La chapelle Saint-Jean de Campénéac - II
L’hypothèse templière en question
Depuis 1960, des auteurs affirment que la chapelle Saint-Jean de Campénéac a été fondée par l’Ordre des Templiers et a par la suite été une possession des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Aucun argument ne permet de prouver cette affirmation.
L’histoire de Saint-Jean est documentée depuis le 15e siècle. Saint-Jean de l’Ermitage en Campénéac est mentionné pour la première fois en 1467 en tant que dépendance de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort. La métairie et sa chapelle sont aliénées aux seigneurs de Trécesson en 1568. Reconstruite au 17e siècle, la chapelle est achetée par Nicolas Bourelle de Sivry en 1793, puis utilisée comme grange au cours du 19e siècle. Classée monument historique en 1946, la chapelle et son ancienne métairie sont aujourd’hui propriété privée interdite au public.
1960-2024 — Une chapelle dite templière
Depuis les années 1960 et malgré l’absence de preuves, de nombreux auteurs - parmi lesquels les Monuments historiques - mentionnent la chapelle Saint-Jean comme étant d’origine templière.
Chapelle qui remonterait au 13e siècle, fondée par les Templiers. En 1312, leurs biens furent attribués aux religieux de l’ordre Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem.
Cet article a pour objet d’examiner les preuves historiques et les arguments utilisés par ces auteurs pour justifier la présence de l’Ordre des Templiers ou de celui des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à la chapelle Saint-Jean de Campénéac.
L’examen des preuves historiques
Le site Templier.net, dédié à la présence templière en France, mentionne une chapelle d’origine templière
à Saint-Jean de Campénéac.
Deux références bibliographiques sont indiquées pour étayer cette présence. La première est une référence au site des Monuments historiques - mentionné ci-dessus - qui ne produit lui-même aucune référence bibliographique. La seconde renvoie à la charte de Conan IV sur les biens attribués aux Templiers.
[...] les Templiers étaient présents à Campénéac, [...] cette localité donc cette chapelle est citée dans la charte de Conan IV sur les biens attribués aux Templiers.
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Cette charte ainsi que tous les documents relatifs aux biens de l’Ordre du Temple et de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem en Bretagne ont fait l’objet d’études approfondies depuis le milieu du 19e siècle jusqu’à nos jours.
Louis Rosenzweig et Anatole de Barthélémy ont les premiers analysé ces chartes et proposé une localisation des toponymes mentionnés.
- — ROSENZWEIG, Louis Théophile, « Ordres religieux-militaires du Temple et de l’Hôpital, leurs établissements et leurs églises observés dans le département du Morbihan », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, Vol. 5, 1861, p. 54-60, Voir en ligne. —
- — BARTHÉLEMY, Anatole de, « Chartes de Conan IV, duc de Bretagne, relatives aux biens de l’Ordre du Temple et de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. », Bibliothèque de l’École des chartes, Vol. 33, 1872, p. 443-454, Voir en ligne. —
En 1902, Guillotin de Corson les a analysées dans un ouvrage qui reste encore aujourd’hui une référence incontournable sur la présence templière en Bretagne.
- — GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, Les templiers en Bretagne et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, 2011, Yoran Embanner, 1902, 346 p. —
Plus récemment, François Colin a publié une étude sur l’analyse de ces chartes médiévales 1.
- — COLIN, François, « Quand l’historien doit faire confiance à des faux : les chartes confirmatives de Conan iv, duc de Bretagne, aux Templiers et aux Hospitaliers », Varia, Vol. 115 / 3, 2008, p. 33-56, Voir en ligne. —
Il ressort de l’étude de ces documents que la paroisse de Campénéac ou la chapelle Saint-Jean de l’Ermitage, n’ont jamais été mentionnées dans les biens de l’Ordre du Temple ou dans ceux de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem.
La croix de Malte de l’autel
Selon les Monuments Historiques, la chapelle Saint-Jean a été très remaniée au 17e siècle
.— DUCOURET, Jean-Pierre, « Chapelle Saint-Jean (Campénéac) », 2000, Voir en ligne. —
Son retable comprend un autel du 17e siècle sur lequel est représentée une croix de Malte, symbole de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
Le plus ancien document attestant de l’existence de cette croix est une photographie datée de 1973 2, appartenant au dossier des Monuments Historiques sur la chapelle.
