Saint Couturier
Culte et légende d’un saint d’Augan
Saint Couturier serait un ermite du 15e siècle dont le culte est attesté à Augan au 19e et au début du 20e siècle.
1854 — Une première mention du saint
En 1854, Alfred Fouquet (1806-1875) publie un guide du Morbihan à l’usage des touristes 1 dans lequel est mentionnée pour la première fois l’existence de saint Couturier.— FOUQUET, Alfred, Guide des touristes et des archéologues dans le Morbihan, Vannes, Libraire-Editeur A. Cauderan, 1854, Voir en ligne. —
Le saint est évoqué dans la Deuxième promenade
du chapitre consacré à l’arrondissement de Ploërmel. Alfred Fouquet invite le lecteur à visiter les sites mégalithiques de la Villemarqué et de Brambelay en Augan (Morbihan), à quelques pas
desquels se trouve le vallon de Saint-Couturier
.
Quelques dolmens en ruines se trouvent dans le N. E. du bourg, à la ville Marquer et à Brambellec ; mais ce qu’il faut surtout chercher à voir, c’est le frais vallon de Saint-Couturier.
À quelques pas de cette vallée pittoresque, et de la grotte plus pittoresque encore, où le saint ermite Couturier a passé de longues années dans les mortifications, les privations et la prière, on doit remarquer les restes d’un dolmen qui a dû avoir autrefois les plus vastes proportions 2.
1913 — La légende et le culte de saint Couturier par le marquis de Bellevüe
En 1913, Xavier de Bellevüe (1854-1929) évoque à son tour la vallée et la grotte de Saint-Couturier dans son ouvrage consacré à l’histoire du Camp de Coëtquidan.— BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, anciens monuments et seigneuries qui existaient sur son territoire, Paris, H. Champion, 1913. [pages 296-299] —
Vers le milieu de cette vallée, du coté Est, se dresse à pic un énorme rocher, vêtu de lichens et de pourpiers, et fendu du haut en bas dans toute sa longueur par une brèche, sorte de couloir, large d’une cinquantaine de centimètres, qui servit dit-on, au XVe siècle d’ermitage à un mystérieux personnage qu’on appela « saint Couturier ».
Le marquis de Bellevüe est né au château de la Touraille à Augan en 1854. Des informateurs de sa famille ainsi que des notables locaux lui apportent des témoignages détaillés sur les traditions locales liées à saint Couturier.
Un ermite du 15e siècle
Selon Xavier de Bellevüe, la tradition rapporte qu’un ermite aurait vécu au 15e siècle dans un repli de rocher de la vallée de Roherman ou vallée de Saint-Couturier.
Vers l’an 1484, à l’époque de la ligue des seigneurs bretons contre Landais 3, le favori du duc François II, un gentilhomme, que l’on prétend avoir appartenu à la famille Harscouët, vint, pour sauver sa tête, se réfugier dans la vallée de Roherman. Là, il vécut en anachorète 4, ne se nourrissant que de racines et ne buvant que l’eau du ruisseau. Comme on le voyait souvent, assis à l’entrée de sa grotte, recousant ou rapiéçant ses vêtements, on le surnomma le « saint couturier ».
Dans une note de bas de page, il mentionne ses recherches sur ce gentilhomme apparenté à la famille du Harscouët.
On trouve en effet dans la liste des seigneurs bretons ligués contre Landais le nom d’Yvon du Harscouët 5 , seigneur de Kerversiou, dont les biens furent confisqués par le duc de Bretagne, à la date du 21 mai 1484. Rentré en grâce après la mort de Landais, il reçut du duc des lettres de rémissions, en date du 12 août 1485, et qui existaient aux archives de la famille Harscouët de Saint-Georges.
Le culte de saint Couturier
Xavier de Bellevüe relate l’existence d’un culte de saint Couturier encore actif au 19e siècle à Augan et Beignon.
Puis, à sa mort, ou à sa disparition, le creux du rocher qui lui avait servi d’ermitage devint un lieu de pèlerinage, où l’on plaça une petite statuette en bois peint. Ce lieu fut surtout fréquenté pour solliciter la guérison des fièvres et par les jeunes filles à marier, qui enfonçaient des épingles dans les parois du rocher de la grotte, afin d’obtenir de trouver dans l’année un épouseur.
Le rituel consistant à planter des épingles dans la statue d’un saint pour éprouver ses vœux de mariage est très commun en Bretagne et en France. Le rituel de la grotte de saint Couturier en est une déclinaison dans la roche.
L’une de mes grand’tantes m’a souvent raconté qu’au printemps de 1837, elle avait piqué dans la grotte de Saint-Couturier trois épingles : l’une était petite, l’autre longue, la troisième se tordit en pénétrant dans la fente du rocher. Or, dans cette même année, la main de celle qui craignait de voir sur ses cheveux blonds la coiffe redoutée de Sainte-Catherine, fut demandée par trois prétendants, un petit, un grand et un bossu...
