Le néodruidisme en Brocéliande
Le mythe du druide en forêt de Paimpont
La figure du druide, associée à Merlin, fait partie de l’imaginaire de Brocéliande. Fantasmée par le néodruidisme naissant, cette figure mythique est implantée sur des sites de la forêt de Paimpont dès le début du 19e siècle. Le mythe du druide en forêt de Paimpont se perpétue jusqu’à nos jours malgré sa remise en cause par l’histoire contemporaine.
Les origines du néodruidisme au 18e siècle
Le néodruidisme nait au début du 18e siècle en Grande-Bretagne. John Toland fonde le Druid order à Londres en 1717. Un deuxième mouvement, l’Ancient Order of Druids, est créé par Henry Hurle en 1781. Des Gallois regroupés autour de Iolo Morganwg inventent une troisième tradition druidique en fondant en 1792 le Gorsedd Beirdd Ynis Prydain ou Collège des Bardes de l’Île de Bretagne. S’affirmant de la filiation des bardes, ils cherchent à réactiver un passé prestigieux à partir d’origines celtiques fantasmées.
Cette réaction spirituelle et culturelle à la domination anglaise trouve des échos en Bretagne. Le néodruidisme breton, issu de la branche galloise, prend son essor vers 1820, porté par la vague romantique et celtomane de la Restauration. Il est le fait d’une partie de l’aristocratie bretonne qui, ayant perdu son pouvoir au profit de la classe bourgeoise urbaine, se plonge dans la quête de ses racines celtiques. En 1838, Auguste Brizeux (1808-1858) et Théodore Hersart de la Villemarqué (1815-1895) sont les premiers bretons à être intronisés bardes par les Gallois du Gorsedd des bardes de l’île de Bretagne à Abergavenny, aux côtés de Louis de Carné de Marcelin et d’Auguste du Marhallac’h. Hersart de la Villemarqué inaugure la Breuriez Breiz, ou Société des bardes bretons en 1857, ancêtre de la Gorsedd de Bretagne, fondée en 1900 à Guingamp.
En plus de la Gorsedd de Bretagne, porteuse de tendances autonomistes-séparatistes, d’autres fraternités druidiques vont naître au cours du 20e siècle. Il est bon de signaler qu’on retrouve, dans les diverses mouvances actuelles, des groupes d’inspiration « New Age » ou politiquement extrémistes.
Ces différents mouvements n’ont aucune filiation historique attestée avec les druides de l’antiquité. — GUYONVARC’H, Christian et LEROUX, Françoise, Les Druides, Rennes, Editions Ouest-France, 1986. —
La survivance du culte druidique en forêt de Paimpont
Au début du 19e siècle, les connaissances sur la préhistoire en sont à leurs balbutiements. Tout ce qui est antérieur à la présence romaine en Gaule est considéré comme appartenant au monde celtique. Les menhirs, dolmens, et autres monuments mégalithiques sont donc assimilés au druidisme et fantasmés à travers la figure originelle du Druide.
Les premiers écrits portant l’empreinte du néodruidisme fleurissent sur le massif forestier de Paimpont. Historiens, poètes, folkloristes, littérateurs, explorent la forêt, animés par une même passion pour la quête des origines celtiques. En témoignent les œuvres de Jean-Côme-Damien Poignand, d’Auguste Brizeux, de Hersart de la Villemarqué, de Félix Bellamy, de Xavier de Bellevüe ou plus récemment de l’abbé Gillard.
Ces auteurs inventent une mythologie druidique spécifique à la forêt de Paimpont selon laquelle la forêt de Brécilien, qui aurait couvert autrefois toute la Bretagne, était le temple des druides. Habités par cette croyance, ils retrouvent sur de nombreux sites les traces d’un culte druidique qui aurait survécu plus longtemps en forêt de Paimpont que partout ailleurs.
1820 — J.C. Damien Poignand
En 1820, « l’antiquaire » J. C. Damien Poignand affirme avoir découvert la tombe de Merlin dont il fait un archidruide. Pour Poignand, premier auteur à théoriser cette survivance du culte druidique en forêt de Brécilien, le druidisme aurait été dénaturé durant la domination romaine, puis rétabli dans le royaume de Domnonée.
La tradition est que le chef-lieu de leur gouvernement aurait été à Gaël, et que le principal siège du culte druidique rétabli par eux aurait été dans la forêt de Brécilien. Leur grand pontife, Merlin, sur lequel ont été faits tant de contes et de romans, doit y avoir été enterré, ainsi que son épouse Viviane, vers la fin du cinquième siècle : cette antique religion s’y conserva encore longtemps après, et ne fut abolie que par le roi domnonéen Saint Judicaël vers le milieu du VIIe siècle.
Sous sa plume, le druidisme aurait survécu à la christianisation et Salomon, roi de Bretagne au 9e siècle, y aurait été initié avant de devenir chrétien. C’est enfin Éon de l’Étoile qui devient le dernier druide de Brécilien.
C’était donc vraisemblablement les restes épars des anciens sectateurs du druidisme, qu’avait cherché à rallier Eon de l’Etoile dans les environs de la forêt de Brécilien.
