1467
Usagers et communiers en forêt de Brécilien
Un chapitre des Usements sur les droits et devoirs des habitants de la forêt
Dans ses Usements de la forêt de Brécilien de 1467, le comte Guy XIV de Laval intègre les droits acquis depuis le 13e siècle, au temps des seigneurs de Gaël-Montfort par deux ensembles d’habitants, les usagers de Concoret et les communiers des fiefs du Thélin, de Catonet et de la Rivière en la paroisse de Plélan. Ces habitants bénéficient de droits particuliers en échange de devoirs spécifiques envers leur seigneur.
Usagers et communiers de la forêt de Brécilien
Dans la charte des Usements et coutumes de la forêt de Brécilien, le comte Guy XIV de Laval maintient les privilèges des anciennes ordonnances du 13e siècle. La liste comporte des religieux, des seigneurs de second ordre et pour clore la liste, deux groupes d’habitants : les usagers de Concoret et les communiers du fief du « Telent » (Le Thélin), de « Castonnet » (Catonet) et de « la Rivière », tous les trois situés dans la paroisse de Plélan 1. Ces droits usagers remontent au 13e siècle. La forêt de Brécilien est alors partagée entre les familles de Gaël-Montfort pour la partie occidentale, nommée aujourd’hui « Haute forêt » et celle de Lohéac 2 pour la partie orientale, nommée aujourd’hui « Basse forêt ». À cette époque, les usagers de Concoret dépendent de la seigneurie de Gaël-Montfort et les communiers de la paroisse de Plélan, de la seigneurie de Lohéac. Si Guy XIV de Laval regroupe les droits usagers dans la charte de 1467, les bénéficiaires sont toutefois tenus d’en user uniquement dans le quartier de forêt attribué auparavant.
Si les usagers qui ont leur droit d’usage au quartier de la forêt qu’on appelle Lohéac, sont trouvés exploitant au quartier de Haute-Forêt ou en d’autres endroits que ceux affectés au service de leurs droits d’usage et s’ils ne figurent aux inscriptions de la forêt, on peut les mettre à rançon, ainsi que tous ceux qui ne sont pas inscrits et dont il est ci-avant parlé. De la même manière, les usagers qui ont leurs droits d’usage au quartier de la Haute-Forêt peuvent être mis à rançon par les forestiers et témoins sus-dits, si on les trouve exploitant au quartier de Lohéac 3
Les fiefs du Thélin, de Catonet et de la Rivière sont situés en lisière orientale de la forêt de Lohéac. Dès le 13e siècle, les habitants de ces fiefs possèdent des droits d’usage attribués par les seigneurs de Lohéac. Les Usements les nomment « communiers ».
Les communs en Bretagne
Les vilains
Le vilainage est le statut habituel des paysans. Le servage, représentant environ 10% de la population, tend à disparaitre en Bretagne à partir de la fin du 10e siècle. L’historien Henri Sée rapporte que la condition des paysans y est moins dure que dans le reste de la France.
Dans presque toute l’ancienne France, le servage a été peu à peu remplacé par le vilainage ; au XIIIe siècle, presque tous les serfs ont obtenu l’affranchissement et deviennent vilains, c’est-à-dire tenanciers libres. En Bretagne, cette évolution n’a pu s’opérer : dès le XIe siècle, presque tous les paysans sont des vilains. Si le mot serf ne se rencontre, pour ainsi dire, jamais dans nos documents, le mot vilain, au contraire, est d’un usage courant. [...] Chaque vilain occupe une tenure (tenementum), qu’il cultive. Lorsque, dans un acte, il est question d’un vilain, presque toujours on cite en même temps sa tenure. La tenure forme comme une division territoriale fixe, ou plutôt comme une subdivision de l’unité domaniale, qui finit par avoir une existence réelle.
Il serait intéressant de savoir avec quelque précision quelle est l’étendue moyenne de ces tenures. Mais nos documents ne nous le permettent pas. [...] La situation réelle des tenanciers est infiniment variable.
Le seigneur suzerain possède en pleine propriété son domaine propre constitué de terres cultivables, de prairies et de bois. Il possède également la propriété éminente des terres exploitées par des vilains, ses vassaux, qui en ont la propriété utile. Ces derniers peuvent librement les exploiter, les louer, les transmettre à leurs héritiers ou les vendre. Soumis à la propriété éminente, ils sont tenus de payer au seigneur un impôt : le cens.
Les communs
Les communs sont des terres communes mises à disposition par le seigneur à nombre de roturiers.
