Les châtelains de Bellanton
Traditions rapportées par l’abbé Guillotin
Durant la Révolution, l’abbé Guillotin rapporte des traditions sur l’existence de châtelains de Bellanton (Barenton) en forêt de Brécilien (Forêt de Paimpont) au 9e et au 12e siècle.
Un châtelain de Bellanton en forêt de Brécilien
Durant la Révolution, l’abbé Guillotin 1 mentionne dans le Registre de Concoret l’existence de deux châtelains de Bellanton 2 : le premier aurait vécu au 9e siècle et serait à l’origine de la fondation de Concoret, le second au 12e siècle. — GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne. —
À notre connaissance, aucun document officiel n’atteste l’existence de ces châtelains. Il s’agit vraisemblablement de traditions non avérées historiquement. Cependant, les faits rapportés par l’abbé Guillotin méritent qu’on y prête une attention particulière, certains éléments pouvant se justifier par recoupements avec d’autres éléments plus précis.
Le châtelain du 9e siècle
L’abbé Guillotin fait part d’un châtelain de Bellanton qui aurait vécu au milieu du 9e siècle. Selon les traditions rapportées par l’abbé, ce personnage serait à l’origine de Concoret.
Vers 850, fut érigée une chapelle en l’honneur de la très Sainte Vierge, sur le « Pâtis Vert » où est située l’Église de Concoret. Les seigneurs d’Isaugouët et de Bellanton ayant eu entre eux certains débats, se rendirent au « Pâtis Vert » à raison de vider leur différend par un duel. Prêts à en venir aux mains, ils se réconcilient parfaitement et en mémoire de leur réconciliation qu’ils attribuaient à la Sainte Vierge, ils firent vœu d’élever au lieu même où ils se trouvaient, une chapelle sous l’invocation de Notre Dame de la Concorde. [...] Cette tradition du duel des seigneurs de Bellanton et d’Isaugouët n’est pas une fable inventée par des gens ignorants et superstitieux ; elle nous a été transmise d’âge en âge par les plus instruits du pays, les prêtres, les nobles, les notaires qui ont conservé et appris de leurs ancêtres les antiquités du pays.
Le châtelain du 12e siècle
Le second châtelain de Bellanton mentionné dans le Registre de l’abbé Guillotin est vassal de la seigneurie de Gaël-Montfort. Il serait le premier seigneur résidant au château du Rox 3.
Vers 1140, Guillaume, sire de Montfort, fit bâtir la maison du Rox pour y loger son châtelain de Belanton qu’il trouvait dans un lieu trop isolé et trop exposé aux brigandages. Il avait en même temps le projet de transférer à Belanton les religieux dont les possessions convenaient beaucoup à ses plans, et surtout à ceux de ses agents. Jean de Châtillon, évêque d’Aleth, étant venu dans les environs faire des visites épiscopales, ce plan lui fut communiqué par le Duc et il l’approuva, soit par condescendance pour l’autorité temporelle, soit parce que la situation de Belanton était fort convenable à des ermites. [...] Les moines furent très mécontents de perdre leur position de Croix Richeux et d’être transférés à Belanton. Ce lieu est à la vérité dans un bon air avec une belle perspective, mais situé au coin d’une vaste forêt et au bord d’une grande lande, éloigné de bourg et de village. Ces ermites firent éclater leurs plaintes contre tous ceux qui avaient été cause de leur changement. Un d’entre eux nommé Éon de l’Étoile, issu d’une famille noble du pays de Loudéac et qui, à cette époque, était prieur de la maison, en fut tellement affecté qu’il tomba dans des égarements d’esprit, il se mit à prophétiser et à débiter des extravagances. [...]Le châtelain du Rox et autres contre lesquels il déclamait souvent, le dénoncèrent au Duc et à l’évêque d’Aleth comme hérétique et sorcier. L’évêque d’Aleth se vit obligé de supprimer la communauté de Belanton ainsi qu’il en est rapporté dans le Sanctoral Romain Malouin page 96.
Les trois personnages cités sont historiques : Guillaume, sire de Montfort
fondateur de l’abbaye Saint-Jacques à Montfort 4 en 1152, Jean de Châtillon
, évêque du diocèse de Saint-Malo et Éon de l’Étoile
jugé pour hérésie au concile de Reims en 1148.
L’abbé Guillotin prend pour preuve le Sanctoral Romain Malouin, mais contrairement à ses dires, il n’y est pas question de la communauté de Bellanton. On y trouve seulement un court passage dans lequel l’évêque chasse de son diocèse des hérétiques rassemblés en forêt de Paimpont, qui avaient commis des violences contre la haute classe ecclésiastique. Le nom d’Éon n’y est jamais cité.
