aller au contenu

Le Pied d’Ânon

Géologie et légende d’un affleurement rocheux

Le Pied d’Ânon, Pas d’Ânon ou Château d’Ânon est le nom donné à un rocher des landes surplombant Trécesson. Sa forme particulière est due à une composition géologique différente des affleurements de schiste pourpré environnants. Il est à l’origine d’une légende liée aux châtelains de Trécesson.

Géologie du Pied d’Ânon

Le Pied d’Ânon est un rocher situé dans les landes en bordure ouest du massif de Paimpont. Il est visible de très loin.

Le Pied d’Anon (2019)
Vu depuis la route de Campénéac
Alain Bellido

Ce site, proche de la limite du camp militaire de Coëtquidan, montre (Fig. 1) un affleurement de poudingue (point B) situé topographiquement (dénivelé d’environ une quinzaine de mètres) au-dessus de siltites briovériennes (point A).

Fig. 1 - Le Pied d’Anon
Fond Géoportail - Yves Quété
Fig. 2 - Le Pied d’Anon
Yves Quété

Fig. 2 - Sur la photo, à gauche, on discerne à la fois dans les siltites en bas et sur le rocher d’Ânon en haut, la trace de plans (S0), à peu près parallèles.

Sur la carte postale, à droite on voit des couches peu pentées (S0) composées de galets et recoupées par des cassures transversales (F).

Fig. 3 - Le Pied d’Anon
Yves Quété

Fig. 3 - En bas sur le bas-côté nord–est de la route, les plans S0 vus dans les siltites briovériennes montrent des petits niveaux gréseux (G) ainsi que des lamines (S  : couches d’épaisseur millimétrique). Ces plans caractérisent la géométrie des couches sédimentaires briovériennes : peu pentées vers le nord-est.

Fig. 4 - Le Pied d’Anon
Yves Quété

Fig. 4 - En Haut avant d’arriver au rocher du « Pied d’Ânon », on traverse des niveaux de grès (G) et de dalles pourprées (dP) qui caractérisent la « série rouge » de la base du Paléozoïque. Ces couches sédimentaires sont pentées vers le nord-est. Elles se présentent, du fait de l’érosion actuelle, sous la forme de corniches caractéristiques des paysages de Brocéliande.

Fig. 5 - Le Pied d’Anon
Yves Quété

Fig. 5 - L’approche du rocher du « Pied d’Ânon » confirme ce qui avait été décrit sur la carte postale ancienne : il s’agit de couches d’épaisseur métrique peu pentées, de poudingue à gros galets.

Fig. 6 - Le Pied d’Anon
Yves Quété

La présence de lichens gêne d’avantage aujourd’hui l’observation du détail des galets et du ciment qui les réunit.

Fig. 6 - Ce poudingue correspond au poudingue de Montfort, qui marque le début de la mise en place transgressive de « la série rouge » du Paléozoïque. Les faciès les plus grossiers se caractérisent par des galets (essentiellement gréseux) de taille centimétrique à décimétrique, dont les bords sont plus ou moins émoussés.

Remarque - Au Pied d’Ânon, la discordance du Paléozoïque sur le substrat rocheux briovérien, émergé et érodé avant la transgression marine paléozoïque ne montre pas de « discordance angulaire » - contrairement au site de la carrière de la Marette, puisqu’ici sur les deux périodes, les couches sédimentaires sont parallèles (pendage faible vers le sud-est).

Cette remarque doit être modulée du fait de la lacune d’affleurement - impossibilité de constater - qui sépare le poudingue en place, du Briovérien - sur 15 mètres de dénivelé.

Il reste à rechercher à proximité, hors du camp militaire, un affleurement équivalent du poudingue de Montfort qui serait situé en position concordante, directement sur le Briovérien 1.

La légende du Pied d’Ânon

Le château de Trécesson en Campénéac est le cadre de cinq légendes. La plus connue et la plus ancienne d’entre elles est celle de La Mariée de Trécesson publiée pour la première fois en 1824 dans le Lycée armoricain. Une de ces légendes est associée au Pied d’Ânon. Elle fait l’objet de quatre versions publiées entre 1913 et 2012.

