aller au contenu

1901

La fée aux trois dents

Un conte collecté à Paimpont par Adolphe Orain

La fée aux trois dents est un conte collecté à Paimpont par Adolphe Orain.

Un conte d’Adolphe Orain

La version de 1901

La Fée aux trois dents est un conte paru pour la première fois en 1901 dans la Revue de Bretagne et de Vendée. —  ORAIN, Adolphe, « Les contes de l’antique forêt de Brocéliande », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 26, 1901, p. 180-186, Voir en ligne. pp. 181-186 — Adolphe Orain l’a collecté auprès de la famille Niobé, du Cannée, en Paimpont.

Nous avons publié dans notre dernier livre de l’éditeur de la collection Maisonneuve le conte de La Bûche d’or et la légende de Sainte-Onenna. Nous donnerons dans la présente Revue, les autres récits de la famille Niobé, du Canée, en Paimpont.

ORAIN, Adolphe, « Les contes de l’antique forêt de Brocéliande », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 26, 1901, p. 180-186, Voir en ligne. pp. 181-186

Adolphe Orain le considère, avec La Bûche d’or et Le Géant de la forêt, comme l’un des plus beaux contes qu’il ait collecté.

L’idée me vint d’aller, à mon tour, errer à l’aventure dans les grands bois de Brocéliande [...] J’y recueillis mes plus beaux contes : la Bûche d’or, la Fée aux trois dents, le Géant de la forêt.

ORAIN, Adolphe, « Les Traditionnistes de Bretagne », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 38, 1907, p. 145, Voir en ligne. p. 149

Les publications de 1907 et 1908

Ce conte est l’objet d’une seconde parution, en 1907, dans la Revue du traditionnisme français et étranger . —  ORAIN, Adolphe, « La fée aux trois dents, conte breton », Revue du traditionnisme français et étranger, Vol. A2, 1907, p. 225, Voir en ligne. — puis d’une troisième et dernière du vivant d’Adolphe Orain dans la Revue de Bretagne et de Vendée en 1908. —  ORAIN, Adolphe, « Devant l’Âtre », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 40, 1908, p. 95, Voir en ligne. —

Illustration pour La fée aux trois dents
—  ORAIN, Adolphe, « La fée aux trois dents, conte breton », Revue du traditionnisme français et étranger, Vol. A2, 1907, p. 225, Voir en ligne. —

Le texte intégral de La Fée aux trois dents

I

C’était en hiver, la neige tombait au dehors à gros flocons : un bûcheron et sa femme, enfermés dans une hutte, au milieu de la forêt de Brocéliande, devisaient de leurs affaires au coin du feu, près duquel était le berceau d’un nouveau-né.

Plusieurs coups secs, frappés à leur porte, les fit se lever tous les deux pour aller voir qui pouvait bien, par pareil temps, parcourir les bois. Ils virent une pauvre malheureuse, couverte de haillons, appuyée sur un bâton, et qui tremblait de tous ses membres.

Elle demanda un abri contre le froid, et un peu de pain pour calmer sa faim. La femme du bûcheron la fit asseoir devant l’âtre, alla à la huche prendre une galette qu’elle brisa dans une écuelle pleine de lait, puis l’offrit à la voyageuse.

Une fois réconfortée, celle-ci s’approcha du berceau, regarda l’enfant, et, tout à coup, laissant tomber à ses pieds le manteau déguenillé qui la couvrait, elle apparut, aux yeux des paysans éblouis, resplendissante de beauté, avec des vêtements dune richesse merveilleuse.

— Je suis la reine des fées de la forêt de Brocéliande, leur dit-elle en se redressant, et puisque vous m’avez accueillie avec tant de bonté et de générosité, me croyant une malheureuse dans le besoin, je veux laisser à votre enfant un souvenir qui lui sera utile dans plusieurs circonstances de sa vie.

Voici une noix, qui renferme trois dents de lait de la fée Viviane ma mère. Quand votre fils touchera l’une d’elles, en formulant un désir, son souhait sera aussitôt réalisé. Chacune de ces dents ne pourra servir qu’une fois ; mais néanmoins, il devra les conserver précieusement, car autrement les fées, jalouses de mon cadeau, pourraient lui nuire d’une façon terrible. La cabane se remplit d’une clarté subite et la fée disparut.

La femme du bûcheron enfila les trois dents à un cordon solide qu’elle passa au cou de son enfant.

Celui-ci grandit en force et en sagesse. Il étonnait tout le monde par la vivacité de son esprit, son bon sens et sa vigueur prodigieuse. Quand il eût atteint l’âge de vingt ans, sa mère lui révéla l’origine des trois dents, le pouvoir qui y était attaché et le danger qu’il y aurait à s’en séparer.

Ce jeune homme, qui s’appelait Merlin, résolut de courir le monde, et de faire fortune avec le talisman qu’il possédait. Il partit donc, et, après avoir voyagé quelques temps, il arriva un soir, exténué de fatigue, à la porte d’une ferme où il demanda l’hospitalité.

