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†1157

Guillaume I de Gaël-Montfort

Fondateur de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort

En 1152, Guillaume Ier est sollicité par l’évêque de Saint-Malo, Jean de Châtillon, pour bâtir un monastère à Montfort (aujourd’hui Montfort-sur-Meu). Cette abbaye est dédiée à saint Jacques. Elle fait partie de la dizaine d’abbayes qui suivent la règle des chanoines réguliers, créées en Bretagne au 12e siècle.

Le personnage et le contexte historique

Guillaume Ier est le fils ainé de Raoul II de Gaël-Montfort. Sa date de naissance n’est pas connue. À la mort de son père en 1143, il devient le quatrième seigneur de Gaël et de Montfort 1. Son épouse Amicie est la fille de Geoffroy, vicomte de Porhoët. Nous leur connaissons deux enfants : l’ainé Raoul et Geoffroy. Il meurt en 1157.

La première mention concernant Guillaume Ier apparait dans un ouvrage historiographique d’Orderic Vital (1075-v. 1142), moine de l’abbaye de Saint-Evroult (Orne). En 1119, il nomme Guillaume Ier lors de la prise du château de Breteuil (aujourd’hui Breteuil-sur-Iton, Eure) par Henri Ier Beauclerc, roi d’Angleterre et duc de Normandie.

[...] Le roi Henri convoqua les bourgeois [...] et, d’après leur conseil, remit la garde du château de Breteuil à Guillaume, fils de Raoul.

VITAL, Orderic et GUIZOT, François, Histoire de Normandie, Vol. 4, 1827 [trad. par Louis-François du Bois], Paris, Éd. J.-L.-J. Brière, 1075, Voir en ligne. p. 290

Lorsque Guillaume Ier succède à son père, Conan III gouverne le duché de Bretagne. Avant sa mort en 1148, Conan III refuse que son fils Hoël, le seul enfant mâle qu’il eut de sa femme Mathilde de Normandie, lui succède. C’est son petit-fils, Conan IV, neveu de Hoël, qui doit lui succéder. Celui-ci étant trop jeune, le duché est dirigé durant sa minorité par Eudes II (Eudon), vicomte de Porhoët, second mari de Berthe de Cornouaille, la mère de Conan IV 2. En 1154, Conan IV est en âge d’être duc mais Eudes refuse de céder le pouvoir à son beau-fils. À cette date, la situation est conflictuelle entre la Bretagne et Henri II Plantagenêt 3, le jeune roi d’Angleterre. Pour accéder au pouvoir, Conan IV demande l’aide militaire d’Henri II et devient duc en 1156.

Le choix de Montfort pour y fonder une abbaye

Ce qui nous est rapporté de Guillaume Ier est son implication dans la création d’une abbaye augustinienne à Montfort en 1152. Elle est la première abbaye dans la seigneurie de Montfort, où deux prieurés existent alors sur le territoire de Paimpont :

— celui de Penpont, créé avant 1113 4. Le prieuré bénédictin de Penpont dépend de l’abbaye de Saint-Jean à Gaël.

— celui de Telhouët fondé en 1124 par Raoul II de Gaël. Ce prieuré Saint-Samson dépend de l’abbaye Notre-Dame du Nid-au-Merle (aujourd’hui Saint-Sulpice-la-Forêt près de Rennes). Il abrite des religieuses jusqu’en 1729.

Jean de Châtillon, évêque de Saint-Malo, sollicite Guillaume Ier pour y construire une abbaye. Le lieu choisi est proche de son château en bordure de la rivière du Meu, au nord des buttes de la Harelle 5.

Cet emplacement, situé sur une terre de Bédée, appartient à l’abbaye Saint-Melaine de Rennes qui y possède déjà un prieuré. En 1152, Guillaume, abbé de Saint-Melaine, donne son consentement à la fondation de l’Abbaye de Montfort sur ses terres.

Guillaume Seigneur de Montfort obtint de lui la même année la permission de bâtir une Abbaye dans la paroisse de Bédée qui appartenait à Saint Melaine. L’abbé ne se retint aucun autre droit sur la nouvelle abbaye que douze pièces d’argent de cens, monnaie de Rennes.

LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Histoire de Bretagne : composée sur les titres & les auteurs originaux, Vol. 1, Paris, Chez la veuve François Muguet, 1707, Voir en ligne. p. 152

Le rôle de Jean de Châtillon, évêque de Saint-Malo

À la fin du 11e siècle, la réforme grégorienne conduit à d’importants changements en Bretagne. La règle de vie des moines bénédictins décline au profit de la branche réformée de l’ordre cistercien prônée par Bernard de Clairvaux (saint Bernard). Jean de Châtillon, évêque de Saint-Malo de 1143 à 1163, est un personnage important des mondes religieux et politique 6. C’est un disciple de Bernard de Clairvaux formé dans le monastère de Cîteaux, partisan comme lui des chanoines réguliers de Saint-Augustin 7. Jean de Châtillon va implanter quatorze abbayes de chanoines réguliers en Bretagne, dont quatre entre 1152 et 1170 au sud du diocèse de Saint-Malo.

Contrairement aux moines qui vivent cloîtrés dans une abbaye, le statut particulier des chanoines réguliers leur permet de mener une vie conventuelle tout en assumant la direction des paroisses. A partir de 1140 jusqu’à la première décennie du 13e siècle, quatorze abbayes de chanoines réguliers de saint Augustin sont fondées en Bretagne. Ce mouvement s’éteint avec la fondation de Beauport [près de Paimpol] et l’élévation au rang d’abbaye de l’ancien prieuré bénédictin de Penpont.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1987. [page 247]

Mieux contrôler l’érémitisme en forêt de Brécilien

Au 12e siècle, le nombre des ermites va grandissant dans les forêts bretonnes. Elles sont réputées pour en accueillir de nombreux, dont certains sont considérés comme hérétiques. Dès lors, le choix d’implanter une abbaye à Montfort aux confins de la forêt de Brécilien pour contrôler l’érémitisme se comprend. Il s’explique d’autant plus qu’il survient peu après le jugement pour hérésie d’Éon de l’Étoile en 1148. L’historien André Chédeville écrit qu’après cette date

[...] la répression semble avoir été rigoureuse, particulièrement dans le diocèse de Saint-Malo que dirigeait alors l’évêque Jean de Châtillon.
Sans doute Éon de l’Étoile ne fut-il pas le seul à propager des idées hérétiques dans la région : en 1145, l’archevêque de Reims avait rédigé un traité en trois livres « Contre les hérétiques bretons ». Selon lui, ceux-ci professaient des théories à la foi anti-sacramentelles, anti-sacerdotales et anti-ecclésiales qui paraissent autrement structurées que les élucubrations supposées d’Éon de l’Étoile.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, (1987). op. cit., pp. 233-234

Alors que le monachisme 8 bénédictin décline, l’implantation de chanoines convient mieux pour maintenir un statu quo avec les ermites de la forêt. La règle de saint Augustin promue par Jean de Châtillon diffère de celle des moines bénédictins.

Cette règle est plus souple, tant par les obligations qu’elle impose à ceux qui l’adoptent, que l’on appelle alors des chanoines et non des moines [...] que par les interprétations diverses que l’on peut en faire. Cette règle était donc particulièrement bien adaptée aux communautés d’ermites qui souhaitaient préserver tel ou tel point de leur genre de vie ou de leur organisation. […] Autre point très important : à la différence des moines, les chanoines réguliers assurent le service paroissial ; c’est pourquoi leurs maisons furent plus tard appelées des prieurés-cures car elles remplissaient une double fonction à la fois liturgique et pastorale.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, (1987). op. cit., p. 237

Les historiens citent pour l’exemple Robert d’Arbrissel, qui a fait le choix de la règle de saint Augustin pour ses ermites à la Roë en Mayenne.

Il est tentant de voir là, dans une région troublée par Éon de l’Étoile et d’autres aussi sans doute, le souci de l’évêque Jean de Châtillon de mettre fin, autrement que par la répression, aux tendances hérétiques qui pouvaient subsister.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, (1987). op. cit., p. 238

Dotations de Guillaume Ier pour la fondation de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort

L’acte de fondation qui nous est présenté est écrit de la main de Guillaume Ier.

