1650-1950
La rentabilisation des landes forestières au 19e siècle
Pins maritimes et conflits d’usages en forêt de Paimpont
L’extension des landes à l’intérieur du massif forestier de Paimpont est consécutive à l’établissement de forges industrielles à partir du milieu du 17e siècle. Durant deux siècles, c’est sur ces vastes étendues non rentables pour les maitres des forges, que se concentrent les derniers usages forestiers.
Au début du 19e siècle, de nouvelles méthodes sylvicoles de rentabilisation des landes remettent en cause ces derniers droits d’usages. Les plantations de pins maritimes se multiplient en forêt de Paimpont permettant aux propriétaires de définitivement exclure les usagers de la grande propriété forestière.
1653-1900 — L’origine anthropique de l’extension des landes de la forêt de Paimpont
En forêt de Paimpont, comme ailleurs en Bretagne, la régression de la surface forestière au profit de l’extension des landes est la résultante de l’action humaine. Ce processus prend véritablement son essor sur le massif forestier de Paimpont avec la vente de la forêt de Brécilien en 1653.
Le 29 août 1653, Jacques de Farcy, sieur de Paisnel, acheta avec ses trois frères : François Annibal, seigneur de Saint-Laurent, René, sieur de la Daguerie et Charles, sieur de La Carterie la moitié de la forêt de Brécilien à la duchesse de La Trémoïlle pour la somme de 220 000 livres avec le droit « d’y faire bâtir des forges », l’autre moitié étant acquise par François d’Andigné, sieur de La Chasse.
Les familles de Farcy et d’Andigné - nouveaux maitres des Forges - modifient brutalement les équilibres économiques du massif forestier. En quelques dizaines d’années, l’usage coutumier codifié par la charte des Usements de Brécilien de 1467 est remplacé par une exploitation industrielle de la forêt exclusivement tournée vers la métallurgie. Les conséquences sur les écosystèmes forestiers se font rapidement sentir.
Aux alentours du XVIIème siècle, sans doute sous l’impulsion des Forges, une nouvelle période de déforestation se dessine sur les diagrammes polliniques. D’abord limité à un recul des surfaces boisées ou, pour le moins, à leur éclaircissement, l’impact de l’homme sur le milieu semble entraîner un développement des landes sur le massif. Il se traduit dans les enregistrements par un essor des bruyères et ponctuellement l’apparition des ajoncs et genêts.
Afin de fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement en croissance des Forges de Paimpont, la révolution des coupes forestières initialement prévue tous les 25 ans, est réduite à 15 ans en 1779 1.
[...] le déboisement actif nécessaire à la production du charbon pour les Forges modifie très sensiblement la proportion des essences, car le bouleau colonise plus rapidement les clairières que toutes les autres espèces. D’autre part, le remplacement de la futaie par du taillis entraine la disparition progressive de la végétation naturelle des sous-bois, à savoir le houx, la bourdaine, la myrtille, etc.
Au 18e siècle, la forêt dans laquelle les droits d’usages avaient été accordés par les seigneurs de Laval-Montfort n’existe plus. En moins d’une centaine d’années, les coupes de bois incessantes ont transformé la forêt en taillis puis en landes 2, rendant impossibles les droits d’usages liés à la futaie.
C’est [...] dans la généralisation hâtive de ce régime [l’aménagement de la forêt en taillis] au profit exclusif des propriétaires des Forges, qu’il faut chercher la cause des difficultés sans nombre auxquelles se heurtèrent alors les vassaux.
De la fin du 17e au début du 18e siècle, les maitres des Forges vont user de tous les moyens en leur pouvoir pour limiter les droits coutumiers et s’arroger l’usage exclusif de la forêt. Multipliant leurs interventions auprès du Parlement et des États de Bretagne, ils obtiennent des avancées décisives. En 1665, le pacage des porcs est fortement limité 3. En 1690, le droit d’affouage est remis en cause 4.— DUVAL, Michel, Forêt et civilisation dans l’Ouest au XVIIIe siècle, Rennes, Presses artisanales de M. Le Mée, 1959, 297 p., Voir en ligne. [pages 76-77] —
L’arrêt du 12 mars 1710 marque leur victoire définitive et consacre dans tous les domaines la défaite du régime coutumier traditionnel.
