15e siècle
Le bras-reliquaire de saint Judicaël
Les reliques d’un roi saint à l’abbaye de Paimpont
Le bras-reliquaire de saint Judicaël est une pièce d’orfèvrerie datée du 15e siècle, aujourd’hui conservée dans la sacristie de l’église de Paimpont. Selon une tradition mentionnée au début du 20e siècle, il aurait été offert par le duc François II et sa seconde épouse Marguerite de Foix vers 1474.
Nous proposons une autre hypothèse, celle d’une donation à l’abbaye de Paimpont par le duc Jean V et l’abbé Olivier Guiho, dans les premières décennies du 15e siècle.
Historique du bras-reliquaire de Paimpont
Un bras-reliquaire de saint Judicaël, pièce majeure de l’orfèvrerie gothique de haute Bretagne
, est aujourd’hui conservé dans la sacristie de l’église de Paimpont.
Il est composé d’un fragment d’os de bras reposant à l’intérieur d’une châsse polyédrique en bois, recouverte d’argent ciselé et de pierres semi-précieuses. Le fragment d’os est visible à travers une petite fenêtre de verre rectangulaire. Cette partie du reliquaire prend la forme d’une manche. Elle est surmontée d’une main tenant un livre.
Le bras-reliquaire de saint Judicaël est mentionné pour la première fois à Paimpont lors de l’inventaire municipal du 20 mars 1790. Il est cité dans les pièces d’orfèvrerie de la sacristie de l’abbaye Notre-Dame de Paimpont. — Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 Q 850. —
Selon une tradition mentionnée par l’abbé Gervy en 1907, le reliquaire aurait souffert durant la période révolutionnaire.
Il n’a pas été épargné par les vandales de 93, qui, tout en respectant la relique, ont enlevé l’or et les pierres précieuses du cadeau royal.
Un constat réalisé le 12 juillet 1811 par Berthault et Graffart, vicaires généraux du diocèse de Rennes, en donne la plus ancienne description détaillée, selon laquelle de temps immémorial, [il] a été exposé à la vénération publique dans la dite paroisse, sous le nom de relique de saint Judicaël
.
Nous, vicaires généraux du diocèse de Rennes, ayant reçu de M. Bigot, curé de la paroisse de Paimpont, en notre diocèse, un reliquaire en forme de bras contenant un ossement qui, de temps immémorial, a été exposé à la vénération publique dans la dite paroisse, sous le nom de relique de saint Judicaël, avons fait la vérification dudit sépulcre, que nous avons trouvé sans sceau, sans garde et sans authentique. Après en avoir fait l’ouverture, nous y avons trouvé un os de bras déposé sur un morceau d’étoffe de soie cramoisie ; cet os a été enchâssé dans un morceau de bois revêtu de lames d’argent, de manière qu’il nous a paru constant que la relique n’a pu être extraite de la châsse depuis qu’elle y fut déposée, sans une fracture du bois qui la renferme et du revêtement qui la couvre, fracture dont nous n’avons pu trouver aucun signe ni indice. Ce considéré, nous avons reconnu la relique dite de saint Judicaël comme authentique et avons fait fermer l’entrée du sépulcre d’un châssis d’argent, long d’environ cinq pouces et large de deux pouces six lignes, dans lequel est inséré un verre au milieu duquel est appliqué un carton portant le sceau de Monseigneur, qui y est apposé sur les deux extrémités d’un cordon de soye de couleur noire, qui fait aussi la ceinture de la relique. En conséquence, nous permettons à M. le curé de Paimpont d’exposer à la vénération des fidèles le précieux reste du corps de saint Judicaël. Donné à Rennes, le 12e jour de juillet 1811. Berthault, vic. gén. Graffart, vic. gén.
Il fait l’objet d’une importante restauration au début du 20e siècle par l’atelier Evellin de Rennes - Plusieurs plaques d’argent ont été remplacées ; les pierres sont modernes.