Au Moyen-Age, en Bretagne, nous ne voyons pas trace de biens communaux. Les mots commune, communia se rencontrent dans les actes, mais ils désignent visiblement des propriétés seigneuriales. Une terre commune c’est, semble-t-il, une terre sur laquelle les paysans ont un droit de jouissance en commun. [...] Communio, c’est le droit de jouissance en commun ou le droit d’usage sur certaines parties du domaine ; commune ou communia, ce sont les parties du domaine dont on jouit en commun.
Pierre Lefeuvre rapporte que dans la seigneurie, le droit de « communer » n’est pas accordé à tous ses habitants, sans distinction. Les seuls qui y ont droit sont les vassaux de la seigneurie, c’est-à-dire les personnes qui tiennent du seigneur les terres qu’ils cultivent.
[...] Il en était ainsi lorsque le droit concédé était une servitude ou un assensement. Il en était de même pour la propriété utile des communs dans les fiefs solidaires. Mais dans les autres cas de propriété, tous les habitants avaient droit au communage ; car c’était la Communauté des habitants de la paroisse, la collectivité des frairiens qui en étaient inféodés vers le seigneur. Enfin, rappelons qu’en fait les seigneurs laissent parfois communer dans les terres incultes de leurs fiefs ; dans ce cas, tous les habitants profitent de cette tolérance.
Les communiers
Pierre Lefeuvre se sert du verbe « communer » pour expliquer le droit d’exploiter des terres censées appartenir à un seigneur propriétaire des terrains vagues ou déclos. Communer c’est exploiter en commun des terres qui n’ont pas de titres particuliers de propriété.
[des terres] dont les habitants des environs avaient coutume de jouir en commun à toute époque de l’année, soit en vertu d’un droit, soit par suite d’une simple tolérance du propriétaire.
Le mot « communiers » rapporté dans les Usements de Brécilien est associé à des terres qui sont partagées en commun. Ce mot s’applique uniquement aux habitants du Thélin, de La Rivière et de Catonet 4. Ces communiers ne devaient pas être les seuls de la seigneurie de Montfort à disposer d’un tel droit, mais il n’en est pas fait mention par ailleurs. Il est vraisemblable que ces habitants avaient, dès le 13e siècle, des droits de communer.
Droits et devoirs des communiers de la paroisse de Plélan en forêt de Lohéac
Les « communiers » du Thélin, de La Rivière et de Catonet, tous les trois situés sur la paroisse de Plélan, bénéficient de privilèges, auxquels viennent s’ajouter le droit de communer.
Les communiers du fief (fieu) de Telent, ceux du fief de Castonnet, les communiers de la Rivière étant en la paroisse de Plélan, ont droit d’usage de mener leur bête aumailles et autres au quartier de la forêt appelé Lohéac sans les inscrire, ni rien payer. Ils peuvent également prendre du bois mort 5 tombé (chéast) sur feuille (feille) la quantité que deux hommes pourraient enlever sur une charrette sans employer ni cognée ni ferrement, excepté que les communiers du fief da Castonnet ne peuvent prendre de bois au breil de Trécélien ni y mettre leur bétail ref chaque fois qu’on chasse dans la forêt de Lohéac et qu’ils y sont appelés (ajournés) ou qu’on le leur fait savoir Ils doivent aussi les corvées de charroi pour les réparations que Monseigneur fera en ses moulins et ses auditoires (cohues), tant en Plélan qu’en Bréal. Les mêmes communiers sont assujettis, chaque fois qu’ils en sont requis par les officiers de Monseigneur, de porter les lettres et les messages à Lohéac en leur payant la somme de quatre deniers.
Par ailleurs, une des ordonnances rédigées par le comte de Laval notifie les comptes des communiers du Thélin à rendre à leur seigneur.
Les comptes des communiers du Tellent, doivent se rendre par les communiers une fois l’an devant les vendeurs des forêts, savoir : le vendeur, le contrôleur et receveur des revenus des bois de ce commun. Ces officiers percevront 5 sous et leurs déboursés pour leur salaire et charge d’ouïr ces comptes ; et, comme ces officiers ne peuvent que difficilement y assister tous ensemble, il est ordonné que deux d’entre eux pourront y vaquer ; celui d’entre eux qui aurait fixé le jour pour entendre ces comptes devra en avertir les autres officiers de la forêt ou son autre collègue. [...] 6.
Il est à noter que les communiers de Catonet et de La Rivière ne sont pas concernés par cette ordonnance.
Les droits et obligations des usagers de Concoret en Haute-forêt
Les droits des usagers de Concoret
Le terme « usagers » est employé dans les Usements pour désigner les habitants de la paroisse de Concoret. On n’utilise pas pour eux le terme de « communiers ». Leurs droits d’usage prennent naissance dans les ordonnances du 13e siècle. Ils ont cours uniquement dans le quartier de Haute-Forêt dépendant de la seigneurie de Gaël-Montfort.
