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29 janvier- 4 février 1790

Les émeutes de Monterfil, Iffendic et Saint-Maugan

Un épisode des révoltes agraires de janvier 1790

À partir du 18 janvier 1790, des révoltes agraires naissent dans les paroisses de Guer, d’Augan et de Maure. Elles se propagent à la paroisse de Plélan du 24 au 28 janvier.

Du 29 janvier au 4 février 1790, au cours de ces évènements qui agitent la paroisse d’Iffendic, les châteaux de la Châsse, de Bassardaine, de Vauferrier, de Tréguil et de Bléruais sont attaqués et pillés.

Du 18 janvier au 5 février 1790, la grande majorité des paroisses situées entre Ploërmel, Montfort et Redon, entrent en insurrection. Les communautés paysannes qui avaient demandé l’abolition des droits féodaux dans les cahiers de doléances rédigés en avril 1789 se révoltent contre leurs seigneurs.

Le 4 août 1789, l’Assemblée constituante abolit les rares droits féodaux pesant sur les personnes, mais elle déclare rachetables les droits beaucoup plus importants et généralisés qui pèsent sur les terres, condition impossible à satisfaire par les paysans. Nombre de ceux-ci, refusant de payer dîmes, devoirs féodaux et capitations une année de plus, attaquent les châteaux de la région pour y détruire les chartes et fondations seigneuriales symboles de l’Ancien régime.

La Châsse en Iffendic, le 29 janvier

Les révoltes agraires commencées dans les paroisses de Maure-de-Bretagne, Guer et Augan à partir du 18 janvier 1790 se propagent au nord-est du massif forestier de Paimpont une dizaine de jours plus tard.

Le premier château de ce secteur attaqué par les paysans est celui de la Châsse en Iffendic. Le 29 janvier, entre 9 heures et midi, trois troupes arrivées successivement, soit quatre cents paysans armés de bâtons ou de fusils, convergent des campagnes environnantes vers le château de M. d’Andigné 1 et demandent à parler au régisseur, M. de Carrissac. —  SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 288] —

Déclaration de Jeanne Guillot, cuisinière au château

Ils lui dirent qu’ils voulaient les papiers des archives. On les leur donna, et ils les brûlèrent. Ils allèrent ensuite à la métairie de Ville Jean, où ils en firent autant. Dans le château, ils ont brisé tous les meubles, les portes, les boiseries, ont emporté le linge, le beurre, le saindoux, le pain, différents effets appartenant à M. de Carrissac ; ils burent beaucoup de vin dans la cave, cassèrent encore plus de bouteilles ; dans le cellier ils mirent en perce deux grands futs de cidre.

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit.

L’un des meneurs, Gilles Le Gavre, de Saint-Malon, entraine les autres à enfoncer et briser les portes. Après avoir essayé de mettre le feu à la fuie 2, les émeutiers de Saint-Malon déclarent à M. de Carrissac : Si sous 8 ou 15 jours, nous n’avons pas un écrit du seigneur, par lequel il renoncerait à toutes ses rentes, nous viendrions mettre le feu au château. Une partie des émeutiers part ensuite vers Bléruais, les autres restant au château.

L’enquête menée par le Présidial de Rennes en mars 1790 montre qu’une partie des émeutiers de la Châsse avaient participé à l’attaque du château de Comper en Concoret les 27 et 28 janvier 1790. L’un d’eux, Pierre Nogues, accusé d’être l’un des meneurs de l’émeute, est interrogé par le Présidial de Rennes le 19 mars 1790.

Interrogé où il etoit le vendredy vingt neuf janvier dernier environ les huit heures du matin. Repond que des particuliers qui lui dirent venir de Compair, furent chez lui environ l’heure dont nous lui parlons et le forcerent de les suivre à la Chasse, ou qu’ils alloient bruler sa maison ; qu’ils pretendoient que tous ceux qui n’y iroient pas s’en repentiroient ; que craignant l’effet de leurs menaces, il les suivit... qu’il n’en fut chez lui que douze ou quinze, mais que chemin faisant plusieurs se joignirent à eux...

A.D.I.V. in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

Une pétition de la municipalité de Saint Maugan datée du 6 avril 1790 confirme cette version 3.