Moi Guillaume, Seigneur de Montfort, à l’écoute de Dieu et désirant me soumettre à la voix du Seigneur en cela même, dans la mesure où je vise à obtenir la rémission de mes péchés par cette même source de miséricorde, j’ai fait donner pour la gloire infinie de Dieu lui-même, certaines choses parmi celles qui me revenaient par le droit héréditaire, sous forme d’aumône les miennes autant que celles à venir en continuité perpétuelle à mes prédécesseurs lesquels avaient la servitude habituelle d’entretenir l’assistance aux serviteurs de Dieu dans l’Eglise de Saint Jacques.
MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 613 - Traduction par Michel Cariou

Donations de Guillaume Ier et de son épouse pour l’abbaye

Le seigneur de Montfort rapporte dans le détail les donations faites à l’Église de Saint Jacques, au chanoine Bernard qui devient le premier abbé du monastère, aux frères réguliers et à leurs successeurs. Guillaume Ier énumère en premier ce qu’il apporte :
— une liste comprenant plusieurs dîmes de Montfort et d’ailleurs.
— un nombre important de terres dispersées sur l’ensemble des paroisses comprises dans la seigneurie : Gaël, Montfort, Talensac, Monterfil, Senteleio (Saint-Eloi, qui deviendra Montauban-de-Bretagne), Breteil, Saint Gillaci (Saint-Gilles).

Guillaume Ier donne tout cela avec l’accord de son épouse Amicie, ses fils et ses frères l’approuvant librement et en dehors de la retenue de quelque seigneur.

Il ajoute qu’il lui a plu de noter les dons que son épouse et ses hommes inféodés ont donnés à l’Église en sa présence et à sa demande afin qu’ils soient connus de tous. Il fait part aussi de tous les dons que les moines pourront acquérir par la suite, de sa concession et de son bon plaisir et prie le Seigneur, aussi pêcheur qu’il est, pour que la vie éternelle soit accordée par lui-même à ceux qui augmentent et protègent ces dons.

Il faut noter que la plupart de ces dons sont des biens appartenant à Guillaume Ier. Avant cette donation, les vilains dont les noms apparaissent en jouissaient selon le bon vouloir de Guillaume Ier. Suite à ce transfert aux chanoines de Saint-Jacques, le vilain voit le bien dont il avait la jouissance changer de propriétaire. Comme il est censé être attaché au bien transmis, il devra désormais travailler pour le compte des moines du monastère.

Guillaume Ier fait ensuite le distinguo en énumérant la longue liste des donations faites par Amicie d’une part et par ses hommes inféodés d’autre part. Ces dons sont divers : maisons, champs, terres, moulins, vignes, etc., ils sont répartis dans différents endroits : Gaël, Talensac, Senteleio, Irodoir, Illifaut, Mauron, Saint Laverie (Saint Léry), Saint Magald (Saint-Maugan) etc. — Dom Morice (1742). op. cit., pp. 613-615 —

1er mai 1152 : fondation de l’abbaye de Saint-Jacques

L’acte de fondation est suivi d’un texte qui porte la date de 1152 mais qui est en réalité postérieur à 1162, date de la mort de Raoul III, fils ainé de Guillaume Ier. L’auteur déroule les faits à partir de la date du premier jour du mois de mai, jour des apôtres Jacques et Philippe où est bâtie l’Église du Bienheureux Jacques de Montfort.

[…] Geoffroy fils cadet du Seigneur Guillaume de Montfort posa la première pierre pour construire la fondation de cette même église, Raoul, fils ainé du même Guillaume posa la deuxième pierre. La troisième, c’est Guillaume lui-même fondateur de la même maison, fit mieux et s’appliqua avec très grande dévotion à l’élargir pour l’usage des chanoines servant là-même régulièrement Dieu, et par conséquence de leurs revenus propres. La quatrième pierre, c’est Amicie, l’épouse de Guillaume qui la posa.

Dom Morice (1742). op. cit., col. 613-615 - Traduction par Michel Cariou

L’auteur révèle brièvement les faits qui suivent jusqu’à la mort de Guillaume Ier et de son successeur, son fils ainé, Raoul, troisième du nom.