Le fermier l’invita à entrer, lui fit partager son frugal repas ; mais l’informa qu’en raison de sa nombreuse famille, il ne pouvait le coucher que dans le foin du grenier. Tout en causant, le voyageur aperçût, dans le lointain, un château qui semblait abandonné.

— À qui appartient ce manoir que l’on voit là-bas sur le coteau ? demanda-t-il.

— C’est, répondit l’hôte, l’ancienne demeure des seigneurs du pays. Depuis plus de cent ans, ce château est inhabité, et presque toutes les nuits on y entend des choses effrayantes : froissements de papiers, bruits d’armures, argent remué à la pelle, portes s’ouvrant et se refermant avec fracas, plaintes et jurons.

— Eh bien ! dit Merlin, voilà mon gîte tout trouvé pour cette nuit.

— Gardez-vous en bien, s’écria la fermière : ceux qui, avant vous, ont eu l’audace de s’y introduire, ont été trouvés morts le lendemain matin.

— Peu m’importe ; je ne crains rien, et je vais m’y rendre.

Malgré les supplications des bonnes gens, il prit congé d’eux et se dirigea vers le château abandonné. Il y pénétra, choisit la plus belle chambre, s’assura qu’il avait bien son collier au cou, se coucha et s’endormit promptement par suite de la fatigue qu’il avait éprouvée dans la journée.

À minuit, il fut réveillé par le bruit des portes s’ouvrant et se refermant. Bientôt il vit entrer dans sa chambre deux chevaliers de pied en cape, l’un tenant un rouleau de papiers à la main l’autre une sacoche. Ils prirent place à une table, et celui qui avait les papiers invita l’autre à lui payer le solde de la rançon qu’il lui devait.

— Hélas ! J’ai eu beau faire, répondit celui-ci, je ne puis encore, cette fois, vous remettre la somme que vous exigez.

— Voyons, comptez ce que vous avez d’argent, pendant que je vais revoir mes notes, et faire votre compte.

Le pauvre débiteur, tout en gémissant, délia son sac, et se mit à aligner sur la table des piles d’écus. Au bout de quelques temps, Merlin qui avait tout entendu s’écria en mettant un doigt sur l’une des dents pendues à son cou : « Finissez et disparaissez pour ne plus revenir. » Les deux chevaliers, se voyant surpris, veulent s’élancer sur l’importun ; mais une force invisible les paralyse, le plancher s’ouvre sous leurs pieds, et ils disparaissent pour toujours dans les entrailles de la terre.

Merlin se lève, s’avance vers la table, aperçoit les pièces d’or et les papiers. Il parcourt ceux-ci d’un œil avide, et apprend qu’il a eu affaire à deux spectres morts depuis un siècle.

De leur vivant, ces personnages étaient seigneurs de deux châteaux voisins et se livraient à la sorcellerie. Ils aimaient la même jeune fille, et pour elle se déclarèrent la guerre. Après des luttes incessantes, le propriétaire du château de Ponthus fit prisonnier son voisin de Comper, l’enferma dans l’une des oubliettes de son château, et lui dit qu’il ne lui rendrait la liberté que contre une rançon, fixée à un chiffre tellement énorme, qu’il devenait impossible au pauvre prisonnier de recouvrer la liberté. Comme sorciers, ils jouissaient d’un privilège qui leur permettait de revenir après leur mort, sur la terre, pour traiter leur question de rançon.

Merlin remplit ses poches d’or, cacha le surplus dans l’une des caves du château, et continua sa route.

II

Ayant appris par la lecture du manuscrit du seigneur de Ponthus que ce dernier avait, jadis, au moyen d’un sortilège, privé d’eau toutes les terres du pays de Mauron faisant partie du domaine de son ennemi, Merlin y alla et proposa aux habitants de leur rendre leurs terres aussi fertiles qu’autrefois, et les sources aussi abondantes que celles qui alimentaient les fontaines de leurs aïeux. Il demanda pour cela une somme d’argent relativement importante. L’offre fut acceptée avec empressement.

Il se rendit près d’un arbre, désigné dans le manuscrit, et qui, à lui seul, absorbait par ses racines les eaux de la pluie et des neiges. Il toucha la seconde dent de la fée en exprimant le vœu de voir disparaître cet arbre.

Aussitôt le tonnerre gronda, des craquements terribles se firent entendre, la foudre tomba sur l’arbre qui s’abîma sur le sol. L’eau jaillit en abondance du trou qui occupaient les racines et ne tarda pas à remplir les étangs desséchés du château de Comper, ainsi que les ruisseaux leur servant de déversoir. Les habitants, ravis, supplièrent le voyageur de rester parmi eux ; mais il n’y consentit pas, et continua sa route.

III

Merlin alla dans le pays de Vannes, où il apprit que le roi était en guerre depuis de longues années avec les Francs qui avaient envahi une grande partie de son royaume. Ne sachant plus que faire, l’infortuné roi avait promis d’accorder la main de la princesse sa fille au guerrier capable de chasser l’armée ennemie.

Merlin sollicita une entrevue du roi. L’ayant obtenue, il promit au Souverain de lui donner, dans quelques jours, le moyen de se débarrasser de ses adversaires. Il toucha la troisième dent en demandant à devenir invisible, et à être transporté dans la tente du général Franc.

