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1960

La toile d’araignée miraculeuse

Un conte d’Henri Thébault

« La toile d’araignée miraculeuse », publié par Henri Thébault en 1960, est un conte reprenant l’histoire de l’abbé Masson, prêtre réfractaire de Mauron durant la Révolution.

« La toile d’araignée miraculeuse » est un conte écrit par Henri Thébault durant l’hiver 1960. Il est publié pour la première fois dans un recueil de contes illustré par Robert Guichard. —  THÉBAULT, Henri, Contes Folkloriques de France - Bretagne, Vol. 1, Angoulême, Rachelier, 1960, Voir en ligne. —

Dix ans plus tard, Henri Thébault, alors maire de Mauron et conseiller général, le fait paraitre dans un supplément au bulletin municipal de Mauron. —  THÉBAULT, Henri, « Contes & légendes de Brocéliande & du Porhoët », 30 jours en Brocéliande, Supplément juillet-août, 1971, Voir en ligne. —

La transposition en conte de l’histoire de l’abbé Masson

Henri Thébault reprend dans ce conte l’histoire de l’abbé Masson de Mauron, prêtre réfractaire qui, en 1797, s’était caché dans l’arbre creux du « Château-Gris », pour échapper aux soldats républicains.

La version originale de cette histoire provient des notes de l’abbé Ange David 1, écrites entre 1897 et 1912. On peut y lire la mésaventure d’un prêtre de Mauron, Joachim Masson 2, qui refuse de prêter serment à la constitution civile du clergé. Il émigre quelque temps puis revient clandestinement dans sa paroisse pour y administrer les sacrements.

Un dimanche de septembre 1797, Monsieur Masson disait la messe dans la maison des Coutard (près du presbytère) en l’absence des militaires à Mauron. Il était environ 11 heures. Les portes étaient closes. [...] un bruit sourd encore lointain se fit entendre distinctement. Il jeta l’épouvante dans l’âme des assistants. Effectivement c’était le bruit du tambour, c’était l’arrivée d’un détachement républicain, c’était des soldats transformés par ordre en tigres affamés de prêtres. [...] Monsieur Olive qui était présent, sort et va, revêtu de sa charge municipale, au devant du détachement envoyé de Ploërmel. D’abord, il le détourna de la grande route [...] pour l’éloigner de la maison des Coutard [...] Monsieur Masson eut le temps de finir sa messe et de se sauver par les grands prés avant que les soldats eussent été envoyés par le bourg à la recherche de leur logement. [...] Il était sauvé croyait-on, quand tout à coup l’agitation renaît, en apprenant avec consternation qu’une brebis galeuse s’est trouvée dans le troupeau et que la messe a été dénoncée. On vit en effet, un instant après, les soldats courir en tumulte et se rendre dans la maison qui conservait encore les traces de la récente célébration. [...] ils ordonnèrent la chasse aux prêtres. Immédiatement les soldats se dispersèrent, une douzaine prirent la direction des grands prés [...]
Monsieur Masson avait traversé, ayant de l’eau jusqu’aux hanches, la petite rivière des Prés Bretons en se dirigeant au pas de course vers la grande métairie de Lourme. Au centre d’une des prairies de cette ferme, se trouvait un chêne gigantesque appelé le « Roi des Chênes » : il avait 8 mètres de circonférence. Il était creux et avait au pied une grande ouverture en forme de porte ogivale. Monsieur Masson s’y précipita pour s’en faire un refuge au moins jusqu’à la nuit. Mais il n’était pas facile de s’y installer à l’aise. Le prisonnier ne tarda pas à ressentir la fatigue de sa position… Il songeait à descendre et à se rendre à la ferme réclamer une cachette plus commode quand il lui sembla avoir entendu un bruit encore éloigné de voix humaines… Il écoute… Le bruit se confirme et se rapproche. Bientôt il a la certitude d’une marche précipitée de quelques soldats. Cependant a-t-il dit depuis, je priais. Je remettais ma vie entre les mains de Dieu [...] La prière lui rendit le calme et le courage. Sans faire un mouvement, il attendait et reprenait confiance. Au bout d’un instant, deux soldats passant au pied du formidable chêne, s’extasiaient sur son énorme grosseur en en faisant le tour. « Cornulier, dit l’un, il pourrait bien s’être caché dedans, il est assez gros pour en contenir cinquante ! Mais non, il y a une toile d’araignée qui prend toute l’ouverture dit l’autre, il l’aurait brisée. Ne perdons pas de temps, camarade, et filons à la métairie, il est sûrement là. » En effet, une toile d’araignée embrassant toute l’ouverture de la cavité du chêne, s’était formée en moins de deux heures et c’est à cette seule circonstance que ce pauvre et saint prêtre dut de n’être pas pris et fusillé probablement.