En 2003, Christian Boulay est le premier auteur à la mentionner, frappée au bas-relief de l’autel
. S’appuyant sur sa présence, il écrit que la chapelle a appartenu à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et avant eux à celle des Templiers.
C’est en 1160 que les Templiers obtinrent confirmation de toutes les possessions qu’ils avaient reçues en Armorique et donc en Poutrecouët au moyen de la charte établie par la grace de monseigneur le duc de Bretagne (messire Conan le 4e). Mais c’est en 1312, par décision du concile de Vienne-en-Dauphinois, que tous les biens - surtout immobiliers - des malheureux frères de l’Ordre du Temple seront dévolus à l’Ordre voisin des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, ce que confirmerait la présence de la croix de Malte « d’argent » (le blanc héraldique à cette époque) frappée au bas-relief de l’autel et visible encore dans la chapelle. Cette croix a été attribuée à tort aux Templiers, qui portaient, eux, la croix pattée de Gueules (le rouge médiéval). De là vient l’attribution erronée de la chapelle aux seuls Hospitaliers qui n’en furent que les dépositaires, les Templiers en ayant été spoliés.
Pourtant cette mention de la Croix de Malte sur l’autel interroge. Pourquoi n’a-t-elle été mentionnée qu’en 2003 alors que deux auteurs ont décrit la chapelle avant cette date sans jamais l’évoquer.
- En 1922, l’abbé David - recteur de Campénéac de 1912 à 1923 - décrit le mobilier de la chapelle Saint-Jean sans mentionner la présence de la croix de Malte.
- En 1956 l’abbé Gillard donne une description détaillée des symboles ornant l’intérieur de la chapelle dans son ouvrage Symbolisme et Mystique des Nombres en Brocéliande. À cette occasion, il décrit le chevet, le tabernacle et les statues, mais ne mentionne pas la croix de Malte. — GILLARD, abbé Henri, Symbolisme et Mystique des Nombres en Brocéliande, Ploërmel, Éditions du Ploërmelais, 1956, 90 p., (« Le recteur de Tréhorenteuc »), Voir en ligne. [pages 88-89] —
Il parait difficile d’imaginer que le recteur de Tréhorenteuc ait omis de signaler la présence d’une croix symbolisant l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean dans un ouvrage consacré à la symbolique chrétienne alors même qu’il évoque leur présence à Néant-sur-Yvel dans un opuscule daté de 1955 3.— GILLARD, abbé Henri, Néant-sur-Yvel, Vol. 6, 1955, Josselin, Abbé Rouxel, 1980, 48 p., (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »). —
Par ailleurs, aucune photographie antérieure à 1973 ne permet d’identifier la croix sur l’autel. L’intérieur de la chapelle Saint-Jean est bien visible sur une carte postale datée du début du 20e siècle, malheureusement, le tombeau de Nicolas Bourelle de Sivry - non encore déplacé 4 - masque le bas de l’autel et la présence de l’hypothétique croix de Malte à cette époque.
Deux hypothèses expliquant la présence de cette croix sur l’autel du 17e siècle de la chapelle Saint-Jean sont donc possibles :
- La croix de Malte a été réalisée au 17e siècle en souvenir d’une présence Hospitalière à Saint-Jean, présence sur laquelle nous ne possédons aucune mention 5.
- La croix de Malte a été réalisée entre 1960 - première mention de la présence de templiers - et 1973, pour symboliser la présence supposée des Hospitaliers à Saint-Jean, hypothèse la plus vraisemblable.
Malgré l’absence d’éléments permettant de dater sa réalisation avec précision, la figuration de cette croix dans la chapelle demeure le principal argument accréditant l’hypothèse d’une présence hospitalière à Saint-Jean.
L’aliénation de 1568
Un second argument, négligé par les auteurs qui se sont intéressés à la chapelle, permet d’envisager l’hypothèse d’un rattachement de Saint-jean de Campénéac à l’ordre des Hospitaliers.
La chapelle Saint-Jean et sa métairie sont aliénées en 1568 en faveur du seigneur de Trécesson. Cette aliénation est approuvée par un édit du roi Charles IX daté de 1568.
