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11e-12e siècle

La seigneurie de Gaël-Montfort dans le territoire de Porhoët

Les limites de la seigneurie de Gaël-Montfort

Au milieu du 11e siècle, les comtes de Rennes, ducs de Bretagne, concèdent la partie orientale du territoire de Porhoët à la famille de Gaël.

Le territoire de la seigneurie de Gaël comprend la forêt de Brécilien et s’étend au nord de celle-ci.

Historique des lieux avant la naissance de la seigneurie de Gaël

Pour comprendre l’espace territorial dans lequel prend naissance la seigneurie de Gaël nous devons nous reporter à la période carolingienne. Deux évènements témoignent de son origine.

  • Au début du 9e siècle l’abbaye de Gaël a pour abbé Hélocar, évêque d’Alet. En 816, le roi des Francs, Louis le Pieux (814-840) renouvelle une immunité 1 à l’évêque Hélocar et à son abbaye de Gaël. Hélocar se qualifie d’episcopus in Aleta civitate et d’episcopus in Poutrocoet « Evêque d’Alet et de Poutrocoet ». Le Poutrocoet est alors dirigé par le comte Rorgon dont le nom est attesté en 819 ou 820.

[Rorgon] devait plutôt être titulaire d’un comté correspondant au territoire de l’évêché d’Alet et englobant le Pou-tro-coet ou Pagus trans silvam (Porhoët).

Ce comte Rorgon est dépeint par les historiens comme une personnalité d’envergure solidement installée dans le comté d’Alet. Il réside à Brennowen (Brennowen, aujourd’hui Bernéan en Campénéac), lieu très proche de la forêt de Brécilien 2.

[...] [Plélan-le-Grand] était un bien du fisc ; n’était-il pas voisin du domaine de Bernéan dont disposait le comte Rorgon lorsqu’il était comte en Poutrocoet et du massif boisé de Paimpont dont l’ensemble, terrain de chasse et étang, devait bénéficier du statut particulier du droit de la forêt que protégeait le ban royal ?

CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984. [page 327]
  • En 937, Alain Barbetorte met fin aux invasions vikings. Les abbayes bretonnes dont celle de Gaël sont pillées et détruites. En 1008, leur restauration nécessite une redistribution des terres monastiques qui provoque une spoliation des biens donnant lieu à plusieurs révoltes. Celle de 1016 est menée par les barons bretons dont leur chef, Gleudennus Judicaël, possesseur d’un castrum à Gaël est capturé et tué par Alain III, comte de Rennes et duc de Bretagne. A partir de 1024, l’abbaye de Gaël est reconstruite au nord de Gaël dans un lieu qui prend le nom du saint fondateur, saint Méen 3. Vers 1031, Alain III donne les terres de Gaël que possédait Gleudennus Judicaël à Raoul l’Anglais 4.

Effondrement du pouvoir carolingien et naissance de la vicomté de Porhoët

Suite à l’effondrement du pouvoir carolingien et la perte de la royauté en Bretagne, l’ancien Pou tro coet carolingien devient Porhoët.

[...] Les dénominations synonymes de Pagus trans silvam, Pou tre coet [en breton] et Porhoët étaient descriptives du territoire qu’elles désignaient [...] ces noms s’appliquèrent d’abord et exclusivement à l’ancienne civitas des Curiosolites devenue comté à l’époque carolingienne.

GUILLOTEL, Hubert, « De la vicomté de Rennes à la vicomté de Porhoët (fin du Xe-milieu du XIIe siècle) », in Actes du congrès de Josselin, T. LXXIII, Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1995, p. 5-23. [page 7]

Les familles comtales s’affrontent, des rivalités entre les comtes de Nantes et de Rennes tournent à l’avantage de ces derniers pour gouverner le duché. En 992, Geoffroy Ier 5, comte de Rennes est duc de Bretagne. Néanmoins, les institutions carolingiennes perdurent encore dans le premier quart du 11e siècle. Le Porhoët n’a pas de vicomte et reste donc un territoire à conquérir. Un certain Guethenoc réside à « Château-Trô » 6, en Porhoët. Il est fait vicomte de Rennes par Geoffroy Ier (†1008).

