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15e-16e siècle

La chapelle Saint-Gicquel de Gouvier

Une chapelle oubliée de l’abbaye de Paimpont ?

Une chapelle dédiée à saint Gicquel était autrefois située à proximité du village de Gouvier sur la paroisse de Campénéac. Depuis 1913, cette chapelle ruinée se trouve dans l’emprise du camp de Coëtquidan.

Une chapelle détruite

La chapelle Saint-Gicquel était autrefois située dans un vallon encaissé donnant accès au village de « Gouvier » sur la paroisse de Campénéac (Morbihan). L’histoire de cette chapelle ruinée est très peu documentée 1.

Sa première mention ne date que de 1826. La chapelle est signalée sur le cadastre de Campénéac comme étant déjà en ruine 2.

Ancienne chapelle Saint-Gicquel en Gouvier sur le cadastre napoléonien
Campénéac - 3 P 72 9 - Section E du Fil, 1re feuille, échelle 1/2 500, parcelles n° 1-293 [1826]
A. D. M.

Elle est pour la première fois mentionnée dans un ouvrage par Louis Rosenzweig en 1870.

Saint-Gicquel, chapelle isolée, cne de Campénéac.

ROSENZWEIG, Louis Théophile, Dictionnaire topographique de la France. Dictionnaire topographique du département du Morbihan, comprenant les noms de lieu anciens et modernes, Rééd. sous les auspices de la Société Polymathique du Morbihan, Paris, Imprimerie Royale, 1870, Voir en ligne. Page 248

L’existence de cette chapelle est évoquée par Joseph-Marie Le Mené en 1891.

Saint-Gicquel, en un lieu isolé, actuellement détruite.

LE MENÉ, Joseph-Marie, Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes, Vol. 1, Vannes, Impr. Galles, 1891, 550 p.

L’abbé Ange David (1864-1926), recteur de Campénéac de 1912 à 1922, est le dernier à la citer dans son cahier manuscrit daté de 1922 3.

M. Le Mené dans son livre des paroisses met au nombre des chapelles paroissiales celle de Saint Gicquel [...] . A-t-elle jamais existé dans un vallon au dessous de Gouvier ? En tout cas, on n’en voit plus de traces.

DAVID, Abbé Ange et ASSOCIATION MÉMOIRES ET PATRIMOINES DE CAMPÉNÉAC, « Transcription des Notes recueillies par Monsieur David, recteur de la paroisse de Campénéac », inédit, 1922. [page 35]

La statue de saint Gicquel

L’abbé David mentionne l’existence d’une grotte abritant une statue de saint Gicquel à proximité de l’ancienne chapelle.

Un peu plus haut se voit une grotte où on vénère la statue de Saint Gicquel (qui n’est qu’un morceau de bois antique et informe). On y va en pèlerinage pour les enfants pris du hoquet. On y faisait des offrandes qu’une personne du village de Gouvier était chargée de recueillir (pas par le Recteur). Lors de l’expropriation de 1913, cette personne vint m’apporter à moi, Recteur, avant de partir, le produit des offrandes. Puisque le terrain de la grotte est exproprié, j’ai conçu l’idée de transporter à la chapelle de Saint Jean l’Hermitage, toute voisine, la statue de Saint Gicquel. Je me suis demandé si l’opinion ratifierait mon projet ! « Ce n’est qu’un morceau de bois informe dis-tu. »

David, Ange (1922) op. cit. p. 35

Hypothèses sur la chapelle Saint-Gicquel de Gouvier

Il n’existe aucun document permettant d’écrire une histoire de la chapelle antérieure au 19e siècle - époque où elle est déjà ruinée. Néanmoins nous proposons de montrer que la chapelle est liée à l’abbaye de Paimpont, en nous appuyant sur deux éléments principaux.

  • La dédicace à saint Gicquel rattache la chapelle à l’abbaye de Paimpont et au culte de Judicaël qui s’y développe durant l’abbatiat d’Olivier Guiho (1407-1452),
  • Saint André, saint des Lohéac, fondateurs de l’abbaye de Paimpont, a été honoré à la chapelle saint-Gicquel de Gouvier.

Une chapelle liée à l’abbaye Notre-Dame de Paimpont

Le Gué aux Moines

Du 15e au 16e siècle, l’abbé de Paimpont possède des terres aux confins nord-est de la paroisse de Campénéac.

Le toponyme du « Gué au Moines » - situé sept cents mètres au nord de la chapelle - est probablement lié à la présence des moines de l’abbaye de Paimpont dans cette partie de la forêt de Brécilien. Cet ancien gué sur l’Aff permettait d’accéder aux villages du Fil et de Gouvier par Beauvais.

