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1861-1971

La légende de sainte Onenne

Quatre versions de la légende de la sainte de Tréhorenteuc

Quatre versions de la légende de sainte Onenne nous sont parvenues. La plus ancienne provient d’un manuscrit du 18e siècle. La deuxième est collectée à Paimpont à la fin du 19e siècle. L’abbé Gillard est l’auteur des deux dernières écrites en 1943 et en 1971.

Vers 1860 — La version de l’abbé Piéderrière

La plus ancienne version de la légende de sainte Onenne date de la fin du 18e siècle. On la doit à l’abbé Gaspais, mort vers 1778 au Coudray Baillet en Mauron 1. L’abbé l’a entendue au cours de veillées contées et en a laissé une version manuscrite aujourd’hui disparue.

Vers 1860, l’abbé Piéderrière (1819-1886) rédige une version longue de cette légende en prenant pour base les notes manuscrites de l’abbé Gaspais.

Quant au récit en lui-même, je le tiens surtout de quelques notes écrites par un abbé Gaspais qui, après bien des années passées à enseigner la philosophie au séminaire de Dinan, se retira dans sa famille au village du Coudrais en Mauron. Lassé du professorat et déjà vieux, il passa ses derniers jours à se recueillir, à rendre service à ses voisins, écoutant leurs contes au foyer domestique. Pour ramasser quelques mots, il n’avait besoin ni de penser à l’archéologie, ni de partager les idées des dénicheurs de saints de son temps. Il mourut vers 1778. Une respectable femme morte en 1838 à l’âge de 94 ans m’avait aussi raconté la même légende avec peu de variantes.

PIÉDERRIÈRE, abbé Julien, « Légendes de sainte Onenne et de saint Utel recueillies d’après la tradition populaire. », 1860, 13 p., Voir en ligne.

Dans ses commentaires de la légende, l’abbé Piéderrière s’explique sur les raisons qui l’ont amené à prendre la plume, ainsi que sur sa méthode d’écriture.

En écrivant cette légende, j’ai voulu laissé courir ma plume à la discrétion du récit populaire qui tend à s’effacer. Je n’ai pas osé regarder si toutes les vraisemblances étaient bien contestées. Qu’on regarde tout ceci comme un conte, si l’on veut, et je n’aurais pas à y répondre.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 9

L’abbé remet ces notes inédites sur sainte Onenne et saint Utel (13 pages) aux archives de la Société Polymathique du Morbihan où elles sont toujours précieusement conservées ( MS 261). 2 —  MOISAN, André, « Un érudit oublié, Julien Piéderrière (1819-1886) », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, Vol. 137, 2011. [page 93] —

Manuscrit des légendes de sainte Onenne et de saint Utel
Abbé Piéderrière

La Société Polymathique du Morbihan a bien voulu nous les communiquer afin que nous puissions en faire la transcription et en proposer une version intégrale avec leur autorisation 3. —  PIÉDERRIÈRE, abbé Julien, « Légendes de sainte Onenne et de saint Utel recueillies d’après la tradition populaire. », 1860, 13 p., Voir en ligne. —

La version intégrale de la légende d’après le manuscrit de l’abbé Piéderrière

Légende de sainte Onenne recueillie d’après la tradition populaire.

Juthaël, roi de Domnonée, qui vivait vers la fin du VIe siècle, eut un grand nombre d’enfants de son épouse chérie, la belle et vénérable Pritelle, fille d’Ausoch, duc du pays de Léon en Basse-Bretagne. Ils faisaient avec leurs enfants leur résidence habituelle au midi de leurs États dans les environs de Gaël, où St Méen venait de fonder un monastère.

Alors les mœurs étaient encore bien grossières et le paganisme druidique et romain n’avait pas entièrement disparu du milieu des populations bretonnes. La mystérieuse forêt de Brocéliande surtout était un centre où s’étaient réunies toutes les superstitions anciennes. Les grands comme les petits avaient encore beaucoup à faire pour devenir de vrais chrétiens.

Quelques apôtres avaient parcouru le pays et avaient prêché l’évangile. De nombreuses conversions s’étaient opérées. Des saints solitaires s’étaient retirés dans les bois ; leurs exemples et leurs prières avaient produit des fruits de bénédiction et de salut. On allait à eux avec une vénération qui montrait que les esprits étaient frappés et qu’un travail intérieur de la grâce divine se faisait sentir dans toutes les âmes. Parfois, il s’opérait de grands miracles, dont le bruit se répandait au loin, et qui avaient une influence qui dépréciait le prestige des magiciens toujours en exercice dans ces temps là.

Au milieu de tels hommes et dans de pareilles circonstances, il fallait toutes les plus belles comme les plus fortes vertus dans un père et dans une mère, surtout haut placés, pour ne pas dépérir eux-mêmes, bien élever leurs enfants, soutenir leur faiblesse et implanter dans leurs cœurs les bonnes semences de christianisme. Les enfants ne devaient pas être des hommes purement ordinaires, il fallait qu’ils fussent des hommes qui s’occupassent à la régénération de leurs peuples. Juthaël et Pritelle s’étaient élevés à la hauteur de leur mission, et des saints religieux, appelés dans leurs châteaux, n’avaient pas peu contribué au bien et au bonheur de leur nombreuse famille.

Onenne, une de leurs filles, était la dernière de plus de vingt enfants et finit par être la plus aimée. Du reste, elle semblait mériter quelques prédilections par toutes ses bonnes qualités et son amabilité singulière. Une douce couleur, une pureté angélique, un cœur plein de délicatesse, une condescendance parfaite, en embellissaient son âme, venaient aussi orner son front virginal et enfantin. C’était une belle fleur qui paraissait plus éclatante encore que toutes celles qui l’entouraient. Ses jours se multiplièrent, ses charmantes vertus grandirent et se multiplièrent en même temps.

Juthaël et Pritelle, en certains moments, demeuraient avec leurs enfants dans un de leurs châteaux nommé Branbili, situé entre St Léry et Mauron. Dans le voisinage vivait, retiré dans un bois profond, un solitaire du nom d’Élocan. Il avait été l’apôtre de la contrée, et, sur ses dernières années, il se livrait surtout à la contemplation des choses divines. Il demandait au ciel de vouloir bien faire germer et produire la semence qu’il avait répandue dans les âmes et envoyer de nouveaux et meilleurs ouvriers pour continuer son œuvre. Vers l’âge de douze ans, Onenne fut conduite par sa pieuse mère vers cet homme de Dieu.

