Le loup dans les croyances populaires de la forêt de Paimpont
De la croyance à la sorcellerie
Des témoignages recueillis sur le massif de Paimpont montrent l’existence de croyances populaires liées à la présence du loup, tels que les loups-garous et les menoux de loups.
Innombrables jadis en Bréchéliant, les loups y formaient la république la plus délectable.
Témoignages et croyances
Certains témoignages décrivent des comportements du loup qui n’ont jamais été observés, ou des rapports curieux entre le loup et l’homme. Derrière ces faits en apparence extraordinaires transparaissent des croyances populaires qui ont traversé les siècles.
Le loup représenterait le sauvage, mais un sauvage apprivoisé, rendu vivable, par la pensée. Il domine l’espace naturel comme l’homme domine l’espace domestique. Ce qui se dit du loup recouvre donc à la fois l’indispensable connaissance naturaliste et la tout aussi indispensable compréhension symbolique du monde. La tradition orale charrie, sans oser s’en débarrasser et au prix de réinterprétations constantes, les vestiges de constructions calendaires, de rites anciens, de mythologies en déroute. Ces épaves confiées à la mémoire collective nous parlent de continents engloutis dans les naufrages de l’histoire.
Les noms du loup
Le loup est très rarement appelé par son nom. Selon François de Beaulieu, cette pratique renvoie à une forme de magie ou d’exorcisme pour l’éloigner.
Une très ancienne pratique consiste aussi à ne pas nommer par son nom l’être malfaisant que l’on ne veut pas attirer [...]. C’est pourquoi l’on ne dit pas bleiz mais Yann, Patte-grise, Ki-noz (chien de nuit), Guillaume ou Guillou.
Le Grisou
Un témoignage collecté à Telhouët atteste un des noms du loup portés à Paimpont.
Quand le loup arrivait, les gens criaient, « allumez du feu et apportez des cisiaux pour couper la barbe au grisou ».
Guillou
Au cours du 19e siècle, les Tréhorenteucoises, gardiennes du menu bétail sur des landes, criaient « guil-lou, guil-lou » pour appeler au secours quand elles voyaient rôder des loups, ceci en tapant leurs sabots l’un contre l’autre. — Témoignage de Joseph Boulé, le Bois de la Roche, recueilli par Laurent Goolaerts en 2017 —
En Bretagne, Bleiz, Blais et Le Blay désignent le loup en tant qu’animal, Gwilhou, Guil-loup, Guillou le désignent en tant que personnage dans les contes populaires. Comme l’Isengrin du Roman de Renart, ce Guillou se voit attribuer des traits de caractère. Il est décrit comme étant courageux et malin, à la différence de l’Isengrin français au caractère veule et sournois.
D’après les linguistes, la racine germanique « Gwil » retrouvée dans Wilhem/William et Guillaume implique une notion de volonté et de courage.
Guillou et son diminutif Guillouët sont aussi devenus des patronymes. À l’origine existait une prononciation avec des syllabes détachées,« Gui-lou », « Guil-lou-ët », la forme Guillouët signifiant littéralement « Petit-Loup-courageux ».
Le glissement de « Gui-loup » à Guillou est dû à la paresse du prononcé qui a fait progressivement de « Guil-loup » un Guillou mouillé de ses deux « L ». Dans Guillouët, la césure est mieux conservée. Elle s’entend encore un peu, sous la forme d’un léger allongement phonétique, dans la variation tardive Guil-lois apparue au 18e siècle 1.
Le loup sur trois pattes
Le loup dominant a tendance à se déplacer sur trois pattes. Sa position dans la meute, ainsi que ce comportement peu banal en ont fait un animal à part dans les traditions populaires, animal psychopompe, intermédiaire entre le monde des vivants et les autres mondes. — Beaulieu, François de (2004) op. cit. —
Un document d’archive et un témoignage de la région de Paimpont peuvent évoquer ce type de loup.
Il y a plus de quinze ans que je ne suis pas entré dans la forêt avec un fusil, si ce n’est qu’une fois des gardes vinrent me chercher et me conduisirent dans la forêt avec mon fusil pour leur aider à chasser un loup qui avait une cuisse cassée.
Ce loup peut avoir une cuisse cassée ou être un loup dominant se déplaçant sur trois pattes. Le témoignage qui suit permet quant à lui plus d’interprétation allant dans le sens de l’animal psychopompe.
Mon grand-père est né en 1846. Vers les années 1870-1875, il habite la Maise-Mare, les Rues-d’en-Haut. Un hiver en allant à Paimpont par la lande d’Ergan pour rejoindre la ligne de forêt afin de sortir du côté du grand étang, il arrive à Timonbert. Une ligne perpendiculaire de sept loups se déplaçait. L’un efflanqué suivait péniblement sur quatre pattes. Il tire un coup de fusil. Le loup passe devant la bande et c’est sûr qu’il avait déjà eu une cartouche.