1837 — Hersart de la Villemarqué
Cette théorie fantaisiste sur la survivance du culte druidique est reprise par de nombreux auteurs. Hersart de la Villemarqué - qui se rend à la Fontaine de Barenton en 1837 - est l’un des principaux propagateurs de ce « folklore druidique ». Grande figure intellectuelle bretonne, il reprend les théories de J. C. Damien Poignand sur la survivance de ce culte.
Brécilien était une de ces forêts sacrées qu’habitaient les prêtresses du druidisme dans les Gaules, son nom et celui de sa vallée l’attesteraient à défaut d’autre témoignage.
Hersart de la Villemarqué peuple la forêt d’étymologies celtiques fantaisistes : Brocéliande devient « Koat brec’hal-léan », « la forêt de la puissance druidique » ; Concoret tire son origine de « Kon Kored », le « Val aux druidesses ».
1896 — Félix Bellamy
Inspiré par les écrits de ses prédécesseurs, Félix Bellamy reprend leurs théories dans sa somme sur la forêt de Brocéliande parue en 1896.
Les druides pratiquaient les rites de leur culte au milieu des forêts. L’immense Brec’halléan, la forêt de la puissance druidique, Bréchéliant devait être un de leurs principaux sanctuaires. Il parait même que les cérémonies du culte druidique se continuèrent en Bréchéliant pendant une partie du VIIe siècle au moins, et peut-être bien au-delà. Mais vers cette époque, la forêt se peupla de pieux solitaires, de cénobites, dont les persévérants efforts parvinrent, à la longue, à substituer le culte chrétien aux pratiques de la religion ancestrale. Néanmoins celle-ci ne resta pas complètement anéantie, et sans doute elle se perpétua longtemps encore dans quelques petits foyers clandestins.
1912 — Xavier de Bellevue
Le premier chapitre de l’ouvrage du marquis de Bellevüe, consacré à la forêt de Paimpont, s’intitule La forêt druidique. On y retrouve le folklore celtique des auteurs précédents.
Cette religion primitive eut comme temple principal les ombrages de l’immense forêt de Brocéliande, centre et cœur de l’Armorique, séjour privilégié des druides.
1945 — L’abbé Gillard
L’abbé Gillard est, à partir de 1945, le principal pourvoyeur en présence druidique de la forêt de Paimpont. Il reprend aux auteurs précédents la plupart de leurs théories, en les développant à sa manière si persuasive.
Les premiers maîtres de la forêt furent les Druides. Ils n’habitaient pas comme on le croit dans les bois de haute futaie. Ils vivaient dans des maisons, ils chassaient et ils faisaient de l’élevage. A leur départ, les moines bretons leurs succédèrent de plein droit.
La voix de certains historiens s’élève pourtant dès le début du 19e siècle contre ces assertions infondées.
Dès 1825, le chanoine Mahé, dans un essai consacré aux pierres celtiques du Morbihan, évoque l’hérésiarque Éon de l’Étoile, tout en émettant des doutes sur les théories druidiques de Poignand.
[...] un homme qui se faisoit passer pour le fils de Dieu, pour le juge des vivans et des morts, ne ressemble guères à un partisan du druidisme.
En 1949, la Société Polymathique du Morbihan réagit aux inventions druidiques de l’abbé Gillard, relayées par les journaux.
On croit rêver lorsque l’on lit de pareilles fantaisies bonnes tout au plus à répandre des erreurs qui avaient cours, peut-être, au temps du romantisme mais qui ne sont plus de mise aujourd’hui.
1985-2002 — de Jacques Pegeaud à Gwenc’hlan Le Scouëzec
Malgré la remise en cause de ce « folklore druidique » par les historiens contemporains, des publications continuent de véhiculer ces mêmes théories, renouvelées par le « New Age ».
Jacques Pegeaud écrivait encore en 1985.
Les clans d’Armorique siégeaient à Paimpont, centre géographique et haut lieu spirituel de leurs territoires […] Les possibilités psychiques et sensorielles des néandertaliens transparaissent dans les dons indéniables dont firent preuve les druides : Docteurs en sciences naturelles, para-psychologues, magnétiseurs, hypnotiseurs, médiums et devins, les druides arrivaient à dominer entièrement leur corps, possédaient un réel ascendant sur les animaux sauvages, avaient prescience des phénomènes météorologiques.
Certaines figures du druidisme contemporain ont abondamment écrit sur la forêt de Paimpont, contribuant eux aussi à relayer ces théories démenties par les découvertes historiques et archéologiques, sinon à en inventer de nouvelles. C’est le cas, entre autres, de Yann Brékilien et de Gwen’chlan Le Scouëzec.
Paimpont en effet, ce sont les Cinq Bornes ou les Cinq Limites dont parle chrétien de Troyes, puisque tel est le sens, en breton, de Pemp Bonn [en réalité Penpont]. La cité et ses bois sont donc conformes au vieux schéma celtique des quatre piliers du monde et de leur centre. En Irlande, c’était Tara. En Bretagne armoricaine, c’est Paimpont.
Voir aussi :
Cérémonies néo-druidiques en forêt de Brocéliande
Sites néodruidiques en forêt de Brocéliande