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La Fontaine de Jouvence

Un thème mythologique en forêt de Paimpont

La Fontaine de Jouvence est un thème mythologique que l’on retrouve dans les textes antiques, la bible ou encore la littérature médiévale. Elle a été localisée en de nombreux pays réels ou imaginaires comme le Pays de Cocagne.

Une « Fontaine de Jouvence » est située en forêt de Paimpont-Brocéliande, près du village des Landelles en Saint-Malon-sur-Mel, à quelques pas du tombeau de Merlin. Cette fontaine, qui porte aussi le nom de « Fontaine des Landelles », n’a plus aujourd’hui l’importance touristique qu’elle a eu jadis.

Les inventions néodruidiques de Poignand

La Fontaine de Jouvence est localisée pour la première fois en forêt de Paimpont dans les notes manuscrites de Jean Côme Damien Poignand. Ces notes inédites, datées du début du 19e siècle, ont été partiellement publiées en 1896 par Félix Bellamy dans La forêt de Bréchéliant. Poignand, qui la situe à proximité du « Tombeau de Merlin », décrit la Fontaine de Jouvence telle qu’il l’aurait vue dans sa jeunesse, vers 1780.

[...] l’on remarque, à l’Est, sur le penchant d’une montagne, une fontaine creusée dans le roc vif, qui est entourée de grosses pierres de bahut, en forme de siège ; il a fallu les y transporter de main d’homme, dans une pente très rude, et dans laquelle il n’était pas facile de se soutenir. L’on voit que des arbres avaient été plantés autour de cette fontaine, en leur creusant dans le roc vif des fosses assez larges et assez profondes, ce qui n’était pas petit travail. Quelques-uns des ces arbres, essence de chêne, existaient encore il y a quarante ans, et paraissaient d’une grande vétusté. Enfin des degrés comme ceux d’un escalier étaient taillés dans le roc vif pour descendre des deux cellules à la fontaine. Ces degrés sont recouverts par intervalles d’une pelouse, résultat de la poussière et du charriement des eaux supérieures. Mais il est facile de les retrouver partout en les découvrant. La montagne est élevée au dessus d’une vallée profonde, et la fontaine est à peu près au milieu de la pente, si bien qu’en la regardant d’en bas elle semble jaillir comme par enchantement du haut d’un rocher. [...]

Cette fontaine était proche des tombeaux de Merlin et de son épouse Viviane, au bord de la forêt de Brécilien. J’ai vu dans ma jeunesse cette fontaine entourée d’énormes pierres qui la rendaient remarquable, mais aujourd’hui elle en est dégarnie, et n’est plus remarquable que par son nom.

Jean Côme Damien Poignand in BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 688

Poignand utilise l’hyperbole afin de prêter à la fontaine une grandeur passée : des hommes ont amené de grosses pierres, taillé un escalier dans le roc, planté des chênes sur un terrain qui ne s’y prêtait guère. Il semble lire - ou imaginer - dans le paysage proche de la fontaine, des faits qui s’y seraient passés dans des temps antiques. Auteur de théories empruntes de néodruidisme, Poignand glisse aisément de l’examen du paysage à la vision de son origine, forcément celtique. Bellamy rapporte ainsi les propos de Poignand.

Les Druides avaient aux solstices et aux équinoxes une fête principale. A la fête du solstice d’été, on faisait le recensement de tous les enfants nés dans l’année. A cet effet, ils étaient apportés au lieu de la fête qui se tenait au voisinage du tombeau (dolmen) de quelque personnage célèbre, près de certaines fontaines, afin que les enfants pussent être lavés ; et comme la cérémonie avait lieu la nuit, on allumait des feux pour qu’ils n’eussent pas à souffrir de la fraîcheur ; d’où l’origine des feux de la Saint-Jean. Puis l’enfant, son sexe ayant été reconnu, était inscrit sur le marith ou registre. Ces fontaines se nommaient en celtique Jaouanc, qui veut dire jeunesse, d’où nous avons fait Jouvence. Or, les enfants qui n’avaient pu être présentés au recensement de l’année, étaient rapportés l’année suivante, et inscrits comme nés dans cette année : de sorte qu’ils se trouvaient rajeunis d’un an sur le marith. De là, la fable de la fontaine de Jouvence qui rajeunit. Une de ces fontaines est située près des Landelles en Saint-Malon, et dont nous nous occupons ici.