DAVID, Abbé Ange, « Chapitre sixième - Les prêtres », in Notes sur Mauron recueillies par l’abbé Ange David, vicaire de la paroisse, Mauron, inédit, 1897, p. 61-155, Voir en ligne.

La version intégrale de 1960 du conte d’Henri Thébault

Le pays de Mauron fut très divisé pendant la Révolution Française. Il l’est demeuré. Les deux clans, les Chouans et les Républicains, se font encore la guerre... au moment des campagnes électorales. Mon père n’a jamais manqué une occasion d’affirmer sa fidélité à la chouannerie : « Je suis un chouan et un chouan pommé », aimait-il à répéter. Il emploie fréquemment cet original qualificatif. Le « pommé » est un vrai chou. Les autres ne sont bons que pour les animaux. Un chouan pommé, dans la bouche de mon père c’était donc un chouan pur, sincère, authentique quoi !

Le Catholique que je suis croit à l’hérédité parce que, pour lui, le péché originel n’est pas une invention des théologiens. Mes aïeux ont été chouans. Jean Thébault hulula avec les hommes de Cadoudal. Il mourut fusillé par les bleus 3 sur la place de l’église. Sa foi et son option furent celles de ses enfants et de ses petits-enfants. Je suis le dernier, mais j’entends demeurer fidèle... 4

Voici comment mon arrière-grand-père sauva un prêtre non-jureur, l’abbé Masson et comment un mien parent du « Château-Gris » fut le témoin du miracle de la « toile d’araignée ». L’abbé Masson était un Mauronnais. Son père exerça, sous le régime du Bien-Aimé 5, le métier de cordier, métier qui ne lui attirait ni sympathie, ni amis : les fileurs de chanvre ont toujours été peu considérés. Cela vient probablement de ce que pendant des siècles, la confection des cordes fut le privilège exclusif des lépreux.

Peu considéré,
Riche en deniers
C’est le cordier

Ses deniers furent consacrés à l’instruction de Jean qui fit ses études au séminaire de Saint-Méen. « Intelligence moyenne, mais piété exemplaire » écrivait de lui son supérieur au Vicaire Général de Rennes.

Notre abbé fut donc ordonné et revint à Mauron exercer dans son village de Trévaye le métier de son père. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Avant la Révolution, la France avait ses prêtres ouvriers ou plutôt prêtres-artisans. Et l’on ne saura jamais la fécondité de leur apostolat. Quand il fallut prêter le serment sacrilège, l’abbé Masson refusa. Il prit alors l’habit de valet... mais il garda pure comme le cristal son âme de prêtre...

Les bleus vinrent cantonner à Mauron. Bien accueillis par les uns, secrètement haïs par les autres, ils firent tout de même figure d’occupants. Le sergent Latour terrorisait la population. C’était un sans-culotte, un vrai, un assoiffé du sang des aristocrates et des curés, un serviteur zélé de la Convention, un adorateur fervent de la déesse Raison. Il voyait le Chouan et le Réfractaire partout.