. Il est classé aux Monuments historiques le 22 décembre 1906.— RIOULT, Jean-Jacques, « Bras-reliquaire de saint Judicaël », Rennes, Association pour l’Inventaire Bretagne, 2002, Voir en ligne. —
Le bras-reliquaire est expertisé lors de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France réalisé à Paimpont en mars 1982. Yves-Pascal Castel rédige, pour les Monuments historiques, la notice qui lui est consacrée. — CASTEL, Yves-Pascal, « Bras reliquaire de l’église paroissiale de Paimpont », Monuments Historiques, 1982, Voir en ligne. —
En 1994, une nouvelle expertise est réalisée lors de l’Inventaire du patrimoine culturel de Bretagne par Jean-Jacques Rioult de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Bretagne.— RIOULT, Jean-Jacques, « Bras-reliquaire de saint Judicaël », Rennes, Association pour l’Inventaire Bretagne, 2002, Voir en ligne. —
Première hypothèse — Une donation par François II et Marguerite de Foix
En l’absence de document d’archives antérieur à 1790, l’origine et la datation du bras-reliquaire restent hypothétiques. En 1907, l’abbé Gervy mentionne pour la première fois une « tradition » évoquant une donation ducale dans la deuxième moitié du 15e siècle.
La tradition en fait un don de la duchesse Marguerite de Bretagne, épouse de François II.
Marguerite de Bretagne, née en 1443, est la fille aînée du duc François Ier de Bretagne et de sa seconde épouse, Isabelle d’Écosse. Elle devient duchesse de Bretagne en se mariant à François II en 1458. Elle meurt le 25 septembre 1469. Selon la tradition mentionnée par l’abbé Gervy, le bras-reliquaire aurait été offert entre 1458 et 1469.
En mars 1982, Yves-Pascal Castel écrit dans sa notice sur le bras-reliquaire que la pièce d’orfèvrerie est une commande ducale réalisée vers 1453
. Il précise que la datation est en relation avec une donation de Marguerite de Foix, femme d’Henri [en réalité François] II.
— CASTEL, Yves-Pascal, « Bras reliquaire de l’église paroissiale de Paimpont », Monuments Historiques, 1982, Voir en ligne. —
Il est à noter que Marguerite de Bretagne, donatrice mentionnée par l’abbé Gervy, est devenue - dans la notice d’Yves-Pascal Castel - Marguerite de Foix (1458-1486), seconde épouse de François II. Dans ce cas de figure, le bras-reliquaire aurait été offert entre 1471, date de son mariage avec François II et 1486 date de sa mort. Or, Yves-Pascal Castel avance la date de 1453 sans donner de plus amples explications.
En 1994, Jean-Jacques Rioult écrit que ce bras-reliquaire aurait été offert par le duc François II et sa seconde épouse Marguerite de Foix vers 1474. Il appuie son argumentation sur :
- premièrement, l’analyse stylistique du reliquaire.
La rigidité de la manche rappelle les œuvres du XIVe siècle mais le traitement décoratif des rinceaux fleuris ainsi que la découpe en targe de l´écu armorié situent sans conteste l´objet dans la deuxième moitié du XVe siècle. La représentation du livre reproduit fidèlement un modèle de fermoir à deux courroies de cuir venant fermer celui-ci sur le milieu du plat extérieur par deux boutons plats orfévrés, modèle en usage entre le XIVe et la deuxième moitié du XVe siècle, plusieurs fois représenté sur les enluminures contemporaines. Seul le décor de ces deux fermoirs est gravé, tout le reste du décor pointillé, aussi bien sur le plat du livre que sur les côtés du bras, est exécuté à l´aide d´un ciselet. L’arrêt brutal du décor ciselé aux angles du plat du livre, indique qu’à l’image de la pierre centrale, les quatre pierres actuellement posées sur un fond uni devaient très probablement se détacher sur un quatrefeuille d’argent doré.
- deuxièmement, l’étude de ses inscriptions.
Sur l’un des côtés du bras, parmi un décor de guirlandes fleuries, figurent les armes des ducs de Bretagne flanquées de part et d´autre de la devise « a ma vie », adoptée par les ducs bretons à partir de Jean IV. La forme de l´écu à échancrure, dite en targe, utilisée à partir du milieu du XVe siècle, se retrouve identique sur les monnaies émises sous les ducs François Ier et François II. Elle corrobore la tradition qui attribue la commande de ce bras-reliquaire au duc François II et à son épouse Marguerite de Foix. Les fleurs de marguerites qui composent l´ensemble du décor constituent une allusion probable au prénom de la duchesse. La devise Utinam, que l´on peut traduire par Plût à Dieu ou Fasse le ciel, incisée sur un des côtés du bas de la manche est peut-être une devise personnelle du duc.
Yves-Pascal Castel puis Jean-Jacques Rioult s’appuient sur l’analyse de l’iconographie de la pièce d’orfèvrerie pour confirmer la tradition faisant de Marguerite de Foix et François II les donateurs du bras-reliquaire.
