Le chêne au Vendeur à Montfort-sur-Meu
Un arbre exceptionnel disparu
Le chêne au Vendeur était situé dans le bois de Coulon près de Montfort-sur-Meu. Cet arbre exceptionnel, associé à une légende, a été maintes fois mentionné avant d’être abattu en 1967.
Premières mentions
Le chêne au Vendeur est un arbre exceptionnel qui a suscité l’intérêt et attiré les voyageurs bien avant les premiers inventaires du début du 20e siècle .
La première mention est l’œuvre, en 1824, de Blanchard de la Musse, l’un des inventeurs de la localisation de Brocéliande en forêt de Paimpont.
Mais c’est surtout le chêne, dit le chêne au Vendeur, qu’on visite avec le plus de plaisir. Ce chêne (1) d’une grosseur considérable, et dont l’origine se perd dans la nuit des tems, est l’objet de la vénération des habitans de Montfort : ils respectent en lui un vieux témoin qui leur rappelle des souvenirs de la plus haute antiquité. (1)Placé dans la forêt de Montfort, au midi de la ville, a sept brasses de circonférence et une hauteur proportionnée... On l’appelle le chêne au Vendeur, parce que c’était sous son ombrage qu’on se réunissait pour les adjudications des coupes de bois qui avaient lieu dans la forêt de Montfort. Des actes authentiques ne permettent pas de douter que cet arbre a vu au moins six siècles.
Cette mention est reprise dans le guide de Girault de Saint Fargeau en 1835 1, de nombreuses fois réédité dans première moitié du 19e siècle. — GIRAULT DE SAINT-FARGEAU, Eusèbe, Le guide pittoresque du voyageur en France, Vol. 5 - Ille-et-Vilaine, Paris, Firmin Didot Frères, 1835, Voir en ligne. p. 31 —
Le chêne au Vendeur est aussi mentionné dans l’édition de 1845 du dictionnaire d’Ogée-Marteville.
Coulon donnait son nom à la forêt qui s’étendait au sud de Montfort, et qui, à en croire les chroniques, avait dû ne faire qu’un avec la fameuse forêt de Brocéliande. C’était là que se trouvait le fameux chêne au Vendeur.
L’abbé Oresve en 1858
En 1858, l’abbé Oresve, recteur de Talensac, consacre un chapitre au chêne au Vendeur dans son ouvrage sur Montfort. Il s’y livre à une enquête approfondie sur l’arbre et son histoire.
On y apprend notamment sa taille en 1858 : Son pied, mesuré à quelque distance de sa base, a huit mètres trente-trois centimètres de tour.
On y découvre aussi son état de délabrement.
Cet arbre n’est plus qu’un vieillard et dépérit peu a peu sensiblement. La foudre qui l’a atteint plusieurs fois, n’a pas peu contribué à activer sa décrépitude. Il n’a plus d’écorce que d’un côté et son tronc est devenu creux. Cependant il a encore un port majestueux et peut passer pour le roi de tous les arbres qui se trouvent au loin.
L’origine du nom du chêne
L’abbé Oresve s’interroge sur l’âge de ce vénérable chêne. Certaines de ses hypothèses, comme celle le faisant remonter à Éon de l’Étoile 2 sont aujourd’hui dépassées.
En revanche, son argumentation sur l’origine du nom de ce chêne est cohérente. L’abbé Oresve cite les ordonnances 27 et 28 des Usements de Brécilien à l’appui de son propos pour expliquer le nom du chêne.
Il y a trois échéances pour le payement du prix des ventes du bois : le Fête de l’Ascension, celle de la Décollation de Saint-Jean (29 août) et la Saint Nicolas d’hiver (6 décembre). Toutes les ventes de bois depuis la Toussaint jusqu’à Quasimodo se payent à l’Ascension, quoique le terme de Saint Nicolas soit échu. Les ventes faites de Quasimodo à la fête de Saint Péran, qui tombe en juillet, sont au terme de la Décollation de Saint Jean ; et celles faites depuis la fête de Saint-Péran jusqu’à la Toussaint, se payent à la Saint Nicolas. Cela s’applique aux ventes de haute futaie (haut bois) et de taillis (bois taillable) qu’on fait dans les quartiers de Haute-Forêt et de Lohéac et généralement à toutes les ventes de haute futaie de la forêt en quelque endroit que ce soit.
