1900-1973
Les loges de charbonniers de la forêt de Paimpont
Les charbonniers vivaient en famille dans des habitats rudimentaires en forêt appelés « loges ». Cartes postales, photographies et témoignages des derniers charbonniers de la forêt de Paimpont permettent de mieux connaitre leurs lieux de vie.
L’habitation du charbonnier
Antérieurement aux années 1950, le charbonnier vit en forêt avec sa famille. Il suit les coupes de bois des bûcherons et construit son habitation, appelée « loge » ou « hutte », à proximité de ses fouées afin de pouvoir les surveiller de jour comme de nuit. Du fait de son itinérance, les loges sont assez sommaires. Elles peuvent abriter quatre à six personnes, une famille pouvant habiter plusieurs loges. — LARCHER, Guy, « Les charbonniers à Paimpont : contribution à l’histoire d’une commune », Le Châtenay - Journal de l’Association des Amis du Moulin du Châtenay, 1986, p. 64. —
Les charbonniers vivent, par groupe de trois ou quatre familles, voire beaucoup plus, au sein de la forêt, dans des « loges » ou « huttes » construites près d’un point d’eau, eau d’autant plus nécessaire qu’elle sert, en dehors de l’usage ordinaire, à contrôler et à éteindre les fouées. Elles sont le plus souvent rectangulaires, parfois rondes.
La loge est constituée d’une pièce unique pratiquement toujours construite sur le même modèle. — Larcher, Guy (1986) op. cit., p. 35 —
- des piliers d’environ trois mètres de hauteur
- une couverture constituée de plisses de terre
- une porte unique en genêt
- des murs en bruyère et en genêt
Pour réaliser ces dernières [les loges], une excavation d’environ 5 à 6 mètres de long et de 3 mètres de large et d’une cinquantaine de centimètres de profondeur est faite dans le sol, cernée par un petit muret de pierres et de terre. Sur cette base, sont dressées des parois faites de claies de branchages et de genêts entremêlées d’argile. Une charpente simple en V renversé, constituée de cimes branchues, faites souvent de bouleaux, couvre le tout. Le toit est recouvert de plisses, sorte de galettes de terre et d’herbe coupées au carré.
Le foyer de la loge
La loge comprend un foyer central.
Un foyer monté sur une pierre plate servant en hiver et par mauvais temps. Sa fumée s’échappe par un trou dans le toit, trou qu’une sorte de clapet pouvait fermer.
Pour l’alimenter, le charbonnier utilise des « fumerons » ou « fumards », morceaux de bois ramassés au bas de la rangée extérieure de la fouée et donc partiellement brûlés puisqu’en contact avec le sol et les plisses de terre. Ces morceaux de bois reviennent de droit au charbonnier, qui ne peut les utiliser que pour son usage personnel. — Larcher, Guy (1986) op. cit., p. 35 —
Un délit daté de 1823 concerne précisément le vol d’un fumeron par le bien nommé Forest.
Le vingt août dernier, Bouetel garde de la forêt de Brécilien, rapporta avoir trouvé sur la coupe de la Croix Auray en Haute Forêt, le prévenu ramassant dans les places charbonnières et mettant dans un sac des flamberons [ou fumerons] sortis des charbons cuits.
Durant le 19e siècle, l’existence d’un foyer en forêt a été soumise à une réglementation stricte afin d’éviter toute possibilité d’incendie.
Quant au feu il n’en sera allumé que dans les loges si ce n’est avec une permission particulière qui ne pourra être accordée que dans les temps pluvieux. Le garde planton est chargé de veiller soigneusement à ce que tout ci-dessus soit ponctuellement exécuté. La moindre négligence de sa part le fera considérer comme l’ennemi des intérêts de la forêt. (Ainsi il) sera dénoncé comme tel à Monsieur le Directeur.
Témoignages sur les loges
Quelques témoignages recueillis entre 1930 et 2002, décrivent les loges des derniers charbonniers de Paimpont. La loge traditionnelle évolue au cours du 20e siècle, le charbonnier intégrant des éléments contemporains - planches, tôles, etc. - qu’il réutilise sur chaque coupe de bois et qui facilite sa construction.
