11e - 12e siècle
Le prieuré de Penpont
Les origines de l’Abbaye de Paimpont
Aucun document n’atteste l’existence d’une communauté monastique à Paimpont avant les 11e et 12e siècles. Au 12e siècle, existe un prieuré bénédictin dépendant de l’abbaye de Saint-Méen-le-Grand. Ce prieuré passe au début du 13e siècle sous la règle des chanoines réguliers de saint Augustin. Il devient indépendant sous l’appellation d’abbaye Béate Marie de Penpont.
L’histoire inventée du prieuré de Penpont
Les plus anciennes sources concernant l’histoire d’une communauté monastique à Penpont datent du début du 12e siècle.
De nombreux auteurs mentionnent pourtant la fondation d’un prieuré par Judicaël au 7e siècle.
Cette invention prend naissance au 15e siècle avec les abbés Olivier Guiho et Michel Le Sénéchal. Elle est reprise par Vincent Barleuf au 17e siècle. Au début du 18e siècle, l’historien Dom Lobineau institue Judicaël comme fondateur d’un monastère à Paimpont au 7e siècle.
Le peu de temps qu’il [Judicaël] avait demeuré sous Saint-Méen, dans l’abbaye de Gaël, lui avait fait concevoir tant d’estime pour la vie religieuse, qu’il bâtit quelques autres monastères, entre lesquels on peut compter celui de Painpont, qui subsiste encore aujourd’hui & qui est entre les mains des chanoines réguliers.
Dans la suite logique de cette fondation inventée, des historiens du 19e et du début du 20e siècle prétendent que le prieuré a été détruit au 9e siècle lors des invasions vikings et reconstruit au 11e siècle.
Ils mirent tout à feu et à sang. Possédés par le génie de la destruction, les farouches vandales réduisirent à l’état de ruine le palais de la vierge. Un siècle s’écoula et seules les ronces et les épines couvrent la terre sainte que foulaient naguère les milliers de pèlerins. Ce ne fut que vers le commencement du XIe siècle, qu’un prince de Bretagne, reprit l’œuvre de saint Judicaël, et rétablit le sanctuaire plus beau et plus majestueux que jamais.
Ces assertions sont reprises par plusieurs auteurs, dont le marquis de Bellevüe en 1913.
Détruite lors des invasions normandes au IXe siècle, l’abbaye de Paimpont fut reconstituée au XIe.
Or les seuls faits historiques relatifs aux invasions vikings dans la région concernent l’exode des moines de Saint-Jean de Gaël en 919 avec les reliques de saint Méen et de saint Judicaël. — MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, « Chronicon Britannicum », in Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. p. 4 —
Hypothèse sur la naissance du prieuré de Penpont
Les historiens s’accordent à dire que l’émergence des prieurés est concomitante à la restauration des institutions ecclésiastiques et à l’instauration des seigneuries au 11e siècle.
Après le pillage des abbayes bretonnes, vient le temps de leur restauration. Une nouvelle abbaye est fondée à Saint-Méen-le-Grand en 1024.
Dans le même temps, des alleux sont attribués par le duc Alain III à Raoul l’Anglais. Son fils, Raoul Ier, devient le premier seigneur de Gaël vers 1057. La seigneurie comprend l’ensemble de la forêt de Brécilien. Elle abrite vraisemblablement en son sein de nombreux ermites.
En l’absence de preuves historiques et archéologiques, se pose la question de savoir si la présence d’ermites a préexisté à la fondation du prieuré de Penpont avant le 12e siècle 1.
Dans la seconde moitié du XIe siècle, beaucoup, plutôt que d’entrer dans les ordres monastiques traditionnels, préfèrent mener la vie d’ermite. Sans doute sont-ils insatisfaits de la lenteur avec laquelle la réforme se répandait dans l’église, plus encore doivent-ils craindre qu’elle ne suffise pas à lui rendre sa pureté et sa pauvreté évangéliques. [...]
Nous formulons l’hypothèse que l’intérêt pour le seigneur de Gaël, comme pour l’Église, est de ne pas laisser des groupes importants d’ermites prospérer en forêt. L’un comme l’autre doivent en assurer le contrôle pour éviter les dérives.
L’Église leur propose de vivre en dehors des abbayes, sur des terres données par le seigneur, dans de petites communautés monastiques à l’écart du monde : les prieurés. Des ermites entrent ainsi dans le giron de l’Église pour être placés sous sa protection ainsi que sous celle du seigneur. Cela amène progressivement les ermites à accepter la règle bénédictine et à constituer une communauté sous l’égide de l’abbaye de Saint-Méen-le-Grand.
Bien que les statuts de l’abbaye mère rendent obligatoire la présence d’un prieur garant de l’observance de la règle de saint Benoît, les moines bénéficient d’une relative souplesse permettant l’intégration de nouveaux ermites. Le prieuré conserve une certaine indépendance et peut bénéficier de droits ainsi que de donations par les seigneurs.
L’Église bretonne avait connu de nombreux ermites [...] ils affectionnent les zones boisées où les seigneurs leur concèdent volontiers de quoi s’installer, quitte à reprendre l’ermitage quand l’expérience prend fin, pour le confier à une abbaye comme le fait vers 1200 la duchesse Constance pour celui qui se trouvait dans la forêt de Lanmeur.
Notre hypothèse est confortée par le fait que la première mention attestée d’une communauté monastique à Penpont date de la fin du 11e ou du début du 12e siècle.