[Pierre Nogues est] bon et paisible citoyen [...] il est indubitable que ce furent les enemis de Comper qui le forcerent de meme que quelques personnes de nos environd dassister à ses incendies où il fut très utile puisque sans luy qui apesa toujours ces chastaux ussent pu estre brullés...

A.D.I.V. in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

Le mercredi 3 février, le nommé Hardouin renouvelle les menaces contre le marquis de la Châsse, annonçant que 300 personnes allaient [...] venir chercher les canons pour les conduire à Montfort. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 288 —

Les châteaux de M. de Vauferrier en Saint-Maugan

Le Vauferrier en Saint-Maugan, le 30 janvier

Le 30 janvier, vers 10 heures du matin, 60 hommes, armés de fusils ou de bâtons attaquent le château du Vauferrier (ou Vauférier) en Saint-Maugan. Après avoir demandé les titres et les avoir brûlés, ils brisent les coffres qui les renfermaient.
— Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 289 —

La Bassardaine en Saint-Maugan, le 1er février

Le lendemain, 1er février, une soixantaine d’émeutiers se rendent à la Bassardaine (ou Basse Ardaine), autre propriété de M. de Vauférier en Saint-Maugan. Ils brûlent les papiers, forcent la porte d’un grenier et boivent le cidre du château. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., p. 289 —

Le château de Tréguil en Iffendic

Le 31 janvier 1790, à l’issue de la grand-messe, Joseph Lord, jardinier du château de Tréguil entend Jean Aubry de Monterfil et Jean Poulain de Treffendel, dire qu’ils allaient mettre le feu au château si M. de Cintré n’y était pas. D’autres paroissiens disent qu’ils se rendront le lendemain à 8 heures pour brûler les titres et les papiers de Tréguil.

A 5 heures du matin, le 1er février 1790, une troupe de trois cents paysans armés de fusils, de bâtons et d’outils arrivent au château de Tréguil. Ils demandent les papiers au seigneur, M. de Cintré, qui leur répond qu’ils doivent être chez le procureur fiscal de Montfort, Le Marchand 4 ou chez Chollet le boulanger ou encore chez les Ursulines. Lorsque Anne Even, domestique du sieur Marchand, les engage à ne pas brûler le grain de la dîme, il rétorquent : Nous n’avons pas l’intention de faire le même mal ici qu’à Breil-Houssoux ; nous n’en voulons qu’aux papiers.

Malgré cela, les émeutiers se livrent au pillage. Selon la déclaration de M. de Cintré, après avoir brûlé les papiers qu’ils ont trouvés dans une archive, ainsi que cinq cents à six cents volumes de la bibliothèque,

Déclaration de M. Huchet de Cintré au présidial de Rennes, le 6 février 1790

[ils ont] cassé les vitres, les parquets, enfoncé les armoires, volé du linge et d’autres effets, mangé et volé la plus grande partie des provisions, bu quatre barriques de vin de Bordeaux, 200 bouteilles de vin d’Espagne, outre quantité de bouteilles tant des îles que d’eau de vie [...]

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit.

La veuve Dolo, âgée de 80 ans est gravement brûlée après avoir été jetée dans une marmite bouillante. Le jardinier du château, Joseph Lord, reconnait deux membres de la milice de Saint-Péran parmi les meneurs. L’implication de la milice dans les émeutes n’est pas commune en janvier 1790 5. —  DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »). —

Déclaration de Joseph Lord au présidial de Rennes

A 5 heures, le 1er février à Tréguil, il vit des gens qui cassaient des bouteilles de vin dans la cour. Joseph du Breil, portant un tison enflammé, dit qu’il voulait mettre le feu aux cordes de bois. Il assista au pillage, vit plusieurs émeutiers qui attisaient le feu. Il reconnut Joseph Morand armé d’un fusil qui est du bourg de Saint-Péran et colonel de la milice de Saint-Péran

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit.

Le 3 février, Joseph Delourme, recteur de Monterfil, rassemble ses fidèles pour leur faire part des intentions pacifiques du sieur de Cintré et faire rentrer ses vassaux dans le droit chemin. Il obtient leur parole de rester tranquilles en promettant sur l’honneur de transmettre au seigneur une lettre qu’ils lui dictent.