1930 — Charles le Goffic
Vers 1930, l’académicien Charles le Goffic (1863-1932) rencontre un charbonnier de Paimpont dont la loge est située à proximité du hêtre de Ponthus. Il compare son habitation à celle d’un amérindien du nouveau monde.
Les charbonniers nous restent en nombre réduit.
Sur la route de Pontus, j’ai visité la case de l’un d’eux, gardée par son chien Bas-Blanc. Son chien Bas-Blanc...
N’est-ce pas un Wigwam comanche, cette case, ou bien une hutte gauloise ? Pas de trou de cheminée. On fait du feu au milieu avec des rondins et des mottes de tourbe. Deux couchettes, une à chaque bout. Deux tabourets. Une table. Des affiches coloriées égaient cet intérieur d’un autre âge. Un réveille-matin donne le ton du siècle.
Dehors, la niche de Bas-Blanc et le poulailler.
1946-1955 — Roger Guégan
Roger Guégan a été interviewé en 2002 par Laurent Goolaerts et Maryline Millet. — GLAIS, Pascal, GOOLAERTS, Laurent et CHENU, Frédéric, Charbonniers de Brocéliande : L’art de la fouée, Amis de la Bibliothèque de Paimpont, 2007, 86 p., Voir en ligne. —
On avait une baraque en forêt plus une maison. Mais à l’époque c’était pas des baraques, c’était les murs en terre. On en avait monté une à Telhouët pour faire voir comment c’était. On appelait ça une loge. C’était une cahute en genêt et terre avec des plisses qu’on coupait.
Nous, le père, on avait une baraque en bois, qu’était par panneaux, qui se déplaçait avec des boulons. On prenait un charpentier nous souvent. Pour que c’était monté dans la journée : Beaudoin. La couverture, c’est des tôles et c’était fini. Y avait toute sortes de cabanes, mais nous elle avait une fenêtre, des panneaux larges comme ça avec des boulons, peut-être une dizaine. On vivait pas dedans nous beaucoup. Nous on a vécu dedans quand on était mariés, mais autrement c’était mon père et mes frères, c’est tout. Ma mère était dans une maison tout le temps. Nous on était trois ans sans bouger de place. Mettons qu’ils abattent une coupe, tout un grand carré, et on suivait comme ça. On habitait dans la loge à côté de Roche-Plate. On tâchait de se mettre où y avait de l’eau, un peu au centre, où c’était facile à aborder.
1938-1950 — Célestine Maleuvre
Célestine Maleuvre a été interviewée en 2002 par Laurent Goolaerts et Maryline Millet.
On appelait ça une baraque. Des fois on la faisait en terre, on mettait du papier journal, on utilisait des tôles. On voyait des vipères en haut. Saleté ! Fallait déménager la baraque et tout. On était habitués, et hop, fallait repartir de l’autre côté. Fallait que tout était fait le soir. On défaisait celle qu’on était dedans et on la refaisait. L’autre, elle tombait à la longue. Le charretier à monsieur Berson venait nous aider avec sa charrette ou même les bûcherons d’à côté. Fallait partir de bonne heure… Si c’était pas trop fini fallait dormir quand même. On la faisait le plus près possible qu’y avait des cordes de bois pour surveiller les fouées.
1973 — Victor Renouard
Victor Renouard, le dernier charbonnier de Paimpont en activité, était réputé pour la qualité de son charbon mais aussi pour celle de ses loges.
Renouard, y vivait complètement en forêt lui. Y faisait des loges en terre, des pièces, plein de pièces comme ça. Y restait beaucoup dans le même endroit. Y restait plusieurs années dans le même endroit.
On avait une petite cabane près de la fouée, souvent à côté d’un point d’eau au cas où le feu nous aurait gagné.
Madame Desgrées, charbonnière dans le bois de Monfort
Le témoignage de madame Desgrées, de « Lasnière » dans le bois de Montfort, a été recueilli en avril 1987 par M. Lapeyre.
