1945-1947
Karl Rezabeck
Un prisonnier allemand artiste peintre à Tréhorenteuc
Karl Rezabeck est un artiste peintre, prisonnier allemand à Tréhorenteuc de 1945 à 1947. Il travaille pour l’abbé Gillard à la réalisation du chemin de croix de l’église et de quatre tableaux.
Éléments biographiques
Un soldat allemand pendant la Seconde Guerre mondiale
Karl Rezabeck est né en 1904 à Neu Isenburg, une petite ville près de Francfort- sur-le-Main (Allemagne). Il y exerce un métier d’artiste peintre. Au début de la guerre, il est mobilisé (non volontaire
précise-t-il) dans les rangs de la Wehrmacht.
En 1940, l’armée allemande occupe les principaux aéroports de la région parisienne. À l’été 1940, la Luftwaffe s’installe à Orly. Les Allemands construisent deux pistes et doublent la superficie du terrain.
« En tant que militaire (non volontaire) j’ai travaillé pendant cinq ans dans un bureau de l’armée de l’air, comme Sergent Major, sur les aéroports d’Orly, Melun-Villaroche, Villacoublay et Coulommiers, ainsi qu’à Rambouillet. J’ai toujours eu de bonnes relations avec la population. Un certain Monsieur Wekering, il était agent de change à Paris, né en Alsace, savait bien l’allemand, s’est lié d’amitié avec moi et m’a appris le français. »
Un Prisonnier de Guerre Allemand (P.G.A.)
Le 23 août 1944, les US Army Air Forces (forces aériennes de l’armée des États-Unis) s’installent à Orly. Mais Karl Rezabeck a entre-temps été rappelé en Allemagne, où il est fait prisonnier par les troupes US. C’est ainsi qu’il arrive en mai 1945 aux camps de Rennes, alors sous direction US.
Étrange histoire que celle de ce prisonnier allemand : après avoir travaillé dans des bureaux à Paris, il est rappelé en Allemagne, où il est fait prisonnier par les Américains, en 1945, qui l’envoient dans un camp à Rennes.
J’ai fait la connaissance de l’abbé Gillard au camp de prisonniers de Rennes. En mai 1945, j’y arrivais.
En juin 1945, les Camp US 11 et 12 de Rennes sont confiés aux autorités françaises et deviennent respectivement les dépôts de prisonniers de guerre 11.01 et 11.02.
61 000 prisonniers de Guerre internés dans 2 camps américains autour de Rennes : Camp 11 à Rennes - Camp 12 à Rennes qui deviennent respectivement dépôts de prisonniers de Guerre 11.01 et 11.02.
Le 26 juin 1945, les Américains cèdent le camp 11.02 aux Français avec 48 380 P.G.A. — LE POULICHET, Maxime et LOUVET, Jean-Paul, « Les camps de P.G.A de Rennes », 2018, Voir en ligne. —
L’abbé Gillard, recteur de l’église de Tréhorenteuc depuis 1942 s’est rendu au camp 11.02 (camp de la Marne) en mai [la date la plus probable est juillet] 1945 et a obtenu deux P.G.A. ; Karl Rezabeck (peintre) et Peter Wisdorff (menuisier) pour participer à des travaux de restauration d’art religieux, entrepris dans son église.
Le recteur de Tréhorenteuc, qui cherche à renouveler son chemin de croix, visite le camp en juillet 1945 à la recherche d’un peintre et d’un ébéniste. Sa profession de peintre ayant été enregistrée par l’administration du camp, l’abbé Gillard propose à Karl Rezabeck de peindre un chemin de croix.
Ma profession de peintre avait été enregistrée par l’administration. Un jour, je fus appelé au bureau. L’abbé Gillard s’y trouvait ; il me demanda si je pouvais peindre un "chemin de croix". Étant catholique, sachant ce qu’est un "chemin de croix", je dis simplement "oui". Étant en général honnête, je demandai si ce n’était pas hasardeux. J’ajoutai qu’il ne me connaissait pas et achetait "le chat dans le sac".
