chemin pour visiter un autre château nommé le Rox, situé aussi dans notre paroisse. Arrivés dans ce lieu, nous les avons sollicités à respecter les personnes qui y faisaient subsister le château, à ménager les titres qui assuraient les crédits du seigneur à qui ils appartenaient, et à conserver les quittances qui pouvaient empêcher les créanciers de mauvaise foi de commettre des injustices. Nos deux premiers avis ont été écoutés et mis en pratique, la destruction n’était point, ont-ils dit, le sujet de leur mission. Les personnes qui y ont fixé leur demeure n’y ont point été aussi insultées. Mais notre dernier conseil qui n’était pas moins prudent que les deux autres n’a mérité aucun suffrage : le partage des différents titres confondus sous la même serrure aurait exigé trop de travail ont-ils ajouté ! Ils ont mieux aimé se déterminer à les mettre sans distribution tous au feu qui n’a pas tardé à les réduire en cendres.

A.D. 56 L 4496 in Montgobert Gilles (1993) op. cit.

Les derniers émeutiers restent dans les environs de Concoret jusqu’au lendemain matin, vendredi 29 janvier. Les concoretois se rassemblent alors pour éteindre l’incendie du château de Comper.

Cette expédition finie, plusieurs d’entre eux voulaient se rendre à des châteaux situés dans une paroisse voisine de la nôtre, nous avons fait une motion pour les en détourner. Ils ont accepté et se sont retirés. Ils n’ont pas paru chez nous depuis cette époque. Plusieurs d’entre eux, restés au château incendié, demeurèrent pendant la nuit suivante. Au matin, quand nous apprîmes qu’ils s’étaient retirés, nous fîmes sonner le tocsin et nous réclamâmes les secours de tous nos citoyens pour faire la part du feu. Ce projet qui était aussi sage que tous les conseils que nous avions toujours donnés à ces gens inconnus, a été promptement exécuté et dans les deux heures nous avions entièrement éteint le feu.

A.D. 56 L 4496 in Montgobert Gilles (1993) op. cit.

Le même jour à l’abbaye de Paimpont

Dans la journée du mercredi 27 janvier, un petit groupe d’émeutiers, comprenant douze particuliers armés de bâtons et de pieux de fer, quitte Comper incendié pour se rendre à l’abbaye de Paimpont.

Le lendemain, à 7 heures du matin, trente hommes venant du château de Comper se joignent aux quatre cents paysans venus du sud du diocèse de Saint-Malo pour exiger les titres de l’abbaye de Paimpont du prieur de l’abbaye. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 291 —

Le procès de l’incendie de Comper

Le procès de l’incendie du château de Comper s’ouvre le 1er juin 1790. Trente-sept témoins sont interrogés.


Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

CRESSARD, Jacques et BERNARDIN, Jean-Marie, « Un notable du département d’Ille-et-Vilaine sous la Révolution : François-Félix Roumain de la Rallaye », Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, XCII, 1990, p. 83-180.

MONTGOBERT, Gilles, Eclats en Brocéliande : le Pays de Mauron 1789-1800, les mutations du monde rural, Saint-Léry (56), Office Culturel du District de Mauron, 1993.

SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370.

TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.pelain


↑ 1 • Lors de son interrogatoire par Laveant, le 21 pluviôse An II (9 février 1794), Félix Roumain de la Rallaye situe cet épisode en août 1789. On peut cependant douter de la véracité de la date. Les évènements mentionnés dans ses Mémoires coïncident fortement avec les révoltes agraires du début d’année 1790.

↑ 2 • Pierre-Marie Broussais, juge de paix du canton de Plélan.

↑ 3 • Un biscayen est un mousquet de gros calibre, à longue portée, utilisé pour la première fois en Biscaye et répandu au 18e siècle.

↑ 4 • Une fuye ou fuie est une volière où l’on abrite des pigeons domestiques.

↑ 5 • Un tierçon est un tonneau de 90 litres.