Tous ces indices concordent pour avancer une datation vers le troisième quart du XVe siècle qui pourrait plus précisément se situer autour de 1474, date du mariage de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix. Le bras-reliquaire de Paimpont pourrait ainsi être un présent offert par le couple princier à l´occasion de son mariage.
Notre étude des inscriptions du bras-reliquaire
Nous reprenons la méthode d’examen de la DRAC mais notre analyse de l’iconographie nous conduit à une conclusion différente.
La devise « a ma vie »
Selon Jean-Jacques Rioult Les armes des ducs de Bretagne [sont] flanquées de part et d’autre de la devise « a ma vie », adoptée par les ducs bretons à partir de Jean IV
.
Pourtant, « a ma vie » est une devise créée en 1381 1 par le duc de Bretagne Jean IV 2. Elle est aussi la devise des membres de l’Ordre de l’Hermine, ordre de chevalerie créé en 1381 par le duc de Bretagne. Elle n’est pas reprise par tous les successeurs de Jean IV. François II n’a jamais utilisé « a ma vie » comme devise personnelle 3. Cette inscription ne constitue pas une preuve que le bras-reliquaire est un don de François II et de son épouse Marguerite de Foix.
L’écu à échancrure dite en targe
Les armes de Bretagne ciselées sur la manche du bras-reliquaire sont constituées d’une targe échancrée à gauche, chargée de sept mouchetures d’hermine posées 2, 3, 2.
Selon Jean-Jacques Rioult, la forme de l´écu à échancrure, dite en targe, utilisée à partir du milieu du XVe siècle, se retrouve identique sur les monnaies émises sous les ducs François Ier et François II. Elle corrobore la tradition qui attribue la commande de ce bras-reliquaire au duc François II et à son épouse Marguerite de Foix.
Pourtant ce type de targe apparait dès 1370, sous le règne de Jean IV (duc de 1365 à 1399), apposé sur le revers d’une pièce de monnaie ducale - Le double à l’hermine passante 4.— COATIVY, Yves, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an mil à 1499, Presses universitaires de Rennes, 2006, Voir en ligne. —
Cette monnaie continue a être frappée à Rennes durant la première partie du règne de Jean V, comme l’attestent les exemplaires découverts en 1846 à Kerezon (29) Planche II 4B
JOHANNES DVX. V, sur quelques exemplaires, et sur d’autres R. Hermine passante, accolée d’une targe ou écu entaillé, [...], chargé de sept mouchetures rangées, 2, 3, et 2.
Le double à l’hermine passante perd sa targe chargée de sept mouchetures à la charnière des années trente et quarante 5
. Cet abandon de la targe est concomitant de la création en 1434 d’une nouvelle monnaie appelée le blanc à targe 6. Cependant, l’écu à targe des blancs n’est pas chargé de sept mouchetures d’hermine mais de huit, posées 3, 2, 3 et non 2, 3, 2. — COATIVY, Yves, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an mil à 1499, Presses universitaires de Rennes, 2006, Voir en ligne. —
La présence d’un écu à targe chargé de sept mouchetures permet donc de dater le bras-reliquaire entre 1370 et 1434. François II (duc de 1458 à 1488) ne peut donc en être le donateur.
Les motifs floraux
D’après ce même document, Les fleurs de marguerites qui composent l’ensemble du décor constituent une allusion probable au prénom de la duchesse.
De nombreux motifs floraux ornent la manche du reliquaire. Une observation attentive montre que les fleurs représentées ne sont pas des marguerites.
Jean-Jacques Rioult précise l’emplacement des motifs floraux faisant référence à la duchesse : petite hermine parmi des fleurs de marguerites.
Les fleurs situées proches de l’hermine - les mêmes que celles ornant les contours de la devise - sont à cinq doubles pétales. Il s’agit de la stellaire holostée (Stellaria holostea) 7 dont le nom latin signifie « étoile entièrement constituée d’os ». Certains noms vernaculaires de la plante - collerette de la Vierge, épingles de la Vierge, faisceau de la Vierge ou Herbe à la Sainte-Vierge - pourraient être une référence à Notre-Dame de Paimpont.
Les fleurs à six pétales représentées sur un des côtés du bras-reliquaire pourraient quant à elles être des jeannettes 8 ou narcisses des poètes (Narcissus poeticus).
La devise « Utinam »
La devise Utinam, que l´on peut traduire par « Plût à Dieu » ou « Fasse le ciel », incisée sur un des côtés du bas de la manche est peut-être une devise personnelle du duc.