La quasi totalité de la paroisse de Paimpont est désormais sous le contrôle étroit de la police seigneuriale. L’élevage familial - pilier de l’économie vivrière des usagers et communiers de Brécilien - est gravement compromis. Une grande partie des habitants de Paimpont, petits paysans et ouvriers liés aux Forges, basculent dans la pauvreté.
Enclavés dans la forêt seigneuriale, les habitants de l’ancienne franchise s’efforcèrent en vain de faire prévaloir devant leurs juges l’absolue nécessité de leurs usages et d’obtenir que la restriction de leurs privilèges fut subordonnée non point aux besoins réels de la Régie, mais à l’insuffisance reconnue des ressources du massif.
Pourtant - malgré la victoire juridique et l’exclusion des usagers de la majeure partie du domaine forestier - la lande continue à progresser. La disparition de la futaie et sa transformation en taillis sous l’effet des coupes forestières conduit inéluctablement à l’extension des trois types de landes recensées en forêt de Paimpont.
[...] la bruyère ciliée remplace le chêne pédonculé, sur les sols humides, hydromorphes, alors que la bruyère cendrée plus abondante dans les sols secs peu épais, prend la place des chênes sessiles et des sous-bois à myrtilles. Enfin, les fonds de vallées voient les tourbières à sphaignes et les bruyères à quatre angles remplacer progressivement les aulnes.
À la veille de la Révolution, le couvert forestier - taillis et feuillus - comprend à peine 6500 hectares, superficie la plus faible de toute l’histoire de la forêt de Paimpont. L’enquête de 1783 sur le bois de chauffage nous apprend que la futaie a presque disparu, tandis que les landes et les terrains vagues se sont multipliés.
— DENIS, Michel, « Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du XVIe au XIXe siècles », Annales de Bretagne, Vol. 64 / 3, 1957, p. 257-273, Voir en ligne.
[page 265] —
Le grand domaine forestier étant désormais en grande partie interdit aux usages, c’est sur ces landes et terrains vagues
- représentées en vert clair sur la carte de Cassini - que les habitants de Paimpont, Saint-Péran et Concoret vont trouver l’espace et les végétaux nécessaires au pacage et à la litière de leur animaux.
La valorisation des landes bretonnes au 19e siècle
À la fin du 18e siècle, l’intérêt sylvicole des landes bretonnes est encore peu considéré par les grands propriétaires forestiers 5. Laissées à l’usage des populations locales depuis plusieurs siècles, elles sont pour la plupart utilisées en communs aux fins d’une économie vivrière, organisée autour de leur exploitation.
Mais durant la période napoléonienne et la Restauration, l’intérêt pour les landes s’accentue. L’État incite à leur mise en valeur sous forme agricole 6 ou sylvicole. De nombreux projets éclosent, suscitant l’opposition des populations rurales.
[...] dans tout l’Ouest de la France, des landes servant de pacages communs étaient associées aux terres de culture et la superficie des terres communes était parfois très étendue. [...] Au XVIIIe siècle les vastes landes de la Haute-Bretagne méridionale avaient connu quelques tentatives de défrichement par afféagement, mais les expériences restèrent limitées, les riverains hostiles aux clôtures s’empressant de détruire les talus nouvellement construits. Au XIXe siècle, à partir de la Restauration, des investisseurs mieux organisés, issus du commerce nantais, souvent anciens propriétaires à Saint-Domingue, enclosent et mettent en culture des surfaces plus étendues afin de créer des métairies au milieu des landes, contre la volonté des anciens usagers qui firent tout pour s’y opposer.