Elle admira ses cheveux blancs, sa longue barbe et particulièrement sa figure rayonnante et heureuse du bon vieillard. Sur un signe de Pritelle, elle s’approcha de lui, se mit à genoux et demanda sa bénédiction. Le solitaire sourit, puis élevant les yeux vers l’auteur de tout don parfait, il posa ses mains maigries par les ans et les austérités de la pénitence sur la tête de l’enfant. Que le Dieu de Justice et de Miséricorde, dit-il, daigne continuer à se reposer sur cette fleur innocente et pure, la conserver contres toutes les tentations mauvaises ; qu’il l’aide à remplir sa mission en ce monde, à supporter les tristes épreuves de la vie et la rende mûre pour les joies célestes. Puis, se retournant vers Pritelle : Ma dame, ajouta-t-il, le créateur vous a donné une belle et nombreuse famille ; vous l’élevez dans les voies toutes chrétiennes ; puissent tous vos enfants s’élever jusqu’au rang de saint et celle-ci, bénie d’en-haut, perle précieuse, accomplira des œuvres merveilleuses et sa récompense sera grande.

Cette visite fit sur l’âme fraîche et candide d’Onenne une impression qui ne s’effaça jamais. Elle redoubla ses prières et ses exercices pieux. Elle travailla à plaire à ses bons parents, à imiter leur vertu, à suivre leurs bons avis. Ses frères et sœurs avaient besoin de mettre de l’empressement pour donner quelques retours à toutes les prévenances et à toutes les innocentes caresses dont elle les entourait. Si tous ou au moins la plupart avaient des attraits pour le bien, elle les devançait de beaucoup. Son âme vivant en Dieu ne s’épanouissait que pour verser autour d’elle l’innocence et les bienfaits.

Hélas, ici comme partout, le calme et doux printemps de l’adolescence eut son terme. Frères et sœurs avaient grandi, pères et mères disparurent et quittèrent cette vallée d’exil pour aller jouir des félicités intarissables de la patrie véritable.

On devait compter sur l’union et la paix qui avaient été jetées à pleines mains dans tous les cœurs, mais on le sait, la mauvaise herbe croît toujours à côté de la bonne et l’esprit du malin sait constamment susciter des influences perverses. Un tuteur ambitieux pour arriver au pouvoir sous le nom de son pupille, ne recula devant aucun forfait. Sept des princes furent massacrés et tandis que l’assassin jouissait de l’autorité suprême, l’héritier légitime du trône de Domnonée, Judikaël, se cachait dans le monastère de saint Méen.

Onenne, comme fille, fut épargnée, mais sa douleur et ses larmes furent inexprimables. Elle se retira avec quelques-unes de ses sœurs d’abord, ensuite avec quelques compagnes au château de Tréhorenteuc situé sur le point haut d’une colline qui dominait une vallée pittoresque et solitaire sur les bords de la grande forêt.

Judikaël remonta enfin sur le trône de ses pères et rendit à ses sœurs la liberté et la paix. Il venait quelquefois voir Onenne. Un jour, après avoir tenu avec elle de longs et célestes discours, il partit avec quelques hommes de sa suite et entra dans Brocéliande. On fit une longue chasse. Un cerf étant levé, ils le poursuivirent tous pendant quelques heures. Ils finirent par s’égarer. Toute direction étant perdue au milieu des bois séculaires, le temps s’écoulait ; l’inquiétude et la faim se firent douloureusement sentir. Les plus courageux tombaient dans le découragement. Judikaël qui avait une foi vive dans la providence adresse intérieurement au ciel une humble prière. Tout à coup, son [coeur] se dilate, il est exaucé. Un bûcheron lui apparait : il lui expose son embarras et l’extrémité dans laquelle il se trouve. L’homme des bois le conduit à sa cabane et lui donne tout le gros pain noir de sa famille. Le roi et ses compagnons en mangent avec avidité et bonheur. Ils le trouvent bon. Alors Judikaël annonce qu’il a fait une promesse à Dieu et à son église, qu’il veut la remplir. Un monastère sera construit sur les lieux. Son nom est trouvé. Il se nommera Pain bon, Panis Bonus. Ce nom s’est modifié dans la suite des temps, le monastère et le canton se sont appelés Paimpont.

Onenne vivait tranquille et contente dans sa solitude qui plaisait beaucoup à son âme contemplative. Elle y passait ses jours avec ses amies dans un recueillement plein d’aménité. La prière avec ses pieux exercices, la charité avec ses œuvres utiles au prochain. Quand elles se sentaient fatiguées d’un isolement trop prolongé ou que le besoin du grand air se faisait sentir, elles sortaient ensemble et admiraient les beautés et les richesses que Dieu à semées sur la terre et au firmament, faire une visite bienveillante aux pauvres, aux malades et affligés du voisinage. Souvent, la princesse voulait être seule dans les excursions. Elle était plus à l’aise et son cœur s’épanouissait plus facilement en présence de son Dieu et des malheureux rachetés au prix de son sang. Alors elle répandait avec profusion son or, ses soins attentifs et empressés. Sa douce et séduisante beauté, débordant de toutes parts, lui servait surtout pour verser des consolations toutes célestes. Après cela, son apostolat religieux et profondément chrétien lui devenait naturel et facile. Si nulle autre contrée n’avait été comme celle-là le théâtre de superstitions païennes et druidiques quelle autre aussi avait senti le règne du Christ aborder son cœur par le ministère d’un ange plus innocent, plus tendre et plus dévoué ? Onenne fut donc aimée et bénie. Tous s’attachèrent sur ses pas. Le christianisme qu’elle recelait pénétrait comme le feu par son exemple presque divin et par ses paroles pleines de science et de foi.

Les plus hauts personnages demandèrent inutilement la princesse en mariage. L’un d’entre eux fit des instances extrêmes... moins que les autres il parvint à lui plaire. Elle le congédia de suite et lui déclara que Jésus Christ avait seul figé son cœur et son choix, qu’il serait son seul époux.

Onenne avait un prêtre pour célébrer les saints mystères dans son oratoire et lui distribuer les nourritures eucharistiques que produisent les vignes et les seules forces contre toutes les tentations du démon de la chair et du monde. Aussi, elle puisait dans la réception du corps et du sang du sauveur l’innocence et le courage qui mènent à la sainteté. Ses amies et les chrétiens du voisinage venaient dans son oratoire participer aux mêmes bienfaits divins. Elle eut d’abord un religieux de l’abbaye de St Méen, ensuite, de celle de Paimpont et bientôt, son oratoire devint un prieuré de ce dernier monastère.

