1789-1791
L’abbaye de Paimpont durant la Révolution
À la veille de la Révolution, l’abbaye Notre-Dame de Paimpont déclinante ne compte plus que quatre chanoines. En avril 1789, les cahiers de doléances des paroisses dépendantes de l’abbaye comportent de nombreux reproches adressés aux religieux génovéfains. En janvier 1790, un groupe de quatre cents émeutiers brûle les titres des abbés de Paimpont. Quinze jours plus tard, le décret du 13 février 1790 supprime les ordres religieux réguliers. Les biens de l’abbaye deviennent propriété de la nouvelle commune qui les vend le 30 mai 1792, par adjudication du tribunal de Montfort.
Depuis le milieu du 18e siècle, l’abbaye de Paimpont est agitée par de nombreux conflits, en interne entre l’abbé commendataire et la communauté monastique, mais aussi entre les paroissiens de Brignac et leur prieur-recteur ou les tréviens de Saint Péran et le procureur fiscal de l’abbaye. Toutes ces tensions vont s’amplifier dans le contexte des premières années de la Révolution.
Les doléances des vassaux de l’abbaye de Paimpont
Au début du mois d’avril 1789, les habitants des paroisses de Haute-Bretagne se réunissent pour écrire leurs doléances afin qu’elles soient portées à l’Assemblée du Tiers état qui se tient à Rennes le 7 avril en vue de l’ouverture des États-généraux le 5 mai 1789.
L’abbaye de Paimpont possède six prieurés-cures ainsi que de nombreuses terres et droits associés au seize prieurés-simples sous sa dépendance. Les Cahiers de Doléances des paroisses liées à l’abbaye de Paimpont montrent une population hostile aux chanoines et à l’abbé commendataire.
C’est en premier lieu le cas des paroissiens de Paimpont. Trois articles des cahiers de Paimpont, datés d’avril 1789, visent explicitement les chanoines.
[Article 9 de Paimpont]
Que l’abolition des dîmes ait lieu, ce droit odieux, droit tout à fait opposé aux lois divines et humaines, droit onéreux, insupportable, et qui fait languir l’agriculture.
[Article 10 de Paimpont]
Que la nomination aux abbayes et à tous les bénéfices consistoriaux n’ait plus lieu : tous ceux qui les possèdent n’en ont d’ailleurs jamais besoin. Ils sont déjà suffisamment pourvus. Ils enlèvent aux provinces des revenus immenses, et les consomment sans faire souvent aucune espèce de bien dans le pays d’où ils les tirent. C’est pourtant le patrimoine des pauvres ; ils en sont les administrateurs seulement, mais il l’on totalement oublié.
[Article 15 de Paimpont]
Il serait même avantageux de supprimer une grande partie de ces maisons rentées qui n’ont d’autre profession que l’orgueil et l’indolence, principalement encore les abbayes en commende dont les titulaires ne se font aucun scrupule de faire servir à leur plaisir un revenu qui, d’après le prélèvement de leur nécessaire, est le patrimoine des pauvres.
Les griefs des habitants de la trève de Saint-Péran à l’égard de l’abbaye sont encore plus accusateurs. Cinq articles des doléances sont écrits contre les chanoines (3°- 8°- 9°-10°-15°), et trois articles (11°-12°-13°) dénoncent les abus des procureurs fiscaux de l’abbaye. — SÉE, Henri et LESORT, André, Cahiers de doléances de la sénéchaussée de Rennes pour les États généraux de 1789, Vol. 3, Rennes, Imprimerie Oberthur, 1909. 4 vol., Voir en ligne. p. 424 —
[3°] Nous nous plaignons [...] des vexations de nos seigneurs décimateurs qui, jusqu’à présent ont exercé sur nous l’empire le plus tyrannique [...]
Les cahiers des habitants dépendant du prieuré-cure de Brignac et ceux de Bruc-sur-Aff traduisent les mêmes préoccupations.