Un artiste peintre dans l’église de Tréhorenteuc
Des P.G.A. n’ont pas seulement contribué au déminage, à la reconstruction de nos routes et de nos maisons, ils ont aussi parfois laissé des traces artistiques indélébiles en peignant leur chemin de croix... que l’on peut admirer aujourd’hui dans l’un de ces hauts lieux de la forêt de Brocéliande à Tréhorenteuc.
Les deux P.G.A. Karl Rezabeck et Peter Wisdorff arrivent à Tréhorenteuc 1, où se trouvent déjà six autres prisonniers qui travaillent à refaire les routes et dorment dans l’écurie à proximité de l’église. — LEBRUN, Patrick, « Karl Rezabeck n’est plus. Les hommes s’en vont, leurs oeuvres restent », Le Ploërmelais, 11-18 janvier, 1985, Voir en ligne. —
Ils s’installent dans le presbytère. Leur situation matérielle confortable contraste avec les conditions déplorables (nourriture, hygiène, etc.) dans lesquelles ils ont vécu pendant de nombreux mois. Ils travaillent à la restauration de l’église pendant deux ans.
Désormais commença pour moi une belle période. Au presbytère nous disposions, en bas, d’une salle de travail et au premier étage d’une chambre à coucher pour chacun. Je me suis mis progressivement au travail.

In TRÉHORENTEUC - EGLISES DE BROCÉLIANDE, « Les tableaux », sans date, Voir en ligne.
Karl Rezabeck reste au presbytère jusqu’en mars 1947. Il est relâché de captivité sur recommandation de l’Abbé Gillard en raison de ses mérites.
Karl Rezabeck restera au presbytère jusqu’en mars 1947, heureux d’être enfin considéré et de manger à sa faim en échange de son art. Il a laissé un témoignage chaleureux dans le livre « L’abbé Gillard, recteur de Tréhorenteuc », montrant comment le recteur lui a appris le Français et a élaboré avec lui les tableaux qui ont fait la réputation de l’église. Ce livre laisse aussi la parole à sa femme, acculée à la mendicité pendant ces années noires. L’abbé Gillard fera tout son possible pour faire libérer son hôte au plus tôt. Leur relation est un bel exemple de précoce rapprochement franco-allemand.
Visites de Karl Rezabeck en Brocéliande
De retour en Allemagne, il retrouve une vie de famille. Son fils nait en mai 1952. Karl Rezabeck revient deux fois en Bretagne avec sa famille, en 1959 et en 1982.
- 1959 - Une visite à l’abbé Gillard
En 1959, suite à une invitation de l’Abbé Gillard, je revis la Bretagne où je passai avec ma famille dix merveilleuses journées comme touriste.

In GILLARD, abbé Henri, « Le recteur de Tréhorenteuc », in L’abbé Henri Gillard : recteur de Tréhorenteuc (1942-1962), Saint-Léry (56), éditions de l’église de Tréhorenteuc, 1990, p. 41-90.


In GILLARD, abbé Henri, « Le recteur de Tréhorenteuc », in L’abbé Henri Gillard : recteur de Tréhorenteuc (1942-1962), Saint-Léry (56), éditions de l’église de Tréhorenteuc, 1990, p. 41-90.
- 1982 - Une visite à l’invitation de l’abbé Armand Boulé du Bois de la Roche
Depuis longtemps, nous avions souhaité rencontrer les artistes qui avaient prêté le concours de leur talent à la réalisation des vitraux, des peintures et des mosaïques de l’église.
En Mai 1982, nous avions fait connaissance avec M. et Mme Karl Rezabeck, invités par l’abbé A. Boulé du Bois de la Roche.

In GILLARD, abbé Henri et ROUXEL, abbé, Documents inédits "in memoriam", Vol. 20, Josselin, Abbé Rouxel, 1987, 63 p., (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »).
Karl Rezabeck décède le 21 décembre 1984, à l’âge de quatre-vingts ans dans sa ville de Neu Isenburg.
Les oeuvres de Karl Rezabeck
Entre 1945 et 1947, Karl Rezabeck réalise pour l’abbé Gillard, le « chemin de croix » de l’église de Tréhorenteuc et quatre tableaux .
Outre ces œuvres importantes, Karl Rezabeck peint quantité de petits tableaux, notamment des portraits, comme on le voit sur une photo de son atelier.