Cette approbation est stipulée dans les déclarations faites par Gilles de Trécesson les 13 août 1679 et 31 mai 1680 au domaine Royal de Ploërmel. La terre noble de Saint-Jean est dite comprendre :
La maison et métairie de Saint-Jean de l’Hermitage ; bâtie de murs en pierres et couverte en ardoises, cour, jardin, four, pré ; Chapelle dédiée à Monsieur Saint-Jean Baptiste, contenant 54 pieds de long ; au derrière de laquelle est un Hermitage ; consistant en un petit corps de logis avec cour et jardin au midi ; environ 28 journaux de terres et landes ; fief et tenue, droits de haute basse et moyenne justice, droits de foires au dit lieu de Saint-Jean de l’Hermitage, concédés à feu messire Prégent de Trécesson, au jour des fêtes de Saint Jean Baptiste et de Saint Jean l’Évangéliste, par lettres patentes du Roi Charles, roi de France, données à Orléans au mois de novembre 1568
Saint-Jean de l’Hermitage est concédé par le roi Charles IX (1560 à 1574) à Prégent de Trécesson 6. Or, en 1565, François Bonnard des Marais, commandeur du Temple de la Guerche dont dépendait la mouvance de Montfort aliène des biens hospitaliers dans sa commanderie.
Ce commandeur, chevalier de Saint Jean de Jérusalem, se trouvait en 1564 à son manoir du Temple de la Guerche lorsqu’on taxa, par ordre du roi, les bénéficiers ecclésiastiques, ce qui l’obligea l’année suivante à faire quelques aliénations dans sa commanderie qu’il conserva jusqu’en 1588.
Cette correspondance de date permet de poser l’hypothèse selon laquelle Saint-Jean de Campénéac aurait pu être une possession hospitalière avant sa potentielle aliénation par le commandeur de la Guerche entre 1565 et 1568.
Cette hypothèse pose cependant question. Si Saint-Jean de Campénéac a appartenu aux hospitaliers jusqu’en 1565, pourquoi sa métairie de l’ermitage est-elle une dépendance de l’abbé de Montfort un siècle plus tôt, en 1467 ?
Un ermitage templier ?
Les possessions des Templiers en Bretagne ont pour objet de dégager des excédents permettant de financer la présence templière en Terre Sainte. Dans cette idée, l’ordre du Temple recherche en priorité les biens les plus rentables comme les fours ou moulins.
Il n’est donc pas dans les usages templiers de fonder un lieu de retraite monastique ou d’ermitage.
C’est pourtant sous cette appellation que Saint-Jean apparait dans l’Histoire. L’article 4 de la charte des Usements et des coutumes de la forêt de Brécilien de 1467, mentionne la métairie de l’Ermitage
comme appartenant à l’abbé augustinien de Montfort.
L’abbé de Monfort, pour sa métairie de l’Ermitage, située dans la paroisse de Campénéac (Quempeneac), a un droit d’usage consistant en ce que son valet domicilié dans cette métairie, peut tenir ses bêtes de toute nature en paisson et pâturage au quartier de la Haute-Forêt, mais pas ailleurs, sans être tenu de les inscrire et sans rien payer, pourvu que le bétail appartienne à l’abbé et soit conduit par ses valets ; car l’abbé ne peut envoyer dans la forêt de métayer partiaire. Si les officiers de la forêt y trouvent le bétail d’un métayer à moitié ou à part quelconque, sans qu’il ait été inscrit et que l’assens ait été payé, comme le font les autres habitants de la forêt, ils ont le droit de le prendre et de le confisquer au profit de Monseigneur, selon la coutume de la forêt. Les officiers peuvent forcer le valet de l’abbé ou son métayer domicilié en la métairie à jurer sous la foi du serment s’il est réellement valet ou bien métayer ayant part au bétail de la métairie.
L’abbé, s’il demeure en ce lieu ou son valet qui y demeure, en son absence, peut prendre à chevaux et à charrettes pour son chauffage du bois tombé (chéast) sur feuille (feille) autant qu’il lui en faudra, mais non d’autre bois. Si l’abbé veut construire en cette métairie ou s’il lui faut du bois pour la clôture de ses terres, il peut en abattre sur pied, pourvu qu’il soit présent de sa personne ou représenté par un des ses religieux à ce commis par lettres spéciales. Il ne peut se servir d’aucune autre manière.
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Un toponyme lié aux Templiers ?