Revenons un instant à Judikaël qui était non seulement un grand roi mais encore un grand saint. Si son gouvernement était équitable, s’il faisait au besoin courageusement la guerre, il aimait encore plus les œuvres pieuses, les gens d’églises et les bons moines. Il nourrissait les pauvres qu’il rencontrait et qui le suivaient en grand nombre. Aussi, dit un ancien auteur, il était aimable à toutes gens, attentif consolateur des affligés, débonnaire aux malheureux, père de tous ses peuples. C’était en un mot, une de ces natures à la fois forte et gracieuse sur laquelle on aime à reposer son regard au milieu de la barbarie de son temps. Marié à une princesse du pays de sa mère, du nom de Moroné ou Moronoë, il avait trouvé en elle toutes les hautes qualités que celle-là avait possédées.

On comprend donc facilement le bonheur d’Onenne quand elle pouvait aller voir son frère et sa belle-sœur. Elle ne manquait pas de le faire lorsqu’ils résidaient dans des châteaux rapprochés. Elle se rendit une dernière fois vers le milieu de l’automne au manoir de Branbili pendant plusieurs jours. Ils s’entretinrent tous les trois avec effusion de leurs joies et de leurs pensées intimes, du bonheur de l’amour et du service de Dieu, des progrès et des épreuves de la religion dans le pays, du bien être et du soulagement de leur peuple. Si leurs âmes s’effrayaient de ce qui restait encore à faire, elles trouvaient néanmoins des consolations puissantes dans les résultats obtenus ainsi que dans les voies divines si douces et si fortes à la fois. Par moments, ils sortaient du château et faisaient une promenade pieuse ou charitable dans les environs. Moroné avait pour chapelain un digne prêtre appelé Bili et Judikaël s’était choisi, quand il résidait sur les lieux, un bon religieux nommé Léri. Il lui avait donné, pour se construire un monastère, un terrain occupé auparavant par le solitaire Elocan sur les bords de la petite rivière de la Douef. Ils allèrent un jour voir le saint personnage, très peu éloigné du manoir. Les travaux de la maison s’achevaient et plusieurs jeunes gens d’une rare piété venaient de se joindre à lui. Sous sa direction, ils remuaient la terre qui devait leur donner le pain de chaque jour et surtout ils apprenaient les sciences divines qui devaient les nourrir dans la pratique de solides vertus et en faire les ouvriers propres à travailler au défrichement des âmes. Onenne remarquait tout, mais un souvenir l’absorbait presque toute entière. Là, à l’âge de douze ans, en présence d’une mère pieuse et regrettée elle avait reçu la bénédiction d’un saint et recueilli des paroles qui ne se sont point effacées. Son cœur s’enivrait d’un sentiment de bonheur et d’humilité. Ses pensées étaient multiples et presque confuses. Sa faiblesse, depuis, n’avait-elle point démentie son courage ? Les larmes lui arrivaient aux yeux, de tristes pressentiments bouleversaient son âme. Il y avait urgence de diversion. Elle demanda et reçut une dernière bénédiction de saint Léri et disparut immédiatement.

Peu de jours après, Onenne, avec quelques amies ou compagnes qui la suivaient presque partout prit congé de son frère et de sa belle-sœur et partit pour son habitation de Tréhorenteuc. Elle avait sept lieues à faire. À cette époque encore plus qu’aujourd’hui le pays était couvert de bois. Quelques landes, des champs et de rares rochers y jetaient seuls un certain nombre d’éclaircies. Pour d’autres il y aurait peut-être eu imprudence à voyager sans escorte, mais la princesse était tellement connue et aimée que la considération universelle dont elle jouissait semblait protéger partout ses pas. Loin de penser à lui causer la moindre inquiétude, tout le monde l’aurait défendu au prix de sa vie. Du reste, Judikaël savait faire respecter son autorité et personne n’ignorait la vive amitié qu’il avait pour sa sœur. Aussi, elle marchait sereine et contente, causant de choses simples et d’œuvres charitables avec ses suivantes.

Tout à coup, subitement et à l’improviste, des traits lancés avec une infernale dextérité partent de fourrés épais et viennent frapper à mort les compagnes d’Onenne sans qu’elles aient pu pousser un seul cri... La princesse demeure éperdue... Aussitôt, un homme se précipite du bois où il avait laissé ses complices et d’un bond arrive à elle. Il lui déclare que puisqu’elle n’a pas voulu l’épouser, elle va lui accorder, de gré ou de force, ce qu’il recherche uniquement... Sans ressource humaine, Onenne lève au ciel ses yeux baignés de larmes. Ô Dieu, s’écrie-t-elle, vous connaissez le prix de mon innocence et de mes voeux. Plutôt mourir mille fois. Oiseaux qui avez des ailes pour fuir, canes qui passez sur ma tête, voyez la violence qui m’opprime. Dieu sait tout, mais vous, protestez de l’intégrité de mes sentiments devant les hommes.

Des canes sauvages passaient en effet dans les airs. Elles fondent sur le brutal et cruel ravisseur, font un tel bruit de leurs ailes et de leurs cris que des soldats qui passaient par hasard accourent à la nouveauté du spectacle. Ils aperçoivent et reconnaissent la princesse qui se défend comme un lion. Ils volent à elle... Le criminel tombe percé de milles glaives. Les complices sont [vus] prenant la fuite ; ils éprouvent le même sort.

Onenne a fait un suprême effort. Ses forces et sa santé sont à jamais brisés. Les soldats l’emportent à son château.

Placée sur un lit de douleurs, une sorte de délire s’empare de son esprit et dure quelques jours. Revenue un peu à elle-même, son âme épuisée se jette avec un extrême transport dans le sein du Dieu qu’elle n’a pas offensé. Malgré tout, elle ressent parfois un trouble et une peine qui la rendent inconsolable. Sa délicatesse de conscience a subi un bouleversement supérieur à ses forces physiques et morales. Le corps et le sang de Jésus-Christ, seuls, lui donnent quelque soulagement et quelque paix et cependant des larmes coulent presque sans cesse des yeux qui s’enflamment. Sous l’emprise de cette souffrance sans [...], son organisation dépérit, ses membres s’affaissent, son sang s’aigrit et se décompose. L’enflure se propage et annonce que le temps approche. Peu de temps s’écoulât et le Ciel avait recueillit cette âme angélique en lui donnant la couronne des vierges qu’elle avait si bien méritée.