↑ 6 • Témoignage de Louis Yves Du Bouexic au Présidial de Rennes :

Expose Messire Louis Yves Du Bouexic [demeurant à son hôtel, ville et évêché de Vannes] qu’il est propriétaire d’un chateau scittué aux Forges de Tellouet en la paroisse de Paimpont sous le ressort du siege présidial de Rennes. Il avoit dans ce chateau qu’il habite de tems en tems tous les titres et papiers concernant ses differentes proprieté même ses titres de famille, les uns et les autres furent entierement incendiés le 28 janvier 1790. Voici à peu pres comme la sceine se passa.
Le mercredy 27 janvier vers le soir, deux particuliers de la paroisse de Plelan entrerent au chateau qui, dans l’absence du Sieur Du Bouexic, n’est occupé que par une ancienne domestique. Ils demanderent à boire et il leur en fut sur le champ accordé. Ils alloient pour incendier le chateau de Comper.
Le jeudi matin 28, six particuliers qu’on croit être de Plelan et de Maure arriverent au chateau des Forges, se firent donner à boire et à manger et menacerent la domestique de la jetter au feu.
Le même jour environ les quatre heures de l’apres midi, une troupe d’environ deux cents hommes des paroisses de Paimpont, Concoret, le Bran et de Gael, tous armés, arriverent et rencontrerent un charpentier occupé au service de l’exposant. Il fut stimulé et forcé d’ouvrir les portes des chambres et des armoires du chateau. Il le fit pour conserver ses jours et éviter les enfoncements qu’on se disposoit à faire : il leva les serrures avec une hache le plus adroitement qu’il lui fut possible. Aussitôt les brigands s’emparerent de tous les titres et papiers. Ils commencerent par ceux qui étoient dans l’armoire du coridor ; prirent ensuitte tous ceux de la chambre des archives tant dans les malles que sur les tables ; ceux qui etoient dans l’armoire de la chambre du sieur exposant et les plus précieux ne furent point exceptés ; de même que ceux enfermés dans une armoire scittuée dans la chambre sur le portail. Tous ces titres et papiers furent portés et remis au milieu de la cour et y furent entierement incendiés.
Les brigands prirent et volerent aussi deux miroirs de toilette et plusieurs autres meubles et linges dans les differents appartements où ils exercoient le pilliage.
Ils prirent aussi, burent et emporterent les trois quarts d’un tierçon de vin rouge en bouteille, douze bouteilles de vin de Segur, douze bouteilles de liqueur et quatrevingt pots de cidre en bouteilles de terre grise. Ils burent et gaterent environ quatre barriques de cidre ; se fire donner et prirent tout ce qu’il y avait de pain, beure et autres aliments.
Outre les serrures levées et cassées, les brigands casserent encore plusieurs carreaux de vitres et cent cinquante bouteilles de verre. Ils fraperent dans les portes à coups redoublés de batons et cailloux ; pousserent vers le feu pour la bruler une femme qu’ils crurent etre la domestique du Sieur Du Bouexic et ils l’eussent brulée sans qu’elle s’ecria que ce n’etoit pas elle.
Le vendredi 29 environ les autre heures de l’après midy, cinq particuliers qui n’ignoroient pas que le chateau des Forges etoit au pilliage, vinrent pour l’incendier. D’abord, ils commencerent par se faire donner de force à boire et declarerent que leur projet etoit de tout griller ; que trois cents de leurs camarades par eux convoqués à cet effet alloient arriver. Impatients de leur retard, un de ces particuliers se saisit d’un tison de charbon ardent pour mettre le feu, et si on parvint à l’empêcher l’exécution de ce projet bien décidé, c’est que le secours attendu par ces cinq brigands ne leur arriva pas. C’est à la justice qu’il incombe de sevir contre des voies de fait et des brigands aussi criminels et aussi nuisibles et dangereux à la société. [suit la désignation d’un procureur "en tant que besoin".]

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 7 • Témoignage de Jean Huguet, 39 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Telhouët par le juge du présidial de Rennes :