Au début du 19e siècle, inspirées par le modèle aquitain
, les nouvelles techniques de sylviculture basées sur l’implantation de résineux - principalement du pin maritime - se développent dans les landes bretonnes. En 1806, Alphonse de Candolle, botaniste en voyage dans l’Ouest, préconise de transformer les landes de Bretagne en forêt en y plantant du pin maritime.
Quant aux forêts, il seroit extrêmement facile d’en établir dans plusieurs des landes du Morbihan et du Finistère ; les pins maritimes y viennent par-tout avec une grande facilité, et poussent dans les landes sans y être semés ; les fermiers les arrachent, il est vrai, dans leur jeunesse avec autant de soin qu’ils devroient mettre à les planter. Cette singulière méthode est due à ce qu’il est d’usage que, lorsqu’un arbre a pris vent, c’est-à-dire a acquis un tronc nu en état de résister au vent, il cesse d’être la propriété du fermier et devient celle du propriétaire ; d’après cette coutume qui, souvent même, fait expressément partie des baux, le fermier se hâte de jouir de l’arbre pendant qu’il en est possesseur.
Particuliers et sociétés anonymes se lancent dans d’ambitieux projets de plantations qui remettent en cause les fondements de l’agriculture vivrière fondée sur l’exploitation des landes. — BEAULIEU, François de et POUÉDRAS, Lucien, La mémoire des Landes de Bretagne, Skol Vreizh, 2014, 175 p. [pages 158-159] —
Dès le premier tiers du XIXe s., des landes furent plantées en résineux à l’initiative de particuliers. Puis, dans les dernières années de la Restauration, une « Compagnie de Bretagne pour la plantation de 100 000 ha de landes en pins et bois résineux » était constituée. Sans doute, dans les anciennes sylves, les premières plantations furent-elles ravagées par les riverains qui intentaient encore de multiples procès pour atteinte à leurs droits traditionnels de pacage et de litière.
1810 -1830 — L’introduction du pin maritime dans les landes de la forêt de Paimpont
Dans la première décennie du 19e siècle - comme ailleurs en Bretagne - les conflits sur les landes situées aux lisières de la grande propriété forestière s’amplifient.
À partir des années 1810, à l’ouest du massif forestier, les landes du Pertuis Néanti, de la Grenouillère, de la Roche, de Rauco et du Bréhelo, situées sur les communes de Paimpont, Tréhorenteuc et Campénéac sont l’objet de conflits entre les usagers et leur propriétaire, Henry de Busnel (1766-1847) 7.
En 1812, au Nord du massif forestier, les maitres des Forges concèdent la moitié des landes de Lambrun et de Barenton - soit cent quatre-vingt-six hectares - aux usagers de Haligan en Concoret. Cet accord qui met fin à des procès récurrents sur les droits d’usage leur permet de rejeter définitivement ces usagers de leur propriété désormais exclusivement dédiée à la sylviculture 8. — ANONYME, Bulletin de la Cour impériale de Rennes et des tribunaux du ressort, 1858, Voir en ligne. p.21 —
Dans le même temps, à l’intérieur du massif, le pin maritime fait l’objet des premiers projets de plantations visant à valoriser les parcelles improductives. Les premières plantations, supervisées par le garde général R. Ronceray, commencent vers 1815 9.
14 octobre 1815 — avis aux usagers des communes de Paimpont et Saint Perant, signé R. Ronceray et Leveillé, portant deffense expresse de couper du litrage dans les semis et plantations faites dans l’enclos de la lande de Paimpont et dans les places veines et vagues de la terre de Nohé ? et de la Croix Coupel pour être publié et affiché le 22 d’après autorisation du maire de Paimpont.
Le processus d’implantation du pin maritime s’amplifie dans les premières décennies du 19e siècle, modifiant en profondeur le peuplement forestier et l’économie de la forêt.