Dans ces notes manuscrites reprises par Bellamy, Poignand ajoute que les premiers moines évangélisateurs, voulant éradiquer le druidisme, avaient établi près de la Fontaine de Jouvence une chapelle dédiée à Saint-Jouan. Les moines auraient transformé le mot « yaouank » ou « jaouanc » (jeune), dont est tiré Jouvence, en Saint-Jouan, pour attirer les sectateurs de la fontaine à leur chapelle de Saint-Jouan (actuellement Saint-Jean) en Saint-Malon.

La chapelle Saint-Jouan en Saint-Malon
Guy Larcher@2021

Bellamy reprend les thèses de Poignand avec une certaine distance. Ces inventions, mêlant un thème mythologique - Jouvence - à un rituel druidique et à des glissements étymologiques, sont dans les habitudes des publications de l’antiquaire montfortais, qui en avait déjà usé pour inventer le Tombeau de Merlin.

Ne serait-ce pas cet érudit antiquaire qui aurait semé dans le pays le premier germe de ce conte de la fontaine de Jouvence ? Ne serait-ce pas à lui qu’il faudrait faire remonter l’origine de cette tradition qui applique à l’humble source du village de la Landelle, le nom de la nymphe Juventa, le nom célèbre de la fontaine de Jouvence ; et cela dans le but de donner une origine druidique à la chapelle Saint-Jouan, dont, à tort ou à raison, il fait dériver le nom du mot Jaouanc.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 690

La Fontaine de Jouvence dans les premiers guides touristiques

Le guide de 1838

Les manuscrits de Poignand sur la Fontaine de Jouvence ne seront partiellement publiés par Bellamy qu’en 1896. On trouve cependant trace de leur influence dans le premier guide touristique mentionnant la fontaine. En 1838, ce Guide de la France pittoresque mentionne, au chapitre consacré à l’arrondissement de Montfort, une fontaine de Jouvence située en forêt de Paimpont.

Au dessous [du tombeau de Merlin] et sur le versant de la montagne, vers le ruisseau, était la fameuse fontaine de Jouvence, entourée de pierres colossales et d’une plantation de chênes ; cette fontaine a été fort dégradée ; ce qu’elle offre aujourd’hui de plus remarquable est un petit escalier tournant taillé dans le roc pour y descendre du sommet de la montagne. Un peu plus loin, vers l’ouest, est le château de Compère, ou de la fée Morien, qui offre des ruines extrêmement pittoresques.

GIRAULT DE SAINT-FARGEAU, Eusèbe, Le guide pittoresque du voyageur en France, Vol. 5 - Ille-et-Vilaine, Paris, Firmin Didot Frères, 1835, Voir en ligne. p. 31

Félix Bellamy, fin connaisseur de la prose de Poignand, reconnait son style et sa description dans cet extrait du guide de 1838. — Bellamy, Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 690 —

Le guide de 1868

Le premier guide consacré à Paimpont paraît en 1868. La Fontaine de Jouvence est incluse dans le circuit touristique proposé à cette classe de touristes - grâce à Dieu de jour en jour plus nombreuse - qui, avant de visiter l’Allemagne, la Suisse où l’Italie, croit bon de connaitre la France. Contrairement au guide de 1838, son auteur s’est rendu sur les lieux et donne une description de la fontaine plus proche de la réalité.

Si l’on redescend de quelques pas dans le vallon, vers l’est, on vous montrera sur la pente, au fond d’un petit bassin de mousses, la fontaine de Jouvence. Quel dommage que ses effets ne répondent plus à son nom ! Ce serait aujourd’hui la source la plus connue du monde entier. Elle n’a gardé de ses antiques et regrettables propriétés que celle de ranimer un instant les forces du voyageur altéré.

DU BOIS DE PACÉ, Brocéliande en deux journées, Guide du touriste à la forêt de Paimpont, Rennes, Typographie Alphonse Leroy fils, 1868. [page 28]

Le guide de 1919

Dans le second guide touristique centré sur Paimpont-Brocéliande, l’auteur professe un certain scepticisme quant à l’ancienneté de la Fontaine de Jouvence ou du prétendu Tombeau de Merlin.