Acte de renonciation dicté par les vassaux au recteur

Je soussigné, marquis de Cintré, seigneur de la paroisse de Monterfil, déclare faire cession et abandon de mes rentes seigneuriales, féodales et autres droits seigneuriaux, que j’ai dans la dite paroisse de Monterfil et voisines, où j’ai des fiefs ; et, de plus, je m’engage de faire retirer les rôles des rentes arréragées dans mes fiefs sans en exiger aucunement le montant de ceux qui on été nommés collecteurs et de rembourser aux collecteurs desdits rôles les sommes non payés par les contribuables, et dont les collecteurs ont néanmoins fait les avances à la seigneurie et finalement de rembourser toutes rentes perçues depuis deux ans ; et, pour l’exécution de tout ce dessus, je me soumets aux décrets de l’Assemblée nationale et promets de rendre à tout jamais mes vassaux de Monterfil et de la Roche Trébulon heureux ; je leur abandonne toutes les terres vagues et communs sur mes fiefs de ladite paroisse.

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit.

Dans une lettre du 5 février adressée à M. de Cintré, le recteur de Monterfil reconnait avoir été trompé par ses paroissiens. Malgré la parole donnée, ils se sont à nouveau rendus à Tréguil et ont poursuivi le pillage. Le recteur reconnait avoir peur pour sa sécurité.

Lettre du recteur du 5 février 1790 à M. de Cintré

Il y a pareil complot contre moi ; ma qualité de pacificateur dans ces circonstances a paru suspecte à cause de vous [...] Si vous n’envoyez pas votre réponse avant dimanche, on m’assure que les troubles recommenceront plus que jamais et que j’en serais la première victime. Indépendamment de tout cela [...] on doit descendre chez moi [...] Le motif est de me faire restituer toute la dîme que j’ai perçue l’année dernière, car c’est, dit-on, un vol manifeste.[...] Je me décide à rester au presbytère, en me faisant garder. J’ai écrit au procureur du Roi pour le prier de se rendre en notre paroisse avec un détachement de troupes pour calmer les mutins.

A.D.I.V. in Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit.

Le château de Bléruais en Iffendic

Le 4 février 1790, une troupe de deux cent-cinquante à trois cents hommes attaque le château de Bléruais (aujourd’hui dans la commune de Bléruais). Lors de l’enquête menée par le Présidial de Rennes en mai 1790, Joseph Rozé, procureur fiscal de Bléruais, accuse Pierre Nogues d’être le meneur. Pierre Nogues sera finalement innocentée et libéré sous caution le 2 juin 1790.

[...] Destruction le 4 février 1790 des papiers et archives de Me. Joseph Georges Rozé, 44 ans, sénéchal de Saint Maugand et procureur fiscal de Bléruais et homme d’affaires des Demoiselles de Landal [ailleurs Demoiselles de France], et dévastation du château de Bléruais en Iffendic par une troupe de 250 à 300 hommes menée par Pierre Nogues.

A.D.I.V. in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.

Bibliographie

DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »).

SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370.

TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016.


↑ 1 • Charles-René d’Andigné, seigneur de la Châsse avait obtenu en 1707 l’union des trois seigneuries de la Châsse, de Saint-Malon et de Cahideuc, et leur érection en châtellenie. En 1790, le château appartient à Jean René II d’Andigné, marquis de la Châsse (1724- ?).

↑ 2 • Une fuye ou fuie est une volière où l’on abrite des pigeons domestiques.

↑ 3 • Pierre Nogues est libéré sous caution le 2 juin 1790.

↑ 4 • J.-B. Le Marchand, procureur fiscal de la juridiction, a présidé le 5 avril 1789, l’assemblée électorale de Monterfil.

↑ 5 • La présence du colonel de la milice nationale de Saint-Péran dans cet épisode insurrectionnel confirme donc le sentiment de Roger Dupuy : la milice de Saint-Péran se différencie de celles des gros bourgs. Elle a été constituée pour lutter contre l’ordre seigneurial et régler le conflit des habitants avec le prieur-recteur de Paimpont. —  DUPUY, Roger, La Garde Nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789 - mars 1793), Paris, Librairie C. Klincsieck, 1972, (« Institut armoricain de recherches historiques de Rennes »). —