Le toponyme Saint-Jean a fréquemment été utilisé par l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem pour nommer une de leur possession. L’utilisation de ce toponyme est selon certains la preuve de son appartenance aux Templiers ou aux Hospitaliers.
[...] le nom de la chapelle ne laisse aucun doute sur l’héritage des Templiers donné aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem [...]
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Pourtant, le vocable de Saint-Jean donné à une chapelle n’est pas l’apanage des Hospitaliers. D’autres ordres, notamment les bénédictins, ont donné le nom de saint Jean à une paroisse ou un édifice religieux. Citons deux exemples locaux :
- Les bénédictins de l’abbaye de Saint-Méen - initialement Saint-Jean de Gaël - ont par exemple dédié à Saint-Jean Baptiste une paroisse de Saint-Méen.
- Une chapelle de Saint-Malon est dédiée à saint Jouan sans qu’aucune tradition ne la rattache aux Templiers ou aux Hospitaliers.
Par ailleurs, le vocable de Saint-Jean est peu usité par les Templiers qui lui préfèrent les appellations de « Temple », « Commanderie », ou « Chevalerie ». — JOSSERAND, Philippe, Les templiers en Bretagne, Editions Jean-Paul Gisserot, 2011, 32 p., (« Patrimoine Culturel Gisserot »). —
Une architecture templière ?
Selon Jean Markale, la chapelle Saint-Jean garde quelques caractéristiques de l’architecture templière.
— MARKALE, Jean, Guide spirituel de la forêt de Brocéliande, Monaco, Éditions du Rocher, 1996.
[pages 31-34] —
Cette affirmation est pourtant sujette à caution. Aucune étude de l’architecture religieuse bretonne de l’Ordre du Temple ou des Hospitaliers n’a pu être réalisée en raison d’un corpus trop limité pour pouvoir être significatif.
Qui sait que Michèle Boccard-Billon, il y a dix ans, a interrompu un projet de recherche sur l’architecture de l’Hôpital dans le duché, par manque de témoins archivistiques et monumentaux suffisants, devrait s’en étonner, le Temple étant aussi pauvrement doté que son homologue.
Quant à Christian Boulay, il écrit en 2003 que Ce petit ensemble architectural monacal et militaire composé de quelques bâtiments sommairement fortifiés rassemblait fin 13e, début 14e siècle, une garnison réduite, dépendant hiérarchiquement du précepteur local.
— F.F.R.P., Topoguide FFRandonnée ; Brocéliande à pied, Paris, F.F.R.P., 2003.
[pages 90-91] —
Là encore, la possibilité de rattacher l’ermitage Saint-Jean à un ensemble architectural monacal et militaire
se heurte à l’absence d’éléments comparatifs.
Si le bâti religieux hérité des Templiers en Bretagne apparait modeste, les traces de leur édifices militaires et civils sont encore bien plus maigres.
Des traditions populaires liées aux Templiers ?
L’absence d’éléments historiques n’est cependant pas la preuve que les Templiers ou les Hospitaliers de Saint-Jean n’ont jamais possédé Saint-Jean de Campénéac.
L’existence de légendes ou de traditions populaires attachées à une chapelle ou à une localité sont un des principaux indices retenus par les historiens pour argumenter en faveur de l’hypothèse d’une présence templière 7. — JOSSERAND, Philippe, Les templiers en Bretagne, Editions Jean-Paul Gisserot, 2011, 32 p., (« Patrimoine Culturel Gisserot »). —
En 1902, Guillotin de Corson entreprend de les réunir dans l’épilogue de son ouvrage consacré aux Templiers en Bretagne. Aucune mention de Saint-Jean en Campénéac n’y est relevée.— GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, Les templiers en Bretagne et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, 2011, Yoran Embanner, 1902, 346 p. [pages 298-331] —
La plus ancienne mention d’une « tradition » associant Saint-Jean de Campénéac aux Templiers ne date que des années 1960. Elle apparait dans un guide touristique publié par le Syndicat d’Initiative et Groupement Touristique Intercommunal de Brocéliande indiquant sans autres précisions que cette chapelle est dite des Templiers.
— S.I.G.T.I.B., Forêt de Brocéliande, Paimpont, 1960, 79 p.
[page 59] —
Cette référence aux Templiers est dès lors systématiquement reprise dans les guides touristiques et les ouvrages consacrés à la forêt de Paimpont.