Les usagers de Concoret peuvent prendre de la litière pour leur bétail et engrais (fougère, feuilles de lierre et autres) ; avec les recommandations qui s’imposent, ils peuvent prendre le fragon (petit houx), les genêts et les branches de houx ; prendre tous les fruits qui naissent de ce quartier, excepté les glands, les faines et les châtaignes. Pour leur chauffage, ils ont droit au bois mort, rompu et tombé et même au bois de toute espèce sous certaines conditions. Ils n’ont pas droit au bois propre à la charpente.
Les usagers peuvent conduire dans la même forêt leurs brebis, moutons châtrés, agneaux, veaux et bœufs, sans rien payer, pendant tout le temps qu’ils seront domiciliés dans la paroisse de Concoret.
Lorsque les porcs sont en paisson, ils sont tenus de payer l’assens 7 pour les porcs, comme les autres usagers. En temps de paisson uniquement, la forêt est interdite aux chèvres. Les bœufs sont admis dans les taillis quatre ans après leur coupe. Il est écrit dans les Usements :
Si un des usagers de Concoret était trouvé en délit dans cette forêt, on ne pourrait le prendre à rançon ; on pourrait seulement le mettre à l’amende, qui est chaque fois de douze sous, avec confiscation de la hache […] 8.
Obligations des usagers de Concoret envers leur seigneur
En contrepartie de leurs droits, les usagers de Concoret ont des devoirs envers le seigneur de Montfort.
Les mêmes usagers de Concoret doivent à Monseigneur et à ses ayant droits (hoirs), à cause de leur droit d’usage, plusieurs services (servitudes) et prestations (obéissances) : 1) Chaque fois que les officiers de la forêt ont affaire pour le service de monseigneur, soit de jour, soit de nuit, les usagers, prévenus à leur domicile par les gens à ce commis, doivent fournir par chaque maison, au moins un homme de défense, bien armé, soit à pied, soit à cheval, selon qu’ils le pourront, pour aller avec les officiers leur donner aide et secours et exécuter ce qui leur serait demandé comme seraient tenus de le faire les gardes de la forêt. En faisant ce service, ces usagers peuvent exercer les fonctions de forestiers et en avoir les profits de même manière que les gardes de la forêt. Les rapports qu’ils feront aux officiers, soit de mises en rançon, confiscations, ou amendes, vaudront tout autant que ceux des forestiers. Cela s’appelle la chevauchée de Concoret. Si quelqu’un y manque, il doit six deniers. 2) Les usagers de Concoret doivent chaque année, au terme de Noël, cinquante criblées d’avoine et chaque année cinquante poules 9.
Dès lors, les représentants usagers sont considérés comme gardes de la forêt de Brécilien et ont les mêmes pouvoirs que les officiers.
La chevauchée de Concoret
Cette « chevauchée » reprise des anciennes ordonnances du 13e siècle, aurait existé déjà du temps des seigneurs de Gaël-Montfort. Il s’agit donc d’une milice que Guy XIV de Laval maintient à son service dans la charte de 1467.
Elle s’avère être le prolongement d’une « chevauchée » qui aurait pris naissance au haut Moyen Âge et qui s’est généralisée bien au-delà des limites du duché de Bretagne 10.
Elle est aussi appelée droit de Menée
. Cette pratique est devenue courante lors de la mise en place du cadre seigneurial. Il s’agit d’un droit qui assujettit les vassaux pour marquer leur soumission à leur seigneur. Selon l’ancienne coutume de Bretagne, ceux-ci sont tenus de se présenter un jour précis à la cour du seigneur supérieur. C’est le seigneur proche qui est tenu d’y mener ses hommes. La « chevauchée » est faite pour défendre son seigneur. De nombreux conflits entre seigneuries ont lieu du 10e au 14e siècle qui occasionnent des pillages et des saccages. Il en résulte des guerres privées qui deviennent naturelles. Ainsi tout seigneur haut-justicier s’attribue la « puissance publique » qui comprend le droit des armes. Le roi souverain est impuissant à voir ses sujets se faire la guerre sans sa participation. Le proche vassal est tenu de servir son seigneur contre tous : contre son propre sang, contre son seigneur suzerain et contre son roi 11. — DU FAIL, Noël, Les plus solemnels arrests et reglemens du parlement de Bretagne, Vol. 2, Rennes, Joseph Vatar, Imprimeur-Libraire, 1737, Voir en ligne. pp. 449-473 —
Tout ce que l’on pût faire dans le 12e siècle avec le secours de l’Eglise et des Conciles, fut d’introduire « la Trêve » appelée « de Dieu » qui était une cessation d’armes depuis la relevée du Mercredi, jusqu’au Lundi de chaque semaine. Le Concile de Clermont en l’an 1095 étendit cette cessation aux temps de l’Avent, du Carême, des Octaves de Pâques & de la Pentecôte.