Un jour que le valet Masson déambulait dans la rue des Halles - il venait d’administrer les derniers sacrements à une vieille Mauronnaise - Latour, le sergent, l’aborda :

— « Citoyen, je trouve que tu as les mains bien blanches pour un valet. Ne serais-tu pas une de ces vermines à Louis Capet 6 ? »

Notre abbé fit l’idiot :

— « J’ai soif, citoyen Sergent, ânonna-t-il. »

À ce moment, il reçut dans le postérieur un formidable coup de sabot :

— « Fainéant ! hurla Jean Thébault, mon trisaïeul, je te prends encore à vouloir extorquer le vin des vaillants soldats de la République. Soldats, ajouta-t-il en se tournant vers Latour et ses amis, enrôlez-le dans votre armée. Envoyez-le se battre contre les brigands et qu’il y laisse sa peau. La nation ne perdra ni un travailleur, ni un savant. »

Un deuxième coup de pied vint ponctuer l’affirmation finale. Les bleus laissèrent partir le maitre et le valet. Ce dernier glissa dans l’oreille de son patron :

— « Jean, tu as porté le pied sur un prêtre. Sais-tu que tu risques d’être excommunié... Mais je préfère t’embrasser, graine de bon monde...! »

L’abbé Masson passa toujours à travers les mailles du filet des Républicains. « Notre-Dame de Paimpont me protège », disait-il en joignant ses grosses mains de cordier. Elle tissa même pour lui la Vierge de Brocéliande, une miraculeuse toile ; on dirait aujourd’hui, une toile de « camouflage ».

C’était un 15 août. L’abbé célébrait la messe chez les Gendraud du Château-Gris. Encore des Aïeux ! Ma grand-mère maternelle était leur petite-fille. Soudain ils entendirent des pas précipités venant de la cour.

— « Sauvez vous, monsieur Masson ! cria une voix de femme. On vous a vendu, voilà les bleus ! »

Le prêtre consomma les saintes Hosties. Les femmes eurent tôt fait de disperser aux quatre coins de la pièce les objets du culte... et Gendraud sortit avec le prêtre par la porte du courtil.

Il était temps. Les crosses des fusils heurtaient déjà la porte de « devant ». Les bleus fouillèrent la maison. Grenier, étables, celliers, armoires et barriques, tout fut sondé... mais en vain. Les oiseaux du Bon Dieu s’étaient envolés !
Mais Latour, toujours lui, avisa la sortie sur le courtil :

— « Il s’est sauvé par là, hurla-t-il. »

Sabre au clair, il s’élança à travers champs suivi de ses hommes.
Gendraud les entendit :

— « Vite, conseilla-t-il à l’abbé, cachez vous dans ce têtard. »

On nomme ainsi les gros chênes creux destinés à fournir du bois de fagot.
Ainsi fut-il fait. Les bleus ne tardèrent pas à apercevoir Gendraud qui remontait paisiblement vers sa demeure.

— « N’as-tu pas vu le curé ? lui demanda-t-on. »
— « Je n’ai rien vu du tout... »

La troupe essoufflée s’arrêta devant le vieux chêne. Le cœur du paysan se mit à battre bien fort.

— « S’il se cachait dans ce têtard ? » observa un des soldats.
Le sergent s’approcha, mais il vit une grande toile d’araignée barrant l’orifice béant...
— « L’araignée a tissé son piège, il ne peut être là. »
Et les bleus partirent...

Les Mauronnais affirment qu’il n’y eut pas d’araignée, mais que Notre-Dame de Paimpont qui tissa si bien les langes de l’Enfant Jésus, descend sur la terre pour se substituer à l’araignée du vieux chêne...

Illustration pour La toile d’araignée miraculeuse
—  THÉBAULT, Henri, Contes Folkloriques de France - Bretagne, Vol. 1, Angoulême, Rachelier, 1960, Voir en ligne.
[page 45] —
Robert Guichard

L’histoire de l’abbé Masson transposée à Concoret

Le chêne creux du « Château-Gris » de l’abbé Masson n’existe plus. Au début des années 1980, l’histoire de l’abbé Masson et celle de l’abbé Guillotin de Concoret commencent à être associées.