La meute comprend sept loups, ce qui en ferait le second groupe le plus important signalé en Bretagne au 19e siècle avec celui de neuf loups à la file indienne aperçu à Bannalec (Finistère) vers 1870. Les récits de chasse font état de groupes de deux à cinq loups « levés » au cours des battues. — BEAULIEU, François de, Le loup dans les traditions de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 1994. [page 13] —
La rencontre avec les loups a lieu dans la lande, lieu traditionnel de l’opposition nature/culture, intermédiaire entre le sauvage et le cultivé. Elle se fait à un carrefour, lieu symbolique de passage d’un monde à l’autre. Le loup sur trois pattes est le dernier d’une meute de sept de ses congénères. Il s’agirait d’un dominant et non d’un loup blessé à la cuisse.
Le loup attrapé par la queue
L’abbé Guillotin mentionne l’existence d’un concoretois du 17e siècle qui concurrence le loup à la course.
En 1610, le fils de Pierre Rovet, demeurant aux Liordais était si bon coureur qu’il attrapa un jour un loup à la course dans les landes de la Croix-au-Blanc.
Cette anecdote, guère vraisemblable, porte très certainement en elle une dimension symbolique difficile à interpréter.
La rage
Selon la pensée traditionnelle, un loup enragé n’attaque pas l’homme. Pendant la révolution française, en pleine chouannerie, un loup enragé est signalé.
Pendant les mois d’avril et de mai [1795], un ou plusieurs loups enragés ont mordu dans la forêt de Paimpont, un grand nombre de vaches qui ont enragé et sont crevées. Ces loups ne faisaient aucun mal aux personnes qu’ils rencontraient.
Quatre mentions de décès causés par des loups enragés ont pourtant été recensées dans les paroisses morbihannaises du massif forestier de Paimpont, dont celle de la Ville Danet (Paimpont) en 1715. — CEGENCEB, « Au loup ! Ar Bleiz ! », Souche, Revue du Cegenceb, Mauron, Vol. 13 - 1er trimestre, 2006, p. 24-26, Voir en ligne. —
En 1715 un loup enragé fit de grands ravages aux environs de Concoret. 25 personnes en furent mordues et plusieurs en moururent. Il parut d’abord à Vignouse. Marie Rosselin de la Haye, âgée de 16 ans, fille de Jacques, mordue à la fontaine de la Ville-de-bas, en mourut ainsi que Guillaume Lefeuvre, fils de François, mordu dans les champs du Rox, âgé de 16 ans. Perrine Patier de Haligan, sœur de Richard, Marie Godivet et Perrine Jallu, femme de François Lefeuvre mordu au ruisseau du Rostel n’en moururent pas. Ce loup fut tué à coup de fusils par Paitremou de la Rue Eon. Madame de Montigny faisait traiter les personnes mordues.
Lorsqu’un loup mord un homme, comportement anormal selon la croyance populaire, c’est qu’il a partie liée avec le malin par l’intermédiaire d’un sorcier. Si l’on veut le tuer, il faut alors user de magie blanche pour contrer la magie noire du sorcier.
Les curés de Néant, Tréhorenteuc, Mauron, St Léry, Paimpont, bénissent les fourches et les fusils, [pour tuer les loups enragés] magie blanche contre magie noire.
Vers les années 1880, lorsqu’il restait un loup à trainer autour des villages, la cartouche était bénie par le curé. Lorsqu’un courageux avait réussi à le tuer, le loup était pendu et exposé. Ce qui donnait lieu à des réjouissances. Les gens dansaient autour.
Pour lutter contre la rage, il existe une médecine conventionnelle ainsi que des pratiques magiques. Il faut mentionner le culte de certains saints et le pèlerinage à certaines fontaines, comme la fontaine Saint-Symphorien de Gaël censée guérir de la rage.
Selon l’abbé Hervé, vers 1730-1735, un prêtre aurait donné au recteur de Gaël, un secret qui permet de faire avec toute eau potable un préventif contre la rage. Ce secret, qui est sans doute une forme de bénédiction, n’a jamais été révélé pas plus en 1762 par le recteur, malgré la promesse d’une forte récompense du roi, que plus tard par ses successeurs ; en 1848, le recteur de l’époque refuse de le donner malgré les pressions du préfet.
Les loups pendus
Un lieu-dit et deux micro-toponymes « loup pendu » existent en forêt de Paimpont. Ils attestent une pratique qui perdure jusqu’au 19e siècle.