Là, il put examiner, sans être vu, les plans de batailles, entendre les projets des principaux chefs, et se renseigner sur tout ce qu’il voulait savoir. Il retourna ensuite près du roi le priant de lui confier le commandement de ses soldats. Huit jours plus tard, Merlin rentrait à Vannes victorieux et déposait aux pieds du roi, les richesses qu’il avait prises à l’ennemi.

Le monarque breton s’empressa de reconnaître l’immense service qui venait de lui être rendu, et, fier d’avoir pour gendre un aussi brave capitaine, il décida que le mariage de Merlin avec la princesse, sa fille, aurait lieu sans retard. Le futur déposa dans la corbeille de sa fiancée un bijou enrichi de diamants, et enchâssant les trois dents qui avaient été la source de ses succès et de sa fortune.

Le mariage eut lieu, et le bonheur des jeunes époux aurait été parfait, sans un vol dont les conséquences leur furent funestes.

IV

Une nuit, des brigands s’emparèrent des bijoux de la jeune mariée, en pénétrant dans le palais du roi. Presque immédiatement, ce palais fut détruit par un incendie ; plus tard la grêle ravagea les récoltes et, enfin, une épidémie fit mourir un nombre considérable d’habitants.

Merlin se rappela ce que la fée avait prédit s’il ne conservait pas les trois dents, et il songea au moyen de rentrer en leur possession. Après avoir mûrement réfléchi, il revêtit des habits de moine quêteur et s’en alla, chargé d’une escarcelle bondée de victuailles et d’argent chercher à se faire arrêter par des voleurs.

Il y réussit, et la première chose qui frappa ses yeux, dans la caverne où il avait été conduit, fut le bijou tant regretté qui pendait au cou de la fille du chef des brigands. Comment faire pour le ravoir ? Il s’ingénia à rendre tous les services possibles à la jeune fille qui, peu habituée à de pareilles attentions, y fut sensible.

Le prisonnier, jeune, joli garçon, aimable, exprima devant cette enfant des sentiments de délicatesse qu’elle n’avait jamais entendus de la bouche des misérables au milieu desquels elle vivait. Elle s’éprit d’une véritable affection pour Merlin et lui offrit sa liberté ; il refusa prétextant qu’il aurait trop de peine à se séparer d’elle.

À partir de ce moment, les portes de la caverne restèrent ouvertes au prisonnier. Un jour que les deux jeunes gens étaient seuls, et que le bijou aux trois dents se trouvait sur une table, Merlin s’en empara et s’enfuit sans écouter les prières, les supplications, les cris et même les injures de la fille du brigand.

Il rapporta à la princesse sa femme le précieux talisman qui ne tarda pas à faire renaître la joie et l’opulence à la cour du roi de Vannes.

—  ORAIN, Adolphe, « Devant l’Âtre », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 40, 1908, p. 95, Voir en ligne. —

L’analyse du conte

Le conte de La fée aux trois dents est une adaptation d’un thème traditionnel - Les trois vœux donnés par une fée - que l’on retrouve dans des contes de Grimm, Perrault ou Madame Leprince-Beaumont.

Ce conte intègre les personnages de Merlin et Viviane, implantés en forêt de Paimpont à partir de 1820 après l’invention du Tombeau de Merlin et de Viviane par Jean-Côme Damien Poignand.

Trois éléments du conte sont à rapprocher de légendes et traditions populaires de la forêt de Paimpont.

  • Le sortilège qui assèche les terres du seigneur de Comper semble une référence inversée au pouvoir des seigneurs de Comper de déclencher une pluie bienfaitrice à la Fontaine de Barenton

Une version contemporaine

Le conteur Patrick Lebrun, originaire de Saint-Malon-sur-Mel (Ille-et-Vilaine), avait intégré ce conte à son répertoire. Patrick Lebrun en a publié l’adaptation dans sa rubrique du Ploërmelais, Contes populaires de Brocéliande. —  LEBRUN, Patrick, « Les trois dents de la fée », Le Ploërmelais, Ploërmel, sans date. —

En 1993, il en donne une version, illustrée par Hélène Roinel, sous le titre Les trois dents de la fée. —  ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993. [pages 82-85] —

La fée aux trois dents
—  ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993.
[pages 82-85] —

Bibliographie

LEBRUN, Patrick, « Les trois dents de la fée », Le Ploërmelais, Ploërmel, sans date.

ORAIN, Adolphe, « Les contes de l’antique forêt de Brocéliande », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 26, 1901, p. 180-186, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, « Les Traditionnistes de Bretagne », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 38, 1907, p. 145, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, « Devant l’Âtre », Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, Vol. 40, 1908, p. 95, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, « La fée aux trois dents, conte breton », Revue du traditionnisme français et étranger, Vol. A2, 1907, p. 225, Voir en ligne.

ROINEL, Hélène, CALINDRE, Henri, HÉDÉ, Arsène, [et al.], Contes et Histoires du Pays Gallo, Le Ploërmelais, 1993.