Le Pied d’Anon (2018)
Vu depuis l’allée de Trécesson
Alain Bellido

1913 — Le marquis de Bellevüe

C’est au Marquis de Bellevüe que l’on doit la plus ancienne mention de la légende du « Pied d’Ânon ».

C’est aussi l’aventure d’un seigneur de Trécesson, qui dut la fortune, l’honneur et peut-être la vie, au petit rocher du Pied d’Ânon, le plus élevé des rochers de la lande de Lambel, au milieu des buttes qui dominent à l’est, l’avenue de Trécesson. Ce seigneur était un joueur enragé ; une nuit, dans les salons de Versailles, il avait perdu successivement tous ses châteaux, toutes ses fermes, tous ses bois ; il était totalement ruiné, et il quittait désespéré la funeste table où venait d’être dévorée sa fortune, quand il se souvint qu’il possédait encore là-bas en Bretagne, sur une lande aride dominant ses châteaux de Trécesson et Bernéan, un mauvais rocher valant à peine un écu six livres. Il joua, gagna, gagna encore, et peu à peu rentra dans la possession de tous ses biens. Le fier manoir de Trécesson était sauvé par le pauvre rocher du Pied d’Ânon : « on a souvent besoin d’un plus petit que soi ».

BELLEVÜE, Xavier de, « Château de Trécesson, histoire, seigneurs, légendes », Revue Morbihannaise, Vol. 17, 1913, p. 5-32.
Le Pied d’Ânon (2018)
Affleurement de poudingue de Montfort
Alain Bellido

1932 — Charles Le Goffic

Charles le Goffic (1863-1932) l’évoque à son tour dans son ouvrage consacré à la forêt de Brocéliande.

Un Trécesson au temps de Gil Blas et de Manon Lescaut, les uns disent dans les salons de Versailles, les autres en quelque hôtel de Transylvanie, avait tout perdu au lansquenet : son argent, ses métairies, son château, et il ne lui restait plus qu’à s’embarquer pour les îles ou à se brûler la cervelle, quand son valet de chambre, le touchant à l’épaule, lui dit tout bas : « Monseigneur oublie : il lui reste son manoir du Pied d’Ânon. » Ledit Pied d’Ânon est une roche isolée, ainsi nommée vraisemblablement, pour sa forme, et qui se dresse dans une garenne du voisinage. Site rugueux, sol ingrat à souhait. Quelle cahute s’adossait-elle à la roche, qu’on appelait « le Manoir » par dérision ? Ou bien ce valet parisiannisé se montrait-il facétieux dans le malheur ? « Tu as raison Firmin. » Là-dessus, le joueur se retournant vers son partenaire : « Parbleu ! s’écrie-t-il, j’oubliais ce Pied d’Ânon. Je vous le joue. » Il le joua, gagna, continua à gagner, eut regagné bientôt ce qu’il avait perdu. On ignore comment il récompensa le serviteur qui avait montré cet esprit d’à propos. Lesage ou Beaumarchais s’ils avaient connu l’histoire aurait comblé cette lacune à leur façon.

LE GOFFIC, Charles, Brocéliande, 1932, Terre de Brume, 1995, 163 p., (« Bibliothèque celte »). [pages 76-77]

1995 — Denis Ménagé

Denis Ménagé en a donné une version dans le livret "Les Gars de Campénia" 2. Selon cet auteur, le seigneur à l’origine de la légende serait Gilles-Jacques-Pierre de Trécesson (1708-1759). —  BASE COLLABORATIVE PIERFIT, « Généalogie de Gilles Jacques Pierre de Carné-Trécesson », sans date, Voir en ligne. —