Quand le loup est tué, ce n’est pas une dépouille comme les autres : on le pend comme un homme, parfois après l’avoir exhibé dans les rues de la ville la plus proche [...]. Paul Sébillot avait écrit en 1882 : « Je me souviens d’avoir vu un loup pendu à la branche d’un chêne vers 1860 à la lisière de la forêt de la Hunaudaye ». [...] Ce respect particulier accordé au loup n’est il pas la contrepartie du rôle essentiel qu’il joue sur le plan symbolique ? [...] Le loup représenterait le sauvage, mais un sauvage apprivoisé, rendu vivable, par la pensée. Il domine l’espace domestique.
Un charbonnier des environs de Montfort-sur-Meu vient réclamer la prime au loup avec la dépouille dans une brouette. Ce geste relève autant de la justification de son acte que de la volonté d’exhiber le loup mort.
Pour justifier cette destruction [...] il s’est déterminé à amener de loup dans une brouette de charbonnier.
Le loup et le sorcier
Une affaire de sorcellerie en rapport avec les loups est attestée à Concoret en 1702. — LA BIGOTIÈRE, René de, Commentaires sur la coutume de Bretagne : Institutions au Droit François par rapport à la même Coutume, 1702, Rennes, Chez la veuve de Pierre Garnier, 1693, 816 p. —
Dans ses commentaires, René de la Bigottière, président aux enquêtes du Parlement de Rennes, dit qu’en 1702, un sorcier de Concoret, dénoncé pour s’être vanté de « nouer l’aiguillette » 2, fut condamné à être exposé publiquement avec l’inscription sur le front « d’affronteur public ».
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Ce sorcier est condamné pour avoir « noué l’aiguillette », sortilège qui nécessite l’utilisation d’une verge de loup.
L’ensorcellement le plus redouté était « le nœud de l’aiguillette » qui frappait d’impuissance les jeunes mariés. « Pour nouer l’aiguillette » dit le Petit Albert (la bible des sorciers de campagne), il faut la verge d’un jeune loup fraichement tué, et près de la porte de celui que l’on veut lier, il faut l’appeler par son nom et, sitôt qu’il a répondu, lier la dite verge avec un bout de fil blanc et dès à ce moment, il demeure impuissant.
Les menoux de loup
Les mentions de meneurs de loups sont essentiellement relevées en Haute-Bretagne et le personnage semble beaucoup moins présent en pays bretonnant. Selon François de Beaulieu, il s’agirait d’une évolution du loup-garou contaminé
par le personnage du sorcier jeteur de sorts. — BEAULIEU, François de, Quand on parle du loup en Bretagne, Le Télégramme, 2004. —
Les récits de base [...] montrent un homme pouvant commander à une troupe de loups. Des variantes attestent que l’homme peut lui-même se transformer en loup. [...] Dans certains cas on accuse les meneurs de loups de lancer leurs loups sur les troupeaux de leurs ennemis.
Paul Sébillot mentionne cette croyance dans plusieurs localités d’Ille-et-Vilaine sans jamais mentionner Paimpont. Pourtant, Adolphe Orain, collecteur de contes et traditions populaires à Paimpont vers 1870, évoque les « menous de loups ».
La forêt a aussi ses menous de loups (meneurs de loups), ses sorciers, ses reboutous, ses mendiants qui jettent des sorts.
Selon Jacques Lecomte, cette croyance peut être basée sur l’existence de ce type de sorcier.
Les menoux de loups étaient une croyance bien enracinée à Paimpont. Il s’agissait d’êtres humains ayant à leur dévotion une meute de loups, susceptible de détruire les troupeaux de ceux qu’on leur désignait, d’attaquer les personnes ou au contraire de les protéger. Les témoignages sont parfois tellement précis qu’on peut se demander si les menoux de loups n’ont pas réellement existé...
Il est à noter que le lieu où l’on trouve le plus de traces d’une présence du loup est aussi celui ou étaient traditionnellement réputés se trouver les sorciers : en limite des « landes de Lambrun » entre Concoret et la « Ville Danet ».
Le loup et le pain
Selon les croyances populaires, le meneur de loups tient des loups en son pouvoir mais aussi des loups-garous.
De plus, quand il fait raccompagner une personne égarée par un ou deux loups, il recommande de ne pas tomber et, une fois arrivé, de donner du pain aux loups. [...] Le don du pain qui clôt la rencontre indique bien qu’il ne s’agit pas là de loups « comme les autres » mais bien plus de loups-garous cherchant à obtenir la clef de leur retour au monde des hommes par une bonne action. [...] Nourriture chrétienne par excellence, le pain permet au garou de rompre sa malédiction.
Un témoignage collecté à Paimpont évoque peut-être cette dernière croyance.
Entre 1870 et 1880, M. Pierre Hamon qui habitait les Pinçais à Beauvais était âgé d’environ 35 ans. Alors qu’il s’en revenait à pied de Paimpont en traversant la forêt, il dut donner une partie de son pain à un loup pour pouvoir poursuivre sa route.