La fontaine de Jouvence est un peu au-dessus d’un lavoir ombragé par deux jeunes chênes. Une tradition assez récente semble-t-il, veut que ce soit ici la véritable fontaine merveilleuse dont l’eau rend la jeunesse à qui en boit ; rien n’empêche d’essayer, car la modeste source, un trou circulaire à fleur de sol est d’une limpidité engageante.

DELALANDE, Honoré, Guide du Touriste dans la Forêt de Paimpont. Itinéraires cyclistes, circuits automobiles, Rééd. 1926, Rennes, L. Bahon-Rault, 1919, 52 p. [page 27]

Il est vrai que son auteur, s’appuyant sur l’œuvre de Félix Bellamy, profite de l’examen critique de l’auteur de La forêt de Bréchéliant pour rédiger son guide.

Félix Bellamy et la Fontaine de Jouvence

Félix Bellamy a consacré un chapitre à la Fontaine de Jouvence dans La forêt de Bréchéliant, paru en 1896.

C’est la contrée de Brocéliande, qui outre ses autres merveilles, possède la véritable Fontaine de Jouvence.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 685

Au-delà d’un certain chauvinisme parfois présent dans son œuvre, son étude se veut comme toujours exhaustive et précise. Bellamy dresse d’abord un inventaire des sources mythologiques et littéraires de Jouvence avant de nous donner une description de la fontaine à la fin du 19e siècle.

On la trouve dans un petit ravin qui, du milieu de la colline, descend presque perpendiculairement à la rive gauche du ruisseau, un peu en aval du moulin de la Marette. Elle ne consiste que en un simple trou creusé dans le sol au flanc droit de ce ravin.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 685
La fontaine de Jouvence en 1899
Photographie datée du 12 septembre 1899

Bellamy reprend les notes manuscrites inédites de Poignand et les compare avec son examen physique de la fontaine. La différence est telle qu’il ne parvient pas à faire un lien avec la fontaine qu’il a sous les yeux. Où sont les chênes, les pierres monumentales, l’escalier taillé dans le roc ?

L’entourage, l’encadrement de cette fontaine est aujourd’hui, et même depuis une trentaine d’années, si différent de celui que nous ont décrit et M. Poignand et le Guide Pittoresque, que on serait presque tenté de croire que ce sont deux fontaines distinctes. Car il n’est guère supposable que dans un laps de cent à cent vingt ans, les seuls ravages du temps aient pu produire un tel changement sur cette lande rocheuse, et on n’y trouve pas trace de travail humain. [...] Je ne serais pas éloigné d’admettre que mes devanciers ont décrit d’après des souvenirs déjà lointains et un peu confus, et que l’imagination s’en est en quelques points mêlée.

Au terme de l’examen du dossier Jouvence, Bellamy souligne la part d’imagination que contiennent les écrits de Poignand. Malgré la rationalité de cette remise en cause, Bellamy cultive une ambiguïté certaine puisqu’il considère qu’il s’agit de la « véritable » Fontaine de Jouvence.

La Fontaine de Jouvence dans les ouvrages de géographie

La forêt de Paimpont est mentionnée en 1899, dans une description de la France du géographe Onésime Reclus 1. La Fontaine de Jouvence atteint une certaine célébrité puisqu’elle est évoquée par l’auteur, en compagnie de Barenton, dans les monts de Paimpont.

Deux fonts miraculeux y épanchaient leur onde « celtique », en un repli du massif de Paimpont. La Fontaine de Jouvence jaillissait mystérieusement à l’ombre des chênes, aujourd’hui remplacés par des pins dans presque tous les longs et larges halliers de Paimpont. Où donc montait de la nuit au jour divin cette eau lustrale qui faisait du vieillard un « jouvenceau », de la sorcière chauve une vierge aux cheveux flottants ? Le peuple ne le sait plus. D’ailleurs n’est-elle pas allée sous mer, comme une autre Aréthuse, jaillir en Amérique où l’ont passionnément cherchée les Conquistadores !