Les troubles agraires de 1790
Du 18 janvier au 5 février 1790, tout l’ouest de la Haute-Bretagne s’embrase. La région située dans le triangle Ploërmel, Redon, Montfort est en proie à d’importants troubles agraires. Dans toutes les paroisses du massif forestier de Paimpont et des environs, les vassaux assaillent les châteaux et exigent des seigneurs de renoncer à leurs droits féodaux. Mais les révoltés s’en prennent aussi aux abbés, évêques, prieurs et à leurs officiers fiscaux. L’historien Henri Sée fait d’ailleurs remarquer que la révolte s’inscrit peu ou prou dans les limites de l’évêché de Saint-Malo 1 — SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. —. Le château des évêques de Saint-Malo de Beignon est attaqué par un groupe de quatre cents paysans dans la journée du 28 janvier 1790.
Le 28 janvier 1790, environ 400 campagnards des paroisses environnant Maure, Mernel, Saint-Séglin, Bruc, etc..., tous vassaux de l’évêque de Saint-Malo, s’insurgèrent contre l’autorité de ce prélat (Mgr de Présigny), vinrent en furieux à Saint-Malo de Beignon, s’emparèrent violemment des vivres et boissons de M. Jean-Baptiste Pascheu, notaire et procureur, l’un des sous-fermiers de la baronnie, menacèrent de mettre le feu au château épiscopal et n’y renoncèrent qu’à la vue des titres seigneuriaux qu’ils livrèrent aux flammes avec de sauvages démonstrations de joie. Ils partirent ensuite satisfaits d’avoir assouvi leur haine. Mais ils revinrent dès le lendemain 29 ; toutefois, ils se contentèrent ce jour là de piller la maison du concierge et quittèrent définitivement Saint-Malo de Beignon sans avoir mis le feu au manoir de l’évêque.
Dans la même journée, c’est l’abbaye de Paimpont qui est attaquée. Selon la déposition de Pierre Quesnay 2, chanoine régulier de Paimpont, douze particuliers armés de bâtons et de pieux de fer se présentent à l’abbaye le mercredi 27 janvier 1790, jour de l’incendie du château de Comper et demandent à boire et à manger. Le soir d’autres hommes se présentent mais trouvent portes closes.
Le lendemain, à 7 heures du matin, trente hommes venant du château de Comper, [...] demandent aussi à manger. Alors entrent "deux particuliers qui se disent députés des paroisses de Bruc 3 et autres vers le prieur pour lui demander les titres de la seigneurie." Il répond qu’il ne peut les délivrer car l’Assemblée nationale l’a institué gardien des titres. Vers 3 ou 4 heures, arrivent 300 ou 400 hommes, armés de bâtons et de fusils, et en outre 40 particuliers venant de Comper : "ils demandèrent avec menace les titres concernant la possession dans les paroisses de Bruc et autres." Douze d’entre eux montèrent au chartier avec le procureur, Salmon, firent le triage des papiers et emportèrent ceux qui leurs convenaient. En outre, ils forcèrent le prieur à leur donner "une renonciation à tous ses droits seigneuriaux et à la propriété des dîmes." Ils pénétrèrent dans les appartements, mangèrent et burent (4 barriques de cidre, 30 à 40 bouteilles de liqueur). L’un d’eux le couche en joue et dit : "Voila un b... de moine ; il faut que je le tue".
La troupe qui attaque l’abbaye de Paimpont est constituée de deux groupes distincts qui se rejoignent le 28 janvier. Selon la déposition de Pierre Quesnay, elle se compose de 300 ou 400 hommes, armés de bâtons et de fusils
qui, menés par des habitants de Bruc, ont attaqué la veille le château des évêques à Saint-Malo de Beignon et en outre 40 particuliers venant de Comper.
Les statues du portail de l’église abbatiale de Paimpont ont très certainement été décapitées et mutilées à cette occasion. — BRETON, Yves, Les génovéfains en Haute-Bretagne, en Anjou et dans le Maine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Editions Hérault, 2006. [page 124] —
Lors de la visite des meubles du monastère effectuée par les commissaires du district de Montfort en 1790, le chartrier de l’abbaye est retrouvé dans la bibliothèque en grand dérangement
.
[...] un grand dérangement causé par les enlèvements qui ont été faits avec violence par les gens de Bruc qui sont venus par attroupement lors de l’insurrection qui a eu lieu en février dernier, enlever toutes les pièces qu’ils sont persuadés former titre contre eux.