Les loups-garous
La croyance dans les loups-garous est attestée en forêt de Paimpont comme dans le reste de la Bretagne. Adolphe Orain mentionne l’existence d’une clairière de forêt au pouvoir magique, censée permettre aux loups-garous de se défaire de leur sortilège.
Enfin, les charbonniers vous diront que le garou, c’est à dire le pauvre diable auquel un sort a été jeté, et qui est obligé malgré lui de courir toutes les nuits, ne peut déjouer le sortilège qui le mine, qu’en allant embrasser une croix située dans une clairière de la forêt. Mais ses efforts sont vains, une force le retient à une certaine distance de cette croix, devant laquelle il se traine par terre, en hurlant de rage. Il ne pourra l’atteindre que si quelqu’un fait couler son sang, soit en le frappant d’une pierre ou d’un coup de fouet. Si le sang ne coule pas avant le soleil levé, il lui faudra recommencer ses coures la netée (la nuit) suivante, et revenir au même endroit pour tenter de saisir la croix.
La présence d’un loup-garou dans le Val sans Retour est au cœur de l’intrigue d’un roman fantastique de Rachilde et Jean-Joë Lauzach daté de 1929. Gilles, innocent
du village de Tréhorenteuc, est découvert une nuit d’incendie par Jean de Trégor, hurlant dans le Val comme un loup.
Jean Trégor s’est levé ; de sa fenêtre grande ouverte par où s’engouffre le vent, il écoute d’où vient la plainte. La bête s’est rapprochée, son hurlement grandi qui résonne dans le bois au pied du roc, est comme un cri jailli du sol. Ce hurlement-là pourrait bien être celui d’un loup. [...] Peut-être en effet est-ce bien un loup qu’on entend là, une bête chassée de Brocéliande par le feu ! Promptement décidé, Jean Trégor se munit d’une lanterne, réveille en sursaut un domestique affolé et descend. [...] Braquant de brefs jets de lumière, il se dirige au jugé dans la direction de l’aboiement. Encore deux ou trois cents mètres et il saura !... [...] Encore un pas et il braquera le halo jaune de la lanterne sourde. Mais d’un bond brusque, devançant son geste, la bête surprise s’est écartée et Jean Trégor qui, du regard suit le rayon de lumière sitôt allumé, sent un grand froid le saisir. Les yeux fixés sur l’ombre, lui qui ne souvient pas d’avoir eu peur, fait connaissance avec l’Angoisse. L’animal qui hurlait à la mort, comme une bête blessée, était un homme.
De la lycanthropie des aboyeuses
Le frère Charles Grosset, prieur de Saint-Étienne de Guer dans la première moitié du 18e siècle, rapporte qu’il a été témoin d’une maladie étrange dont sont victimes certaines paroissiennes lors du pèlerinage de Notre-Dame de Paimpont.
Il prend une espèce de mal aux habitants du voisinage qui est de japer (sic) et d’aboyer comme des chiens sans pouvoir s’en empêcher, et qu’à la Pentecôte, ils viennent dans l’église de Paimpont, font trois tours à l’entour, et qu’ils sont immanquablement guéris, et qu’ensuite ils vont à une fontaine, qu’on croit miraculeuse, qu’on nomme la fontaine de Jacob, dans le bois.
Ces femmes, atteintes de convulsions, sont appelées « aboyeuses » puis « miraclous » lorsqu’elles sont guéries. Ces comportements sont comparables à ceux observés à Josselin dès le début du 17e siècle.— FICHET, Richard, Contribution à l’étude de l’hystérie collective : A propos d’un fait d’ethnopsychiatrie, les aboyeuses de Josselin, Mémoire pour le certificat d’études spéciales de psychiatrie, Université de Rennes - UER Médicales et Pharmaceutiques, 1983, 123 p., Voir en ligne. —
Ces aboyeuses en état de transe miment les symptômes de la lycanthropie 3
On pensait qu’il existait une rage spontanée, d’origine humorale, qui entrainait des troubles psychiques et nerveux, voisins de ceux de la rage. Ces troubles relèvent de maladies qui n’ont rien à voir avec la rage : c’est le cas dans le Morbihan des aboyeuses de Josselin, qui sont des femmes atteintes d’une maladie voisine de la lycanthropie, où le malade croit être transformé en loup.
Selon Jean-Claude Cappelli, les aboyeuses de Paimpont pourraient être les dernières manifestations de rituels guerriers datant du haut Moyen-Âge.
Ces anciens rituels guerriers s’accompagnaient peut-être de jappements de chien, voire de hurlements de loups, dont les aboiements des « malades » de Josselin ou de Paimpont pourraient former la réminiscence.