Pierre Bridier (1912-2000) évoque une autre version de l’histoire 6.
On raconte aussi l’histoire des épingles d’une autre façon : trois jeunes filles auraient planté chacune son épingle. L’une la plante bien droite et épouse un beau garçon ; pour une autre, l’aiguille tombe et les fiançailles furent rompues ; la troisième, avec une aiguille tordue, épouse un bossu.
La légende de saint Couturier
Xavier de Bellevüe termine son évocation du culte de saint Couturier par l’histoire de l’enlèvement de la statue du saint par les curés d’Augan et de Beignon, les abbés Mouillard et Chronier 7. Cette histoire présentée comme véridique s’apparente à une légende fantastique.
Ces faits, si invraisemblables qu’ils paraissent, m’ont été affirmés, ainsi qu’à mon frère, le chanoine de Bellevüe, et au chanoine de la Fonchais, par les recteurs d’Augan et de Guer, qui les avaient souvent entendus raconter par l’abbé Chronier, prêtre très sérieux et très digne de foi, lequel déclarait que, pour lui, il y avait eu là certainement du surnaturel.
Texte intégral de la légende d’après Xavier de Bellevüe
Il arriva cependant que vers l’an 1835, le recteur d’Augan qui était alors M. l’abbé Mouillard, s’émut de ces superstitions et résolut de mettre fin à ce culte peu orthodoxe et qui entrainait beaucoup d’abus. À cet effet, il s’entendit avec son ami M. le curé de Beignon, l’abbé Chronier, pour faire disparaitre au plus vite de la paroisse la statue du prétendu saint.
« La première fois que vous viendriez diner à Augan, lui dit-il, vous vous en retournerez par la vallée de Saint-Couturier et vous emporterez sur votre cheval le petit magot auquel on va piquer des épingles. »
Ainsi fut fait. Le curé de Beignon passa un soir dans la vallée, pénétra dans la grotte, et se mit en devoir d’enlever la statue incriminée. Mais cette statuette en bois, haute à peine de soixante centimètres, devint dès qu’il voulut la soulever, plus lourde qu’un lingot de plomb ; il sembla qu’elle tenait au rocher par une force invincible ; et après plus d’une demi-heure d’efforts inutiles, il dut renoncer à l’emporter.
M. Mouillard ne se laissa pas décourager par l’insuccès de son confrère ; et, quelques jours après, il retourna à cheval avec le curé de Beignon à Saint-Couturier, pour tenter une nouvelle entreprise.
Cette fois, à eux deux, ils parvinrent à soulever la statue ; ils la placèrent sur un de leurs chevaux et s’empressèrent de sortir de la vallée pour gagner le bourg de Beignon. Mais alors éclata un orage épouvantable : et ce fut au milieu des hurlements du vent, du fracas de la foudre, des lueurs des éclairs, et sous des torrents de pluie et de grêle qu’ils prirent la route de Beignon.
Arrivés dans les landes de Coëtquidan, une meute invisible, qu’au bruit ils estimèrent composée de plus d’une centaine de chiens, se mit à les poursuivre, mêlant ses aboiements de rage aux bruits du tonnerre et du vent. Cet épouvantable concert les accompagna jusqu’à la limite de la paroisse d’Augan ; mais aussitôt qu’ils eurent pénétré sur celle de Beignon, la tempête s’apaisa, les chiens se turent ; et les deux prêtres purent arriver dans le bourg de Beignon, où ils enterrèrent la fameuse statue dans le cimetière, à l’endroit réservé à la sépulture des enfants morts sans baptêmes.
Depuis lors, la jolie vallée de Saint-Couturier n’est plus le théâtre que de joyeux pique-niques ; et si les jeunes filles à marier enfoncent parfois des épingles dans le rocher de la grotte, leurs souhaits ne sont plus là exaucés. Saint Couturier n’est plus là pour les entendre et coudre des pantalons d’amoureux aux jupons des pennerez 8 !
— Bellevüe, Xavier (1913) op. cit., p. 298 —
Éléments de comparaison
Deux éléments de cette histoire fantastique sont à rapprocher de contes collectés par François Cadic (1864-1929) 9 à Guer (Morbihan) au début du 20e siècle.
- La statue du saint s’avère être beaucoup plus lourde qu’elle ne le devrait, comme dans La Vierge de Saint-Etienne de Guer, où elle manifeste de la sorte son refus d’être déplacée.
- Une meute fantastique poursuit les protagonistes dans la lande, comme dans Le chasseur fantôme de Porcaro.