Depositi custos vigilantissimus Haereticum hominem qui se vivorum ac mortuorum Judicem futurum summa cum impietate & stupiditate asserebat, ejusque discipulos in sylva Painponensi delitescentes, e Dioecesi sua eliminavit. Ecclesiasticorum bonorum invasioni & cujuslibet iniquitatis generi quasi murum æneum sese opposuit. Summa tamen in eo erat animi lenitas, caritasque singularis quam in injuriarum oblivione & condonatione præcipue manifestavit. Denique cum refrigescentem pietatis ardorem verbis & exemplis excitasset, obiit Kalendis Februarii anno Domini millesimo centesimo sexagesimo tertio, sepultus est in Choro Ecclesiæ Cathedralis : ejus tumulo majoris reverentiæ causa additi sunt Cancelli ferrei, ex quibus cognomen de Craticulâ fortitus est. […]
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Un couvent de moines à Concoret au 12e siècle ?
L’abbé Guillotin rapporte que sur l’ancienne route de Mauron à Concoret se trouvait près du hameau du Breil, une croix nommée La Croix Richeux ou Croix Richard.
Près de cette croix, se serait trouvé un couvent de moines au 12e siècle. L’abbé s’appuie sur la toponymie du lieu pour sa démonstration.
[...] Le terrain voisin de la Croix Richeux se nomme Moinet, un terrain contigu planté de chênes au midi, vers le Rox, s’appelle le Champ aux Moines. Un pré voisin appartenant à la famille Morfouesse se nomme le Purgatoire qui signifie probablement cimetière. Le terrain au nord s’appelle Breil qui, en vieux français veut dire enclos, tout cela annonce évidemment un établissement religieux et on ne peut en douter que ce ne soit dans cet endroit qu’était située la Communauté des ermites de Saint Augustin dont Eon de l’Etoile était membre.
L’abbé ajoute que des restes de murailles ont été trouvés en 1740 et qu’en 1793 il a été découvert dans une pâture voisine, plusieurs belles pierres tombales et un pied de Croix en granit.
Il explique aussi que la croix de granit du cimetière était celle apportée du Moinet et qu’il en était de même de la belle pierre sur laquelle on vendait les denrées offertes à l’Eglise.
Du château de Bellanton à celui de Chrétien de Troyes
Dans son Registre, l’abbé Guillotin évoque aussi une chapelle de Bellanton
qui, selon lui, remonte à une ancienne coutume du temps des châtelains de Bellanton et d’Isaugouët.
Jusqu’à la Révolution et même plus tard, les gens de Concoret se rendaient en procession à la chapelle de Bellanton (Barenton) un certain jour de l’année, et chaque année, sans doute, par reconnaissance pour le châtelain, fondateur de leur paroisse et plus tard, par amitié pour les moines de la Croix Richard, envoyés en disgrâce à ce couvent de Bellanton. La chapelle étant démolie, on continue la procession surtout par temps de sécheresse. Les religieuses et curés de Paimpont ne s’y sont jamais opposés, sans doute parce qu’il s’agissait d’un usage de temps immémoratif.
L’abbé Guillotin ne citant jamais ses sources, nous ne pouvons accorder du crédit à ses écrits concernant l’existence de cette chapelle. Il est en effet le seul à mentionner cette chapelle dont on ne retrouve aujourd’hui aucun vestige. On peut d’ailleurs supposer que l’abbé justifie la procession à Barenton par l’existence de la chapelle. Cette procession est en réalité une christianisation du rituel pré-chrétien qui consiste à verser de l’eau sur le perron afin de provoquer la pluie.
Notons par ailleurs que l’ensemble des éléments décrits se retrouvent dans le roman du Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, écrit entre 1176 et 1181. Dans une forêt nommée « Brocheliande », il fait part d’une fontaine en lien étroit avec un château et une chapelle. Chrétien s’est-il servi de la présence du château de Bellanton et de sa chapelle pour son roman ?
Dans son récit, Chrétien de Troyes montre qu’il connait bien la fontaine de Barenton et son environnement, depuis son eau qui bout jusqu’à celle qui fait tomber la pluie quand on la répand sur le perron. Il met en scène un château et une chapelle, petite mais moult belle
, proche de la fontaine 5. — CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au Lion, Rééd. 2009, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1176. —
Notre propos n’est pas de rendre crédible la présence du château et de la chapelle à partir d’une œuvre littéraire, mais de relever cette coïncidence entre le roman de Chrétien de Troyes et la tradition rapportée par Guillotin.