— Rioult Jean-Jacques (1994) op. cit. —
L’ inscription « Utina » peut être lue « Utina[m] » 9. Aucun lien n’a jamais été établi entre cette expression souvent usitée au 15e siècle et le duc François II.
En résumé, notre analyse nous permet de remettre en question les arguments et les conclusions d’Yves-Pascal Castel puis de Jean-Jacques Rioult. Leur analyse des inscriptions ne permet pas d’établir de lien entre le bras-reliquaire et le couple ducal François II et Marguerite de Foix.
Le reliquaire et l’abbaye de Saint-Méen
Ce bras-reliquaire provient de l’abbaye de Saint-Méen-le-Grand (Ille-et-Vilaine), dans laquelle il se trouve mentionné en 1646, parmi les objets du trésor, avec le chef-reliquaire de saint Judicaël, associé à son tombeau [...]. A une date inconnue, probablement au début du XIXe siècle, le bras-reliquaire se retrouva dans l’ancienne église abbatiale de Paimpont, dans laquelle il est conservé depuis 10.
Le bras-reliquaire de saint Judicaël, visible depuis le début du 19e siècle 11 à Paimpont, serait celui mentionné en 1646 à l’abbaye de Saint-Méen. Sa description correspond en effet à celle de l’objet aujourd’hui présent à Paimpont. Pour autant, s’agit-il du même objet ? Plusieurs arguments viennent contredire cette hypothèse.
La mention d’un bras-reliquaire à l’abbaye de Saint-Méen au 17e siècle
Le 12 juillet 1640, l’abbaye de Saint-Méen-le-Grand procède à l’ouverture du tombeau de saint Judicaël afin d’en extraire des reliques.
Ces reliques [...] furent retirées [du tombeau de Judicaël à Saint-Méen], le 12 juillet 1640, et renfermées dans un reliquaire d’argent, enrichi de pierres précieuses. Ce reliquaire renfermait le chef de Judicaël et quelques-uns de ses ossemens.
Le reliquaire d’argent mentionné par Miorcec de Kerdanet - annotateur en 1837 d’Albert Le Grand - est décrit en 1646 parmi les objets du trésor de l’abbaye de Saint-Méen-le-Grand 12 13.
Il y a dans l’abbaye de Saint-Méen un beau thrésor où l’on garde le chef, le bras et le calice de saint Méen qui est d’argent, aussi bien que le chef et le bras où sont enchâssés ses reliques... On y voit encore le chef et le bras de saint Judicaël roy de Bretaigne et son corps en une autre châsse. Ce chef et ce bras sont enchâssés dans un chef et un bras d’argent.
L’ouverture du tombeau en 1640 et ses conséquences
Le document d’archives certifie qu’il n’y a pas eu d’ouverture du tombeau avant 1640. Aucune relique de Judicaël provenant de Saint-Méen n’a donc pu être utilisée au 15e siècle pour être enchâssée dans le bras-reliquaire de Paimpont.
- En conséquence, l’os du bras-reliquaire de Paimpont ne peut provenir de l’abbaye de Saint-Méen. Il provient donc de la seule autre abbaye possédant des reliques de Saint Judicaël, l’abbaye Saint-Florent de Saumur (Maine-et-Loire).
Par ailleurs, les reliquaires présentés à Saint-Méen en 1646 ont été réalisés, selon les documents d’archives, suite à l’ouverture du tombeau. Le bras-reliquaire de Judicaël du trésor de Saint-Méen est donc du milieu du 17e siècle. Or, si nous ne connaissons pas la provenance du bras-reliquaire de Paimpont, nous connaissons l’époque de sa fabrication, puisqu’il a été stylistiquement daté du 15e siècle.
- En conséquence, le bras-reliquaire de Judicaël mentionné en 1646 à l’abbaye de Saint-Méen ne peut être celui visible à l’abbaye de Paimpont depuis 1790.
Enfin, Guillotin de Corson mentionne un bras-reliquaire de saint Judicaël dans le trésor de l’abbaye de Saint-Méen en 1791.
En 1791, ces précieuses reliques étaient déposées comme il suit : les chefs de saint Méen, saint Judicaël et saint Austole et une portion du crâne de saint Petreuc, dans quatre bustes d’argent ; - les bras de saint Méen et saint Judicaël dans deux bras d’argent ; - il y avait, en outre, deux autres reliquaires, dont l’un en forme de châsse, contenant l’un et l’autre de nombreux ossements.