RECLUS, Onésime, Le plus beau royaume sous le ciel, Paris, Hachette, 1899, Voir en ligne. p. 646

Traditions populaires à la fontaine des Landelles

La fontaine des Landelles

Au siècle dernier, avant que ne soient installées dans chaque commune des canalisations distribuant l’eau, les paysans devaient puiser le précieux liquide dans le puits central du village ou dans une fontaine proche. Un récipient attaché par une chaine métallique restait à demeure auprès du point d’eau. Les villageois qui venaient s’y ravitailler repartaient avec un seau dans chaque main, maintenus écartés du corps grâce à un cercle de barrique.

C’est le rôle qu’a tenu la Fontaine de Jouvence auprès des habitants des maisons environnantes des Landelles.

Quant à l’eau de la fontaine, elle est claire et bonne comme dans tous les terrains de roc et incultes. [...] Cette fontaine passe pour ne point tarir ; C’est là que les autochtones du village de la Landelle vont prendre l’eau dont il ont besoin. Parmi les personnes que j’y ai vues, les plus vieilles semblaient ne pas avoir plus de trente-cinq ans ; toutes étaient bien portantes, fraîches et vermeilles comme dans la plus belle jeunesse. C’est évidemment l’effet de l’eau de leur Fontaine de Jouvence.

Cette source, d’ailleurs, n’est pas sans un certain renom dans le pays, et il n’est pas rare, m’a-t-on dit au village des Landelles, d’y voir venir quelques personnes, non dans l’espoir d’y recouvrer une jeunesse passée, par une vertu secrète de ses eaux, mais par motif de dévotion. Cette pratique peut être regardée comme un vestige presque effacé d’une vénération superstitieuse dont cette source, elle aussi, aurait été l’objet dans les temps reculés du culte druidique.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 686

Bellamy souligne avec humour les propriétés attribuées à la fontaine. Il persiste néanmoins à voir dans ces pratiques une évocation du temps des origines.

La Fontaine de Jouvence en 1966
Jen-Claude Fichet

La Fontaine de Jouvence chez Charles Le Goffic

Charles Le Goffic 2, romancier et critique littéraire breton, évoque dans Brocéliande sa balade près de la vallée de la Marette, en compagnie de son guide, l’abbé François Héry.

Nous retrouvons ici les coulées parallèles de schiste. Nous descendons jusqu’à l’eau par une pente assez roide, nous la passons. Bruyères, genévriers hiératiques, semblables à des cyprès, et chargés de baies vertes. La fontaine est un peu au-dessus. Il parait qu’en 1780 des pierres géantes l’entouraient, et aussi des arbres, artificiellement plantés dans le roc où on leur avait ménagé des fosses. Rien n’en subsiste. La fontaine est limpide, abondante comme toutes les sources en cet été pluvieux, mais pleine d’éphémères. Elle décrit un demi-cercle dont l’arc est formé par le schiste de la margelle. Aucune inscription ne la signale. Des buissons la cernent : grands joncs, genêts courts et fleuris, bruyères, scabieuses, menthes sauvages, mais du chiendent surtout. A quelque distance sont une pommeraie et une pinède. De la source part un « ruisset »-comme on dit ici- qui s’écoule dans celui de Dom Jean. Voilà donc sous cette margelle, l’eau renommée qui passait pour effacer les rides du cœur et du visage et, mieux que la méthode Voronoff, rendre leurs vingt ans aux vieillards. Quelle tentation ! Mais il fallait s’y rendre à minuit, sous la lune, pieds nus et en état de grâce.

LE GOFFIC, Charles, Brocéliande, 1932, Terre de Brume, 1995, 163 p., (« Bibliothèque celte »). [pages 61-62]

L’ouvrage de Le Goffic reçoit un accueil mitigé dans les milieux bretonnants. Cette grande figure littéraire bretonne égratigne en effet l’authenticité des merveilles de Brocéliande. Sa description de la Fontaine de Jouvence est suivie d’une diatribe contre les politiques touristiques et les intérêts financiers qui résultent de la mise en valeur des légendes. Le Goffic doute de l’authenticité des sites et des traditions populaires collectés auprès des populations locales.