[...] dans le contexte carolingien, le vicomte est l’auxiliaire privilégié du comte pour l’ensemble de sa circonscription, avec possibilité d’agir en ses lieux et place [...] en Bretagne l’assise des pouvoirs vicomtaux passe du comté où se justifiait initialement l’exercice des fonctions déléguées, vers un centre de possessions territoriales contrôlées par la famille vicomtale.

Guillotel Hubert (1995) op. cit., p. 5.

Entre 1055 et 1066 - à l’époque où la seigneurie de Gaël prend naissance - le Porhoët n’est pas un vicomté et se trouve toujours sous le contrôle du comte de Rennes et duc de Bretagne. Les successeurs de Guethenoc, Josselin Ier son fils et Eudes Ier son petit-fils, sont aussi vicomtes de Rennes. Il semblerait que Josselin II, fils ainé d’Eudes Ier, ne bénéficie pas de la même considération de la part du duc Conan III, ce qui ne l’empêche pas de s’attribuer les prérogatives d’un vicomte. Selon Hubert Guillotel, un glissement progressif à parler des vicomtes de Porhoët. s’opère.

[...] Cette évolution est enfin consacrée par le choix de la nouvelle dénomination de vicomte de Porhoët, qui atteste dans le domaine politique l’éclipse de l’ordre carolingien au profit des nouvelles réalités seigneuriales.

Guillotel Hubert (1995) op. cit., p. 22.

C’est durant la titulature de Josselin II que le château de Porhoët est construit au bord de l’Oust, à la frontière de l’évêché d’Alet avec celui de Vannes. Il prend le nom « château de Josselin ». Son frère Geoffroy Ier lui succède à sa mort en 1114.

Josselin II, s’il s’était marié, n’avait pas laissé de fils pour le remplacer et c’est Geoffroy, son deuxième frère, qui relève le titre vicomtal. La notice des années 1114-1118 [...] qualifie Geoffroy Ier de « vicecomes de Porrehodio castro » 7.

Guillotel Hubert (1995) op. cit., p. 20-21.

Le Porhoët est une vaste seigneurie qui s’étend à la fois sur les évêchés d’Alet, de Saint-Brieuc et de Vannes. Le comté de Rennes est situé à l’est du Porhoët.

Carte du vicomté de Porhoët
Carte réalisée d’après les indications d’Aurélien de Courson (Cartulaire de Redon)
http://poudouvre.over-blog.com/ (d’après document Wikipedia)

La seigneurie de Gaël-Montfort, située dans la partie orientale du Porhoët, dépend de l’évêché d’Alet.

La seigneurie de Gaël-Montfort sur les terres de Porhoët

Dans la première moitié du 11e siècle, Raoul l’Anglais s’est vu attribuer des terres sans que l’on connaisse leur étendue avec certitude. Un acte non daté, que les historiens placent sur une période allant du 30 octobre 1055 au 11 décembre 1066, porte les signatures de son fils Raoul de Gaël (Radulfus de Wadel) et de Conan 8 duc de Bretagne. Ce document atteste que Raoul est le premier seigneur connu de Gaël.

Haec carta confirmata est iterum coram Conano... comes, Radulfus de Wadel, Radulfus filius Alani, Goffridus filius...,

GUILLOTEL, Hubert, Actes des ducs de Bretagne (944-1148), Rennes, Presses Universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2014. [pp. 319-320]

[...] les premiers indices attestant la naissance d’une seigneurie se voient dans une charte associant Raoul de Gaël et Conan II. Ce toponyme et ce prénom établissent avec certitude qu’il est le fils aîné et l’héritier de son père.

KEATS-ROHAN, Katharine, « Raoul Anglicus et Raoul de Gaël : un réexamen des données anglaises et bretonnes », in Montfort-sur-Meu et son pays. Histoire et patrimoine., Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2016, p. 33-63. [pages 47-48]

La seigneurie de Gaël s’installe à une période où le Porhoët n’est pas une vicomté mais un territoire sous le contrôle des comtes de Rennes.

Les paroisses de cette seigneurie relèvent de l’évêché d’Alet, une création du pouvoir carolingien qui devient évêché de Saint-Malo au 12e siècle.

