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1913

Le chasseur fantôme de Porcaro

Une légende de Guer publiée par François Cadic

La légende du Chasseur fantôme de Porcaro, publiée par François Cadic en 1913, est localisée sur l’ancienne paroisse de Guer (Morbihan).

Une légende de François Cadic

Le chasseur fantôme de Porcaro est une légende publiée par François Cadic (1864-1929) en 1913 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris. —  CADIC, François, « Le chasseur fantôme de Porcaro », La Paroisse bretonne, 1913. —

Le fantôme de Jehan, seigneur de Porcaro 1 possédé par le démon de la chasse, hante la vallée de l’Oyon, les landes de Porcaro et de Coëtquidan, les bois de la Voltais, de Coëtbo et du Cilio. Chaque nuit, accompagné de sa meute endiablée, il se rend à la chapelle du château de la Ville-Hue 2, qu’il n’a que trop peu fréquentée de son vivant.

Environ de Guer - Porcaro - Le château, coté du Parc
Carte postale n°2687
Editions E. Mary-Rousselière (1874 - 1929)

Rééditions

1914-1919 — François Cadic

Cette légende fait l’objet de deux rééditions du vivant de l’abbé.

  • en 1914 sous le titre La chasse de messire Jehan —  CADIC, François, « La chasse de messire Jehan », in Contes et légendes de Bretagne, 11e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1914, p. 51-55. —
  • en 1919 sous le titre Le chasseur fantôme —  CADIC, François, Contes et légendes de Bretagne, Paris, Maison du Peuple Breton, 1919, 240 p., Voir en ligne. [pages 189-198] —

En 1914, François Cadic mentionne le nom de la personne auprès de laquelle il a entendu cette légende ; Conté par M. Lecomte de Guer. Il signale, dans la préface de 1919, Monsieur Lecomte de Guer comme l’un de ses actifs collaborateurs.

2001 — Terre de Brume

Le chasseur fantôme de Porcaro fait l’objet d’une réédition dans les œuvres complètes de François Cadic publiées entre 1998 et 2001 aux éditions Terre de Brume. —  CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p. [pages 272-277] —

Le texte intégral du Chasseur fantôme

La fortune de Jehan de Porcaro s’était dissipée aux vents des guerres et des aventures. Il s’en fallait bien que le brave sire fût le plus renté des gentilshommes du duché de Bretagne.

N’avaient été son pigeonnier par derrière, son motif ogival sur le pignon et par devant le blason sculpté sur le linteau de la porte, son château n’aurait guère passé pour une demeure seigneuriale. Ses murs lézardés et son toit cabossé lui donnaient les allures d’un mendiant en guenille.

Le pays aussi était à l’avenant, pas riche du tout. Des landes et puis des landes, hérissées de rochers sauvages, d’ajoncs stériles et de bruyères rabougries. On aurait dit un désert.

Rien d’agréable n’eût arrêté le regard dans cette morne solitude, si l’on n’avait distingué à l’horizon une lisière de forêt et vers l’orient, du côté de Guer, de gracieuses collines dont les pentes étaient semées de champs de blé et le long desquelles l’Oyon, gentille et paresseuse rivière, déroulait son sillon d’argent à travers les prés.

Messire Jehan, malgré son dénuement, était un homme charitable. Il n’était infortune qui vînt crier misère à sa porte sans trouver une main largement tendue. S’il y avait du pain pour la maisonnée, il y en avait aussi pour les envoyés de Dieu. Fier avec les grands, pitoyable avec les petits, telle était la devise de la famille. Pas un de la lignée ne s’en était allé de vie à trépas sans emporter les regrets du pauvre monde. Pourquoi faut-il cependant que sur cette terre il ne se rencontre de perfection qui n’ait sa contre-partie ?

Il avait aussi son défaut, messire Jehan, un gros défaut. Il avait pour la chasse une passion immodérée. Était-ce pour occuper ses loisirs ? Était-ce pour exercer ses muscles que le repos énervait ? Était-ce pour détruire les bêtes sauvages ? Il n’y avait de jour que le Créateur fit, sans qu’il ne passât, au galop de son cheval et suivi de sa meute, par les landes de Porcaro et de Coëtquidan, par les bois de la Voltais, de Coëtbo et du Silio ; et le jour ne lui suffisait pas, il chassait encore la nuit.