[…] quatre ans plus tard, le comte Conan, fils du Comte Alain, fit la traversée d’Angleterre vers la petite Bretagne, au mois de septembre ; et au même mois, Jean, Évêque de Saint-Malo, le 17e jour des calendes de novembre consacra un plus grand autel dans cette même église.
A la veille de la Pentecôte suivante, Guillaume, le souvent nommé, avait l’habitude régulière de venir dans la même maison pour assister à l’Assemblée de la Sainte Trinité. Ce jour-là il s’en alla vers le Seigneur.
Succéda à Guillaume lui-même Raoul son fils ainé, adolescent d’un caractère remarquable. A cette époque, sans doute la cinquième année [1162] suivant le 1er dimanche d’Août, Jean, Évêque de Saint-Malo, homme d’une religion accomplie visita le même lieu pendant un convent célèbre, avec autant de clercs que de laïcs, et ce même jour-là il fit établir là-même un cimetière, et établit le Prieur Bernard de ce lieu comme premier abbé de ce lieu. […] La même année, Raoul, seigneur de Montfort quitta son état d’homme […] il fut enterré dans le Chapitre 9 de la même Eglise près de la sépulture de son père le douzième jour des Calendes de Décembre.

Dom Morice (1742). op. cit., col. 613-615 - Traduction par Michel Cariou

Amicie de Montfort survit à Guillaume Ier et à son fils Raoul III. Elle meurt après 1162. Geoffroy fils cadet devient héritier de la seigneurie.


Bibliographie

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1987.

LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Histoire de Bretagne : composée sur les titres & les auteurs originaux, Vol. 1, Paris, Chez la veuve François Muguet, 1707, Voir en ligne.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne.

VITAL, Orderic et GUIZOT, François, Histoire de Normandie, Vol. 4, 1827 [trad. par Louis-François du Bois], Paris, Éd. J.-L.-J. Brière, 1075, Voir en ligne.


↑ 1 • aujourd’hui Montfort-sur-Meu

↑ 2 • Berthe de Cornouaille est la fille ainée de Conan III. Elle à un fils né d’une première union avec Alain le Noir (Alain de Penthièvre), mort en 1146.

↑ 3 • Henri II est le fils de Mathilde dite l’« Emperesse », fille du roi Henri Ier d’Angleterre et de Geoffroy V le Bel, comte d’Anjou, dit « Plantagenêt ». Ce qui sera improprement appelé « Empire Plantagenêt » comprend un immense ensemble hétérogène de royaumes qui s’étendent de l’Ecosse aux Pyrénées. La Bretagne finit par y être incorporée en 1166. L’« Empire Plantagenêt » va s’éteindre dès 1204 sous Jean sans terre, le dernier des fils d’Henri II, du fait de la perte de sa continuité territoriale. En mai 1258, suite au traité de Paris, Henri III prête hommage lige aux Capétiens.

↑ 4 • dont le nom est mentionné sous la forme sancta Maria Heremipenpont dans l’obituaire ou « Rouleau des Morts » de Cécile, quatrième fille de Guillaume le Conquérant, première abbesse de la Trinité de Caen (abbaye aux Dames). Ce parchemin qui recense les décès survenus dans les abbayes bénédictines, a été écrit entre 1066 et 1113, date de la mort de Mathilde.

↑ 5 • Ce lieu Harelle pourrait avoir joué un rôle militaire. Dans sa préface, Dom Morice explique que l’évêque possédait son armée, indépendante de celle du duc

[…] A l’armée les hommes de l’Evêque avoient leur bannière particulière. Quand le duc faisait la guerre avec ses sujets et ceux de l’Evêque, son armée s’appelait Ost. Quand l’Evêque la faisait, il priait le bailli du duc de lui amener ses sujets, et l’armée se nommait Harelle. L’amende de ceux qui manquaient à l’Ost, appartenait au duc, ainsi que l’amende de ceux qui ne se trouvaient pas à la Harelle, appartenait à l’Evêque.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. p. XXI

↑ 6 • Depuis sa mort en 1163, Jean de Châtillon porte le surnom de Jean de la Grille à cause des grilles placées autour de son tombeau pour le protéger de la dévotion des pèlerins.

↑ 7 • Les chanoines réguliers de Saint-Augustin suivent une règle née des écrits d’Augustin, qui au 5e siècle menait une vie d’ascèse en Numidie (aujourd’hui en Algérie).

↑ 8 • Le monachisme est l’état et le mode de vie de personnes qui ont prononcé des vœux de religion et font partie d’un ordre dont les membres vivent sous une règle commune, séparés du monde, les moines (moniales au féminin).

↑ 9 • Chapitre : assemblée tenue par des religieux d’un ordre ou d’un monastère.