- En conséquence, il y a vraisemblablement deux bras-reliquaires, l’un à Paimpont, l’autre à Saint-Méen.
Seconde hypothèse — Une donation par Olivier Guiho et Jean V
Comme nous pensons l’avoir montré, aucun élément iconographique ne permet de prouver que le bras-reliquaire de Judicaël a été offert par Marguerite de Foix et François II en 1474.
Nous disposons d’éléments établis pour avancer une nouvelle hypothèse :
- les reliques proviennent de l’abbaye Saint-Florent de Saumur et non de l’abbaye de Saint-Méen.
- le bras-reliquaire est une commande ducale, comme l’attestent
les armes des ducs de Bretagne flanquées de part et d’autre de la devise « a ma vie »
,
- il a été réalisé entre 1381, date de la création de la devise « A MA VIE » par Jean IV et les années 1430, date à laquelle la targe chargée de sept mouchetures d’hermine - identique à celle du bras-reliquaire - est remplacée par une targe à huit mouchetures d’hermine sur les monnaies ducales émises par Jean V.
À partir d’une nouvelle interprétation de l’iconographie du bras-reliquaire - intégrant ces trois éléments - nous proposons une nouvelle hypothèse :
- Le reliquaire a été offert à l’abbaye de Paimpont durant l’abbatiat d’Olivier Guiho (1407-1452).
En conséquence,
- Jean V (duc de Bretagne de 1399 à 1442) en est le donateur.
Les initiales d’Olivier Guiho sur le bras-reliquaire
Revenons sur l’inscription à la liaison de la manche et de la main, interprétée comme un « M » par Jean-Jacques Rioult et comme des lettres gothiques, O ou M et G (lettres liées)
par Yves-Pascal Castel. Influencé par la tradition faisant de Marguerite de Bretagne la donatrice du reliquaire, ce dernier n’émet aucune hypothèse pour expliquer la présence du « O » et suggère Marguerite (?)
en référence à la seconde épouse du duc François II pour expliquer la présence du « M ».— CASTEL, Yves-Pascal, « Bras reliquaire de l’église paroissiale de Paimpont », Monuments Historiques, 1982, Voir en ligne. —
Nous pensons que l’inscription représente bien un « O » et un « G » et qu’il s’agit d’une référence à Olivier Guiho, abbé de Paimpont de 1407 à 1452. Ce dernier se fait représenter avec son blason et des initiales de facture semblable, au pied d’une statue de Judicaël datée de la première moitié du 15e siècle.
Le livre à fermoir
Il est à noter que sur la statue comme sur le bras-reliquaire, Judicaël tient un livre à fermoir interprétable comme étant l’iconographie habituelle réservée aux fondateurs
.
La main tenant un livre, iconographie habituelle réservée aux fondateurs, fait évidemment référence au fait que ce saint personnage [...] passe pour s´être retiré au monastère de Saint-Jean de Gaël et avoir fondé celui de Paimpont.
La présence d’un livre tenu par un bras-reliquaire, singulière et rare, dénote une intentionnalité. Nous y voyons l’œuvre de l’abbé Olivier Guiho principal instigateur de la tradition faisant de Judicaël le fondateur de la première communauté monastique de Paimpont.
Les armes d’Olivier Guiho associées à celles du duc de Bretagne
Durant la première partie du 15e siècle, l’abbé Guiho trouve auprès de Jean V, duc de Bretagne de 1401 à 1442, un soutien à la reconstruction de l’abbaye de Paimpont.
Oliverius Guiho, insigne personnage et 13e abbé dudict lieu, pendant l’espace de cinquante ans, qui a, de son temps, presque rebasti toute l’abbaye [...] proteste qu’il ne relève prochainement que du Duc de Bretaigne, son souverain seigneur, nonobstant que, pour recognoissance des biens faicts à son abbaye par les seigneurs de Lohéac et Montfort, il ait faict mettre leur armes à la principalle et maistresse pierre de ladicte chaussée, celles du Duc étant de tout temps au lieu plus éminent de la grande vittre de l’église.
Les armes ducales sont aussi apposées aux côtés de celles d’Olivier Guiho sur une poutre traversière datant de la reconstruction de l’église abbatiale. Il est à noter que l’écu est chargé de sept mouchetures d’hermine en 2, 3, 2 comme sur l’écu en targe du bras-reliquaire, ce qui le daterait lui aussi d’avant 1434.