In TRÉHORENTEUC - EGLISES DE BROCÉLIANDE, « Les tableaux », sans date, Voir en ligne.
L’ébéniste Peter Wisdorff (à gauche) réalise les trois autels et les encadrements des tableaux de son ami. Karl Rezabeck (à droite) est devant ses nombreux portraits de villageois de Tréhorenteuc.
Le portrait d’une famille

Chaque membre de la famille a posé une demi-heure
ROUXEL, Abbé, NIZAN, Edouard et MARKALE, Jean, L’abbé Henri Gillard : recteur de Tréhorenteuc (1942-1962), Saint-Léry (56), éditions de l’église de Tréhorenteuc, 1990, 175 p.
Le chemin de croix
Le travail de Karl Rezabeck consiste d’abord à remplacer l’ancien chemin de croix (des tableaux en noir et blanc du 19e siècle, dans un état très dégradé). L’abbé et lui décident de faire quelque chose de différent, à la peinture à l’huile. Pour les personnages, il prend comme modèles des habitants du village et bien sûr l’abbé lui-même qu’il représente en Jésus.
En ce qui concerne les personnages, Karl Rézabeck nous avait affirmé s’être inspiré des gens qui l’entouraient. C’est ainsi que ses six camarades prisonniers figurent dans le chemin de croix, le Christ ayant les traits de l’abbé Gillard, sauf pour la douzième station où il a pris pour modèle le Christ en ivoire de l’église de Paimpont. Peter Wisdorff est représenté à la deuxième station et Karl Rézabeck s’est peint lui-même à la quatrième station, habillé en soldat romain, entre la Vierge et Jésus. Il était avant tout soldat. Il a déposé sa signature à la 11e station à l’angle bas droit du tableau, en la faisant précéder des lettres K G et au-dessous de sa gourde.
L’abbé Gillard 2 tient à ce que les scènes soient pour douze d’entre elles situées dans les environs immédiats de l’église. Les deux autres tableaux ont pour cadre Jérusalem.
Le Chemin de Croix de Tréhorenteuc est semblable à tous les chemins de croix traditionnels. Cependant, il a la particularité de prendre, comme fond, des paysages de chez nous. Vous reconnaîtrez la Cour du Presbytère, le Château de Rue Neuve, le Val sans Retour avec ses rochers.
Roger Blot précise que le chemin de croix est une dévotion relativement récente.
Rappelons que le chemin de croix est alors présent dans toutes les églises. C’est une dévotion qui s’est généralisée dans l’Église catholique au XIXe siècle et qui permet, faute de faire le pèlerinage à Jérusalem, de revivre la Passion de Jésus dans chaque église, vue comme une « petite Jérusalem [...] »
Élisabeth Cappelli rappelle à propos de l’histoire des chemins de croix.
[...] En fait, il raconte une histoire en quatorze chapitres, quatorze étapes, dont les origines restent assez mystérieuses car plusieurs ne se retrouvent pas dans la Bible :
- les stations 3, 7 et 9 illustrant la chute du Christ devant la représentation des trois péchés capitaux,
- la station 6 représentant sainte Véronique,
- et la station 4 montrant la rencontre du Christ avec sa mère.
- Stations I et II
Station. I. En arrière plan un homme tient une coupe verte : le Graal, selon l’iconographie retenue par l’abbé Gillard. La scène est représentée dans la ville de Jérusalem.
Cette première station serait très conventionnelle si n’y apparaissait le Graal. On y voit Joseph d’Arimathie qui le tient en main, d’abord ironique. On le retrouve à la station XIII avec une autre attitude.
Station. II. Le menuisier qui présente sa croix à Jésus a les traits du second prisonnier, l’ébéniste Peter Wisdorff, auteur des encadrements. La scène se situe à Tréhorenteuc, devant le presbytère.
- Stations III et IV
Station III. Jésus tombe pour la première fois. Le riche personnage vêtu de rouge (un pharisien) aux pieds duquel tombe Jésus représente l’orgueil. Dans le fond on peut voir sainte Onenne enfant garder ses oies, et tenant un bouquet de fleurs. La scène se passe à Tréhorenteuc dans la prairie de la « Rue Neuve ».