En ce qui concerne les taillis (bois taillable) de Coueslon et Tremelin, les ventes sont toutes à quelque époque qu’elles aient été faites, à l’échéance de la Saint Barthélémy (24 août) et non à l’une ou l’autre des échéances ci-dessus, à moins qu’au moment de la vente, on ne l’ait expressément déclaré.
Selon cette même charte, les officiers qui présidaient aux adjudications de la forêt de Brécilien étaient le vendeur, le contrôleur et le receveur.
La tradition rapporte que les ventes aux criées avaient lieu sous le gros chêne de la forêt. C’est de cette circonstance que lui est venu le nom de chêne au Vendeur.
Les assemblées sous le chêne
Selon l’abbé Oresve, des fêtes païennes se sont déroulées sous le chêne au Vendeur jusqu’au milieu du 17e siècle.
De temps immémorial il se tenait une assemblée célèbre sous cet arbre. On s’y rendait de partout. Les joueurs de flûte, de hautbois, de cornemuse, de musette et de tous les instruments en usage à cette époque, n’y faisaient pas plus défaut que les boissons. Les marchands, principalement les merciers, venaient y étaler leurs marchandises. Des jeux, des danses, s’organisaient et les nuits entières se passaient en divertissements. En un mot ces fêtes étaient des plus brillantes. Maintes jeunes filles en folâtrant sur la feuille du bois y perdaient ce qu’elles avaient de plus précieux, c’est-à-dire leur réputation. Ces sortes d’accidents étaient communs. Tout aussi y contribuait : les jeux, les danses et les libations copieuses. [...] On sait, et l’histoire nous l’apprend, que de toutes les superstitions des anciens, ce sont leurs jeux et leurs fêtes qui ont résisté le plus longtemps.
Dans les années 1630-1640, la forêt de Brécilien est démembrée et le bois de Coulon vendu à plusieurs propriétaires par le duc de la Trémoille, seigneur de Laval-Montfort. La partie du bois sur laquelle se situe le chêne au Vendeur est donnée à l’abbé de Saint-Jacques de Montfort en contrepartie de la suppression de ses droits sur la forêt. Les ventes au pied de l’arbre ont donc cessé à cette époque. Les nouveaux propriétaires auraient mis fin aux fêtes qui s’y déroulaient.
Une déclaration de l’abbé de Saint-Jacques de Montfort datée de 1683 atteste leur possession du canton de Coulon situé entre la chapelle de Guilhermont et le village de l’Asnière.
« Déclarent lesdits abbé et religieux qu’eux et leurs prédécesseurs ont cy-devant eu droit d’usage dans la forêt de Brécilien, appartenant aux seigneurs de Montfort, tant de bois de chauffage et à four que de tout autre bois nécessaire à bastir et réparer les églises, chapelles, métairies, maisons et édifices de leur abbaye et dépendances d’icelle ; lequel droit lesdits religieux ont été contraints d’abandonner lorsque le comte de Montfort a vendu à divers particuliers ladite forêt ; en sa place ils ont reçu pour triage un canton de la même forest situé entre la chapelle de Guilhermont [sans doute Guillermoux] et le village de l’Asnière, contenant ledit canton 178 journaux de terre » (Archives départementales de la Loire-Inférieure).
D’illustres visiteurs comme le général Cavaignac (1802-1857) 3 en 1857, l’ont honoré de leur visite. — Oresve, abbé Félix Louis Emmanuel (1858) op. cit., p. 64 —
Dernières mentions du 19e siécle
Pol de Courcy mentionne le chêne au Vendeur en 1863. On peut cependant douter qu’il s’y soit rendu lui-même puisque son évocation de l’arbre reprend celle de l’abbé Oresve à quelques mots près 4. — COURCY, Pol de, « Les villes de Bretagne : Montfort sur Meu », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 6, 1863, p. 417-428, Voir en ligne. p. 428 —
En 1864, Adolphe Joanne le mentionne à son tour.