Le dimanche, tandis que par dessus les moutiers et les chapelles s’élevait la sonnerie des cloches appelant les fidèles aux offices, on entendait le bruit éclatant de son cor qui jetait l’hallali le long des rives de l’Oyon.

Bah ! disait-il, Dieu est bon ; je répandrai autour de moi tellement de charité, j’obligerai tellement de malheureux, qu’il ne saurait me garder rigueur de manquer la messe le dimanche.

Dieu est bon, oui sans doute, mais il ne faut pas oublier que ses commandements doivent être observés.

Il y avait déjà quelque temps que Jehan de Porcaro était parti rejoindre les siens au cimetière de la paroisse. Les échos de l’Oyon ne renvoyaient plus le son de son cor et la lande était redevenue silencieuse. On commençait à oublier le pauvre sire. Même ceux-là qui avaient le plus bénéficié de ses largesses n’en parlaient presque plus, lorsque dans le pays, on apprit de singulière choses. Il n’était question que d’un chasseur fantôme qui chaque nuit errait dans les terres, emporté par un coursier plus rapide que le vent. Il passait de préférence autour du village de Saint-Joseph et de la ferme de la Ville-Hue. Ceux qui ne l’avaient point vu l’avaient bien entendu.

Comme minuit sonnait, la meute fantastique partait dans un galop endiablé. On percevait les aboiements furieux des chiens, le bruit des sabots du cheval qui bondissait par dessus les obstacles, les excitations du chasseur qui ne semblait jamais las ; puis une fois au bout de la lande, auprès d’une petite chapelle dédiée à Saint-Jean, la chevauchée s’arrêtait, les chiens hurlaient à mort, le fantôme poussait un cri d’effroi qui déchirait les cœurs et tout s’évanouissait dans les ténèbres.

La terreur régnait au pays de Guer, et il y avait motif. Les plus courageux ne se hasardaient pas à travers la lande de Saint-Jean, quand la nuit était venue. Qui donc était ce singulier chasseur fantôme ? Personne ne se risquait à percer le mystère.

En ce temps, vivait aux environs un homme de Dieu pieux et charitable, aimant les pauvres et l’église, dont les anciens redisent encore le nom avec vénération. Il s’appelait Pierre Laloy. Celui-là était trop vertueux pour avoir rien à redouter des fantômes ou du diable. Ce fut lui qui mit fin aux chevauchées du revenant.

Une circonstance imprévue l’avait retenu au bourg de Guer ce jour là. Depuis longtemps la terre était noyée dans les ténèbres, car il était minuit. Il suivait pour s’en retourner à la maison un sentier qui coupait à travers la lande et qui passait non loin du château de Porcaro, près de la chapelle de Saint-Jean, quand un bruit insolite le fit se retourner. Cela semblait sortir du bout de l’horizon et courir vers lui avec la rapidité du vent.

La cavalcade du chasseur fantôme ! Murmura-t-il.

C’était bien cela.

On entendait les aboiements des chiens, le galop du cheval et la voix du cavalier, et ce vacarme dans la nuit sombre était d’un effet terrible. On aurait dit un ouragan déchainé. A peine eut-il le temps de se garer. La meute était déjà auprès de la chapelle. Alors, il fut témoin d’une scène inoubliable. Au fur et à mesure que chaque chien arrivait à côté de la porte, il poussait un hurlement, et il disparaissait à l’intérieur. Il ne restait plus que le cavalier qui gémissait à fendre l’âme.

Lui aussi cherchait à entrer dans la chapelle, mais il avait l’air de n’avancer qu’à regret. Il ne mettait le pied sur le seuil que pour reculer, et ses gémissements reprenaient de plus belle.

Quelle pouvait être la cause de ses hésitations ? Hardiment Pierre Laloy, s’armant d’un signe de la croix, s’avança vers lui. Horreur ! Le fantôme se retourna et il s’aperçut que ce n’était qu’un squelette revêtu d’un long suaire, dont les ossements s’entrechoquaient avec un bruit de bois mort et dont les orbites vides semblaient brûler d’une flamme ardente.

Tout autre que Pierre eût reculé d’effroi, mais il se sentait fort de la vertu divine. Il se posta devant l’effrayante vision.