Sur la coupe, les charbonniers vivaient dans une loge en forme de toit à deux pans couverte de bruyère, mon père la mettait près d’une fontaine.
Hubert Gernigon, fils de garde forestier
Fils ainé d’Armand Gernigon, garde en forêt de Paimpont dans les années vingt, Hubert Gernigon est interviewé en 2002 1.
- L’emplacement de la loge
Ils vivaient sur le lieu de travail en forêt – Ils montaient et bâtissaient leurs huttes quand ils arrivaient. Ils avaient très peu de baluchons ou bagages. La loge était construite dans des endroits plutôt élevés – une butte pas très loin d’un ruisseau ou d’une fontaine, pour la lessive, la cuisine etc… Pas très éloignée d’une ligne. Les lignes étaient assez bien entretenues par les paysans ayant des droits de pacage et litière pour leurs bêtes et aussi pour les propriétaires châtelains. Les lignes permettaient de sortir le bois et le charbon. Les charbonniers venaient la saison et l’année suivante après le passage des bûcherons. Une ligne s’appelle toujours « ligne de la charbonnière » entre les Forges et les Forges-Basses, en raison de la présence de charbonniers durant un certaine période.
- La construction de la hutte
La hutte était le plus souvent rectangulaire ou quelquefois ronde. La charpente était toute de bois en châtaignier ou chêne non équarri (des baliveaux). Des pieux plantés en terre pour le bas. Le toit était en baliveaux entrecroisés. De la billette pour supporter les toitures confectionnées avec des genêts et fougères le plus souvent, le tout recouvert de plisses (grosses galettes de terre recouvertes d’herbes rases et mousses coupées en carré). Le bas de la hutte était un peu un mur de terre (bauge), puis les côtés en branchages (genêts et bouleaux). Une seule porte confectionnée là aussi avec des branchages bien fournis et serrés les uns contre les autres.
Le mobilier du charbonnier
Le mobilier du charbonnier était réduit à quelques éléments indispensables.
- Des lits montés sur piquets de bois surmontés de branches de bouleau et de « gainche » (molinie) — Larcher, Guy (1986) op. cit., p. 35 —
Pour faire un lit, y avait deux bouts de bois à chaque bout et puis des branches de fagots dessous, de l’herbe séchée dessus et c’était tout. C’était ça le lit. C’était pas les matelas et les sommiers de maintenant.
À l’intérieur, courant le long des parois, des banquettes remplies de fougères, recouvertes d’herbe séchée, rarement de draps et couvertures, servent de lit.
- Une table réalisée avec des rondins ou des planches
On faisait avec des bouts de bois des chaises et des bancs, avec des planches, des tables. C’est tout ce qu’on avait. Le ménage était vite fait. Un coup de balai et voilà.
La table était confectionnée avec les moyens du bord, quatre pieds, posés ou plantés dans le sol, le dessus en planche de rondins légèrement équarris. Les sièges étaient de gros rondins, deux pieds avec une planche posée dessus. Suivant le temps, la cuisine était faite dehors ou à l’intérieur. Au milieu de la hutte, soit sur la terre ou sur une grosse pierre plate.
De larges planches montées sur des poteaux font une table accompagnée de bancs.
- Une malle garde-manger et le nécessaire pour cuisiner - une marmite, et des écuelles - ainsi qu’une malle pour les vêtements.
On avait de grandes malles avec nos affaires dedans et un garde-manger pour notre pain.
Souvent, près de la grande hutte pour loger, se trouvait une petite hutte, pour entasser quelques affaires au frais dont du cidre et quelquefois des victuailles.
Près de la porte, simple claie serrée, pivotante, sont disposés des coffres ou malles [...] On y trouve des rouets, surtout dans les loges des officiers (contremaîtres) qui préfèrent voir leurs filles filer plutôt que de s’escrimer à empiler des bûches [au 19e siècle]. Une cuisine extérieure est installée sous un abri indépendant de la loge. À côté de celle-ci, une petite hutte abrite une barrique de cidre et les réserves d’aliments.