A l’extrémité S. de cette même forêt [Coulon] se trouve un autre chêne remarquable, dit chêne du Vendeur, parce que les ventes aux criées avaient lieu autrefois sous cet arbre. Il mesure 8 mèt. 33 de circonfér. au-dessus de sa base.
La mention de cet arbre remarquable par Adolphe Orain en 1866 est quant à elle plus instructive. L’infatigable arpenteur des campagnes de l’Ille-et-Vilaine n’a certainement pas manqué de l’observer lui-même lors de l’une de ses nombreuses incursions dans la région de Montfort.
L’arrondissement de Montfort ne le cède à aucun autre pour les souvenirs et les curiosités. De belles forêts le couvrent en partie. Dans l’une d’elles, près de Montfort, on admire un chêne d’une extrême grosseur. Il mesure 40 pieds de circonférence au moins, avec une hauteur proportionnée. Il est appelé le Chêne-aux-vendeurs, parce que c’était sous son ombrage que se faisaient autrefois les adjudications de coupes de bois de la forêt. Des actes authentiques font mention de cet arbre il y a plus de six siècles.
Vers 1874, Alfred Ramé (1826-1886) dessine l’arbre remarquable en assortissant son croquis de quelques notes descriptives.
Chêne au Vendeur
Tronçon d’écorce brûlé de 2 m de diamètre sur 0,70 d’épaisseur.
Environ 4 m d’épaisseur.
Environ 4 m de hauteur, a une branche encore en végétationDans un bouquet de sapins au sud du bois de Montfort.
En 1882, de retour dans le bois de Montfort, Adolphe Orain évoque la fin du chêne au Vendeur.
Il y a quelques années des pâtres s’amusèrent à faire du feu dans le tronc creux de ce vétéran de la forêt et l’incendièrent.
Cultes et légendes
La légende du chêne au Vendeur
Dans son ouvrage sur Montfort paru en 1895, Édouard Vigoland consacre plusieurs pages au chêne au Vendeur. Il en donne notamment une description montrant l’état de délabrement dans lequel l’arbre se trouve à cette époque. — VIGOLAND, Edouard, Montfort-sur-Meu : son histoire et ses souvenirs, Rennes, Hyacinthe Caillière, 1895. [pages 208-213] —
C’était vraiment un beau vieillard ce chêne royal, toujours vert malgré ses huit cent ans, son large flanc ouvert, sa cime ravagée par l’orage, son tronc desséché par le temps et chargé d’inscriptions encore plus que d’années.
On y trouve aussi la légende du chêne au Vendeur, dans laquelle les jeunes gens de Coulon, passant outre l’interdiction par les moines de festoyer au pied de l’arbre, sont emportés par l’enchantement d’un joueur de hautbois maléfique.
Un culte mentionné par Paul Sébillot
Paul Sébillot mentionne brièvement la dévotion dont le chêne au vendeur était l’objet à la fin du 19e siècle.
Cette forêt [Brocéliande] possédait un arbre dit Chêne-au-vendeur, qui était l’objet d’une sorte de culte.
La disparition de l’arbre
Depuis la fin du 19e siècle, le chêne au Vendeur n’était plus qu’un gigantesque tronc sans branche. Il est abattu en 1967.
Bien des montfortais se souviennent de ce coin de forêt et du vieux chêne qui était un but de promenade. Abattu en 1967, ses restes furent éparpillés. Le plus beau quartier est encore visible chez les pères de Montfort, rue de la Saulnerie, où il sert d’autel.
Une chanson intitulée Le chêne au Vendeur a été composée en mémoire de l’arbre par une ancienne figure montfortaise, Louise Gratien (voir portfolio).