Nous avons vu, l’existence n’avait plu à Onenne que par le bien qu’elle avait pu faire. Ses derniers jours qui lui avaient été si amers, elle les avait consacrés, après Dieu, à la distribution de ses biens aux pauvres, à ses domestiques, aux œuvres pieuses. La vertu, la vérité, la sainteté avaient dirigé et absorbé sa vie. Les épreuves ne lui avaient point été ménagées. Elle les avait subies avec un héroïque courage. Dieu qui avait été son refuge est devenu son éternel partage. La postérité a précisément gardé son souvenir dans son cœur et malgré le prolongement des siècles et les oublis faibles de ce monde, il y est encore frais et vivant. Dans ses souffrances morales et physiques, elle va s’agenouiller sur sa tombe. Elle y demande la consolation dans ses peines, la force contre les tentations délicates et inconnues, le soulagement dans ses infirmités et ses maladies. Les symptômes remarqués dans les derniers moments de souffrance de la sainte donnent plus de confiance pour l’allégement de pareils maux. Son nom transmis d’âge en âge est demeuré béni et vénéré. Puisse cette foi chrétienne qu’elle aida avec tant de grâce à s’implanter sur les lieux de son pèlerinage, y demeurer toujours à l’abri de la mémoire et y produire des fruits abondants.

Commentaires sur la version de l’abbé Piéderrière

L’abbé Piéderrière conclut la légende par deux pages de commentaires dans lesquels il analyse le contenu du récit et le compare à des éléments d’histoire locale.

L’abbé note tout d’abord les différences entre sa version de la légende et sa représentation sur la bannière de Tréhorenteuc ; une cane et ses canetons y remplacent les canes sauvages qui sauvent Onenne. Cette substitution pourrait selon lui être liée à une assimilation d’Onenne à l’héroïne de la légende de la cane de Montfort 4.

Cependant, il y aurait lieu à des conjectures peut-être. L’esprit local ne s’est-il point approprié un fait qui pourrait remonter à l’assassin des frères d’Onenne et la rendre elle même l’héroïne, si connue de la légende de la cane de Montfort. La bannière de l’église de Tréhorenteuc, en désaccord ici avec notre récit, reproduit depuis des siècles la princesse avec une seule cane et ses petits.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 9 (commentaires)
La bannière de Tréhorenteuc

Cette première version de la légende donne l’origine de plusieurs toponymes de la région. L’abbé revient sur quatre d’entre-eux dans ses commentaires afin d’en interroger la vraisemblance historique.

Le champs des Mésières ou Masures, situé sur le penchant d’une colline au nord du petit bourg de Tréhorenteuc, fournit des preuves de ruines, non seulement dans son nom, mais encore dans les briques à rebords qu’on y trouve. D’après la tradition, l’habitation d’Onenne était là. Nous voyons des constructions romaines qui ont duré bien des siècles. Il n’y aurait peut-être pas d’invraisemblance à penser que la princesse aurait occupé une villa refaite par elle et par ses ancêtres.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 10 (commentaires)
  • L’origine de Mauron, Saint-Léry et du château de Branbili

Les documents de l’histoire de la Domnonée, aux VIe et VIIe siècles nous portent à croire que ces souverains avaient au moins un château au midi de leurs états, auprès des restes de la grande forêt que nous voyons encore maintenant. Ce château était-il placé à Mauron, aux portes de ce bourg, dans le lieu appelé Branbili, Brébili ou Brévili, ou ailleurs ? Les noms de Moroné, Bili, St Léri, avec le peu de lumière qui se rattache autour, semblent donner à croire qu’il devait se trouver par là. En effet, on pourrait conjecturer que la femme de Judikaël donna son nom à l’endroit qu’elle affectionnait auprès de sa résidence, que Bili eut le même privilège. Léri est appelé par les Bollandistes chapelain de St Judikaël, [...], et nous voyons dans sa vie qu’ils avaient des rapports entre eux. [N’oublions ] pas que malgré ce titre, il ait quitté le monastère dont le gratifia son bienfaiteur, et qui est remplacé par un petit bourg qui a conservé son nom. En plaçant le château du saint Roi à Branbili ou à Mauron, tout s’accorde à peu près.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 10 (commentaires)

Deux autres origines sont évoquées dans la légende, sans que l’abbé ne les commente.

Selon la légende, l’ancien oratoire d’Onenne est dans un premier temps desservi par un moine de l’abbaye de Saint-Méen puis par un moine de Notre-Dame de Paimpont avant de devenir un prieuré de cette abbaye.

Ses amies et les chrétiens du voisinage venaient dans son oratoire participer aux mêmes bienfaits divins. Elle eu d’abord un religieux de l’abbaye de St Méen, ensuite, de celle de Paimpont et bientôt, son oratoire devint un prieuré de ce dernier monastère.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 5 (légende)
  • L’origine du monastère de Paimpont fondé par Judicaël.

L’épisode de la chasse au cerf en forêt de Brocéliande se conclut par la prière exaucée de Judicaël et le repas du « bon pain », qui selon cette légende serait à l’origine du nom de Paimpont 5.

L’homme des bois le conduit à sa cabane et lui donne tout le gros pain noir de sa famille. Le roi et ses compagnons en mangent avec avidité et bonheur. Ils le trouvent bon. Alors Judikaël annonce qu’il a fait une promesse à Dieu et à son église, qu’il veut la remplir. Un monastère sera construit sur les lieux. Son nom est trouvé. Il se nommera Pain Bon, Panis Bonus. Ce nom s’est modifié dans la suite des temps, le monastère et le canton se sont appelés Paimpont.

Piéderrière, abbé Julien (1860) op. cit. p. 4 (légende)

On notera donc que cette première version de la légende de sainte Onenne remplit une des fonctions des récits légendaires : donner sens à l’origine de fondations religieuses, de pèlerinages, de toponymes. Elle propose une synthèse permettant dans un seul texte d’expliquer toute la topographie locale à travers la vie d’Onenne, de son frère Judicaël et de sa femme Moroné.

1875 — La version d’Adolphe Orain

La seconde version de la légende de sainte Onenne est publiée par Adolphe Orain (1834-1918) en 1875.

Dès 1870, en préambule de La couronne du roi Hoël III, ce dernier annonce la parution de la légende de Sainte Onenna.

Dans une prochaine légende, nous nous occuperons de la bienheureuse Onenna et de l’église de Tréhorenteuc.

ORAIN, Adolphe, « La couronne d’Hoël III », La Semaine des enfants, Vol. 22 / 1105, 1870, p. 70-71 ; 79, Voir en ligne.