Un Procès-verbal est réalisé le 24 juin 1790 par le juge du Présidial de Rennes. Il détaille l’effraction faite à l’abbaye de Paimpont, à la porte de la cuisine et au portail en fer de la basse cour dont la partie du clanche située en-dessous de la serrure a été brisée. Quatre Paimpontais le signent : Jean Mottay, marchand, adjoint juré de la municipalité de Paimpont, à la Ville Danet, assistant le juge, Vincent Chevallier, marchand, adjoint juré de la municipalité de Paimpont, à la Ville Danet, Thomas Regnard, 36 ans, menuisier à Thelouet, désigné expert et prête serment, ainsi que Mathurin Salmon, 32 ans, maréchal au bourg de Paimpont. — Présidial de Rennes A.D.I.V. 2B 1035 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016. —
Les derniers chanoines
Le 21 avril 1790, le maire de Paimpont, François Chambon de Bonvalet procède à un inventaire des biens de l’abbaye. L’abbaye déclinante ne compte alors que quatre chanoines.
Il n’y rencontre que Guy-Adélaïde du Boys, prieur de 35 ans et deux religieux. Un quatrième est déclaré absent.
Guy-Adelaïde Du Boys, dernier prieur de Paimpont, réside à Notre-Dame de Paimpont de 1781 à 1790. Il est pourvu à cette cure le 17 octobre 1783, qu’il conserve jusqu’à la Révolution. Il est aussi prieur claustral de Notre-Dame de Paimpont de 1783 à 1790. Il prête serment le 23 janvier 1791 à la Constitution civile du clergé. Il prononce son discours d’allégeance à l’Assemblée devant la municipalité de Paimpont et tient à ce qu’il soit enregistré sur les registres de la commune. — A.D.I.V. L 1002 —
Guy Adélaïde Du Bois est élu recteur constitutionnel de Josselin par 17 voix sur 28 lors de l’assemblée du 3 avril 1790 tenue dans l’église Notre-Dame du Roncier. Lors de la vente des biens de l’abbaye de Paimpont le 3 novembre 1791, il récupère ses biens propres et réclame même une chaise de voyage. Il épouse Madeleine Boullemer, âgée de 18 ans, à Rennes, le 6 octobre 1797. — PETIT, Nicolas, Prosopographie génovéfaine, École Nationale des Chartes, 2008, Voir en ligne. p. 134 —
Louis-Jean Desnoes 4 demeure à Notre-Dame de Paimpont depuis 1787. Il prête lui aussi tous les serments. Il dessert la chapelle Saint-Rémy en 1791 et quitte les ordres en 1794. — Petit, Nicolas (2008) op. cit., p. 129 —
Pierre Quesnay 5 demeure à Notre-Dame de Paimpont de 1788 à 1790. En février 1790, il fait part de son désir de quitter la vie communautaire. Il écrit aux administrateurs du district de Montfort pour les informer de son choix de demeurer dans la ville de Honfleur. Il y emporte le mobilier de sa chambre que les autorités ont bien voulu lui laisser. Il est à noter que son désir de quitter la congrégation est concomitant des révoltes agraires lors desquelles il fut pris à partie par un groupe de paysans. — Breton, Yves (2006) op. cit., p. 662 —
Jean Baptiste Meunier est absent de l’abbaye au moment de l’inventaire du 2 avril 1790. Âgé de trente ans, il est chanoine depuis neuf ans. Le prieur le fait arrêter par la force publique le 25 février 1790 à Rennes, en vertu d’un arrêt de la cour portant en autres choses que le dit sieur Meunier, chanoine régulier de la ditte abbaye sera par provision mis et détenu à l’hôpital de Saint-Méen de cette ville.
— A.D.I.V. 3B 1455 — Nous ne connaissons pas le motif de son arrestation. Les charges qui pèsent contre lui ne doivent pas être importantes puisque Meunier est libéré quelque temps après. — Breton, Yves (2006) op. cit., p. 662 — Il est à signaler que son arrestation coïncide avec les révoltes agraires de janvier-février 1790 qui ont touché l’abbaye de Paimpont.
Charles Deloynes, prieur de Saint-Barthélemy de Brignac, est le dernier génovéfain en activité sur les six prieurés-cures que comptent l’abbaye de Paimpont.