Raoul Ier réside dans un château à Gaël, probablement l’ancien castrum de Gleudennus Judicaël. Dans les dernières décennies du 11e siècle, Raoul Ier érige un second château sur une hauteur au confluent du Meu et du Garun, castrum Monteforti, (château de Montfort). Dès lors, Raoul est désigné sous le nom de Montfort 9.

Le comté de Rennes, pendant la seconde moitié du XIe siècle jusque dans les années 1150, s’étend donc sur un territoire allant de la baie du Mont-Saint-Michel à Châteaubriant (116 km) et de la frontière de la Bretagne jusqu’à l’extrémité occidentale des marais de Dol ou au cours de la Vilaine au sud de Rennes (57 km), soit une zone comprenant quelque 248 communes actuelles. L’étude de ce vaste territoire est indispensable pour saisir la politique castrale du comte et comparer le rôle respectif des châteaux et des simples manoirs à motte.

BRAND’HONNEUR, Michel, « Introduction », in Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes. Habitat à motte et société chevaleresque (XIe-XIIe siècles), Presses universitaires de Rennes, 2001, (« Histoire »), p. 9-17, Voir en ligne. [Index 11]
Le comté de Rennes vers 1100

Les limites territoriales de la seigneurie de Gaël-Montfort aux 11e-12e siècle

Au milieu du 12e siècle, la seigneurie de Gaël-Montfort est située entièrement en Porhoët.

  • Au nord, se trouve la seigneurie de Dinan dont font partie les châtellenies de Combourg, Dol, Dinan et Bécherel. Au milieu du 11e siècle, cette seigneurie s’étend sur une soixantaine de paroisses. À la mort de Geoffroy de Dinan en 1123, la seigneurie est partagée entre ses deux fils, Olivier 10 et Alain. Ce dernier reçoit le tiers de la seigneurie qui s’étend jusqu’à Bécherel où il fait construire un château. Alain devient seigneur de Dinan-Sud, de Bécherel et de Léhon. D’autres seigneuries plus modestes, dont on ne connait pas les limites, existent également : Tinténiac, Hédé, dont le château est attesté en 1085 et Aubigny (aujourd’hui Saint-Aubin d’Aubigné). —  CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1987. [pages 154-155] —.
  • Au sud, la rivière de l’Aff constitue la limite de la seigneurie Gaël-Montfort. Passé ce cours d’eau, le territoire de Porhoët est partagé entre la baronnie de Beignon des évêques de Saint-Malo, les seigneurs de Rohan, les seigneurs de Lohéac et le domaine ducal 11.
  • A l’ouest, la seigneurie Gaël-Montfort s’étend un peu au-delà de Saint-Léry et de Mauron 12.
  • A l’est, la Vilaine et le Meu marquent la limite de la seigneurie avec le comté de Rennes.

Paroisses de la seigneurie de Gaël-Montfort

Les historiens s’accordent pour dire qu’à l’origine la seigneurie de Gaël-Montfort forme un ensemble d’une quarantaine de paroisses.

L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Jacques de Montfort est un indice précieux concernant les noms de certaines de ces paroisses situées sur la seigneurie au milieu du 12e siècle. En 1152, son fondateur Guillaume Ier, seigneur de Gaël-Montfort, énumère les donations de terres 13 faites à l’abbaye Saint-Jacques, à son premier abbé le chanoine Bernard, aux frères réguliers et à leurs successeurs.

Voici la liste des grandes paroisses primitives où se situent les terres attribuées par Guillaume Ier et par Amicie de Porhoët son épouse : Gaël, Montfort, Thalencach (Talensac), Monterfi (Monterfil), Senteleio (Saint-Eloi, qui deviendra Montauban-de-Bretagne), Bedesco (Bédée), Bretuil (Breteil), Santi Gillaci (Saint-Gilles), Mauron, Irodouoir (Irodouer), Illifaut, Colum (Coulon), Saint Laveri (Saint-Lery), Saint Magald (Saint-Maugan).

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 613-615

Pour donner un aperçu de l’extension géographique du territoire des Gaël-Montfort, nous dressons - à partir des textes postérieurs au 12e siècle - une liste des communes actuelles, issues de ces paroisses.

