Paysages et Géologie en Brocéliande - III
Histoire géologique de la région
Dans notre itinéraire de découverte du massif de Brocéliande, nous avons traversé, de Campénéac à Paimpont, une grande diversité de paysages.
Cet itinéraire traverse les trois grandes formations géologiques du massif. Grâce à des observations de terrain, il est possible d’effectuer une lecture géologique des paysages.
Le présent article se propose de replacer l’histoire géologique de Brocéliande dans l’ensemble des évènements qui se sont déroulés sur plusieurs centaines de millions d’année et ont façonné les reliefs de la Bretagne actuelle.
Un résumé en images de l’histoire géologique de la Bretagne
Les principaux évènements qui concernent le massif de Brocéliande se déroulent pour l’essentiel entre le Protérozoïque (Précambrien) et le Carbonifère (Paléozoïque), à travers deux mouvements tectoniques majeurs : les orogenèses cadomienne et hercynienne. Quelques formations plus récentes concernent des matériaux remaniés au Cénozoïque (Paléocène) : -65 millions d’années (ou Ma). Le signe négatif est implicite, il ne figure pas nécessairement.
L’orogenèse cadomienne
(620 à 580 Ma)
Sur notre itinéraire, le socle le plus ancien représente les reliquats d’une chaîne de montagne datant du Protérozoïque, la cordillère cadomienne.
Cette chaîne de montagne s’est mise en place de 620 à 580 Ma, en limite nord d’un continent primitif, le Gondwana situé alors au pôle sud terrestre. Elle exprime un relief induit par la subduction d’une plaque océanique (le Lapetus) qui a compressé, plissé, puis cassé le Gondwana. Le plan de subduction était situé, au nord-ouest du Massif armoricain, en limite actuelle de la Manche.
Le domaine cadomien montre des affleurements de cette ancienne cordillère, observables dans la partie nord de la Bretagne et dans le Cotentin.
— D’après CHANTRAINE, Jean, CHAUVEL, Jean-Jacques, BALE, Pascal, [et al.], « Le Briovérien (Protérozoïque supérieur à terminal) et l’orogenèse cadomienne en Bretagne (France) », Bulletin de la Société Géologique de France, Vol. 5 / 5, 1988, p. 815-829, Voir en ligne. —
Démantèlement de la chaine cadomienne : le Briovérien supérieur
L’érosion de la montagne cadomienne est la source de sédiments détritiques essentiellement silto-gréseux 1 (notations b2S et b3S sur la carte géologique) qui constituent les formations briovériennes.
Les mécanismes de mise en place évoqués concernent les domaines marins, sous différentes profondeurs. Suivant les auteurs et les secteurs étudiés, nous pouvons trouver des sédiments deltaïques soumis à des courants littoraux comme le Poudingue de Gourin, jusque dans les grands fonds (courants de turbidité) comme dans les Dalles de Néant [notation b1 sur la carte géologique].
Le Briovérien issu du démantèlement de la chaine cadomienne correspond à des sédiments déposés jusqu’au début du Paléozoïque : à la base (en Baie de Saint-Brieuc) il contient des bancs de poudingue portant des galets de roche magmatique datée (640 Ma) et au sommet les sédiments remanient des zircons datés (540-520 Ma) du Cambrien inférieur. Le Briovérien correspond donc à une série sédimentaire déposée entre 630 et 520 Ma (voir phase d’érosion sur l’illustration « Orogenèse cadomienne »).
Le Briovérien de Bretagne centrale
En fin de processus tectonique, la surface briovérienne émergée, arasée est une surface plane (avec de rares aspérités résiduelles) : « la pénéplaine briovérienne ». Soumise à un climat alternativement sec et humide elle donne naissance à des altérites teintées en rouge 2.
Nous changeons d’ère géologique avec le Paléozoïque ou ère primaire.
Le Cambrien (541 à 485,4 Ma) en tant que dépôt sédimentaire n’est pas représenté dans notre région au dessus du plan de discordance paléozoïque/briovérien (voir plus loin « La discordance des formations paléozoïques sédimentaires sur le Briovérien »).