Qui que tu sois, s’écria-t-il, élu de Dieu ou fils du diable, si tu viens de la part du ciel, approche et parle. Si tu viens de la part de l’enfer, parle encore et puis va-t-en.

Le fantôme eu un soupir de soulagement, et de ses orbites jaillit un éclair de joie. Pierre crut voir son visage s’illuminer d’une auréole :

Qui que tu sois toi même, répondit-il, chrétien courageux, je te remercie de l’acte de charité que tu accomplis par ta seule présence en ce lieu. Non ce n’est pas de la part du diable que je suis ici, mais de la part de Dieu.

Sur la terre j’avais nom Jehan de Porcaro, homme de bien, suivant le monde, car je ne rebutais pas les malheureux, mauvais chrétien suivant le souverain juge, car pour satisfaire ma passion de la chasse, j’oubliais la messe du dimanche. La main du Seigneur s’est appesantie sur moi et dure a été ma punition. Tandis que le feu du purgatoire me dévore à l’intérieur, il faut que chaque soir je recommence mes chasses.

Voila des années que je cours du bois du Silio à celui de Coëtbo, des landes de Coëtquidan à celle de Saint-Jean, sans trêve ni repos, poursuivi par le bras vengeur du justicier, attendant en vain que, dans cette chapelle, un prêtre célèbre pour moi les messes que j’ai manquées. Sans doute mon supplice aurait-il duré longtemps encore, mais Dieu a eu pitié de ma détresse. Il t’envoie au-devant de moi pour m’apporter enfin le salut.

Béni sois-tu. Ton cœur généreux de chrétien ne me refusera pas le seul service que je réclame de toi ; voici ce que je voudrais...

Que voulait le fantôme ? A maintes reprises la question fut posée à Pierre : que t’a-t-il donc demandé ? Toujours celui-ci l’éludait et il se contentait de répondre : il m’a rappelé le troisième commandement.

Le brave homme mourut sans avoir livré son secret, mais sans doute avait-il tenu les engagements qu’il avait pris, car jamais plus on ne vit de revenant près de la chapelle de Saint-Jean. La justice de Dieu avait dû pardonner et Jehan de Porcaro avait fini sa pénitence.

N’oublie pas le précepte, chrétien, car il est rigoureux et grave de conséquence : les dimanches tu garderas, en servant Dieu dévotement.

Les commentaires de François Cadic

François Cadic conclut chacun des contes de son recueil par un commentaire explicatif qui donne la morale de l’histoire et établit une comparaison avec d’autres contes bretons.

Selon François Cadic, Le chasseur fantôme appartient à la seconde catégorie de Revenants, celles des Âmes du purgatoire, la plus commune dans la légende bretonne. Le lieu qui leur est assigné pour leur pénitence est, la plupart du temps, celui où ils ont commis leurs péchés. Le plus souvent, le revenant est seul ; dans ce conte, il est accompagné de ses animaux de chasse.

Le chasseur de Porcaro est accompagné de toute une meute de chiens dans ses chevauchées à travers la lande de Coëtbo, parce que ses chiens comme lui manquèrent à la loi du repos dominical.

Cadic, François (1943) op. cit., p. 194
Chasse du marquis de Coet an Fao
—  ORAIN, Adolphe, Géographie pittoresque du département d’Ille-et-Vilaine - Histoire et Curiosités des 357 communes - Personnages célèbres, Littérateurs, Poètes, Artistes, etc. - Agriculture, Commerce, Industrie.., Rennes, Imprimerie Alph. le Roy fils, 1882.
[page 335] —
Busnel Théophile (1842 - 1918) (Dessinateur).

Les revenants du purgatoire condamnés à la pénitence la plus rigoureuse sont pour la plupart des chrétiens insouciants ou des infidèles à la parole donnée. Beaucoup conservent leur aspect humain même si certains reviennent sous une forme animale comme les matelots transformés en pétrel, ou les anciens seigneurs de Tonquédec devenus des lièvres après leur mort. En général, ils font après leur mort ce qu’ils étaient accoutumés à faire de leur vivant.