Le jeudy vingt huit janvier dernier etant à travailler au chateau des Forges pour le compte du Sieur du Bouexic, il vit arriver audit chateau, environ les neuf heures du matin, six particuliers dont deux etoient armés de fusils et les autres de batons, qui en arrivant demandèrent à boire et à manger. Ce qui leur fut donné par la nommée [Philippé selon le procès-verbal des effractions] Huguet, gardienne dudit chateau sur les menaces qu’ils firent de mettre le feu dans le chateau si on ne leur en donnoit ; que le deposant et laditte Huguet les ayant prié de ne pas se porter à de pareils excès, ils parvinrent à l’obtenir d’eux après plusieurs instances et à les faire se retirer ; qu’ils reconnut du nombre de ces six particuliers Pierre Montré demeurant à la Rivierre de Plelan et le nommé Bourdin dont il ignore le nom de bapteme, mais demeurant à la Bigottais paroisse dudit Plelan ; que Montré avoit un fusil et Bourdin un baton ; qu’il ne reconnut les quatre autres particuliers, mais qu’il les reconnoitroit s’il les voyoit ; qu’environ les quatre heures de l’après midy du meme jour il arriva audit chateau environ cinquante particuliers qui dirent etre de Concoret, qui, en arrivant, demandèrent où étoit la cave, et se proposoient d’en enfoncer la porte, ce qu’ils eussent fait sans que le deposant la leur ouvrit ; qu’ils mirent trois ou quatre futs de cidre en perce, et vinrent ensuite au chateau pour se procurer l’entrée de la cave au vin ; que le deposant ne put leur en ouvrir la porte qu’en la degontant ; qu’ils prirent des bouteilles remplis de vin et d’autres de cidre, et ne pouvant les deboucher casserent les goullots ; qu’ayant ensuite demandé les papiers de la seigneurie et demandé avoir dans toutes les fermetures du chateau, le deposant ni la Huguet, gardienne, n’ayant les clefs, il fut obligé pour eviter plus grands degats de lever le plus adroittement qu’il lui fut possible les serrures au moyen d’une hache ; qu’ils prirent tous les papiers qui se trouverent dans une chambre au premier etage dans des malles et deux armoires, ainsi que ceux qui etoient dans une armoire placée dans la chambre du Sieur du Bouexic et dans la chambre sur le portail, et porterent le tout dans la cour où il les brulerent ; que peu de temps après l’arrivée de ces cinquante particuliers, il en survint à peu près le même nombre des environs du chateau, du nombre desquels etoit François Dubé, demeurant à l’Abbaye de Thelouet, qui etant yvre, vers les neuf heures du soir, porta un coup de pierre à la poitrine du deposant à cause qu’il avoit voullu le mettre hors de la salle où ils etoient à boire ; que ces particuliers, etant enfin sorti sur la cour, frapperent à grands coups redoublés dans la porte d’entrée dudit chateau ; que ne leur ayant pas ouvert, les particuliers se retirerent ; que le vendredy vingt neuf dudit mois de janvier vers les neuf heures du matin, il revint audit chateau cinq particuliers qui demanderent à boire, et dirent qu’il alloit leur venir trois cents hommes pour incendier le chateau ; qu’ils burent et mangerent, d’après quoi ils se retirerent en disant qu’ils seroient revenus ; que le jeudy vingt huit, un de la troupe de particuliers dont il a cy devant parlé, qui lui est inconnu, mais qu’il scait etre de la paroisse de Concoret, qu’il ne reconnoitroit neantmoins pas s’il le voyoit, prit un tizon de feu dans la cheminée de la cuisinne, et monta l’escallier pour mettre le feu, mais que le temoin lui arracha dans le meme escallier ce tizon, et ainsi l’empecha d’executer son dessein, et n’avoir autre connoissance.

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 8 • Témoignage de Victor Crignon Bonvalet, 28 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Telhouët par le juge du présidial de Rennes :

Un jour qu’il ne peut cotter mais celui où il descendit beaucoup de monde au chateau des Forges, mais qu’il croit etre le lendemain que des brigands furent au chateau de Compere, ayant eté averti qu’un ancien habitant de cette paroisse avoit eté forcé à main armée par des particuliers attroupés de les accompagner au chateau des Forges, on pria le deposant de se rendre à ce dernier lieu pour secourir cet ancien et honnête paroissien et empêcher autant qu’il seroit possible ces attroupés de commettre des degats au chateau des Forges ; qu’il s’y transporta sur le champ d’autant qu’il fut encore instruit que ces particuliers malfaiteurs avoient forcé tous les habitans des maisons auprès desquelles ils passoient d’aller avec eux ; qu’arrivée audit chateau des Forges, il y trouva une trouppe de particuliers au nombre d’environ cent qui lui sont inconnus ; qu’alors les papiers etoient en feu sur la cour ; qu’il ignore quelle espece de papiers brulloient et furent brulés ; qu’il remarqua seulement et distingua quelques vieux livres ou bouquins ; qu’il vit ces particuliers boire du cidre et du vin...

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 9 • Témoignage de Pierre Launay, 60 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Telhouët par le juge du présidial de Rennes (signe à gauche de son homonyme adjoint) :