Dès 1836, le pin était devenu l’une des trois espèces dominantes dans la forêt de Paimpont, avec le chêne et le bouleau.
Cependant, quelques zones de landes situées au cœur du massif sont encore utilisées par les usagers de Paimpont et de Saint-Péran. L’implantation de pins maritimes dans ces landes va permettre aux propriétaires successifs des Forges de Paimpont de définitivement rejeter les usages hors de la grande propriété forestière.
La jurisprudence a toujours reconnu les droits des habitants, mais l’avènement du code forestier a amené le défrichement des landes et la plantation des pins, supprimant ainsi l’exercice de ces droits.
[ICI]
1845-1849 — L’ensemencement de la « Lande de Paimpont »
Les terres dites de la « Lande de Paimpont » sont situées entre le bourg de Paimpont et la Ville Danet. Depuis le début du 19e siècle, elles font l’objet de conflits de propriété entre la commune de Paimpont et les propriétaires des Forges. Ces derniers obtiennent gain de cause vers 1830 10.
À partir de 1845, l’armateur nantais Étienne de Formon (1784-1854), propriétaire des Forges et de la forêt de Paimpont, entreprend de drainer, semer et planter du pin maritime dans nombre de parcelles lui appartenant 11, et notamment dans la « Lande de Paimpont ».
Délaissée par les précédents propriétaires des Forges, cette lande est considérée depuis des siècles comme un lieu d’usages pour les habitants de Paimpont.
En 1845, les travaux d’aménagements nécessaires à la plantation de pins maritimes déclenchent de nouveaux conflits autour des droits d’usages, de passage et de propriété 12.
Le 5 septembre de la même année, le maire de Paimpont alerte le sous-préfet qu’ [...] [Étienne de Formon] est dans l’intention de faire des semis et des plantations dans toutes les landes, vagues et clairières de sa propriété.
— Lettre du maire de Paimpont au sous préfet du 5 septembre 1845 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016. —
Le 13 février 1846, il écrit à nouveau au sous-préfet, confirmant que la lande de Paimpont a été ensemencée sur quelques parcelles dont la commune pourrait être propriétaire.— TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016. —
Le 17 juin 1847, le tribunal de Montfort rend son verdict au sujet de deux chemins dont la direction a été changée par suite de clôtures établies par Mr. Formon dans la lande de Paimpont lui appartenant
. — 3U 2 3029 in TIGIER, Hervé, Terroir de Paimpont, Auto-édition, 2016. —
Le 22 juin 1848, dans un dernier soubresaut de révolte porté par l’esprit des « Journées de Juin » 13, quelques Paimpontais déboutés de leurs droits d’usage s’opposent encore, en arrachant des plants, à l’appropriation de la lande par le propriétaire des Forges 14.
Formon Sieur, propriétaire des forges et forêt de Paimpont. Se déclare partie civile le 5 janvier 1849 contre les prévenus Rolland et Toussaint Buis, Pierre Clement et la Veuve Roulin suite à la destruction de clôtures, au pacage de plusieurs bêtes et à l’arrachage de plants, dans l’opération menée autour d’un drapeau de ralliement planté dans la lande de Paimpont le dimanche 22 juin 1848 et la nuit précédente.
Homme politique et affairiste influent, Étienne de Formon use de toutes les mesures nécessaires afin d’arriver à ses fins. À la fin des années 1840, il est parvenu à rejeter les usagers hors de la « Lande de Paimpont ».
1855-1874 — La banque Seillière propriétaire de la forêt
En 1855, la banque Seillière achète pour le compte du duc d’Aumale la forêt de Paimpont à la veuve 15 d’Étienne de Formon. La banque doit faire face aux conséquences de la gestion de la forêt par les précédents propriétaires ainsi que des conflits liés aux usages des landes par les populations locales. En 1863, près de vingt ans après leur ensemencement, les 410 hectares de la « Lande de Paimpont » sont devenus une forêt.