Comment le tourisme nourrit les traditions populaires

Plus prosaïquement, il est plausible que la fréquentation de cette fontaine par des touristes appartenant aux classes supérieures de la société ait pu conduire les populations locales à créer une mythologie d’origine populaire. Les traditions collectées par Marie Chevallier au début du 20e siècle pourraient en être le reflet.

On trouve dans la forêt la fontaine de Jouvence, à laquelle un moine se rendait chaque jour pour prier ; la terre garda l’empreinte de ses genoux, il n’y pousse plus d’herbe. Autrefois les paysannes du pays et des environs venaient s’y laver la figure et les mains : on raconte qu’elles rajeunissaient de vingt ans.

CHEVALLIER, Marie, « Traditions et coutumes de la Haute Bretagne - LXXVIII - Pays de Paimpont (Ille-et-Vilaine) », Revue des traditions populaires, Vol. 21 / 4, 1906, p. 178-180, Voir en ligne. p. 179

L’abbé Gillard et la Fontaine de Jouvence

Les fonts baptismaux de l’église de Tréhorenteuc ont été nommés « Fontaine de Jouvence ». En cela, l’Abbé Gillard contredit l’origine druidique proposée par Poignand, qu’il remplace par le sacrement du baptême qui est selon lui la véritable cure de jeunesse. Laissons l’abbé nous en donner l’explication.

[...] parce qu’en forêt de Paimpont, il y a une fontaine de Jouvence. Elle a toujours été appelée ainsi et personne n’en conteste le nom. Pourtant au point de vue physiologique, elle n’a jamais rajeuni personne. Mais au temps où le pays était encore bien peuplé, où la religion était encore bien peu organisée, et même indépendamment de ça, car c’était dans les façons de faire des vieux bretons, on s’en servait pour administrer le baptême. C’est de là qu’elle tient son nom de fontaine de Jouvence et, à ce point de vue on ne discute pas qu’elle le soit.

GILLARD, abbé Henri et DELPECH, Jean, Les Mystères de Brocéliande, Ploërmel, les Éditions du Ploërmelais, 1953, 46 p., (« Le recteur de Tréhorenteuc »), Voir en ligne. [pages 29-30]
La Fontaine de Jouvence en 1974

La Fontaine de Jouvence et les politiques d’aménagement du territoire

La fontaine classée en 1934

L’intérêt de l’administration de l’État pour la Fontaine de Jouvence commence dans les années trente.

Entre 1930 et 1931, Alphonse Barbot (1893-1939), député d’Ille-et-Vilaine de la circonscription de Montfort, afin de favoriser le développement touristique, demande que la Fontaine de Jouvence et le Tombeau de Merlin soient restaurés 3. —  DESGRÉES DU LOU, Emmanuel, « Pour le développement du tourisme en Ille-et-Vilaine », L’Ouest-Eclair, 11/10, 1931, Voir en ligne. p. 3 —

Les démarches du député aboutissent au classement du site par un arrêté du 6 novembre 1934, parmi les monuments naturels et les sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire et pittoresque. La Fontaine de Jouvence et le Tombeau de Merlin sont définitivement localisés aux Landelles afin de rendre le développement touristique plus cohérent. La Fontaine de Jouvence est alors associée à l’imaginaire arthurien et prend le nom officiel de fontaine de la fée Viviane, appellation qui n’a pas perduré. — Archives Municipales de Paimpont 2R2 —

La politique d’aménagement semble porter ses fruits puisqu’en 1936, la présence de la Fontaine à proximité de la route est invoquée comme argument par M. Letort, conseiller général, pour obtenir des fonds afin de la rénover.

[...] je vous présente la route axiale de mon canton, qui dessert quatre communes. J’invoque même le côté touristique, parce que nous avons là Paimpont, Plélan et la Fontaine de Jouvence.

CONSEIL GÉNÉRAL D’ILLE-ET-VILAINE, Rapports et délibérations - Ille-et-Vilaine, Conseil général, Vol. 11, Rennes, Conseil général, 1936, Voir en ligne. p. 522

1950-2000 — Les travaux d’aménagement touristique

En 1955, les Ponts et Chaussées du département d’Ille-et-Vilaine mettent en place la première signalétique routière d’accès aux sites légendaires de la commune de Paimpont.