Sainte Onenna - récit de la gardeuse de vaches, parait donc pour la première fois en 1875, dans la Revue de Bretagne et de Vendée. Adolphe Orain mentionne en introduction le contexte dans lequel il l’aurait collecté et ajoute à la fin du texte Conté par Jeanne Niobé, ménagère au village du Canée en Paimpont—  ORAIN, Adolphe, « Sainte Onenna – récit de la gardeuse de vaches », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 38, 1875, p. 269-273, Voir en ligne. —

En 1901, il intègre cette légende à sa première anthologie de contes. —  ORAIN, Adolphe, Contes de l’Ille-et-Vilaine, Paris, J. Maisonneuve, 1901, Voir en ligne. —

Le texte intégral de la légende de Sainte Onenna

Sainte Onenna - Revue de Bretagne et de Vendée
Adolphe Orain

I

Il existe, dans un coin isolé de la Bretagne, sur la lisière de la vieille forêt de Brocéliande, dans le département du Morbihan, une humble bourgade, presque inconnue du reste du monde. Ce village qui forme le chef-lieu de la commune de Tréhorenteuc, est sous la protection de sainte Onenna, fille d’un roi breton. Ce pays est remarquable, à tous les points de vue : d’abord, comme il est extrêmement accidenté, les vallons et les côteaux qui le coupent en tous sens en font un jardin anglais naturel, avec des sinuosités et des méandres sans fin, qui l’ont fait appeler par les poètes d’autrefois : Le Val sans retour, nom qu’il porte encore aujourd’hui. Enfin, les touristes qui visitent ces lieux vont généralement se reposer de leurs fatigues à l’ouest du village, près d’un endroit appelé Néant, pour écouter le charmant murmure de jolies cascades, formées par la réunion de plusieurs ruisseaux. C’est en cet endroit que me fut racontée, l’été dernier, par une vieille femme gardant sa vache, la naïve légende qui va suivre.

II

Judhaël, le roi de Domnonée — plus connu dans les campagnes bretonnes sous le nom de Hoël III, le roi des bois — avait sa résidence à Gaël. Son épouse Pritelle, fille d’Ausoch, lui donna quatre garçons : Iosse, Winoc, Judicaël et Hoël, ainsi qu’une fille appelée Onenna. Inutile de dire que cette dernière, qui, parait-il, était fort jolie, reçut à elle seule plus de caresses du roi et de la reine que ses quatre frères ensemble.

La jeune princesse n’avait pas encore dix ans, lorsqu’un pieux ermite reçut l’hospitalité du roi, et séjourna plusieurs semaines à Gaël. Il sut promptement se faire aimer d’Onenna, qu’il combla de jouets et à laquelle il fit toutes sortes d’amitiés. Souvent il répétait tout bas, en admirant les gentillesses de l’enfant : « Chère petite sainte, ton pays à toi n’est pas de ce monde, et tu t’en iras de bonne heure dans ta douce patrie.

Onenna l’entendit une fois, et ces paroles l’impressionnèrent vivement. Douée d’une intelligence peu commune, elle réfléchit longtemps à ce qu’avait dit l’ermite, et comprit, sans avoir recours à ses parents, qu’elle eût craint d’affliger, que son séjour sur cette terre serait de courte durée, et qu’il lui fallait l’employer dévôtement pour pouvoir mériter le ciel. À partir de ce moment, elle ne songea plus qu’à prier Dieu et à accomplir toutes les bonnes œuvres que son cœur lui suggérait. Elle pensa qu’elle ne pourrait que très difficilement faire son salut dans le château de son père et résolut, malgré tout le chagrin qu’elle allait causer à sa famille, de s’éloigner de sa demeure royale pour aller vivre misérablement quelque part.

Un jour donc, sans prévenir personne de ses projets, elle partit à pied et s’aventura seule dans la campagne. Elle rencontra sur une lande une petite pâtoure, à laquelle elle proposa de troquer ses guenilles contre ses vêtements. La paysanne, qui comprit bien qu’elle allait faire un bon marché, s’empressa d’accepter. Onenna ainsi déguisée en mendiante, s’éloigna de la maison paternelle, et se mit à la recherche d’une position obscure.

Après avoir marché bien longtemps pour ses petites jambes, peu habituées à des courses pareilles, elle arriva près d’un vieux château. La nuit venait, et la pauvre enfant, seule au milieu des landes désertes et sauvages, désirait ardemment trouver un gîte pour se mettre à l’abri des loups si nombreux à cette époque en Bretagne.

Ce ne fut pas cependant sans appréhension qu’elle souleva le lourd marteau de la porte d’entrée de cette demeure qui lui était inconnue. Un valet vint lui ouvrir ; mais en la voyant sous un aspect aussi misérable, il s’apprêtait déjà à lui refuser l’entrée du château, quand Onenna, de sa voix douce, lui exprima, les larmes dans les yeux, la crainte qu’elle avait de passer la nuit seule dans la campagne. Le domestique parut attendri et lui demanda où elle allait, qui elle était, et le but de son voyage.

— Je suis, répondit-elle, une pauvre fille, à la recherche d’une place, afin de pouvoir gagner ma vie.

— Entrez, lui dit-il ; allez vous reposer dans l’étable, et si demain vous voulez aller garder les oies sur la lande, pour votre nourriture, peut-être consentira-t-on à vous garder.

La fille du roi de Gaël s’en alla coucher dans la paille, et le lendemain sur la recommandation de la femme de basse-cour, elle commença ses fonctions de gardeuse d’oies. Elle s’acquitta de ses devoirs avec un zèle et une vigilance au-dessus de tout éloge. Les ruses des renards et des oiseaux de proie furent déjouées par la prudente enfant. Les oies finirent bientôt elles-mêmes par la connaître et lui obéir. Elles la suivaient partout sans qu’elle eût besoin, pour cela, de les menacer de la gaule qu’elle portait toujours sous son bras.

III

Chaque après-midi, de retour au château, après avoir compté, rentré et soigné les oiseaux confiés à sa garde, elle aidait les autres domestiques dans leurs travaux ordinaires ; puis, lorsqu’il lui restait un peu de temps, elle en profitait pour aller prier la Vierge Marie, dans une petite chapelle située au fond d’un jardin. Lorsqu’elle s’y rendait, sans songer qu’elle faisait mal et qu’elle pouvait contrarier quelqu’un, elle cueillait sur son passage les plus belles roses du jardin, pour aller les offrir à Marie.

La châtelaine, s’étant aperçue que ses roses disparaissaient, voulut connaître l’auteur de ce larcin. Elle épia toutes les personnes qui entrèrent dans le jardin, et vit Onenna qui, sans crainte, faisait sa moisson. Elle ne l’interrompit pas et la suivit. L’enfant entra dans la chapelle, déposa ses fleurs sur l’autel, et se prosterna ensuite devant la mère de Dieu.

La châtelaine admirait le recueillement et la piété de cette jeune fille, dont la figure s’illuminait en prononçant ses prières. Tout à coup, ô miracle ! deux anges, qui semblaient descendre du ciel, prirent l’enfant par les bras et la soulevèrent de façon à lui permettre de recevoir un baiser des lèvres de la sainte Vierge.

Cela eut lieu tellement vite que la châtelaine crut avoir rêvé. Mais, cependant, qui donc avait pu lui causer une hallucination semblable ? La gardeuse d’oies était là, non plus à genoux comme tout à l’heure, mais appuyée sur l’autel, en extase devant la statue de Marie, qui semblait lui sourire encore.