[La forêt de la Lande] est de création peu ancienne et a été formée par un semis de pin maritime sur une lande longtemps litigieuse et attribuée enfin au propriétaire de Paimpont : elle n’est pas aménagée.
L’implantation du pin maritime mêlée aux vieux peuplements tend à prendre une place de plus en plus importante dans la composition du boisement. En 1863, cette situation inquiète le représentant de la banque Seillière 16 chargé d’examiner les possibilités de rentabilisation de la forêt de Paimpont.
Il y a environ un demi siècle que le pin maritime a fait invasion en Bretagne. La rusticité de cette essence, le bon marché de sa graine, le peu de préparation qu’exigeait sa culture, sa croissance rapide pendant les premières années du semis, le firent choisir pour réviser les landes incultes de ce pays. Les premiers essais ayant été heureux, on propagea sa culture et de la lande où cette essence avait une incontestable utilité, on l’introduisit en forêt pour y peupler les clairières sans se préoccuper du danger qu’il pouvait y avoir à admettre dans la famille forestière une essence presque parasite dont les semences légères ne tardèrent pas à prendre une place plus grande que celle qu’on voulait où qu’on aurait dû lui donner et au détriment des bonnes essences en feuillus. Ce danger se manifeste maintenant dans la forêt de Paimpont. Depuis longtemps, notamment depuis vingt ans, des semis nombreux de pin maritime y ont été faits.
Après avoir rappelé les raisons de la plantation de pins maritimes par Étienne de Formon 17, le rédacteur critique les conséquences désastreuses de la méthode employée, favorisant l’envahissement par cette essence de toute la forêt.
Ce moyen de restauration employé dans une certaine mesure, et limité dans son application, pouvait avoir de bons résultats. A l’abri du pin maritime, on pouvait régénérer les bonnes essences forestières, mais il fallait pour cela l’employer comme accessoire, lui donner un rôle transitoire, et non l’introduire comme une essence principale devant désormais prendre une place prédominante dans la population forestière. Quelques essais de semis de chêne n’ayant pas réussi, soit que les glands aient été mangés par les mulots, soit que le semis n’ait pas été fait sur un sol suffisamment préparé, on cessa de le mêler au pin dans les repeuplements, et cette dernière essence fut exclusivement propagée. On en a semé à peu près partout, dans les sols secs et en pentes, comme dans les terrains humides et presque marécageux. Les plus anciens semis, ceux présentant aujourd’hui des pins ayant acquis un certain développement, s’étendent sur environ 1200 hectares. De plus jeunes semis ont pénétré maintenant dans des proportions variables, dans tous les points de la vieille forêt ; la forêt de la Lande est toute entière formée de jeunes pins maritimes. Cette essence est donc en voie de prendre possession du sol de la forêt de Paimpont, et, quoique dépérissante dans les cantons humides, qui sont les plus nombreux, elle conduirait avec le temps à l’expulsion naturelle du chêne si on continuait à favoriser son invasion, ou si seulement on la laissait marcher sans entraves.
Convaincue par les arguments du rapport, la banque Seillière va suivre ses préconisations et entamer une modification de la gestion de la forêt, visible sur le Plan géométrique et topographique du Domaine de Paimpont, daté de 1867.
Les plantations de pins maritimes sont remises en cause. La gestion forestière doit désormais s’orienter vers un rééquilibrage des essences afin d’augmenter les revenus de la sylviculture de futaie.
Il y a là une forêt à restaurer dans ses bonnes parties, à refaire dans les médiocres, à soumettre à un aménagement mieux adapté à ses possibilités, à ses ressources. Devant modifier sa production en matières, favoriser leur écoulement et préparer l’augmentation progressive de son revenu. Un long temps sans doute est nécessaire pour refaire une futaie sur taillis, mais plus cette restauration doit être lente, plus il est urgent de la commencer. Quant aux taillis, peu d’années doivent suffire à la transformation de leurs produits.