La nationalisation des biens de l’abbaye de Paimpont en 1791
Le décret du 2 novembre 1789 met les biens de l’Église, dont ceux des congrégations, à la disposition de la Nation. Le décret du 13 février 1790 interdit les vœux monastiques et supprime les ordres religieux réguliers. La communauté religieuse de l’abbaye de Paimpont n’existe plus.
A Paimpont, c’est le 21 avril [1790] que le maire, François Chambon de Bonvalet, accompagné des officiers municipaux, se présente [à l’abbaye] « après avoir averti les chanoines réguliers de vouloir bien s’y trouver,[...] à l’effet de recevoir leur déclaration des biens ecclésiastiques dépendant de la mense abbatiale et conventuelle. [...] Après s’être fait présenter les comptes, les édiles investissent les lieux réguliers et inventorient les meubles de chaque pièce. »
Les comptes de l’abbaye sont présentés à la nouvelle municipalité. Les terres et les biens de l’abbaye deviennent biens nationaux. Vingt-trois lots de bâtis et de terres, dépendant de l’abbaye, sont mis en vente nationalement par adjudication le 7 novembre 1791. — BELLEVÜE, Xavier de, Paimpont, Rééd. 1980, Marseille, Lafitte Reprints, 1912. [page 76] —
- 1° La chapellenie de Caro en Bréal : 800 livres
- 2° La pièce des Plantes en Bréal : 1300 livres
- 3° L’abbaye de Paimpont, consistant en la maison abbatiale et canonicale, basse cour et jardin : 16 500 livres
- 4° L’auberge de Paimpont ; jardin et dépendances : 7000 livres
- 5° La métairie de la Porte de Paimpont, avec cheptel : 13 200 livres
- 6° La métairie Neuve : 7200 livres
- 7° La métairie des Biais : 4600 livres
- 8° Les biens que fait valoir la maison de Paimpont
- 9° La métairie de Saint-Barthélemy des Bois avec un petit taillis joignant : 8000 livres
- 10° Trois moulins à eau sur le grand étang : 18 000 livres
- 11° Les bois-taillis de la forêt de Brécilien : 12 000 livres
- 12° L’auberge de Saint-Péran et dépendances : 840 livres
- 13° La métairie des Roublais : 1056 livres
- 14° La pièce de terre de Trévignon : 1100 livres
- 15° La pièce de terre de Boulay : 264 livres
- 16° La métairie de l’abbaye de Telhouët : 12 000 livres
- 17° Le Bois des Nonnes contenant 4 arpents : 1400 livres
- 18° La métairie de Fourneaux : 6000 livres
- 19° La pièce de terre de la Petite-Bastille : 1100 livres
- 20° La métairie du Perray : 6600 livres
- 21° Le bois et taillis devant la lande : 200 livres
- 22° Rentes foncières de 600 livres sur les Forges de Paimpont : 9000 livres
- 23° Rente de deux sols tournois sur le pré de la Croix-l’Abbé : 30 sols
Les biens mis en vente n’ayant pas trouvé preneur, ils sont vendus définitivement le 30 mai 1792, par adjudication du tribunal de Montfort.
Cinq acquéreurs de biens nationaux se partagent les dépendances et les parcelles non bâties. Le bas de la place des Litières et les bâtiments attenants sont séparés en deux parts achetées par MM. Macé-Bilard et François Robert, notaire et futur maire de Paimpont. Une maison située face au porche est achetée par M. Gentilhomme, buraliste. Les moulins sous la digue sont acquis par M. Houssais, rentier à la Ville Danet. La veuve Tempier, du Gué de Plélan, devient propriétaire de l’hôtellerie du porche et des terres attenantes. — GUILMAULT, Colette, « Le bourg de Paimpont : évolution de l’espace au XIXe siècle », Bulletin de la Société Historique et Archéologique d’Ille-et-Vilaine, Vol. 111, 2007. —
La commune conserve la possession de l’église, du Grand Logis, alors nommé presbytère, des étals marchands de la place des Litières, du cimetière, de la chapelle Saint-Anne et des jardins de l’abbaye situés dans l’enclos abbatial. C’est la fin de mille ans de présence monastique à l’abbaye Notre-Dame de Paimpont.
En 1802, la paroisse est confiée à des prêtres diocésains. Le bourg de la commune de Paimpont s’implantera à l’intérieur de l’enclos abbatial au cours du 19e siècle.