La plus ancienne mention de Penpont historiquement attestée
Les « Rouleaux des Morts » 2 recensent les décès survenus dans les abbayes bénédictines. Celui en possession de Mathilde 3, fille de Guillaume le Conquérant et seconde abbesse de la Trinité (ou abbaye aux Dames de Caen), a été écrit entre 1066, date de création de cette abbaye normande et 1113, date de la mort de Mathilde.
Titre de sainte Marie du désert de Penpont. Que son âme et l’âme de tous les fidèles défunts, reposent en paix. Priez pour nos défunts comme nous prions pour les vôtres. Soit, pour le seigneur Adgan, Maurice, l’évêque Hingand, Benoît, et pour les autres dont Dieu connaît le nom 4.
Dans le Rouleau de Mathilde, la communauté bénédictine est nommée sancta Maria Heremipenpont
. Heremi, génitif de Heremus, signifie « lieu désert » et indique donc que la communauté était éloignée de tout regroupement humain. Cette prière pour les défunts de Penpont est insérée dans une liste ne mentionnant que d’importantes abbayes bénédictines bretonnes. Dans l’édition de Léopold Delisle, Penpont figure entre les abbayes de Saint-Méen et de Saint-Sauveur de Redon.
Le toponyme « Penpont » dans le Cartulaire de Redon
Penpont vient des termes bretons « penn » signifiant le bout, la tête ou le chef, et « pont » qui a le même sens qu’en français. Penpont signifie donc « bout du pont » ou « tête de pont » — LAGADEUC, Jehan de et LE MEN, René-François, Le Catholicon de Iehan de Lagadeuc : dictionnaire breton, français et latin, 1867, d’après l’édition de Me Auffret de Quoetqueveran, Lorient, E. Corfmat, 1464, Voir en ligne. p. 169 —.
Les plus anciennes mentions du toponyme « Penpont » se trouvent dans le Cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, recueil d’actes du 9e au 11e siècle, dans lequel il est cité quatre fois. Ce toponyme, relativement fréquent en Bretagne 5, y apparaît trois fois sous la forme bretonne de « Penpont » et une fois sous la forme latine de « Caput pontis ».
Certains historiens ont cru voir dans ces mentions la désignation du prieuré de Paimpont. Pourtant, deux de ces actes sont localisés à Guérande et à Bains-sur-Oust (folios 53 et 115). Les deux autres actes ne contiennent quant à eux aucune précision géographique permettant de les situer à Paimpont (folios 69 et 183).
- Folio 69 — Un lieu nommé « Caput pontis » (traduction latine de « Penpont », tête de pont) est cité dans une charte datée de 845.
Illoc et Risuuoret, Risuueten et Buduuoret, Cantuueten, Haeluuocon, et Hocar, et d’autres, vinrent à Caput Pontis devant Nominoë...
. — CARTULAIRE DE REDON, « Acte n° 214210 - Illoc, Risuuoret, Risuueten, Buduuoret, Cantuueten, Haeluuocon, Hocar pour Redon (abbaye Saint-Sauveur) », 845, Voir en ligne. —
- Folio 53 — Un lieu nommé « Penpont » est cité dans une charte datée de 858, montrant comment une religieuse nommée
Cleroc remet aux moines de Redon, la totalité de son héritage...
, dont le territoire de Ran-Penpont 6. — CARTULAIRE DE REDON, « Acte n° 214150 - La religieuse Cleroc » Redon (abbaye Saint-Sauveur) », 858, Voir en ligne. — Ce lieu a été identifié comme étant situé sur la commune de Bains-sur-Oust. — LAIGUE, René de, « Étude sur les noms de lieux de la paroisse de Bains cités dans le Cartulaire de Redon », Annales de Bretagne, Vol. 23 / 2, 1907, p. 204-216, Voir en ligne. pages 204-206 —
- Folio 115 — Un acte daté de 870 porte le titre de
Salina Penpont et alia Samoeli
qui se traduit par « la saline de Penpont et de Samoeli ». Ce toponyme a été localisé à Guérande. — CARTULAIRE DE REDON, « Acte n° 214356 - Uuetenan » Redon (abbaye Saint-Sauveur) », 870, Voir en ligne. —
- Folio 183 — Un acte daté de 1141, fait état d’un certain Galterio (Gautier) de « Penpont » sans que ce nom puisse être associé de façon certaine au prieuré de Penpont — CARTULAIRE DE REDON, « Acte n° 214503 - Menardus » Redon (abbaye Saint-Sauveur) », 1141, Voir en ligne. —.
Conflits entre le prieuré de Penpont et l’abbaye de Saint-Méen au 12e siècle
Il faut attendre le milieu du 12e siècle pour trouver les premières traces certifiées concernant un lien entre le prieuré de Penpont et l’abbaye de Saint-Méen [le-Grand].
Au 12e siècle, l’abbaye de Saint-Méen est aux prises avec des conflits internes rapportés dans un acte de 1163. Dom Lobineau en fait une interprétation erronée qui l’amène à affirmer que le prieuré de Penpont a été nommé abbaye de Saint-Judicaël 7.
Le plus ancien document certifiant les liens unissant le prieuré à l’abbaye date de 1192. Il montre l’existence de conflits entre les deux communautés bénédictines. Il s’agit d’une bulle du pape Célestin III, qui confirme à l’abbé de Saint-Méen ses privilèges et les biens qui lui ont été donnés et soumet le prieur de Penpont à sa juridiction. — MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. p. 723 —
Au début du 13e siècle, ces conflits entraîneront l’arrivée des chanoines réguliers de Saint-Augustin et la transformation du prieuré en abbaye Notre-Dame de Painpont.