Ce fut dit-on, l’une des cachettes de l’abbé Guillotin, prêtre réfractaire réfugié à partir de 1791 dans son pays natal […] Souvent inquiété, jamais pris, on peut l’imaginer aux Rues Éon comme cet autre prêtre du pays de Mauron, traqué par l’armée républicaine. Sabre au clair, les bleus s’élancent dans les champs à la poursuite du prêtre. C’est alors que celui-ci trouve refuge dans un arbre creux. La troupe essoufflée s’arrête devant le vieil arbre, mais une toile d’araignée intacte barre l’orifice béant […] On dit que Notre-Dame de Paimpont serait descendue pour se substituer à l’araignée du vieux chêne.

En 1990, le conte d’Henri Thébault fait l’objet d’une nouvelle édition. —  ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993. [pages 67-68] —.

Elle est suivie d’une seconde édition en 1999, dans laquelle l’histoire de la La toile d’araignée miraculeuse, restée jusqu’alors confidentielle, touche un plus large public. La préface établit un lien entre le conte d’Henri Thébault et l’histoire du Chêne à Guillotin.

L’aventure qui arrive à l’abbé Masson n’est pas sans rappeler celle de l’abbé Guillotin de Concoret : en 1791, ce prêtre réfractaire s’était réfugié à Concoret, son pays natal. Pour échapper aux bleus (les Républicains) qui le traquaient, il s’est réfugié dans une chêne creux situé aux Rues Éon. Quand ses poursuivants passèrent devant l’arbre, une araignée, inspirée dit-on par Notre-Dame de Paimpont, avait tissé sa toile afin de masquer l’entrée de la cachette. Les troupes abandonnèrent les recherches. Depuis cet évènement, le chêne creux a pris le nom de "Chêne à Guillotin".

Désormais, le conte de « la toile d’araignée miraculeuse », devenu légende, est transposé à un autre chêne, « le chêne des Rues Eon », et à un autre prêtre réfractaire, l’abbé Guillotin.


Bibliographie

CARREFOUR DE TRÉCÉLIEN, Contes et légendes de Brocéliande, Terre de Brume, 1999.

EALET, Jacky, « Les seigneurs de la forêt », Le Châtenay - Journal de l’Association des Amis du Moulin du Châtenay, Mai, 1984, p. 9-12, Voir en ligne.

ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993.

THÉBAULT, Henri, Contes Folkloriques de France - Bretagne, Vol. 1, Angoulême, Rachelier, 1960, Voir en ligne.

THÉBAULT, Henri, « Contes & légendes de Brocéliande & du Porhoët », 30 jours en Brocéliande, Supplément juillet-août, 1971, Voir en ligne.


↑ 1 • Ange David est né à Questembert le 18/10/1864. Aumônier des Sœurs Augustines de Malestroit à la fin de sa vie, il meurt le 04/03/1926.

↑ 2 • Joachim Masson (1753-1825), est né à Cataha, village de la commune de Mauron

↑ 3 • Les Bleus sont les soldats républicains.

↑ 4 • Henri Thébault a modifié l’introduction au conte dans l’édition de 1971 parue dans un supplément du bulletin municipal, l’expurgeant de sa profession de foi en faveur des chouans.

Le pays de Mauron fut très divisé pendant la Révolution Française.
Il l’est demeuré. Les deux clans, les Chouans et les Républicains, se font encore la guerre... au moment des campagnes électorales.
Mon père, le Père Léon, ne manquait jamais une occasion d’affirmer sa fidélité à la chouannerie :« Je suis un chouan et un chouan pommé », aimait-il à répéter. Il employait fréquemment cet original qualificatif. Le « pommé » est un vrai chou. Les autres ne sont bons que pour les animaux. Un chouan pommé, dans la bouche de mon père c’était donc un chouan pur, sincère, authentique quoi !

THÉBAULT, Henri, « Contes & légendes de Brocéliande & du Porhoët », 30 jours en Brocéliande, Supplément juillet-août, 1971, Voir en ligne.

↑ 5 • « Le Bien-Aimé » est le sobriquet de Louis XV.

↑ 6 • Capet est le nom des Capétiens, dont Louis XVI, de la branche des Bourbons.