L’originalité la plus remarquée est le traitement des trois chutes traditionnelles de Jésus. Elles sont accompagnées chacune de personnes qui évoquent les trois premiers péchés capitaux, soit l’orgueil, l’avarice et la luxure [...] Pour l’abbé Gillard, les trois premiers péchés capitaux, ce sont les grandes tragédies humaines suscitées par la soif du pouvoir, de l’avoir et du sexe. Ils ont leur contre-point dans les trois vœux religieux : pauvreté, chasteté, obéissance. Accompagnant les deux premières chutes, deux riches « pharisiens » furent mis en scène, l’un arrogant, l’autre moqueur (stations III et VII).
Station IV. Jésus rencontre sa mère, habillée de bleu, couleur de la foi pour l’abbé Gillard. Karl Rezabeck s’est représenté en soldat romain entre la Vierge et Jésus. La scène se passe à Tréhorenteuc, devant la façade extérieure du manoir de Rue-Neuve.
- Stations V et VI
Station V. On y voit Simon de Cyrène (avec les traits de Karl) porter la croix du Christ.
La position de la croix, ainsi que le tracé du chemin, sont là pour faire penser au croisement du 48e parallèle. La scène se passe à la limite du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine, à l’endroit exact où passe le 48e parallèle.
Station VI. On voit sainte Véronique au premier plan. La scène se passe à Jérusalem. Karl raconte que pour Jésus il a fait poser l’abbé Gillard.
- Stations VII et VIII
Station VII. Deuxième chute de Jésus, devant un autre pharisien moqueur censé représenter l’avarice. Bien habillé, avec deux esclaves à son service, il se permet de donner une leçon au Christ. La scène se passe au pied des rochers du Val sans retour.
Station VIII. Jésus réconforte les femmes de Jérusalem. La scène se passe à Tréhorenteuc dans la cour du « manoir de Rue-Neuve ».

[page 37] —
- Station IX et X
Station IX. Jésus tombe pour la troisième fois. Cette fois-ci aux pieds de Morgane, représentée de la même façon que dans le tableau des « légendes du Val sans Retour ». Elle symbolise le troisième péché capital, la luxure.
On le fait tomber une troisième fois à la 9° station aux pieds de la Luxure, troisième péché capital. Morgane, la Fée du Val sans Retour est une dévergondée, une femme de mauvaise vie.
Karl Rezabeck aurait pris comme modèle l’une des deux institutrices de l’école laïque. Si ce fait est avéré, on peut s’interroger sur la signification de ce choix, sachant que Karl Rezabeck disait ne rien faire sans l’accord de l’abbé Gillard.
En effet, à une époque où la rivalité entre enseignement public et enseignement privé est encore très vive, l’école laïque est surnommée « l’école du diable » par les tenants de l’école catholique. Il se peut également que Karl ait ignoré, quand il a peint Morgane, que l’abbé en ferait le symbole de la luxure !
[...] La question qui nous préoccupait était de savoir qui avait servi de modèle pour Viviane et Morgane dont la présence (voluptueuse) à la 9e station avait fait scandale à l’époque. [Karl] Souriant, devinant probablement ce que nous voulions lui faire dire il s’était contenté de répondre que c’était son imagination... Nous pensons qu’il s’agit plutôt de son secret... Au cours de cette journée il nous avait également demandé de lancer un avis de recherche dans la presse concernant Mlle Régnault, institutrice de l’époque à Tréhorenteuc !!!
La scène se passe devant l’affleurement de schiste dentelé, situé en haut du Val sans Retour. On le retrouve dans le tableau intitulé « La légende du Val sans retour ».
Le 12 décembre 1961, l’abbé reçoit une lettre anonyme d’un de vos confrères du diocèse et un ami de notre évêque
.
Dans cette lettre, l’auteur s’appuie sur une émission de radio « Bonjour, Monsieur le Maire » sur Europe 1 qui évoquait la présence de Morgane dans le chemin de croix.