La Hueterie, le Fil et Gouvier en Campénéac
Carte IGN (1950)
IGN Geoportail

La seigneurie du Fil

« Le Fil » - aujourd’hui en ruine sur le camp de Coëtquidan 4 et distant d’environ un kilomètre de Gouvier - est une ancienne seigneurie avec fief et juridiction, en Campénéac et en Augan, relevant 5 primitivement de l’abbaye de Paimpont. 6 —  BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, anciens monuments et seigneuries qui existaient sur son territoire, Paris, H. Champion, 1913. [page 349] —

Aux réformations de 1426, 1432 et 1513, La Métairie noble du Fil appartient à l’abbé de Paimpont, sous le nom de « le Sit », « le Zic » et « Uzic ».

L’abbé de Paimpont est dit R. [Réformation] 1426 et 1432 « posséder hébergement d’Uzic » et R. 1513 7 « La Métairie noble du Zic. »

BELLEVÜE, Xavier de, Paimpont, Rééd. 1994, Rennes, La Découvrance, 1913. [page 100]
Le Fil sur le cadastre napoléonien
3 P 72 8 - Section E du Fil, 2e feuille, échelle 1/2 500, parcelles n° 294-661 [1826]
A. D. M.

En 1550, l’abbaye de Paimpont vend la métairie du Fil à une famille noble de Campénéac.

La seigneurie du Fil est aliénée vers 1550 en faveur des Rogier, déja seigneurs du Cleyo [aujourd’hui le Clio] en Campénéac [...] et qui le portèrent vers 1580 aux Lémo [en Augan].

Bellevüe, Xavier de (1913) op. cit.

Construction et ruine de la chapelle

L’abbé Olivier Guiho et le culte de Judicaël

Un abbé de Paimpont est mentionné à la Métairie noble du Fil aux réformations de 1426 et de 1432. À ces dates, l’abbé de Paimpont est Olivier Guiho. Or ce dernier est à l’origine de la tradition faisant de Judicaël le fondateur de l’abbaye de Paimpont.

Afin d’inscrire le roi saint dans l’Histoire de l’abbaye Notre-Dame, il fait réaliser un bras reliquaire et se fait représenter en dévotion au pied de la statue de saint Gicquel, patronyme utilisé à cette époque pour nommer Judicaël.

L’abbé Olivier Guiho au pied de la statue de saint Gicquel
Roger Blot

On peut donc penser que la construction de la chapelle Saint-Gicquel, ou tout au moins sa dédicace, est liée à la présence de l’abbé Olivier Guiho au Fil et à sa volonté d’étendre le culte de Judicaël sur ses fiefs.

La chapelle des villages du Fil et de Gouvier ?

Le bourg de Campénéac et son église paroissiale sont très éloignés - quatre kilomètres à vol d’oiseau - des villages du Fil et de Gouvier. Au début du 20e siècle, l’abbé Ange David constate que leurs habitants ont pris leurs habitudes à Beauvais ou Beignon.

Tous les gens de ce quartier [Gouvier] vivaient comme des sauvages. S’ils assistaient à la messe, c’était à Beauvais ou à Beignon. Ils étaient d’ailleurs si éloignés du bourg !!! Les chemins étaient si impraticables !!!

David, Ange (1922) op. cit. p. 201

Nous supposons qu’antérieurement à sa ruine la chapelle Saint-Gicquel ait été le lieu de culte des habitants de cette partie de la paroisse de Campénéac.

La ruine de la chapelle

L’abbaye de Paimpont se défait de ses charges et possessions du Fil vers 1550. La chapelle, probablement délaissée par les chanoines de Paimpont, tombe alors progressivement en ruine, jusqu’à sa disparition quasi totale au début du 20e siècle et à son oubli après l’extension du camp de Coëtquidan en 1913.

Un culte de saint André à la chapelle Saint-Gicquel

Selon l’abbé Ange David on y va en pèlerinage pour les enfants pris du hoquet. Il s’agit très certainement du hoquet nerveux de la coqueluche et par extension de la coqueluche.

Le saint réputé soigner la coqueluche est saint André. Une chapelle du canton de Malestroit - la chapelle Saint-André de Ruffiac (Morbihan) - atteste de cette pratique à une trentaine de kilomètres de Paimpont.—  MAIRIE DE RUFFIAC, « Chapelles », 2023, Voir en ligne. —

Saint André à l’abbaye de Paimpont

Saint André est honoré à l’abbaye de Paimpont où il possède son autel. Son culte est lié à la famille de Lohéac 8, seigneurs fondateurs de l’abbaye au début du 13e siècle.