IV

Lorsque la jeune fille sortit de la chapelle, sa maîtresse la suivit, et lui demanda, brusquement, s’il était vrai que deux anges l’avaient, tout à l’heure, fait embrasser la Vierge. Onenna sembla contrariée d’avoir été surprise ; mais ne voulant pas mentir, force lui fut de dire la vérité.

La châtelaine, entendant la voix douce de la princesse, et son langage qui ne ressemblait en rien à celui des paysannes de la contrée, voulut savoir qui elle était, et comment elle se trouvait dans une condition aussi humble.

Prise au dépourvu, et ne pouvant plus dissimuler son nom et sa naissance, Onenna se décida à raconter son histoire, sans omettre les motifs qui lui avaient fait quitter sa famille.

La châtelaine, attendrie au récit de l’enfant, l’embrassa avec effusion, lui fit comprendre qu’elle ne pouvait plus longtemps causer un aussi grand chagrin à ses parents, et lui proposa même de la reconduire à Gaël.

Onenna accepta. Elles partirent le lendemain matin, et lorsqu’elles arrivèrent à la cour du roi breton, elles trouvèrent le malheureux Judhaël et l’infortunée reine dans les larmes et portant le deuil de leur fille, qu’ils croyaient perdue. La princesse eut de la peine à les reconnaître, tant ils étaient changés et maigris.

V

Qu’on juge de la joie qu’ils éprouvèrent en revoyant leur enfant. Après l’avoir presque étouffée de caresses et de baisers, ils pleurèrent de joie en écoutant le récit de la châtelaine. Le bonheur reparut à la cour du roi Judhaël.

Des années s’écoulèrent ainsi, pendant lesquelles Onenna employa tous ses jours, tous ses instants à secourir les malheureux et à soigner les malades. C’était la fée bienfaisante de tout le pays.

Hélas ! la prédiction de l’ermite devait s’accomplir. La princesse fut atteinte d’hydropisie. Elle endura des souffrances atroces sans se plaindre, voyant approcher le terme de sa vie, pour ainsi dire avec joie, sachant bien que, pour elle, c’était la fin des peines, et qu’elle allait retrouver la Vierge de la chapelle, qui déjà semblait l’appeler du haut des cieux.

Ainsi finit sainte Onenna, qui n’est plus connue aujourd’hui que des paysans de la commune de Tréhorenteuc.

Conté par Jeanne Niobé, ménagère au village du Canée en Paimpont.

—  ORAIN, Adolphe, Contes de l’Ille-et-Vilaine, Paris, J. Maisonneuve, 1901, Voir en ligne. —

Commentaires sur la version d’Adolphe Orain

La version de la légende de sainte Onenne collectée par Adolphe Orain diffère de celle de l’abbé Piéderrière en de nombreux points.

La vie d’Onenne s’y limite à son enfance. Un ermite de passage à la cour royale de Domnonée lui prédit la sainteté et une mort précoce. Marquée par cette prédiction, elle fuit sa famille et s’établit incognito en tant que gardeuse d’oies à Tréhorenteuc. La première partie de la prédiction de l’ermite se réalise en raison de la dévotion d’Onenne pour la Vierge et conduit au miracle de son apparition dans la chapelle de la châtelaine de Tréhorenteuc. On peut voir dans cette dévotion, absente de la première version de la légende, la marque probable du travail d’évangélisation des génovéfains de Notre-Dame-de-Paimpont.

La version d’Adolphe Orain est notamment expurgée de l’agression sexuelle et du miracle de l’intervention des canes qui donnaient encore un caractère mythique au récit de l’abbé Piéderrière. Les oiseaux migrateurs n’y sont plus que des oies ordinaires, gardées par une enfant. La mort d’Onenne par enflure n’est plus la conséquence d’un viol mais une simple maladie contractée sans raison particulière, l’hydropisie, justifiant les pouvoirs guérisseurs de la sainte de Tréhorenteuc.

Carte postale de Sainte Onenne de Tréhorenteuc

1943-1971 — Deux versions de l’abbé Gillard

L’abbé Gillard, nommé curé de Tréhorenteuc en 1942, publie sa version de la légende de sainte Onenne en juin 1943. —  GILLARD, abbé Henri, « Notice sur sainte Onenne », in Documents inédits "in memoriam", Vol. 20, 1942, Josselin, Abbé Rouxel, 1987, (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »), p. 57-62. —

De 1948 à 1949, il fait réaliser par Henry Uzureau un cycle de vitraux évoquant six épisodes de la vie de sainte Onenne, reprenant sa version de la légende.

Sainte Onenne défendant son honneur
Vitrail de la nef de l’église de Tréhorenteuc
Henry Uzureau

En 1971, il en donne une seconde version, plus synthétique et épurée, qui diffère en de nombreux points de celle écrite par ses soins en 1943. —  GILLARD, abbé Henri, Vérités et légendes de Tréhorenteuc, Saint-Joachim Sainte-Anne d’Auray, Abbé Gillard Auteur-Editeur, 1971, 47 p., (« Ancien recteur de Tréhorenteuc »). [pages 5-8] —

1943 — Le texte intégral de l’abbé Gillard

Elle était de la Domnonée, c’est-à-dire d’une des régions de la Bretagne occupées par les Réfugiés d’Angleterre.

Son père s’appelait Judaël. Il était roi de la Domnonée et il résidait le plus souvent à Gaël. Sa mère, la belle et vénérable Pritelle, était du Finistère, du pays de Léon.

Il y eut au foyer 22 enfants, 16 garçons et 6 filles. Huit d’entre-eux se trouvent sur les autels. Sur le nom d’un garçon l’on hésite. Il y a celui d’une fille qu’on ignore 6.

Beaucoup d’auteurs affirment que Sainte Onenne était le dernier enfant de la famille.

À dix ans, poussée par l’amour de la pauvreté, elle quitta secrètement sa famille. Sur la lande, rencontrant une bergère, elle échangea avec elle ses habits de princesse. Puis, elle s’en alla à l’aventure, cherchant du travail et la misère. À la nuit tombante, elle était à Tréhorenteuc. Saisie par la crainte des loups, elle demanda l’hospitalité au château qui a précédé celui de Rue Neuve. Elle y fut reçue pour la nuit. Le lendemain, elle s’engageait comme bergère. (L’histoire dit qu’elle fut affectée spécialement à la garde des oies.)

Elle était pieuse. Elle aimait à ses moments de loisir se diriger vers l’église. L’idée lui vint de cueillir les roses du jardin et de les offrir à la Sainte Vierge.