Le jeudy vingt huit janvier dernier autant qu’il croit, il entra chez lui, environ les trois heures de l’après midy, un grand nombre de particuliers, autant que sa maison put en contenir et les autres resterent dans la cour ; que tous pouvoient former le nombre de cinquante, qui le forcerent de les suivre aux forges ; que se voyant pressé, il prit son fusil croiant que c’etoit aux forges de Paimpont qu’on vouloit le conduire ; qu’après qu’il fut sorti, ces particuliers lui dirent que c’etoit à la maison des Forges [qui] appartenoient au Sieur du Bouexic qu’ils alloient ; qu’il rentra chez lui pour y remettre son fusil et prit un petit baton ; qu’etant arrivé à laditte maison des Forges, ces particuliers attrouppés, qui lui dirent venir du chateau du Roz, demanderent les titres de la seigneurie du Tertre appartenante audit Sieur du Bouexic pour les bruler parcequ’il y avoit trop longtemps que le procureur fiscal les vexoit ; qu’un charpentier qui etoit à travailler aux Forges pour le Sieur du Bouexic leva les serrures au moyen d’une hache, et ces particuliers s’emparerent des papiers qu’ils trouverent en differentes fermetures, les porterent dans la cour où ils les brulerent ; qu’ils burent du cidre à la concurrance d’environ vingt cinq pots, et quelques bouteilles de vin, mais pas en plus grand nombre que quinze ou vingt ; qu’il ne vit et est meme certain que ces particuliers ne prirent de miroirs, linges et autres effets ; que le deposant fit tout ce qu’il put pour empecher ces particuliers de bruler les papiers sas avoir pu réussir, mais ignorer si ces papiers étoient des aveux, titres de famille ou autres pieces de consequence, et n’avoir autre connoissance.

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 10 • Témoignage de Mathurin Gapais, 51 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Thélouet par le juge du présidial de Rennes :

Un jour de jeudy qu’il ne peut nous cotter mais le lendemain que des particuliers malfaiteurs furent au chateau de Comper, etant dans son jardin à planter des choux, environ les trois heures de l’après midy, cinquante ou soixante particuliers furent à lui et le sommerent de par le roy de les suivre aux Forges chez le Sieur du Bouexic ; que les uns etoient armés de fusils et les autres de batons ; que se voyant menacé par ces particuliers s’il ne les suivoit, il prit son fusil et les accompagna audit lieu, où etant arrivé ces particuliers le mirent en faction à la porte d’entrée de la maison du Sieur du Bouexic en dehors ; que n’ayant point entré dans la maison, il ne scait ce qu’ils y firent ; qu’il ne les vit qu’apporter d’icelle sur la cour des papiers qu’ils y brulerent, mais ne scavoir de quelle consequence ils pouvoient etre ; que ces attroupés furent au cellier chercher du cidre dans une seille et un grand pot pouvant contenir chacun trois pots ; qu’il croit qu’ils ne burent pas plus de vingt cinq pots de cidre des futs du cellier, mais qu’ils burent quelques bouteilles de cidre en bouteille et quelques bouteilles de vin, mais en petite quantité ; qu’ils ne furent pas audit lieu des Forges plus d’une heure ou une heure et demie ; qu’il ne les vit prendre ni emporter aucun effet ; qu’il ne reconnut du nombre de ces particuliers que Thomas Rolland de la Ville Danet, Pierre Foullon du même village, et les deux fils de Laurand Minier dont il ignore les noms de bateme et demeurant au même lieu de la Ville Danet en cette paroisse, et n’avoir autre connoissance.

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 11 • Témoignage de Joseph Boscherie, 34 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Thélouet par le juge du présidial de Rennes :

Le vingt huit janvier dernier, environ midy, le nommé Huguet ? l’ayant envoyé prier de passer à la maison des Forges, il s’y rendit et vit dès en entrant dans la cour et environ le milieu d’icelle le feu qui etoit dejà dans des papiers ; que peu de temps après, il vit de ces attroupés porter dans le feu quelques livres qui furent aussi consommé par le feu ; qu’etant entré dans la maison, il vit differentes serrures d’armoires levées ; qu’il vit partie d’eux aller dans la chambre sur le portail, et lever la serrure d’une armoire y placée, où n’ayant vu que du linge, ils la refermerent aussitot sans y toucher ; qu’ils furent au caveau au vin dont ils firent lever la serrure, et y prirent ce qu’il y avoit de vin en bouteille dont ils burent partie, et emporterent l’autre avec les bouteilles ainsi que ce qu’il avoit de cidre en bouteille de terre, et n’avoir autre connoissance.

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

↑ 12 • Témoignage de Joseph Boscherie fils, 17 ans, entendu le 2 juin 1790 au manoir des Forges de Thélouet par le juge du présidial de Rennes :

... etant venu avec son pere environ les deux à trois heures de l’après midy à la maison des Forges, il vit entrant dans la cour et environ le milieu d’icelle des papiers qui brulloient et beaucoup de monde tant dans laditte cour que dans la maison sans pouvoir en designer le nombre ; que peu de temps après ces particuliers jetterent des livres par la fenetre de la maison sur la cour qui furent portés par d’autres dans le feu...

Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1216 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.