Là encore les conclusions sont les mêmes : les droits d’usages des habitants de Paimpont et de Saint-Péran sont considérés comme une entrave au versement de l’intégralité du produit de la forêt aux actionnaires de la banque Seillière.
En terminant on ne dira que quelques mots sur les droits de pâturage possédés dans la forêt par les communes de Paimpont et de Saint Péran. Il n’est que trop certain que l’exercice de ce droit est une des causes, sinon la cause la plus agissante de l’appauvrissement de la forêt, et que sa restauration ne pourra devenir complète qu’après l’extinction de ce droit. [...] Dans tous les cas, il faut absolument faire rentrer l’exercice de l’usage dans les limites que la loi permet de lui imposer, et l’assujettir aux entraves légales à partir de la mise en pâturage du printemps de 1864.
1874-1900 — La famille Levesque
Louis Auguste Levesque (1809-1888) achète la forêt et les Forges de Paimpont à la banque Seillière en 1874. Le Domaine de Paimpont comprend alors 1500 hectares de résineux.
1.500 hectares seulement sont en bois résineux. Le reste est occupé pour 2/3 environ de chênes à l’état pur, l’autre 1/3 en hêtres, bouleaux, châtaigniers mélangés. Les futaies pleines sont restreintes, les baliveaux sur taillis fort nombreux.
À la mort de son père en 1888, Donatien Levesque (1842-1908) hérite de la gestion de l’ensemble du Domaine de Paimpont. La fermeture des Forges en 1884 l’amène à reconsidérer l’ensemble des possibilités de revenus. Animé d’un souci de rentabilisation, Donatien amplifie les projets de développement amorcés par son père et en réalise de nouveaux : création d’une scierie, pisciculture, réforme de la garderie, relance de l’activité métallurgique, etc. Le volet sylvicole n’est pas en reste comme l’atteste le compte rendu de la Commission de visite du reboisement en Bretagne en 1888.
La commission ne peut exposer les nombreuses et intéressantes opérations forestières presque toujours couronnées de succès. [...] Signalons aussi les nombreux essais de naturalisation forestière faits par M. Rogatien Levesque dans le parc même de Paimpont sur les espèces résineuses les plus variées qui sont l’objet de ses études et de ses observations en vue de les adapter au sol et au climat de la forêt 18.
La plantation de résineux est systématisée sur des zones de landes dites vides et vagues
qui représentent 10 % du domaine à son achat en 1874. Les plantations de pins maritimes commencent véritablement à partir de 1876 : on fait venir des graines d’Allemagne (Darmstadt) puis de France (Vilmorin) à raison de 1500 kg pour le pin maritime, 400 kg pour le pin sylvestre. Les semis étaient réalisés en priorité dans les parties incendiées.
— LEVESQUE, Jérôme, Les Levesque de la fin du XVIIe siècle à nos jours, Les Forges de Lanouée, 2004.
[pages 118-119] —
En 1888, la presque totalité des landes a été reboisée par des semis de pins au prix moyen de 35 fr. l’hectare
.
Deux systèmes sont employés ; là où la gauche 19 est trop envahissante, des poquets (ou potets) de 65 cent. de diamètre sont exécutés à l’automne au prix de 10 fr. le mille, et les gardes sèment en temps opportun. Ailleurs la bruyère est coupée ras terre, et les graines jetées à la volée. Ce dernier moyen a produit des résultats les plus remarquables.
Le pin maritime présente une extrême vigueur, et atteint 30 cent. de diamètre à 60 ans.
Le pin sylvestre n’est pas moins vigoureux.
Le sapin argenté (abies pectinata) abonde sur certains points, et le réensemencement naturel s’opère à profusion.
Afin d’optimiser la production des vastes plantations de pins dont ils ont hérité ainsi que de celles qu’ils plantent à partir de 1876, les Levesque développent une filière spécifique organisée autour de la scierie de la Fenderie.