En effet, à mesure qu’elle les voyait s’épanouir, elle les enlevait sans rien dire et sans penser à mal. La Dame du château finit par s’inquiéter de la disparition de ses fleurs ; elle surveilla ses rosiers. Or voici qu’elle surprit Sainte Onenne en train de faire sa cueillette. Elle la laissa achever son bouquet. Puis, quand elle partit, discrètement elle la suivit jusqu’à la porte de l’église. Mais là, que se passa-t-il ?

Par la porte entrebâillée de l’église, elle vit Sainte Onenne déposer ses fleurs sur l’Autel de la Sainte Vierge. Puis, elle vit un ange la soulever par ses aisselles jusqu’à la hauteur de la statue. Mais alors la statue s’anima, elle sourit à Sainte Onenne et déposa sur son front les plus gracieux baisers.

À 12 ans, Elle fut conduite par sa mère auprès de Saint Elocan qui habitait dans un petit ermitage élevé à l’emplacement de l’église actuelle de Saint-Léry.

Sur la demande de sa mère, Sainte Onenne se mit à genoux et Saint Elocan la bénit en ces termes : « Que Dieu continue de se reposer sur cette fleur innocente et pure, qu’il la conserve contre les ardeurs des passions mondaines et la défende contre tout souffle corrupteur. Qu’il l’aide à remplir une mission sanctifiante sur tous ceux qui l’approcheront, à supporter avec joie toutes les épreuves de la vie, à recueillir les perles précieuses des bonnes œuvres qui mènent aux joies sans mélange de l’éternité et enfin à voir dans toutes les vertus, mais surtout la pureté, un trésor préférable à tout ce qui séduit les mortels.

Pendant que Saint Elocan priait, Sainte Onenne écoutait si attentivement et si pieusement aussi que, la veille de l’agression dont il va être question tout à l’heure, elle se rappelait toutes les paroles qui avaient été dites et elle pleurait à la pensée que, peut-être, sa vie n’avait pas été en harmonie avec la prière du saint moine.

Sitôt après, Saint Elocan se tournant vers Pritelle lui dit : « Vos nombreux enfants seront des lumières. Mais celle-ci surtout accomplira des merveilles par sa bonté, sa douceur, et son innocence.

Sainte Onenne recevant la bénédiction de Saint Elocan
Vitrail de la nef de l’église de Tréhorenteuc
Henry Uzureau

Plus tard, Sainte Onenne se consacra au Bon Dieu. Elle vint vivre à Tréhorenteuc au manoir de la Roche. Elle y vécut de la vie religieuse, consacrant de longues heures à la prière et circulant dans les environs pour soigner les malades et distribuer des aumônes.

Vers l’âge de 30 ans, Elle s’en revenait de Brambily en compagnie d’autres jeunes filles. À mi-chemin entre Brambily et Tréhorenteuc, elle fut attaquée par un groupe de jeunes gens. Ceux-ci, cachés derrière un buisson, décochèrent leurs flèches contre les jeunes filles qui, toutes, furent abattues.

Sainte Onenne n’eut aucun mal. Mais au même instant, un jeune homme se présenta devant elle, lui proposant le mariage ou au moins le péché. « Ni mariage, ni péché », dit Sainte Onenne. Et aux prises avec son agresseur, elle, la plus douce des créatures, se défendit comme un lion.

À ce moment, des canes sauvages qui passaient dans le ciel firent de telles évolutions et poussèrent de tels cris que des soldats passant dans le voisinage accoururent pour voir ce qui se passait. Ils délivrèrent Sainte Onenne.

Quelques mois plus tard, Sainte Onenne mourut des suites de l’agression. Mais avant de rendre le dernier soupir, elle eut une double pensée : elle légua ses biens aux pauvres du voisinage et elle, pourtant si pure, demanda et fit demander des prières pour le repos de son âme.

On l’enterra dans l’emplacement de l’église. Elle y repose encore aujourd’hui sous les dalles. Où exactement ? On n’en sait rien. Mais c’est un fait confirmé par une tradition qui n’a jamais varié : l’église de Tréhorenteuc, ou de Sainte Onenne, n’est qu’un immense reliquaire où sont déposés quelque part les restes de la Sainte.

—  GILLARD, abbé Henri, « Notice sur sainte Onenne », in Documents inédits "in memoriam", Vol. 20, 1942, Josselin, Abbé Rouxel, 1987, (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »), p. 57-62. —

1971 — Le texte intégral de l’abbé Gillard

St Judicaël et Ste Onenne étaient les enfants de Judaël, roi de la Domnonée. Ils sont nés à Gaël, dans un château situé sur la route de Mauron.

St Onenne était la dernière de cette famille de 22 enfants. Hantée par l’esprit de pauvreté, elle quitta ses parents, échangea ses habits de princesse contre ceux d’une pauvresse et s’engagea, comme servante, dans une ferme qu’on situe à Tréhorenteuc.

À ses moments de loisir, elle allait à l’église prier la Vierge et déposer, sur son autel, les plus belles fleurs qu’elle avait trouvées.

Un jour, deux Anges la soulevèrent à la hauteur de la statue. La statue s’anima et donna à sainte Onenne le plus gracieux des baisers. On la reconnut. Elle fut conduite à ses parents.

Plus tard, elle fit les vœux de religion et revint s’établir à Tréhorenteuc au château du Mazerin près duquel on voit encore sa fontaine.

Elle visitait les malades, rendait service aux malheureux et donnait l’exemple de la piété.

Quand elle mourut, elle fut apportée à l’église et enterrée dans un endroit dont, depuis longtemps, on a perdu le souvenir.

C’est cependant là qu’a eu lieu sa sépulture. Non seulement le fait est enregistré sur des registres d’État Civil, mais un tombeau qu’on déplaçait suivant les nécessités affirmait son existence. Aujourd’hui, une plaque de marbre incorporée au maitre-autel, porte cette inscription : Dans l’emplacement de cette église élevée en son honneur a été enterrée sainte Onenne, Vierge, fête le 1er octobre.

—  GILLARD, abbé Henri, Vérités et légendes de Tréhorenteuc, Saint-Joachim Sainte-Anne d’Auray, Abbé Gillard Auteur-Editeur, 1971, 47 p., (« Ancien recteur de Tréhorenteuc »). [pages 5-8] —

Autel de l’église de Tréhorenteuc
Peter Wisdorff

Commentaires sur les versions de l’abbé Gillard

Les deux versions de la légende d’Onenne par l’abbé Gillard diffèrent notablement. Ces différences révèlent l’affirmation d’un « catholicisme personnel », dans lequel les éléments archaïques de la version d’origine sont supprimés ou mis à distance.