Monsieur le Recteur
Je ne pense pas que l’aimable émission matinale dite : "Bonjour, Monsieur le Maire", qu’Europe 1 vous a consacrée ce jour, puisse inspirer autre chose à votre endroit, de la part de nombre d’auditeurs, que malaise et regret.
Il est, en effet, singulier et pénible de voir un prêtre chercher sur la voie des ondes, à se faire une publicité d’un goût aussi douteux, voire de s’en prévaloir tout bêtement à propos de l’actuel Chemin de Croix de son église, et tout particulièrement sur l’un des sujets de l’une des stations de ce Chemin de Croix, ayant ainsi tout l’air de vouloir "commercialiser" au dehors ce qui, pour la plupart de ses paroissiens, ne constitue qu’une inutile matière à scandale ! [...]
Cette lettre et les menaces sous-jacentes qu’elle contient ont certainement aggravé les relations de l’abbé Gillard avec sa hiérarchie épiscopale et influé défavorablement sur la suite de sa carrière. En septembre 1962, il est contraint de quitter sa paroisse pour la région parisienne. Il ne peut y revenir qu’en 1968.
En août 1979, à l’occasion de la mort de l’abbé Gillard, parait un article, au titre accrocheur, consacré à la présence de Morgane dans le chemin de croix.— CABON, Alain, « A Tréhorenteuc : une pin-up dans le chemin de croix », Ouest-France, 25-26 août, 1979, Voir en ligne. —
[...] Mais la troisième personne attira des ennuis au recteur : on ne comprit pas l’intrusion de Morgane, nue sous sa robe rouge, et un article tapageur fit passer le pauvre recteur pour un méchant provocateur...
Station X. Jésus est dépouillé de ses vêtements.
Dans les stations X à XII, le décor rappelle les rochers du Val sans retour.
- Stations XI et XII
Station XI. Jésus est attaché à la croix.
Karl Rezabeck a signé de son nom suivi de « K G » (Kriegsgefangener : prisonnier de guerre en allemand), sur la gourde militaire allemande (objet anachronique) en bas à droite du tableau.
Station XII. Jésus meurt sur la croix. On distingue à gauche le « rocher de Romette. »
- Stations XIII et XIV
Pour ces deux stations, le décor est celui de l’étang du « Miroir aux Fées », dans le Val sans Retour. À cette époque, les pentes du Val étaient dénudées (à comparer avec une photo actuelle).
[St. XIII.] Le corps de Jésus est retiré de la croix. On retrouve Joseph d’Arimathie, les cheveux soudain blanchis, recueillant le sang coulant du côté droit du Christ.
[Station XIV.] Le corps de Jésus est mis dans le tombeau. Devenu chauve, Joseph d’Arimathie médite devant le tombeau. C’est le propre tombeau qu’il s’était destiné et qu’il a offert à Jésus, comme il est dit dans l’évangile.
Les deux tableaux du chœur — La Table ronde ; La famille de sainte Onenne
Ces deux tableaux sont datés de 1946.
[...] Je ne comprends rien à la Mythologie. Il m’avait donné tous les détails, raconté toutes les légendes de Merlin, de la Fée Viviane, de Morgane, de la légende du Saint-Graal, des romans de la Table Ronde. J’ai avec lui visité toute la région, fait ici et là les dessins et les tableaux, là où les personnages ont vécu, d’après la légende, par exemple Merlin à la Fontaine de Barenton, la Fée Morgane au Val sans Retour, etc.
- La Table Ronde
[Ce tableau] fut sans doute fait en premier, car celui d’Onenne et sa famille s’en inspire pour sa structure générale. C’est la reproduction d’une miniature du XVe siècle conservée à la Bibliothèque nationale, sans que nous sachions comment il en avait la photographie, probablement en noir et blanc. L’abbé Gillard s’en était déjà inspiré plus largement pour le vitrail de la Table ronde. Les chevaliers sont un peu plus nombreux que sur la miniature et ne sont pas nommés (ce qui rend d’ailleurs cette image plus universelle) mais la lecture reste simple. Galaad, le fils sans tache de Lancelot, est assis au centre, sur « le siège périlleux ». La quête est achevée et tous sont frères. [...]