  • Au nord du massif forestier : Gaël, Concoret, Saint-Malon, Iffendic, Muel, Saint-Maugan, Saint-Eloi (futur Montauban). Ajoutons : Quédillac, Landujan, Irodouer, Saint-M’Hervon, La Chapelle du Lou, Le Lou, Saint-Uniac, Boisgervilly 14.
  • Au sud-est du massif : Plélan-le-Grand, Saint-Péran, Treffendel, Monterfil, Bréal, Maxent, Saint-Thurial,
  • À l’ouest du massif, Saint-Lery, Trehorenteuc, Mauron, Néant-sur-Yvel, Paimpont,
  • À l’est du massif : Montfort, Talensac, Le Verger, Breteil.

Le mariage de Raoul II avec Havoise, dame de Hédé († av. 1124) permet d’ajouter à cette liste Hédé, centre d’une châtellenie d’une dizaine de paroisses. — Chédeville, André ; Tonnerre, Noël-Yves, (1987) op. cit., p. 156 —


Bibliographie

BRAND’HONNEUR, Michel, Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes. Habitat à motte et société chevaleresque (XIe-XIIe siècles), Rennes, PUR Presses Universitaires de Rennes, 2001, (« Histoire »).

CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1987.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne.

GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe et MERDRIGNAC, Bernard, Les premiers bretons d’Armorique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.

GUILLOTEL, Hubert, « De la vicomté de Rennes à la vicomté de Porhoët (fin du Xe-milieu du XIIe siècle) », in Actes du congrès de Josselin, T. LXXIII, Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1995, p. 5-23.

GUILLOTEL, Hubert, Actes des ducs de Bretagne (944-1148), Rennes, Presses Universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2014.

KEATS-ROHAN, Katharine, « Raoul Anglicus et Raoul de Gaël : un réexamen des données anglaises et bretonnes », in Montfort-sur-Meu et son pays. Histoire et patrimoine., Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2016, p. 33-63.


↑ 1 • Les biens de l’abbaye échappent au contrôle fiscal du comte et de ses agents pour ne relever que du roi.

↑ 2 • Brécilien est l’ancien nom de la forêt de Paimpont.

↑ 3 • Aujourd’hui Saint-Méen-le-Grand.

↑ 4 • Nous ignorons si ce Gleudennus possesseur d’un castrum était un vicomte, c’est-à-dire l’auxiliaire privilégié du comte, ou un vicarii, un agent subordonné n’exerçant que des responsabilités limitées dans une subdivision du comté, la vicaria —  GUILLOTEL, Hubert, « De la vicomté de Rennes à la vicomté de Porhoët (fin du Xe-milieu du XIIe siècle) », in Actes du congrès de Josselin, T. LXXIII, Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1995, p. 5-23. [page 5] —

↑ 5 • Geoffroy Ier est le fils du comte de Rennes, Conan le Tort, mort en 992.

↑ 6 • Le toponyme « Château-Trô » existe encore en Guilliers (56).

↑ 7 • La vicomté de Porhoët est affirmée par Geoffroy reconnu vicomte de Porhoët Gaufridus vicecomes de Pourehoi. dans le Pipe Roll du roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc.

↑ 8 • Il s’agit de Conan II, le fils d’Alain III († 1040).

↑ 9 • Nous nommons « Gaël-Montfort » Raoul et ses descendants pour éviter toute confusion avec les comtes de Montfort-l’Amaury, ducs de Bretagne sous le nom de Montfort.

↑ 10 • Olivier II de Dinan

↑ 11 • Il est possible que Campénéac ait fait partie du domaine ducal, composé d’une dizaine de paroisses autour de Ploërmel et dans ce cas limitrophe de la seigneurie Gaël-Montfort.

↑ 12 • C’est probablement le ruisseau de la Planchette qui marque la limite territoriale.

↑ 13 • Il s’agit de terres situées sur des paroisses de la seigneurie.

↑ 14 • Quédilac, Landujan, Irodouer, Saint-Mervon, La chapelle du lou, Le Lou, Saint Uniac, Boisgervilli sont cités par l’historien Arthur de la Borderie pour qui ces paroisses de la seigneurie de Montauban font partie initialement de celle de Gaël-Montfort.