Gilles-Jacques-Pierre de Trécesson, chevalier, seigneur de Bernéan, de la Gaudinaye, Marquis de Coëtlogon, Vicomte de Méjusseaume, Baron de Pleugriffet, lieutenant général des armées navales, baptisé à Campénéac le 31 juillet 1708 et décédé en 1763 [en réalité en 1759]. Ce comte de Trécesson était un joueur enragé ; une nuit dans les salons du château de Versailles, il avait perdu successivement tous ses châteaux, toutes ses fermes, et ses bois ; il était totalement ruiné. Il quittait désespéré la funeste table de jeux où venait d’être dévorée sa fortune, quand il se souvint qu’il possédait là-bas en Bretagne, sur une lande dominant ses châteaux de Trécesson et Bernéant, un mauvais rocher, valant à peine quelques écus : le rocher du « Pied d’Ânon » appelé ainsi car il a la forme d’un sabot d’âne, le plus élevé des rochers de la lande de Lambel, au milieu de la colline qui domine à l’est le château de Trécesson. Il joua et gagna, gagna encore et peu à peu rentra en possession de tous ses biens perdus précédemment. Les fiers manoirs de Trécesson et Bernéan étaient sauvés par le pauvre rocher du Pied d’Ânon : On toujours besoin d’un plus petit que soi.

MÉNAGE, Denis, Les Gars de Campenia, Campénéac, Campenia éditions, 1995, 111 p., Voir en ligne. [page 88]

2012 — Xavier Lesèche

Le conteur Xavier Lesèche en a donné une version en 2012.

Un seigneur de Trécesson, joueur invétéré, perdit en un soir dans les salons de Versailles tous ses biens, châteaux, fermes ou bois. Plumé, il allait se lever pour quitter la table et chercher quelque branche solide où pendre son déshonneur, quand Firmin, le plus filou de ses valets, lui dit haut et fort : « Mais Comte, il vous reste encore votre château du Pied d’Ânon ». D’abord surpris, Monsieur de Trécesson comprit bien vite la ruse : « Je joue donc mon beau manoir du Pied d’Ânon », souriant intérieurement à la pensée du pauvre rocher qui dominait les landes non loin de Trécesson. Bien lui en prit, car il passa le reste de la nuit à regagner un à un tous les biens qu’il avait cédés à son vice. Firmin fut sans doute largement récompensé et, encore aujourd’hui dans le pays, beaucoup sourient en contemplant le fameux « manoir » du Pied d’Ânon qui sauva l’honneur des Trécesson.

LESÈCHE, Xavier et MANDRAGORE, Merlin en Brocéliande, Terre de Brume, 2012, 101 p. [page 38]

Les cartes postales du Pied d’Ânon

Cinq cartes postales du début du 20e siècle évoquent le Pied d’Ânon.

La plus ancienne d’entre-elles - Ref 4640 - probablement antérieure à la première guerre mondiale, fait référence à la légende associée au rocher.

Carte postale du Pied d’Anon

Domaine de Trécesson — Curieux rocher dit du Château de Pied d’Ânon — De la lande où il se trouve on a une vue splendide et l’on découvre une grande partie du Morbihan. — D’après la légende, une dame de Trécesson ayant perdu au jeu tout son domaine, mit comme dernier enjeu sur le conseil de son valet le Château de Pied d’Ânon et du coup regagna tout son avoir.

Carte postale du Pied d’Anon
Carte postale du Pied d’Anon
Carte postale du Pied d’Anon

Bibliographie

BELLEVÜE, Xavier de, « Château de Trécesson, histoire, seigneurs, légendes », Revue Morbihannaise, Vol. 17, 1913, p. 5-32.

LARCHER, Guy, « Le Pied d’Anon », Le Châtenay - Journal de l’Association des Amis du Moulin du Châtenay, 1982, p. 14-15, Voir en ligne.

LE GOFFIC, Charles, Brocéliande, 1932, Terre de Brume, 1995, 163 p., (« Bibliothèque celte »).

LESÈCHE, Xavier et MANDRAGORE, Merlin en Brocéliande, Terre de Brume, 2012, 101 p.

MÉNAGE, Denis, Les Gars de Campenia, Campénéac, Campenia éditions, 1995, 111 p., Voir en ligne.


↑ 1 • Jusqu’à présent, cette éventualité n’est signalée par aucun auteur.

↑ 2 • Ce livret était associé à une cassette audio de Pierre Valray. —  VALRAY, Pierre, « Les gars de Campenia », Campénéac, distrib. Campenia, 1995. —