Les cotrets de pins sont vendus pour Paris.
Les pins sylvestres, maritimes et les sapins argentés sont débités dans la scierie que M. Levesque a créée au centre de la forêt, en utilisant comme force motrice l’eau de ses étangs. Cette scierie a un outillage très complet et très perfectionné et occupe de nombreux ouvriers en permanence.
En 1863, le rapporteur de la banque Seillière incriminait la production outrancière de charbon de bois pour les Forges et les usages agricoles des populations locales comme étant les deux principaux facteurs d’extension de la lande en forêt de Paimpont.
D’après toutes les sources des années 1880-1890 concernant la forêt de Paimpont, l’appauvrissement du couvert forestier menant à l’extension des landes est imputé aux seuls abus des droits d’usage.
Entre 1878 et 1883, les Levesque engagent une série de procédures contre les usagers de la forêt de Paimpont qui se terminent par l’abrogation des derniers droits d’usages forestiers.
Là s’arrête cette longue série de procès, de jugements et d’arrêts qui n’a pas occupé moins de deux cent vingt ans et a successivement mis à néant toutes les prétentions des usagers à empêcher leurs abus.
La propagation du pin dans les lisières forestières
À l’orée du 20e siècle les usages agricoles des landes n’existent plus sur la grande propriété forestière.
L’instauration, sous l’égide des maitres des Forges de méthodes nouvelles d’exploitation intensive dans les vastes domaines, dont ils s’étaient rendus acquéreurs sous le couvert des anciens seigneurs, n’aura fait que précipiter un règlement que l’empire du capitalisme naissant rendait par ailleurs inéluctable.
Seules les landes des lisières du massif forestier sont encore exploitées dans le cadre d’une agriculture vivrière. Ces landes de Beignon, de Néant sur-Yvel, de Tréhorenteuc, etc., autrefois propriétés communales ou communs, ont été achetées, en petites parcelles, à partir des années 1850 par des paysans.
Les usages agricoles du finage [de Tréhorenteuc] se déploient sur des landes qui sont en partie des propriétés communales ou des communs du village. En 1820, elles représentent 141 hectares, soit plus de 27 % de la surface communale. Elles sont partagées entre 1858 et 1870, au même moment que les landes du Val sans Retour. En 1914, il ne reste que trois hectares de propriétés communales.
Les parcelles de landes sont progressivement abandonnées à partir des années 1880, en raison de la persistance de la crise agricole 20 et de l’exode rural qui en découle en Bretagne et dans les communes du massif forestier.— RISSEL, Alain et LAGMIRI, Souad, La métamorphose des communes du massif forestier de Paimpont, Yellow Concept, 2022. [pages 125-128] —
Durant une cinquantaine d’années, le pin maritime s’acclimate progressivement aux landes - sans aucune entrave à son installation - jusqu’à leur transformation en forêt à partir des années 1950.
Enfin la lande ne joue plus le rôle primordial qu’elle assumait au siècle dernier encore, en tant que terrain de pâture collectif. Les landes les plus importantes, celles de Beignon et de Lambrun ont été vendues par petits lots, les dernières en 1937. Sur les parcelles géométriques qui leur étaient attribuées, certains exploitants ont tenté un défrichement et une mise en culture. Mais ces tentatives se sont soldées par des échecs. Aussi assiste-t-on maintenant sur ces anciennes landes, qui ne sont plus piétinées par les troupeaux communaux, à une offensive victorieuse de la forêt. Ce reboisement, dans certaines parties de la lande de Beignon a parfois été organisé par les propriétaires, mais la plupart du temps il est spontané : dans les landes de Lambrun, de jeunes sapins croissent même sur les chemins tracés pour desservir les parcelles.
A l’issue d’un processus de deux-cents ans, le pin maritime a colonisé l’ensemble du massif forestier et de ses lisières.