Jehan de Porcaro n’est pas une exception dans la légende bretonne. Les cavaliers fantastiques y reviennent souvent ; tantôt c’est le diable qui joue ce rôle, tantôt un damné, tantôt une âme du purgatoire.

Cadic, François (1943) op. cit., p. 197

Les revenants sont de caractère ombrageux et n’aiment pas qu’on médise d’eux, ni qu’on les plaisante, ni qu’on les trouble ou les moleste. Ils n’aiment pas non plus rencontrer les vivants la nuit.

Pierre Laloy n’a jamais livré son secret, mais on peut être sûr d’une chose. En délivrant l’âme de Jehan de Porcaro, il s’est assuré à lui-même le bonheur éternel. Les morts n’oublient pas leurs amis.

Cadic, François (1943) op. cit., p. 198

1915 — La version de l’abbé Le Claire

En 1915, l’abbé Le Claire (1853-1930) publie une volumineuse histoire de Guer dans laquelle il évoque plusieurs légendes de la paroisse parmi lesquelles celle du chasseur fantôme de Porcaro.—  LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne. [pages 325-326] —

Le texte intégral de l’abbé Le Claire

Légende de la Ville-Hue — M. de Porcaro, nous dit la légende, vient tous les soirs, pendant le temps de la chasse, avec son costume de chasseur et ses chiens, sur la lande de Saint-Jean. On le voit rôder autour de la chapelle sans essayer d’y entrer. Il ne fait aucun bruit et à l’aurore il disparait. On dit qu’il y vient faire son purgatoire.

Chapelle du château de la Ville-Hue (Guer)
Carte postale n°52

Éléments de comparaison

De nombreux revenants hantent les nuits des contes populaires de Brocéliande 3. La commune de Guer accueille à elle seule trois légendes de revenants en plus de celle du Chasseur fantôme de Porcaro.

  • La Dame de Téhillac, qui hante le château de la Touche
  • Une femme tuée pendant la Révolution par les chouans, qui revient tous les soirs sous la forme de chat noir.

Le thème de la chasse fantastique ou du chasseur invétéré puni par Dieu est lui aussi présent en forêt de Paimpont. Deux contes ou légendes locales en proposent un développement.

  • La meute fantastique du vallon Saint-Couturier en Augan

Xavier de Bellevüe évoque la poursuite des curés de Beignon et d’Augan par une meute fantastique dans les landes de Coëtquidan en 1835.

Arrivés dans les landes de Coëtquidan, une meute invisible, qu’au bruit ils estimèrent composée de plus d’une centaine de chiens, se mit à les poursuivre, mêlant ses aboiements de rage aux bruits du tonnerre et du vent. Cet épouvantable concert les accompagna jusqu’à la limite de la paroisse d’Augan ; mais aussitôt qu’ils eurent pénétré sur celle de Beignon, la tempête s’apaisa, les chiens se turent.

BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, Rééd. 1994, Rennes, La Découvrance, 1913. [page 299]
  • Les Pierres maudites de Tréhorenteuk

Dans Les Pierres maudites de Tréhorenteuk, conte d’Ernest Du Laurens de la Barre publié en 1863, Gastern, seigneur mécréant de Tréhorenteuc est puni de sa passion immodérée de la chasse et transformé par volonté divine en pierre du site mégalithique du Jardin aux Moines. —  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863. —


Bibliographie

BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, Rééd. 1994, Rennes, La Découvrance, 1913.

CADIC, François, « Le chasseur fantôme de Porcaro », La Paroisse bretonne, 1913.

CADIC, François, « La chasse de messire Jehan », in Contes et légendes de Bretagne, 11e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1914, p. 51-55.

CADIC, François, Contes et légendes de Bretagne, Paris, Maison du Peuple Breton, 1919, 240 p., Voir en ligne.

CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p.

DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne.


↑ 1 • La famille de Porcaro, attestée depuis 1280, a donné le nom de Jean à nombre de ses seigneurs parmi lesquels.

  • Jean de Porcaro époux de Marguerite de Talhouët en 1295
  • Jean de Porcaro époux de Jeanne Pillet en 1426 et 1441
  • Jean de Porcaro époux de Mauricette de Sixt en 1532

—  LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne. —

↑ 2 • La chapelle du château de la Ville-Hue, dédiée à saint Jean est aujourd’hui en ruine.