Le Cambrien est présent en Normandie en discordance sur le Briovérien, ce qui permet de penser qu’en Brocéliande les dépôts de base du Paléozoïque sont plus récents (Arénig, 478 à 467 Ma) qu’en Normandie, la transgression étant « diachrone ».
Sur notre itinéraire, la prospection des sédiments paléozoïques débute directement avec l’Ordovicien.
Ordovicien inférieur (485 à 470 Ma)
Sur le massif de Brocéliande, la pénéplaine briovérienne est recouverte en discordance par les sédiments de base du Paléozoïque : les sédiments terrigènes de l’Ordovicien inférieur.
Les deux premières séries sédimentaires qui se déposent à la base du Paléozoïque sont :
- Une première incursion, localisée, non précisément datée, (485 à 470 Ma) (Trémadocien puis Arénig) : la Formation de Pont-Réan comprenant en particulier les Dalles pourprées.
- Une transgression marine généralisée (478 à 470 Ma) à l’échelle du continent gondwandien 3 (Floien ou Arénig) : le Grès armoricain.
Une première transgression marine localisée
Dans la Bretagne centrale, une amorce de transgression marine se développe sur un continent émergé (pénéplaine briovérienne), ouvert sur une mer peu profonde.
Les dépôts successifs (des plus grossiers aux plus fins) donnent naissance à des roches à couleur rouge dominante (« série rouge » ou « Formation de Pont-Réan »).
- poudingues à galets de grès : le Poudingue de Montfort,
- grès : le Grès de Courouët,
- siltites quartzeuses uniformément teintées en rouge lie-de-vin, appelées aussi « Dalles pourprées » [notation O2B, sur la carte géologique].
Seules les siltites sont repérables sur notre itinéraire. Leur couleur « lie-de-vin » typique est liée à la présence d’un pigment d’hématite. Ce pigment caractérise l’altération « latéritique » 4 de la surface discordante briovérienne soumise aux aléas climatiques.
Ces dépôts sont discontinus sur le terrain. Les premiers auteurs expliquaient cette discontinuité par la morphologie de la plate-forme briovérienne qui présentait des reliefs résiduels liés à la présence de roches plus dures (« buttes témoins »). Aujourd’hui on peut aussi imaginer que ces dépôts se sont déposés à la faveur de fossés d’effondrement du socle briovérien. Les falaises limitant ces fossés constituent la source locale des dépôts de la formation de Pont-Réan : débris grossiers au pied de la falaise – débris plus fins plus loin (poudingues, grès, siltites).
Ces fossés d’effondrement, larges de quelques dizaines de kilomètres au maximum, sont du type « hémigraben » et se retrouvent en structures parallèles orientées est-ouest en Bretagne centrale. — BRUN, Jean-Pierre, BALLARD, Jean-François et LE CORRE, Claude, « Identification of Ordovician block-tilting in the Hercynian fold-belt of Central Brittany (France) : field evidence and computer models », J. Struct. Geol., Vol. 13, 1991, p. 419–429. —
Une transgression marine généralisée : le Grès armoricain
Cette transgression (478 à 470 Ma) correspond aux dépôts du Grès armoricain. Largement réparti sur le Gondwana, il provient de l’érosion d’une zone lointaine située au sud du Sahara actuel.
Au cours de cette transgression, le Grès armoricain [notation O2, sur la carte géologique] recouvre largement la région : le socle briovérien ou les Dalles pourprées (la série rouge).
Il est constitué de faciès arénacés (sable), déposés dans un environnement marin peu profond, soumis à l’action des marées et des tempêtes.
Il contient localement de fines couches (épaisseur de quelques mètres) de minerai de fer. Ce minerai a fait dans le passé l’objet d’une exploitation en Basse Forêt de Paimpont. — CHAUVEL, Jean-Jacques, « Contribution à l’étude des minerais de fer de I’Ordovicien inférieur de Bretagne », Mém. Soc. géol. minér. Bretagne, Vol. 16, 1971. —.
L’orogenèse hercynienne (420-360 Ma)
Une grande chaîne de montagne se forme depuis le Dévonien jusqu’au Permien, lors de la collision des continents Gondwana et Laurussia (ou Laurentia-Baltica) pour former un super-continent : la Pangée 5. C’est l’orogenèse hercynienne (appelée également varisque).