Version de 1943

La première version de l’abbé Gillard opère une synthèse entre les deux précédentes versions de la légende. Elle commence comme celle d’Adolphe Orain par la fuite du domicile royal et le miracle de l’apparition de la vierge dans le château de Tréhorenteuc. Elle reprend la trame de la version de l’abbé Piéderrière à partir des trente ans d’Onenne, comprenant la rencontre avec saint Elocan, l’agression par un prétendant et le miracle des canes sauvages.

Pourtant, la vie d’Onenne n’y est pas comme dans la version d’origine, une vie de chrétienne dont l’exemplarité dans les vertus catholiques en fait une sainte. Elle demeure partiellement, comme dans le collectage d’Adolphe Orain, un exemple de dévotion à la Vierge, consacré par un miracle.

Vitrail de la chapelle de la Vierge de l’église de Tréhorenteuc
Henry Uzureau

Cette version de l’abbé Gillard possède aussi ses propres nouveautés. Dans son désir de lier Tréhorenteuc à l’histoire du Graal, il modifie le nom de la résidence d’Onenne. Elle séjourne au château de la Roche à Tréhorenteuc, évocation du château de la Roche où Joseph d’Arimathie convertit un maure dans l’Histoire du saint Graal.

Version de 1971

La seconde version de l’abbé Gillard, beaucoup plus courte et synthétique, accentue les effets de la version de 1943. Toutes les références à la version de l’abbé Piéderrière ont été retirées du texte. La vie d’Onenne se limite à sa jeunesse et au miracle de l’apparition des anges consécutif à la pureté de sa dévotion à la Vierge. L’épisode de la visite à saint Elocan, annonciatrice de la sainteté de la princesse, n’y figure plus. Plus encore, la vie adulte d’Onenne, réduite à deux phrases, ne comprend plus l’épisode de l’agression sexuelle, déjà passablement écourté dans sa version initiale. La sainte meurt sans qu’une quelconque cause à son décès ne soit évoquée.

L’ancien recteur de Tréhorenteuc conclut cette évocation de la légende d’Onenne par un court texte intitulé Les oies d’Onenne. Non content d’avoir retiré le miracle de l’intervention miraculeuse des canes de la version d’origine il remet aussi en cause la tradition faisant d’Onenne une gardeuse d’oies.

Était-elle gardeuse d’oies ? On l’a dit et on la représente comme telle. Mais sœur de St Judicaël, Ste Onenne était sœur de Roi et Princesse de Bretagne. Elle vit des oies. Elle ne les garda pas. Elle les regarda. En les regardant, elle apprit à gouverner. Sans doute eut-elle l’intuition de ce texte d’évangile qui concerne Jésus : « Il ne criera pas ; il n’achèvera pas le roseau brisé ; et il n’éteindra pas la mèche qui fume encore. » Comme Jésus, elle eut soin d’y conformer sa vie.

Gillard, Abbé Henri (1971) op. cit. p.8-9

La référence au Graal par l’intermédiaire du château de la Roche est absente de la version de 1971. L’abbé Gillard l’a remplacée par le château du Mazerin, qui rattache la légende d’Onenne à une tradition locale.


Bibliographie

GILLARD, abbé Henri, « Notice sur sainte Onenne », in Documents inédits "in memoriam", Vol. 20, 1942, Josselin, Abbé Rouxel, 1987, (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »), p. 57-62.

GILLARD, abbé Henri, Vérités et légendes de Tréhorenteuc, Saint-Joachim Sainte-Anne d’Auray, Abbé Gillard Auteur-Editeur, 1971, 47 p., (« Ancien recteur de Tréhorenteuc »).

MOISAN, André, « Un érudit oublié, Julien Piéderrière (1819-1886) », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, Vol. 137, 2011.

ORAIN, Adolphe, « La couronne d’Hoël III », La Semaine des enfants, Vol. 22 / 1105, 1870, p. 70-71 ; 79, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, « Sainte Onenna – récit de la gardeuse de vaches », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 38, 1875, p. 269-273, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, De la vie à la mort : folklore de l’Ille-et-Vilaine, Vol. 1, Paris, J. Maisonneuve, 1897, Voir en ligne.

ORAIN, Adolphe, Contes de l’Ille-et-Vilaine, Paris, J. Maisonneuve, 1901, Voir en ligne.

PIÉDERRIÈRE, abbé Julien, « Légendes de sainte Onenne et de saint Utel recueillies d’après la tradition populaire. », 1860, 13 p., Voir en ligne.

ROPARTZ, Sigismond, « Pèlerinage archéologique au tombeau de sainte Onenne », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 10 / deuxième semestre, 1861, p. 195-219, Voir en ligne.


↑ 1 • Des recherches généalogiques effectuées par Joseph Boulé, concernant un abbé Gaspais mort au Coudray Baillet vers 1778 n’ont rien donné. L’existence de deux ecclésiastiques de la famille Gaspais du Coudray, par ailleurs arrière-grands-oncles de l’abbé Piederrière est cependant attestée. Il s’agit de Mathurin Gaspais décédé en 1767, ainsi que de Pierre Gaspais, décédé en 1759.

↑ 2 • En 1861, Sigismond Ropartz mentionne l’existence de la version de la légende de sainte Onenne par l’abbé Piéderrière (1819-1886).

M. l’abbé Piéderrière, avec une obligeance parfaite, m’a communiqué une légende de sainte Onenne rédigée par lui d’après un manuscrit du XVIIIe siècle, époque où l’hagiographie florissait peu. Il y a joint quelques notes, également inédites sur saint Utel.

ROPARTZ, Sigismond, « Pèlerinage archéologique au tombeau de sainte Onenne », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 10 / deuxième semestre, 1861, p. 195-219, Voir en ligne. p. 209

↑ 3 • Cette transcription est faite à partir du document original ( MS 261, cahier de 13 pages ) provenant de la Société Polymathique du Morbihan. Nous remercions le président, Jean-Yves Cavaud, de nous avoir donné l’autorisation de la publier sur notre site et les conservateurs de la bibliothèque, Annick Jousse et Joël Lecornec, pour nous avoir fourni les copies.

↑ 4 • Nous pensons que la présence d’une cane et d’un caneton sur la bannière de Tréhorenteuc ne fait pas d’Onenne l’héroïne de la légende de la canne de Montfort mais renvoie à la seconde version de la légende, collectée par Adolphe Orain à la fin du 19e siècle. Dans cette version, Onenne est une simple gardienne d’oies qui acquiert la sainteté par sa dévotion à la sainte Vierge.

↑ 5 • Cette version de l’origine étymologique de Paimpont n’existe que dans cette légende.

↑ 6 • Suit un tableau où sont catalogués les enfants : garçons et filles. que nous n’avons pas reproduit dans cet article.