Guy XIV de Laval maintient cette « chevauchée » de Concoret dans les Usements de 1467 alors qu’elle est abolie par le duc de Bretagne depuis 1410.
[...] le Duc Jean V surnommé le Sage, déchargea les Seigneurs proches de la nécessité de faire Menée de leurs hommes & aux hommes d’y comparoître ; si ce n’est qu’ils y fussent spécialement assignez comme défendeurs, pour répondre à leur partie adverse. C’est sa constitution du 8. Oct. 1410.
Les Usements ne disent pas les raisons pour lesquelles la chevauchée de Concoret est mobilisée. Cependant, cette disposition est mise en place par le comte de Laval dans un but répressif.
Les hommes de Concoret qui ont droit d’usage en Haute-Forêt et qui doivent la chevauchée, ainsi qu’il a été déclaré auparavant, peuvent, en allant et en revenant de cette chevauchée, prendre les délinquants à rançon, exercer toutes les fonctions de forestiers, en avoir les profits et faire les rapports à la Cour de Brécilien de la même manière que pourrait le faire les forestiers ; leurs actes auront la même valeur en justice 12.
Procession commémorative des droits usagers de Concoret
Il est intéressant de comparer cette chevauchée du 15e siècle avec un évènement rapporté par l’abbé Pierre-Paul Guillotin dans son Registre de Concoret (1750-1814). L’abbé fait part d’une procession d’un caractère particulier qui se pratique encore à la fin du 18e siècle. Il explique qu’elle a pris naissance avec deux châtelains fondateurs d’une chapelle qui auraient donné naissance au bourg de Concoret. L’abbé Guillotin s’appuie sur une histoire sans fondement. Cette chapelle, la première église de Concoret, aurait été bâtie au 9e siècle, suite à une réconciliation entre deux châtelains : celui de Belanton (Barenton) et celui de l’Isle-au-Gouet (Isaugouët). Ces châtelains devaient s’affronter pour régler un différend sur la place du « Pâtis-Vert ». Au dernier moment ils se sont réconciliés. Une chapelle aurait été édifiée à cet emplacement, celui de l’église actuelle.
L’abbé Guillotin rapporte que le château de l’Isle-au-Gouët (Isaugouët) est déjà en ruines vers 1500. Le culte qui était rendu à saint André dans la chapelle du château a perduré à Paimpont où la statue du saint a été transportée. Depuis, chaque année à la Pentecôte, une procession au rituel particulier voyait les usagers de Concoret s’y rendre avec un prêtre de Concoret pour aller dire la messe à l’autel de la chapelle du couvent en la paroisse Notre-Dame de Paimpont.
[...] entre 10 et 11 heures du matin, un prêtre [de Concoret] se rendait au bout de la chaussée de Paimpont, vers le couchant. Là, il revêtait surplis et étole, on montait la bannière, on élevait la Croix de Procession. Les usagers ou fermiers étaient armés de hallebardes ou de bâtons auxquels étaient attachés des lauriers, des fleurs, des rubans. Un officier du seigneur de Brandeseuc 13 faisait l’appel des hommes armés. Le prêtre entonnait le « Veni Creator » et la procession, ainsi allait militairement jusqu’au portail de l’avenue des litières 14 où la procession des chanoines venait au-devant de celle de Concoret. Les deux bannières se saluaient et les deux processions se fondaient en une seule qui se rendait à l’Autel Saint André où un prêtre de Concoret disait la messe. La messe finie, on retournait dans le même ordre jusqu’au portail de l’avenue des litières. Les deux processions se séparaient là, celle des Chanoines retournait à son Église, celle de Concoret abattait sa Croix et sa bannière. Ce fut ainsi jusqu’au 31 mai 1773.
Pour expliquer cette procession, l’abbé fait part du droit des usagers de Concoret avant la vente de la forêt de Brécilien en 1653. Il cite un acte qui serait spécifique aux habitants.
L’acte primitif est en date du mercredi 31 octobre 1288, passé entre Raoul, sire de Montfort, propriétaire de la forêt, d’une part, et Pierre du Bouexic et Ollivier, son fils, et autres habitants de Concoret [...]
L’abbé Guillotin associe la procession et son rituel à l’installation des grandes forges par les nouveaux propriétaires de la forêt de Brécilien. L’abbé ne fait pas allusion à la chevauchée de Concoret.
À la lecture de la description faite par Guillotin de la procession de 1773, on remarque son caractère militaire, comme si trois siècles plus tard persistaient les attributs de la chevauchée de Concoret.