Les liens entre les Lohéac et le culte de saint André ont perduré bien après la période médiévale puisqu’en 1682, la famille Laval, héritière des Montfort et des Lohéac, trouve encore avantage à se dire, dans une déclaration du comté de Montfort : seigneurs fondateurs, supérieurs et dotateurs de l’abbaye de Paimpont où ils ont leurs armes en lisière dedans et dehors, leurs tombes, enfeux et toutes autres marques de fondation et de supériorité. En retour, les chanoines leurs doivent deux messes par semaine et quatre messes solennelles aux quatre fêtes principales de l’année, avec prières nominales à leur autel Saint-André dans l’église abbatiale.

Deux saints de l’abbaye de Paimpont honorés à la chapelle Saint-Gicquel

Dans l’église abbatiale de Paimpont, les statues du saint patron des fondateurs - saint André - et du saint fondateur de l’établissement religieux - saint Gicquel - encadrent le chœur dédié à la sainte Vierge.

Statue de saint André du retable sud de l’église abbatiale de Paimpont
Roger Blot

À l’église abbatiale de Paimpont et à la chapelle Saint-Gicquel de Gouvier, les cultes de saint André et de saint Judicaël sont associés. On retrouve donc la même organisation cultuelle sur ces deux sites.


Bibliographie

BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, anciens monuments et seigneuries qui existaient sur son territoire, Paris, H. Champion, 1913.

BELLEVÜE, Xavier de, Paimpont, Rééd. 1994, Rennes, La Découvrance, 1913.

LE MENÉ, Joseph-Marie, Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes, Vol. 1, Vannes, Impr. Galles, 1891, 550 p.

DAVID, Abbé Ange et ASSOCIATION MÉMOIRES ET PATRIMOINES DE CAMPÉNÉAC, « Transcription des Notes recueillies par Monsieur David, recteur de la paroisse de Campénéac », inédit, 1922.

ROSENZWEIG, Louis Théophile, Dictionnaire topographique de la France. Dictionnaire topographique du département du Morbihan, comprenant les noms de lieu anciens et modernes, Rééd. sous les auspices de la Société Polymathique du Morbihan, Paris, Imprimerie Royale, 1870, Voir en ligne.


↑ 1 • La chapelle Saint-Gicquel de Gouvier n’est pas mentionnée par le marquis de Bellevüe dans la liste des chapelles ayant existé sur le camp de Coëtquidan avant l’expropriation de 1913.—  BELLEVÜE, Xavier de, Le camp de Coëtquidan, anciens monuments et seigneuries qui existaient sur son territoire, Paris, H. Champion, 1913. —

↑ 2 • Sur le cadastre napoléonien, les bâtiments teintés en jaune correspondent à des constructions démolies ou ruinées.

↑ 3 • Ce cahier resté inédit a été redécouvert en 2020 par l’Association Mémoires et Patrimoines de Campénéac. Sa transcription pour le compte de l’association a été réalisée par Patrick Delforge.

↑ 4 • Les habitants du village du Fil sont expropriés en 1913 lors de l’agrandissement du camp de Coëtquidan. Le village en ruine est aujourd’hui encore dans l’emprise du camp.

↑ 5 • En droit féodal, « relever » signifie être dans la mouvance d’une seigneurie, dans le vasselage d’un seigneur. En ce sens il se disait tant des terres et des fiefs que des personnes.

↑ 6 • Lors de la réformation du domaine royal de Ploërmel de 1675, La métairie noble du Fil, en Campénéac, avec fief en Augan et Campénéac est dite relevant de l’abbaye de Paimpont.— Bellevüe, Xavier de (1994) op. cit. p. 101 —

↑ 7 • En 1513, l’abbé de Paimpont est René Hamon (1501-1521). Abbé commendataire.

↑ 8 • Le culte de l’apôtre saint André dans la seigneurie de Lohéac est lié à la participation et à la mort de Riou de Lohéac à la première croisade. A son retour de Palestine, son écuyer Symon de Ludron remet un morceau de la Vraie Croix du Saint-Sépulcre à son frère, Gautier de Lohéac. Le 28 juin 1101, Gautier dépose la relique dans la chapelle du château de Lohéac qui devient le prieuré du Saint-Sauveur. —  GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, « Statistique historique et monumentale du canton de Pipriac », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique et Historique du Département d’Ille et Vilaine, Vol. 7, 1870, p. 159-237, Voir en ligne.p. 200 —

Le culte de saint André s’est développé en France à la même époque en corrélation avec la valeur emblématique de la croix et le prestige dont l’apôtre était auréolé dans l’Orient des croisades. —  NOËL, Charlotte, « Culte et iconographie de saint André en France (ve - xve siècle) », 2001, Voir en ligne. —