La devise « A MA VIE »
Les armes du duc de Bretagne et les initiales d’Olivier Guiho se retrouvent sur le bras-reliquaire de saint Judicaël. Une hermine au naturel associée aux mots « A MA VIE » - emblème de Jean V 14 - est en effet inscrite à côté des armes de Bretagne sur la manche de la pièce d’orfèvrerie.
L’apposition des armes de Bretagne et de la devise de Jean V sur le bras-reliquaire prouve l’implication du duc dans la donation. Le modèle de targe échancrée à gauche, chargée de sept mouchetures d’hermine posées 2, 3, 2, plaide pour une datation comprise entre 1407 - début de l’abbatiat d’Olivier Guiho - et les années 1430, date de l’abandon de ce modèle de targe par Jean V.
La devise « A MA VIE » est ciselée par deux fois sur la manche du bras-reliquaire. Si la devise de droite, surmontée d’une hermine au naturel, est attribuable à Jean V, celle de gauche n’est surmontée d’aucun symbole héraldique permettant de l’attribuer. Nous formulons l’hypothèse qu’elle puisse être associée à un membre de l’Ordre de l’Hermine qui aurait contribué à la donation du bras-reliquaire.
Le bras-reliquaire et la famille de Montfort-Laval
Dans un acte du Livre noir de Painpont, Michel Le Sénéchal, abbé de Paimpont de 1473 à 1501, reconnait officiellement la fondation de l’abbaye par Judicaël et la prééminence des Montfort-Laval dans cette abbaye.
[...] Michel abbé de Painpont [...] expose que la dite abbaye est une abbaye ancienne fondée par défunt prince de vivante mémoire le roi Giquel 15 en son temps roi de Bretagne. Quelle fondation fut faite d’environ le temps de huit cents ans [7e siècle]. Après laquelle fondation elle fut confirmée par le siège et de l’autorité apostolique [...] a été fait par défunts nobles et puissants les seigneurs de Laval, Montfort, Lohéac et Garun d’eux plusieurs donaisons etc.
Guy XIV de Laval (1406-1486), le plus souvent nommé seigneur de Gavre 16, est le seigneur de Montfort et de la forêt de Brécilien durant l’abbatiat d’Olivier Guiho. Élevé à la cour du duc de Bretagne Jean V, il est membre de l’Ordre de l’Hermine.
[...] Nous n’avons plus la liste des noms de ces chevaliers ; mais voici ceux qui sont employés dans les comptes des trésoriers généraux de Bretagne. [...] Monseigneur du Gavre en 1454.[...]
En 1419, il est fiancé à Marguerite de Bretagne, fille de Jean V. Après le décès de Marguerite en 1427, il se marie avec sa sœur Isabelle de Bretagne (1411-1444), en 1430. Le bras-reliquaire aurait pu être offert par Jean V à l’occasion de l’un de ces évènements.
En 1434, Anne de Laval (1385-1466), la mère de Guy XIV, compte Olivier Guiho comme conseiller. — COPY, Jean-Yves, Art, société et politique au temps des ducs de Bretagne, Aux amateurs de livres, 1986, 294 p. [page 189] —
Bien qu’aucun symbole héraldique de la famille des Montfort-Laval n’apparaisse sur le bras-reliquaire, il est vraisemblable que le seigneur de Montfort a été concerné par la donation ducale à l’abbaye de Paimpont.
Jean V et la relique de Judicaël
Rappelons que la relique de Judicaël provient vraisemblablement de l’abbaye Saint-Florent de Saumur relevant du duché d’Anjou. Or, le 28 août 1431, Jean V - avec la volonté d’étendre et de renforcer ses alliances - marie son fils aîné François avec Yolande d’Anjou, la sœur de René d’Anjou.
Cette proximité avec le roi René facilite l’accès de Jean V aux reliques de l’abbaye Saint-Florent de Saumur.
Les éléments en faveur de l’hypothèse d’une donation par Olivier Guiho et Jean V
La donation du bras-reliquaire à l’abbaye de Paimpont traduit une convergence d’intérêts entre Olivier Guiho (abbé de 1407 à 1452) et Jean V (duc de 1399 à 1442). Pour l’abbé Guiho, cette donation manifeste sa volonté de doter l’abbaye de Paimpont d’un fondateur prestigieux. De son côté, Jean V réaffirme le caractère souverain du duché de Bretagne face aux pressions du royaume de France. En valorisant le souvenir de Judicaël - roi breton qui a su s’opposer au roi de France - il expose son modèle de gouvernance.