À partir du milieu des années 1980, la Direction Régionale à l’Architecture et à l’Environnement s’intéresse à la protection et à la mise en valeur des sites patrimoniaux. Un projet de 1985 proposait d’étendre à une superficie de 5 hectares la zone classée autour du Tombeau de Merlin, englobant la Fontaine de Jouvence.

Entre 1988 et 1991, le Conseil Régional de Bretagne et la Communauté Économique Européenne lancent une politique de développement de la Bretagne Centrale. La forêt de Brocéliande est retenue par le Comité Régional du Tourisme pour être le cadre d’un développement reposant sur le mythe arthurien. De 1989 à 1992, la Fontaine de Jouvence est aménagée pour répondre à une fréquentation touristique en forte hausse.

La Fontaine de Jouvence en 2013
Alain Bellido

Les sentiers d’accès sont consolidés, une aire de stationnement aménagée. Le Tombeau de Merlin est paysagé et un panneau d’information ainsi que des dépliants touristiques sont réalisés.

Dégradés par une fréquentation très importante, la fontaine et ses environs ont été totalement réaménagés en 2007.

Albert Poulain et la fontaine de Jouvence

En 2008, Albert Poulain publie un ouvrage de synthèse sur les fontaines bretonnes et les croyances qui y sont attachées. Il y évoque la fontaine de Jouvence.

Un peu partout en Bretagne, des imprudents, souvent des pâtres ou des bouviers, se noyaient dans des lieux infernaux. La fontaine, à l’instar d’un étang ou d’un marais, peut devenir le point de passage vers un monde souterrain. Cette fontaine, située à la porte d’un autre monde est par conséquent un lieu magique où l’improbable devient possible, où le temps s’inverse, telle la fontaine de Jouvence à Saint-Malon-sur-Mel [en réalité à Paimpont]. Située au nord de la forêt de Paimpont, dans la vallée de la Marette, sur la rive gauche du ruisseau, au Pont-Dom-Jean, la fontaine n’a pas sombré dans l’oubli et demeure fréquentée. Selon la tradition, il faut s’y rendre à minuit et pieds nus pour profiter de ses vertus. Félix Bellamy écrivit au 19e siècle que « les autochtones du village des Landelles vont prendre de l’eau dont ils ont besoin. Parmi les personnes que j’y ai vues la plus vieille ne semblait pas avoir plus de 35 ans. Toutes étaient bien portantes, fraiches et vermeilles comme dans la plus belle jeunesse. » Voila qui corrobore mot pour mot le récit de Jean de Malville dans son Voyage autour de la terre, à propos des îles qui entourent l’Inde : « Au pied de la montagne, il y a une belle source... quiconque boit à jeun trois fois de cette source est guéri de sa maladie quelle qu’elle soit. Ceux qui habitent là et en boivent souvent n’ont aucune maladie et sont toujours jeunes. »

POULAIN, Albert et RIO, Bernard, Fontaines de Bretagne, Etats de Bretagne, 2008. [page 11]
Dessin de la Fontaine de Jouvence
—  POULAIN, Albert et RIO, Bernard, Fontaines de Bretagne, Etats de Bretagne, 2008.
[page 13] —
Albert Poulain

Un nouveau lieu de dévotion populaire

Depuis une vingtaine d’années, de nouveaux lieux de dévotion naissent en forêt de Brocéliande, à l’Arbre d’Or, au Tombeau de Merlin, et à proximité de la Fontaine de Jouvence, dans une ancienne carrière devenue pour certains « l’esplanade sacrée ». Là aussi on peut remarquer de petits morceaux de papier, réceptacles des demandes les plus diverses, déposées par des visiteurs parfois lointains, entre les pierres des nombreux petits cairns de la clairière.

Ceux-là vont ensuite « capter les énergies de l’air et de la terre » sur ce que certains nomment « l’esplanade sacrée ». Située à quelques pas, c’est un terre-plein pierreux dont l’appropriation populaire date d’à peine une vingtaine d’années et qui doit beaucoup au « gothique » 4 et à certains groupuscules lucifériens. Mais depuis quelques temps, les cercles magiques et autres pentagrammes ont fait place à de petits tertres en pierre qui sont autant de « capteurs énergétiques » entre lesquels il convient de déambuler en méditant.