— MATTE, Philippe, « Tectonics and plate tectonics model for the Variscan belt of Europe », Tectonophysics, Vol. 126, 1986, p. 329-374. —
Le Gondwana percute Laurentia et Baltica, au nord, dessinant à l’échelle ouest-européenne, une virgation dite « l’arc ibéro-armoricain » (voir Matte 1986). Cette virgation se traduit par des chevauchements cassants en surface, prolongés par des décrochements ductiles en profondeur (failles profondes initiées dans le manteau et accompagnées de la mise en place de massifs granitiques). Ces failles qui marquent la limite de collision des plaques, correspondent dans le Massif armoricain aux grands cisaillements : sud-armoricain (CSA ) et nord-armoricain (CNA).
— Adapté d’après Matte, Philippe (1986) op. cit. —
Lors de la formation de la chaîne hercynienne, l’ensemble des couches (Briovérien et Paléozoïque) ont été comprimées puis cisaillées. Les sédiments les plus fins (siltites) ont localement acquis une schistosité, croissante en intensité du nord vers le sud à l’approche des grands cisaillements (zones broyées Nord et Sud armoricaines) et des intrusions granitiques qui les accompagnent..
La discordance des formations paléozoïques sédimentaires sur le Briovérien
L’orogenèse hercynienne est inscrite dans les séries rouges, suivant de grandes structures synclinales parallèles, orientées est-ouest (chaque « bande » représentant une largeur d’une dizaine de kilomètres). Les couches correspondant aux séries rouges sont généralement très peu pentées.
Elles reposent en discordance sur un socle ancien, le Briovérien supérieur (post orogenèse cadomienne) qui a d’abord été raboté (pénéplaine), puis a subi l’orogenèse hercynienne.
Les séries rouges sont ici représentées par les Dalles pourprées et le Poudingue de Montfort. Le plan de discordance penté à 45° représente la déformation hercynienne.
— THOMAS, Éric, OUTIN, Jean-Marie, RIVIÈRE, Jean-Marie, [et al.], « Notice explicative de la feuille 316 - Montfort-sur-Meu », Orléans, BRGM - Service géologique national, 1999, (« Carte géol. France (1/50 000) »), Voir en ligne. —
Le Crétacé supérieur
À partir du Crétacé supérieur (ère mésozoïque), il y a 100 Ma, le Massif armoricain est considéré comme « globalement » émergé. Les incursions marines ultérieures (en particulier les faluns datés du Miocène moyen, 16 à 12 Ma environ) sont localisées en limite Est de la Haute-Bretagne sur un axe nord-ouest / sud-est, marqué par une grande faille (Quessoy – Nort sur Erdre). Cette faille est jalonnée par des bassins d’effondrement (34 - 14 Ma) qui ont conservé ces sédiments cénozoïques en les protégeant de l’érosion.
Sur notre itinéraire
Durant le Paléocène et la base de l’Éocène (il y a 65 à 50 Ma), les conditions morphologiques (surface totalement plane exondée à 300 m d’altitude) et climatiques (climat chaud et humide) ont engendré des altérites épaisses (ici quelques dizaines de mètres). Ces altérites constituent sur le plateau de Haute Forêt une masse argileuse « emballant » des fragments gréseux [notation O2A sur la carte géologique].
Au Quaternaire (depuis 2 Ma)
Des alternances de périodes froides et humides (périglaciaire) et tempérées (interglaciaire court) provoquent des fluctuations importantes du niveau marin (-120 m à + 30 m par rapport à l’actuel). Ces fluctuations induisent le dépôt de limons issus de la Manche exondée et apportés par les vents du nord.
À terre, des coulées de solifluxion déplacent une partie des altérites du plateau de Haute Forêt, le Grès armoricain altéré (notation O2A sur la carte géologique) vers le bas de pente , en bordure de l’étang de Paimpont [ AS ] .
Ce glissement s’est produit au Quaternaire lors du dégel, en fin de la dernière période glaciaire (le Weichselien soit il y a 20 000 ans).
Voir aussi : Observations géologiques sur l’itinéraire Campénéac - Paimpont