- La famille de sainte Onenne
[L’abbé Gillard le fit faire] pour étoffer le culte de la sainte locale, promue comme la sainte principale de l’église. On la voit au milieu, comme une jolie Bavaroise, toute rayonnante avec ses roses dans la main.
[...] Parmi les personnages, on reconnaît notamment saint Judicaël en moine [sur la gauche du tableau], présentant un dessin de l’abbatiale de Paimpont, qu’il est sensé avoir fondée.
[...] Deux échappées vers l’extérieur montrent d’un côté « le château de sainte Onenne » [Il s’agit en réalité d’une vue du Miroir aux Fées, déjà représentée sur la station XIV.], de l’autre l’église de Tréhorenteuc, du côté nord. [...]
Les deux tableaux de la sacristie
Ces deux tableaux ne furent jamais placés dans l’église du temps de l’abbé Gillard, car celui-ci distinguait clairement le « cultuel » et le « culturel ». — Blot, Roger (2017) op. cit., p. 3 —
- Légendes du Val sans Retour ou des Faux amants
On y reconnaît Morgane, qui n’a pas changé de robe depuis le chemin de croix. Face à elle, un beau chevalier à l’armure d’or sur un coursier blanc, qui vient négocier la libération des prisonniers du val. C’est Lancelot, aussi fringant que le condottiere de Donatello 3.
On retrouve au fond la barre de rochers crénelés du Val sans Retour (voir aussi la Station IX).
Il y a de quoi nourrir une longue histoire, y compris celle de nos deux prisonniers allemands qui n’étaient pas si malheureux à Tréhorenteuc, mais se savaient attendus au-delà du Rhin.
Légendes de la fontaine de Barenton

Éon de l’Étoile a été mis en scène par l’abbé Gillard, alors recteur de Tréhorenteuc, sur un tableau exécuté par un prisonnier de guerre allemand, Karl Rezabeck. Ce tableau est divisé en quatre scènes ayant trait aux légendes de Brocéliande : celle de gauche montre Éon de l’Étoile vivant dans l’opulence.
Quatre légendes de Brocéliande en un seul tableau, daté de 1947.
- Yvain, le chevalier au lion, à la fontaine de Barenton
Dans la partie supérieure, le chevalier Yvain s’apprête à verser de l’eau sur le perron de la fontaine, déclenchant une terrible tempête que le chevalier noir veut empêcher. Karl Rezabeck s’est manifestement rendu sur place et a peint la fontaine dans son cadre forestier.
- Le chevalier Ponthus
Dans le bas du tableau, on voit le chevalier Ponthus affronter un autre chevalier sous les yeux de Sidoine. Pour l’abbé Gillard et bien d’autres, Ponthus était à l’origine de l’abbaye de Paimpont. En fait, il s’agit d’un récit de commande de la fin du 15e siècle, purement imaginaire. Ce roman ne fait aucune référence à la Table ronde.
- Viviane et Merlin
Sur la droite du tableau sont représentés les amours de Viviane et de Merlin.
[...] ce sont Viviane et Merlin. Le jeune Merlin est endormi sous un chêne et l’aguichante jeune fille, toute de blanc vêtue (ou dévêtue) se prépare à l’emprisonner dans une bulle magique pour le garder à elle seule. Elle utilise pour cela un sortilège que Merlin lui-même lui a confié, consentant peut-être à en être victime.
On peut remarquer que contrairement à Morgane, la représentation de Viviane n’a causé aucun scandale. Il est vrai que pour l’abbé Gillard ce tableau était du domaine du « culturel » et ne figurait pas dans l’église.
- Éon de l’étoile
La partie gauche du tableau est consacrée à l’histoire d’Éon de l’Étoile. Ce personnage historique a été jugé comme hérétique et fou au concile de Reims en 1148.
Dans notre tableau, il est présenté comme un personnage plutôt inquiétant. Il a une épée en main et de l’autre il soupèse les richesses qu’il a accumulées sur une table. Certaines à l’évidence proviennent d’églises qu’il a pillées. [...] Dans le ciel passe la comète [de Halley].
En arrière-plan figure l’église de Saint-Léry, qu’on disait avoir été construite avec les ruines du monastère d’Éon de l’Étoile 4.