CAMUS, Dominique, Dévotions populaires et tombes guérisseuses en Bretagne, Rennes, Ouest-France, 2011, 127 p. [page 119]
Cairns de la Fontaine de Jouvence en 2014
Manawyddan Cellydon

La Tradition veut que celui qui construit son cairn l’imprègne de son vœu, de sa volonté, de son énergie pour que soit diffusé son souhait.

MANAWYDDAN CELLYDON, « Les cairns rouges », Le sanctuaire de la lune : paganisme & voyages entre les mondes, 2014, Voir en ligne.

Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

CAMUS, Dominique, Dévotions populaires et tombes guérisseuses en Bretagne, Rennes, Ouest-France, 2011, 127 p.

CHEVALLIER, Marie, « Traditions et coutumes de la Haute Bretagne - LXXVIII - Pays de Paimpont (Ille-et-Vilaine) », Revue des traditions populaires, Vol. 21 / 4, 1906, p. 178-180, Voir en ligne.

CONSEIL GÉNÉRAL D’ILLE-ET-VILAINE, Rapports et délibérations - Ille-et-Vilaine, Conseil général, Vol. 11, Rennes, Conseil général, 1936, Voir en ligne.

DELALANDE, Honoré, Guide du Touriste dans la Forêt de Paimpont. Itinéraires cyclistes, circuits automobiles, Rééd. 1926, Rennes, L. Bahon-Rault, 1919, 52 p.

DESGRÉES DU LOU, Emmanuel, « Pour le développement du tourisme en Ille-et-Vilaine », L’Ouest-Eclair, 11/10, 1931, Voir en ligne.

DU BOIS DE PACÉ, Brocéliande en deux journées, Guide du touriste à la forêt de Paimpont, Rennes, Typographie Alphonse Leroy fils, 1868.

GILLARD, abbé Henri et DELPECH, Jean, Les Mystères de Brocéliande, Ploërmel, les Éditions du Ploërmelais, 1953, 46 p., (« Le recteur de Tréhorenteuc »), Voir en ligne.

GIRAULT DE SAINT-FARGEAU, Eusèbe, Le guide pittoresque du voyageur en France, Vol. 5 - Ille-et-Vilaine, Paris, Firmin Didot Frères, 1835, Voir en ligne.

LE GOFFIC, Charles, Brocéliande, 1932, Terre de Brume, 1995, 163 p., (« Bibliothèque celte »).

MARCHÈS, Léo, « De l’utopie », Cyrano : satirique hebdomadaire, 1930, Voir en ligne.

RECLUS, Onésime, Le plus beau royaume sous le ciel, Paris, Hachette, 1899, Voir en ligne.

RIMBAULT, Paul (rédacteur en chef), « La vraie Jouvence », L’effort Algérien, 1927, Voir en ligne.


↑ 1 • Onésime Reclus, né à Orthez le 22 septembre 18371 et mort le 30 juin 1916, est un géographe français, collaborateur du Tour du monde. Il est notamment connu pour être l’inventeur du mot « francophonie ».

↑ 2 • Charles Le Goffic, né le 14 juillet 1863 à Lannion où il est mort le 12 février 1932, est un poète, romancier et critique littéraire français dont l’œuvre toute entière célèbre la Bretagne.

↑ 3 • Ce projet d’Alphonse Barbot est à l’origine d’une moquerie adressée au député François Albert dans les couloirs de l’Assemblée Nationale —  MARCHÈS, Léo, « De l’utopie », Cyrano : satirique hebdomadaire, 1930, Voir en ligne. p. 11 —

Cette information a aussi été relayée par un quotidien d’Alger —  RIMBAULT, Paul (rédacteur en chef), « La vraie Jouvence », L’effort Algérien, 1927, Voir en ligne. p. 1 —

↑ 4 • Le mouvement gothique est un courant de contre-culture apparu entre la fin des années 1970 et au début des années 1980 au Royaume-Uni, après les mouvements musicaux punk et post-punk.